Correspondance et nouvelles. 1er trim. 1831

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Correspondance et nouvelles. 1er trim. 1831

PARIS.Statistique des salariés de l’état. — La Société de Statistique a entendu, dans sa dernière séance mensuelle, un rapport fort curieux, de M. Bennistan de Château-Neuf, sur le nombre d’individus qui reçoivent de l’état un traitement quelconque. M. Bennistan a pris pour guide le budget, et son rapport « embrasse tous les rangs, toutes les conditions ; depuis le mousse jusqu’à l’amiral, depuis le soldat jusqu’au maréchal de France, depuis l’humble desservant jusqu’au prince de l’église, depuis le simple ouvrier jusqu’au souverain, tout est là, c’est la civilisation, c’est la société tout entière.

» Ce travail montre que, sur une population de 32 millions de citoyens, dont il faut retrancher seize pour les femmes, et les trois cinquièmes pour ceux qui sont au-dessous de vingt ans, il y a en France un individu sur dix payé par l’état, et que sur un total de 613,500 personnes qui reçoivent en traitemens ou salaires une somme de 347 millions, 6,200 en touchent 35, ou près du dixième à elles seules.

» Une autre observation s’offre encore. C’est qu’après avoir examiné ce tableau, On demeure convaincu qu’aucune économie n’est possible en France, à moins de réduire à moitié, ou de supprimer des services entiers de dépense, et cela tient bien moins à un mauvais système d’administration qu’à la vaste étendue d’un royaume qui a trois cents lieues de long sur deux cent vingt-cinq de large, et cent cinq millions d’arpens de superficie. Quand il faut développer toutes les branches de l’administration jusqu’aux derniers points d’une si vaste surface, leur multiplicité devient immense. C’est ainsi que, pour rapprocher autant que possible le juge du plaideur, on a été obligé de créer près de quatre cents tribunaux, et de nommer 3,540 magistrats, qui coûtent 10 millions ; que, pour empêcher la fraude et la contrebande, il faut entourer nos frontières d’une armée de 25,000 douaniers, qui touchent 16 millions ; que, pour entretenir un simple pasteur dans chaque église de nos nombreuses communes, on paie 29 millions à 42,000 curés ou desservans. Toutefois on est loin de penser qu’à côté du nécessaire il faille laisser le superflu, et qu’il n’y ait rien de ce superflu dans les 33 millions que touchent 6,000 personnes.

« Si l’on divise les 607,500 individus restant par les 312 millions qui restent également, on trouve que chacun en obtient pour sa part une modique somme de 513 francs, et que cette somme se place précisément entre celles que coûtent à l’état l’entretien d’un galérien et celui d’un soldat.

« Les réformes, la mort et d’autres causes encore font varier chaque année les nombres de ce tableau de quelques mille, mais la guerre les augmente tout à coup prodigieusement. Tels qu’ils sont, ils montrent que la France paie annuellement, en traitemens et en salaires, une somme égale à celle que présentent les revenus réunis de l’Espagne, de la Prusse et du Danemarck. »

Il résulte du travail de M. Bennistan qu’il y a en France :

3,353
magistrats, coûtant 
9,724,000 fr.
42,500
écclésiastiques 
29,000,000
11,933
officiers de toutes armes 
26,374,000
1,423
officiers de vaisseaux 
3,030,000
5,389
employés de tous grades dans les ministères et administrations secondaires 
15,317,000
242,800
pensionnaires, dont 120,000 militaires, 27,560 légionnaires et 25 ministres, etc. 
76,500,000
307,598 159,915,000 fr.


PARIS. Nouvelles de l’expédition de la Favorite. La corvette la Favorite exécute en ce moment un voyage autour du monde, qui, sous le rapport de la géographie et de l’histoire naturelle, promet à la science d’importans résultats.

