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Correspondance de Voltaire/1769/Lettre 7736

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Correspondance : année 1769GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 46 (p. 517-518).
7736. _ DE MADAME LA MARQUISE DU DEFFANT[1].
Mercredi, 20 décembre 1769.

J’ai mille raisons pour vous aimer : d’abord vous êtes mon contemporain, qualité dont je fais grand cas, et que je trouve aujourd’hui dans bien peu de personnes ; ensuite vous avez des attentions infinies, vous me procurez de l’amusement, du plaisir ; sans vous mes nuits seraient insupportables, je les passe à me faire lire ce que vous m’envoyez. Vos correspondants en Hollande vous servent bien, communiquez-moi toujours tout ce qu’ils vous envoient. La grand’maman est bien contente de vous ; je reçois d’elle les mêmes remerciements que vous me faites, et je vous en dois, à l’un et à l’autre, de m’admettre en un si aimable commerce.

M. Craufurd, dont je vous ai parlé il y a quelques années, est ici depuis quelques jours ; il s’en ira bientôt, j’en suis très-fâchée : il a beaucoup d’esprit, beaucoup de goût et de justesse ; il a un peu d’amitié pour moi et de l’adoration pour vous ; il m’a prié de vous parler de lui, de vous faire souvenir du temps qu’il a passé avec vous ; il a un ami dont la réputation ne vous est pas inconnue, c’est M. Robertson ; vous savez qu’il a fait l’Histoire d’Écosse et la Vie de Charles V. Cet auteur voudrait vous faire hommage ouvrages, je me suis chargée de vous en demander la permission ; j’ai assuré que je n’aurais pas de peine à l’obtenir. Je désire qu’il puisse voir votre réponse : ainsi, je vous supplie qu’elle soit de façon à le satisfaire ; son respect, sa vénération pour vous sont extrêmes, ce qui me fait juger de son esprit et de son mérite.

Vous voulez que je vous mande des nouvelles. Le grand-papa se porte toujours fort bien, il est aussi charmant que jamais ; il n’y a plus que lui en qui l’on trouve de la grâce, de l’agrément et de la gaieté ; hors lui, tout est sot, extravagant ou pédant.

M. d’Invault donna, hier matin, sa démission[2] : j’attendrai à demain à fermer cette lettre, afin de vous pouvoir nommer son successeur. Si on est dans l’embarras du choix, je ferai partir ma lettre. Adieu, mon cher et ancien ami, je vous aime de tout mon cœur.

Le président se porte bien, mais il ne me fait pas désirer de parvenir à son âge. Mille compliments à Mme Denis et a M.et Mme Dupuits.

Jeudi 21.

Le contrôleur n’est point nommé ; je voudrais que vous le fussiez, mais ce serait à condition que vous interdiriez les écrits sur l’agriculture, les projets économiques, etc., etc.

J’attends avec grande impatience ce que vous me promettez à la fin de l’hiver : cela sera-t-il gai ? Nous n’avons besoin, à nos âges, que de nous amuser. Vous avez assez instruit le genre humain, ne songez plus qu’à vous divertir et à divertir vos amis.

  1. Correspondance complète, édition de Lescure, Paris, 1865.
  2. De la place de contrôleur général des finances.