Correspondance du Dr de Valcourt

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Anonyme
Correspondance du Dr de Valcourt
Revue des Deux Mondes, 6e périodetome 2 (p. 466-468).
CORRESPONDANCE

Nous avons reçu de M. Charles Maurras, au sujet de l’étude que M. Victor Giraud a consacrée à M. Paul Bourget, une lettre qu’il ne nous demande pas de reproduire en entier, mais dont deux points lui tiennent particulièrement au cœur. M. Maurras ne veut pas admettre que M. Paul Bourget se soit jamais mis à son école ; il tient à dire qu’il considère l’auteur du Disciple comme son maître : c’est question de modestie de sa part. L’autre point de sa lettre est certainement plus important à ses yeux comme aux nôtres : aussi lui laissons-nous la parole.


M. Victor Giraud, — dit-il, — m’a causé, sans le vouloir, j’en suis certain, un tort très réel, à la page 111, où il parle d’un catholicisme athée que l’on enseignerait à l’Action française. Le mot de catholicisme athée, que l’auteur place entre guillemets, m’est attribué couramment. Or qu’on mette en cause l’Action française ou qu’on ne parle que de moi, c’est là, purement et simplement, une erreur d’attribution. Le propos « catholicisme athée » n’a jamais été employé que par Jules Soury. Soury a écrit chez nous, comme il a écrit à la Libre Parole, et sa collaboration, qui ne fut jamais que d’un hôte et d’un ami, s’est arrêtée vers 1903… L’Action française groupe des patriotes de toute croyance et de toute incroyance, mais qui s’accordent en ce point bien spécifié que la politique religieuse de la France doit être catholique. Qu’ils soient athées, qu’ils soient païens, spinozistes ou positivistes, ils admettent cette politique : mais ils l’admettent plus facilement encore quand ils sont catholiques ; et dès lors, en quoi le catholicisme de ces derniers peut-il être le moins du monde « athée ? » Nos catholiques sont des catholiques comme les autres, leur chaire du Syllabus, dans notre Institut d’Action française, vous en est le garant ; et de nos mécréans (dont je suis), aucun n’a la prétention de professer ni d’enseigner le catholicisme.

Nous ne pouvons que donner acte à M. Charles Maurras de son explication, et restituer à M. Jules Soury ce qui lui appartient. L’expression est d’ailleurs un peu forte ; on n’enseigne pas un catholicisme athée à l’Action française ; on se contente d’y être très éclectique et d’y grouper des opinions confessionnelles diverses sous la même bannière politique. Ce n’est pourtant pas nous qui aurions qualifié M. Maurras de « mécréant. »


A propos du récit de la tentative de suicide de Maupassant fait par François, valet de chambre de l’écrivain, récit qu’il estime inexact sur quelques points, M. le docteur de Valcourt nous a adressé la note suivante :


François vint me chercher dans la nuit du 1er au 2 janvier 1892. (A cette époque j’étais en pleine activité à Cannes et ma vue est encore excellente en 1911.) Il insista, en arrivant, pour pénétrer dans ma chambre, désirant me dire, sans témoins, que Maupassant, dont je soignais depuis plusieurs années la mère et le frère, réclamait mes soins parce que mon pauvre ami avait voulu se couper la gorge avec un rasoir et qu’il fallait apporter les instrumens nécessaires pour fermer la plaie.

En route, François me raconta que le malade ayant manifestera plusieurs reprises, des intentions de suicide, il avait très sagement porté chez un armurier les cartouches du revolver de son maître, afin d’en faire retirer le fulminate, pour replacer ensuite les balles devenues inoffensives. Il en résulta, que lorsque, cette nuit-là, Maupassant voulut se servir de son revolver, les coups ratèrent tous, et que, après cet insuccès, il prit un rasoir et se fit une énorme entaille heureusement peu profonde, incisant la peau, la veine jugulaire externe, le muscle peaucier et entamant même les muscles sous-jacens.

Au bout de quelque temps, le pauvre exalté, voyant l’hémorrhagie s’arrêter, ouvrit une fenêtre. A ce moment, François, entendant du bruit, se précipita dans la chambre et arriva juste à temps pour l’empêcher de se précipiter dans le vide.

Maupassant me reçut très affectueusement, en me disant : « Mon cher ami, j’ai voulu me tuer, c’est insensé. »

La saignée provoquée par la section de la jugulaire avait produit une accalmie ; aussi me laissa-t-il très sagement prendre mes dispositions pour réparer le désordre.

Plusieurs lampes étaient inutiles, une seule suffisait, pourvu qu’elle fût tenue à proximité. Je chargeai François de cet office. A peine avais-je commencé mon travail, que François tomba inerte sur le plancher, ne pouvant supporter la vue de ces apprêts, comme cela arrive à bien des personnes en pareil cas. Après m’être occupé de lui et avoir attendu le temps nécessaire pour le remettre sur pieds, je lui demandai de prendre la lampe à bras tendu, mais en tournant le dos à l’opéré, de façon à ne rien voir. Quant au marin du Bel-Ami, il m’aida sans broncher et adroitement. L’incision faite par le rasoir était longue de 8 à 10 centimètres, or comme le muscle peaucier est très rétractile, l’ouverture était fort large. D’une main, je fis pénétrer mon aiguille de Reverdin et de l’autre je tenais une pince afin de rapprocher les bords de la plaie. Ayant les deux mains occupées, je chargeai le marin d’introduire le fil dans l’aiguille, lorsque celle-ci eut traversé les tissus, puis je pratiquai la suture. La réussite fut absolue, et la cicatrisation survint ensuite rapide et parfaite. L’histoire du « point de voile » est parfaitement ridicule. Pendant ce temps, Maupassant fut très calme, parlant beaucoup avec tout son bon sens.

Les jours suivans : alternatives et périodes de calme, de prostration ou d’extrême agitation. Le surlendemain, je dus même employer temporairement la camisole de force, en remplacement d’un cordage avec « points de voile » que le marin avait appliqué de lui-même, en attendant ma visite parce qu’il lui était impossible de maintenir autrement le malade dans son lit.

En ces circonstances, nous décidâmes, mon excellent confrère le docteur Darenberg et moi, d’envoyer le pauvre malade dans l’ancien établissement du docteur Blanche, en le recommandant aux bons soins du docteur Meuriot, mon ancien camarade auquel j’écrivis. Peu après cette décision, nous reçûmes de MM. Delpit et Cazalis (Jean Lahor) un télégramme dans lequel ils protestaient avec véhémence contre cette décision. Absolument certains, malheureusement, de notre diagnostic, nous ne tînmes aucun compte de cette opposition. Quelques jours après, j’accompagnais notre pauvre ami à la station du chemin de fer ; il pouvait à peine marcher. Il fut reçu, à la gare de Paris, par MM. Delpit et Cazalis qui, en le voyant, n’hésitèrent pas un instant à l’accompagner eux-mêmes directement à Passy, où, hélas ! la maladie suivit son cours fatal.

Ainsi s’éteignit cet homme de cœur, cet admirable écrivain.


Dr DE VALCOURT.