Cette expédition, commandée par M. Laplace, capitaine de frégate, est partie de Toulon le 30 décembre 1829. Elle a relâché successivement au Sénégal, aux îles de France et de Bourbon, aux Séchelles, à Pondichéry, à Madras, à Corinji et à Singapour, dans le détroit de Malacca, d’où nous sont parvenus, à la date du 23 août 1830, les dernières nouvelles que nous ayons reçues de la Favorite.

M. Laplace, après avoir visité Manille, le port Jackson, traversé le grand Océan, exploré la côte ouest d’Amérique, doit opérer son retour en Europe par le cap Horn.

Déjà cet habile officier a envoyé de Pondichéry au Jardin du Roi trois grandes caisses d’histoire naturelle, riches surtout en mollusques et en poissons. Les différens objets qu’elles contiennent ont été recueillis par MM. Eydoux et Baume, chirurgiens de l’expédition, qui reçoivent de M. le commandant Laplace toutes les facilités qu’ils pouvaient attendre d’un ami des sciences. La meilleure harmonie règne à bord de la Favorite, et en août 1830, tout l’équipage jouissait d’une parfaite santé.


PORTUGAL.Ancien atlas manuscrit. — Il existe dans la bibliothèque des Chartreux d’Evora, en Portugal, un magnifique atlas manuscrit contenant un grand nombre de cartes. Le titre porte qu’il a été dressé par Ternâo Vaz Dourado, cosmographe portugais à Goa, en 1572. Une note écrite sur l’atlas apprend qu’il avait appartenu à l’archevêque d’Evora, dom Théodose de Bragance, qui en fit présent aux chartreux d’Evora. Cet archevêque est mort au commencement du xviie siècle.

Les cartes dont il se compose sont coloriées, et toutes les découvertes y sont marquées d’après les noms de ceux qui les ont faites. Les établissemens portugais et espagnols sont distingués par de petits pavillons aux couleurs de chacune de ces nations.

Le pays au sud de l’embouchure du fleuve Saint-Laurent, dans l’Amérique septentrionale, est désigné par ces mots : « Terre des Corterreal (Terra dos Corterreaes). La terre de Labrador est placée vers le 70°, et les caps en sont indiqués par des noms espagnols et portugais, pour marquer par lequel de ces deux peuples ils ont été découverts. Le plus septentrional porte le nom en portugais de Cap-Blanc (Cabo Branco).

Dans l’emplacement occupé par la côte septentrionale de la Nouvelle-Hollande ou Australie, on voit une immense côte dessinée, avec un grand nombre de promontoires, ayant tous des noms espagnols. Le pavillon de Castille est peint sur cette carte, et on lit au bas ce qui suit :

« Cette côte fut découverte par Ternâo de Magalhaens (Magellan), par ordre de l’empereur Charles, dans l’année 1520. »

La personne de qui je tiens ces renseignemens croit avoir vu également sur cette carte une côte tracée qui correspond à la Nouvelle-Guinée, avec la dénomination de « Terre des Papous (Terra dos Papuas) ; mais elle n’en est pas bien certaine.

Les îles de Lieu Kiou, et une foule de caps, de baies, de fleuves et de côtes qui portent aujourd’hui des noms donnés par des navigateurs qui les ont visités postérieurement, se trouvent également marqués sur les cartes de cet atlas avec des noms portugais pour la plupart.

Adrien Balbi


St-PÉTERSBOURG.[1]Lettre sur le choléra-morbus – Si la marche progressive du choléra-morbus depuis les limites les plus reculées de l’Inde jusqu’aux frontières occidentales de l’empire prouve sa propriété éminemment transmissible et contagieuse, son séjour et sa stagnation pendant plusieurs années consécutives dans le gouvernement d’Orembourg et vers l’embouchure du Volga établissent sa tendance à se naturaliser en Russie : d’un autre côté, l’irruption générale et envahissante qui a eu lieu vers le printemps de l’année dernière démontre sa propriété expansive sur les différentes populations de l’Europe, sous quelque condition de climat, de latitude et de localité qu’elles se trouvent.

Affectant plus spécialement le peuple et toutes les classes indigentes de la société, il est naturel de voir dans les conditions relatives au genre de vie, aux occupations, aux habitudes de propreté, aux différences qui résultent de l’abondance ou des privations, les causes qui favorisent ou empêchent son invasion chez les individus.

L’observation médicale appliquée à l’organisation physique de la classe inférieure en Russie a signalé l’existence d’un fait qui doit trouver ici sa place. Inerte et apathique, le paysan russe aux prises avec la maladie se trouve dès son début, accablé et comme anéanti par elle : il cherche vainement dans sa constitution une force active de résistance, de sorte que, quoique plus robuste en apparence, sa nature est moins vivace que celle des habitans d’autres pays où le système nerveux est plus développé.

La principale cause de cette atonie remarquable doit être attribuée à l’usage immodéré des boissons fortes et des liqueurs. Or ces liqueurs n’étant autre chose que de l’alcool de grains, substance extrêmement diffusible, amènent presque instantanément un état complet d’ivresse qui n’est point accompagné de ces effets toniques produits sur l’organisation par le vin ou les esprits qui en proviennent, mais dont la terrible conséquence est à la fois l’abrutissement moral et une sorte de léthargie physique.

De là résulte pour le peuple, en Russie, une plus grande tendance à contracter les maladies du genre du choléra-morbus, et à les ressentir dans une plus grande intensité.

Ces considérations préliminaires, déduites des faits généraux et des circonstances locales, doivent diriger l’appréciation des probabilités de la propagation du choléra-morbus au-delà des localités actuellement envahies.

Pour atteindre ce dernier but, il faudra rechercher d’abord si l’amélioration momentanée de l’état sanitaire, dans le cas où elle existerait réellement, n’est pas plutôt l’effet de la marche naturelle de la maladie et du retour de l’hiver, que le résultat des moyens employés pour la combattre, ou le présage de sa disparition complète ; puis, si la confiance que témoigne aujourd’hui le gouvernement russe est fondée sur une conviction certaine et des données positives. La diminution de la maladie dans ses attributs de gravité, de fréquence et de contagion, est un effet naturel qu’on remarque dans toutes celles qui se développent en grand sur les masses. Elles ont leur période d’accroissement, leur terme de plus haute intensité, ainsi que leur déclin. Considérées dans leur ensemble, elles agissent sur le corps social comme une affection spéciale sur un individu isolé. C’est un accès qui commence, qui s’accroît et qui finit, mais qui peut, après un intervalle de repos plus ou moins long, être suivi d’une autre crise que distingueront les mêmes phases.

Par suite de ce phénomène dont l’expérience a démontré la légalité, mais dont l’opinion commune n’a pu reconnaître l’existence, le choléra-morbus, déclaré d’abord contagieux et même regardé tacitement comme pestilentiel, est presque généralement considéré aujourd’hui comme ayant perdu ces attributs redoutables. D’où peut toutefois provenir une opinion si rassurante ? Les découvertes médicales ont-elles jeté de nouvelles lumières sur cette maladie ? A-t-on déterminé sa nature, ses causes, ses effets ? En connaît-on mieux aujourd’hui le principe ou l’origine ? L’observation scientifique enfin a-t-elle indiqué des moyens préservatifs ou des méthodes curatives d’une incontestable efficacité ? Jusqu’à ce moment, il faut bien l’avouer, le silence de la médecine autorise à penser que ce n’est pas sur sa conviction que l’on se fonde pour se livrer avec confiance aux chances de l’avenir.

Les médecins, en effet, ne voient dans la situation présente qu’un assoupissement naturel de la maladie, non plus sur un seul point, comme dans les années précédentes, non plus sur les confins de l’Asie, mais dans un nombre incalculable de foyers, dans le centre, au sud, à l’ouest de l’empire, en sorte qu’il suffira désormais d’une réunion de circonstances favorables à son développement pour occasionner une irruption générale dans tout l’occident de l’Europe.

D’après leur opinion, on peut donc regarder la position sanitaire de la Russie et des états limitrophes, comme éminemment critique et appelant les plus sérieuses méditations. Il suffit, pour s’en convaincre, d’énumérer les conditions probables d’une extension rapide du mal, d’apprécier l’ensemble effrayant qu’elles offriront au retour du printemps prochain, lorsque les causes naturelles viendront se combiner avec celles qu’offrent déjà les circonstances particulières du moment actuel.

D’une part, nous voyons la maladie disséminée depuis les rives de la mer Caspienne et de la mer Noire jusqu’aux bords de l’Oka et aux frontières de la Pologne, tandis que la prévoyance de l’administration impériale, au lieu de doubler les moyens de préservation, est subitement absorbée par d’autres sollicitudes.

De l’autre, la marche des troupes, le transport des subsistances et du matériel, le mouvement occasionné par la concentration sur un seul point d’une armée de deux cent mille hommes, rendent nécessaires un contact et des communications qui ne permettent plus de régulariser le service sanitaire. On a donc presque partout supprimé les quarantaines. Déjà plusieurs localités, parmi lesquelles on cite la ville de Toula, ont senti les effets de cette mesure intempestive, et sont aujourd’hui envahies par la contagion. Cependant la saison actuelle est bien moins favorable au développement du choléra-morbus, que ne le sera le printemps qui va commencer.

C’est alors que pourront se réunir tous les élémens d’un désastre immense et général, et leur influence n’étant plus combattue par un système de préservation, jugé désormais inutile, il est impossible de prévoir où pourra s’arrêter la contagion.

Telles sont les conséquences probables des nouvelles instructions adressées aux gouverneurs des provinces, et particulièrement aux autorités de Moscou. De ce que le nombre des malades a progressivement diminué pendant le mois dernier, on a tiré l’étrange conclusion que le mal était extirpé jusque dans sa racine. « Le choléra-morbus, dit un des derniers bulletins de Moscou, étant presque entièrement » éteint, on a jugé convenable de lever les quarantaines extérieures, et désormais les précautions sanitaires seront concentrées dans la ville. » Il n’y a plus aujourd’hui, de Saint-Pétersbourg à Moscou, de cordons sanitaires qu’à la hauteur de Tzarskoe-Zelo et sur la frontière des gouvernemens de Tver et de Moscou. Du reste, les communications sont libres entre les diverses provinces et la seconde de ces capitales. Ses relations commerciales, long-temps suspendues, sont aujourd’hui reprises, et l’on propage ainsi une sécurité trompeuse sur la foi de la presque entière extinction d’une maladie contagieuse.

Et cependant, tandis qu’Astrakan, Nijnei, Saratow et Moscou jouissent d’une tranquillité temporaire, le choléra-morbus se porte avec une activité nouvelle aux frontières occidentales de l’empire. C’est là qu’il prépare peut-être son invasion la plus terrible. Les foyers existent : les troupes se concentrent ; la guerre avec tous les maux qu’elle entraîne à sa suite, les marches forcées, les dangereuses nuits du bivouac, la mauvaise nourriture, toutes les intempéries des saisons, et pour surcroît de misère, une agglomération de population juive, avec sa malpropreté native, son activité, ses habitudes avides et mercantiles, tout se réunit, tout s’accumule pour recéler d’abord, pour produire et pour propager plus tard cet épouvantable fléau.

Toutefois un coup-d’œil rapide sur l’historique de la maladie et sur l’aspect qu’a présenté, pendant l’année dernière, l’état sanitaire de la Russie, pourra servir à démontrer qu’il eût été possible d’élever alors des barrières insurmontables au choléra-morbus.

Dans le cours de son incursion, on le voit partout se propager chez des populations nouvelles, par la communication des individus, le transport des denrées et l’inobservation des réglemens préservateurs. Il apparaît à Astrakan, vers l’été de 1823, importé par des caravanes venues de l’Inde, en traversant la Perse. Aussitôt des mesures sévères et bien entendues sont arrêtées par une administration clairvoyante. Un médecin actif, éclairé, entreprenant, le docteur Rehmann, demande des pleins pouvoirs : il se fait fort de circonscrire le mal et de l’empêcher de sortir d’Astrakan. On le laisse agir ; il tient sa promesse. La maladie semble éteinte ; elle n’était qu’assoupie. Cependant on néglige les précautions d’abord prescrites ; le mal reparaît plus tard. On le comprime encore ; mais il n’y a plus d’ensemble dans les mesures, et l’autorité qui doit veiller au salut du pays n’est plus concentrée dans des mains aussi prévoyantes. Dès lors, le mal n’étant plus contenu par des liens suffisans, s’échappe et se répand de toutes parts. Les quarantaines qui doivent préserver les localités saines ne sont d’abord établies que dans des lieux infectés : la contagion les précède à Saratov, à Nijnei, dans le Caucase, en Crimée ; le service sanitaire ne s’organise pas pour prévenir : ce ne sont plus des cordons pour arrêter le mal, mais seulement des ambulances pour traiter les malades. À Moscou même, malgré l’importance de cette seconde capitale de l’empire, malgré la marche régulière du fléau qui s’avance progressivement vers elle, on semble, jusqu’au dernier moment, n’en pas croire l’irruption possible, et l’on ferme les portes que quand il est déjà dans la ville ; encore faut-il la présence du souverain lui-même pour que les lignes, tardivement posées, soient maintenues. Elles le sont, grâce à l’empereur. Dès ce moment, la maladie, confinée dans l’intérieur, ne sort plus des barrières : malgré leur inquiétante proximité, Tver, Toula, Smolensk sont préservées. Bientôt on isole les différens quartiers de Moscou. Lorsqu’on adopta cette mesure, plusieurs de ces quartiers n’avaient pas ressenti les atteintes du choléra-morbus ; il n’y a point pénétré : bien plus, des faubourgs entiers, pendant trois mois de contagion, n’ont pas compté un seul malade.

En résumant les conséquences naturelles des considérations qui précèdent, on doit donc reconnaître :

Que depuis son invasion en Russie, jamais le choléra-morbus n’a offert plus de chances fâcheuses, et que, sous le rapport médical, l’administration, loin d’être fondée à négliger les soins de la prévoyance sanitaire, aurait dû redoubler de zèle et d’activité pour en diriger plus efficacement l’application ;

Que les connaissances scientifiques sur la nature de cette contagion, sur les moyens curatifs à employer contre elle, étant restées stationnaires au milieu des progrès du mal, on ne trouve dans les circonstances présentes que des causes probables de plus grands désastres ; car :

1o Les foyers anciens de la contagion ne sont pas éteints, et ne sont plus surveillés ;

2o Ceux qui se sont formés nouvellement réunissent plus de conditions favorables à l’extension du mal ;

3o L’influence de la chaleur et de l’humidité de la saison prochaine doit augmenter encore ses causes de propagation et d’intensité ;

4o Toutes les causes naturelles venant se combiner avec les circonstances particulières les plus défavorables, il doit en résulter un danger imminent de contagion pour les états limitrophes.

Il faut enfin reconnaître que la véritable raison des dernières mesures adoptées par le gouvernement, ne pouvant se déduire des faits relatifs à l’état sanitaire, doit résider dans la nécessité de satisfaire à des intérêts d’une autre espèce, qu’on regarde comme plus pressans.

Les médecins les plus sages et les plus éclairés sont unanimes dans leurs craintes ; ils ne trouvent que des explications politiques à donner aux dernières décisions du gouvernement impérial. La possibilité d’une nouvelle et plus terrible invasion de la maladie, vers le printemps prochain, leur semble démontrée, et la marche constante que, depuis son départ des Indes, le choléra-morbus a suivie vers l’ouest, leur inspire des inquiétudes réelles pour la préservation de l’Occident continental.

Au reste, si le choléra-morbus approchait de l’Allemagne, la prudence et l’activité que déploieraient contre la contagion les gouvernemens ainsi que les populations de ces contrées, serviraient de premier rempart à la France, et lui laisseraient le temps de fonder sur des bases solides et régulières les garanties de la santé publique.


GRÈCE.Pénurie du trésor. — Les mesures prises par le gouvernement grec décèlent l’extrême pénurie du trésor public. Les droits de douane viennent de recevoir une augmentation qu’on peut appeler immense pour le commerce : les marchandises étrangères, outre la taxe de dix pour cent à laquelle elles étaient imposées jusqu’à présent à leur arrivée en Grèce, et qui était calculée sur le prix courant de la place, paieront désormais six pour cent en sus, lorsqu’elles devront être expédiées ailleurs, de manière que toute marchandise, pour peu qu’elle ait en Grèce un mouvement de circulation, se trouve à présent grevée d’un droit de seize pour cent. C’est le dernier coup que le gouvernement réservait au commerce de ce pays, déjà si languissant, que toute spéculation y est devenue à peu près impossible.

En raison des besoins urgens du trésor, le gouvernement se dispose à vendre les dîmes des provinces pour l’année prochaine. On conçoit aisément que, vu l’état provisoire des choses, et l’intervalle de temps qui devra s’écouler avant que les adjudicataires de cette ferme de l’impôt foncier puissent rentrer dans leurs avances, cette adjudication ne pourra certainement s’effectuer qu’à des conditions ruineuses pour le trésor.

Mais les droits exagérés ne sont pas le seul impôt qui pèse sur le commerce, et paralyse son action. La monnaie est elle-même une entrave continuelle aux transactions commerciales. Le président, qui exige que tous les mouvemens de la société qu’il dirige portent l’empreinte de ses volontés, et que les usages, les besoins, les intérêts disparaissent devant cette toute-puissance, ordonne de se servir exclusivement dans tous les comptoirs, de la monnaie qu’il a créée (le phénix). Cette monnaie a presque entièrement disparu, on n’en voit plus que peu ou point dans le commerce. Toute la circulation se compose de quelques monnaies très-mal frappées, en mauvais cuivre, de 5 et 10 paras l’une.


CORFOU. – On a découvert dernièrement un danger entre le cap Chiéfali[2] (partie occidentale de l’île de Corfou) et la petite île de Diaplo.

Il y a sept pieds d’eau sur la partie la plus élevée de ce rocher, qui est de forme triangulaire ; chacun de ses côtés a quinze pieds de longueur ; il est placé sur un plateau de roches qui n’a pas plus de 10 brasses d’étendue, sur lequel il n’y a que 3 à 4 brasses d’eau, tandis qu’autour on en trouve 10 à 11 brasses. Ce danger est situé aux 3/5 de la distance comprise entre le cap Chiéfali de Corfou et l’île de Diaplo, et se trouve sur la route des bâtimens qui viennent du S. O. pour doubler le cap Drasti.

Les relèvemens suivans ont été faits sur plusieurs points au moyen d’une boussole azimuthale, et en relevant un petit pavillon qu’on avait placé sur la roche.

Quand on est sur la partie la plus basse de la pointe N. de Diaplo, la roche reste au S. 33° 31′ E. de la boussole.

Étant sur la pointe S. de la même île, elle reste au S. 85° 0′ E

Étant sur le cap Chiéfali, elle reste au N. 40° 0’ ouest.

Étant sur le cap Drasti, elle reste au S. 70° 0’ ouest.

Les marques que l’on peut prendre pour trouver cette roche sont les suivantes : le cap Chiéfali sur la côte d’Albanie, se découvrant par-dessus la pointe qui se détache du cap Drasti ; la petite île de Samotrachi et la grande roche en forme de navire, cachée entièrement par la partie sud de l’île de Diaplo ; une éminence remarquable qui se voit dans la terre élevée à l’est du cap Linguetta, dans la direction du centre de l’île Merlère ; trois collines de Fano paraissant par-dessus les terres hautes de Diaplo ; enfin, le Rocher-Navire du sud, vu ouvert de 2° 48’ au sud de la pointe de Diaplo.

On est au N.-E. de la roche, quand l’extrémité N.-E. de Fano paraît découverte à droite de la pointe basse, située au N. de Diaplo. Pour éviter le même danger au sud, il faut toujours conserver la partie méridionale de Samotrachi au S. du grand rocher en forme de navire. Ce même rocher doit paraître dans toute sa largeur au S. de Diaplo. Ces marques font passer à une encablure de la roche par 8 1/2 et 9 brasses d’eau.

Pour passer entre la roche et Diaplo, on doit tenir le cap Chiéfali d’Albanie, qui paraît comme une petite montagne noire, d’une couleur beaucoup plus foncée que la terre élevée qui est derrière lui, dégagé au N. du cap Drasti. De cette manière, on est sûr d’éviter la roche, et d’en passer à une encablure par 8 1/2, 9, 10 et 11 brasses d’eau.

Pour passer au N. de la roche, on doit tenir le plus S. du Rocher-Navire entièrement dégagé de la partie méridionale de Diaplo.

On trouve de la roche à la pointe S. de Diaplo, 5, 7, 10, 13 et 15 brasses ; de la roche à la pointe N. 5, 7, 11, 13, 10, 8, 6, 5 et 4 brasses ; au cap Chiéfali, 10, 12, 13, 12, 11, 9, 7, 5, 4 et 2, 3, 4 ; au cap Drasti, 8, 9, 10, 9, 7, 6 1/2, 8, 12, 8, 7, 9 1/2, 6 1/2 et 7 et 5 brasses : ces deux derniers fonds de roches.

Ayant fait une ligne de sonde entre le cap Chiéfali et l’île Caravi, on a trouvé un fond irrégulier variant tout à coup de 9 à 5 brasses : mais auprès du cap le fond est régulier, et va de 7 à 4 brasses. Comme il n’y a pas de marques à terre qui puissent servir de guide à un bâtiment pour passer à l’est de ce danger, on recommande de ne pas essayer de le faire. Si cependant on y était forcé, on doit tenir l’extrémité de la pointe de terre auprès du cap Linguetta, découverte à l’O. de l’île Merlère ; mais ces marques ne sont visibles que par un temps serein.

Les observations faites avec la boussole sur les divers points indiqués ci-dessus ont été vérifiées au moyen des angles mesurés sur la roche même.

On a remarqué, étant sur la roche, par une belle mer et avec un petit vent de S.-O., que le courant portait au N.-E. 1/4 N. de la boussole. Sa vitesse était de deux noeuds. En faisant voile de Corfou à Diaplo, le fond, pendant toute la route, était très-clair et presque partout d’argile molle.


AFRIQUE.Chute d’une partie de la montagne de Table au cap de Bonne-Espérance. — Au mois de juin dernier, les habitans de la partie haute de la ville du Cap ressentirent une secousse semblable à celle d’un tremblement de terre, qui les jeta dans la plus grande consternation. Un bruit violent, qui se prolongea trois quarts de minute, s’étant fait entendre, une partie des habitans se précipitèrent dans les rues, tandis que les autres, montés sur le toit des maisons, s’informaient de la cause de l’effroi qui se répandait dans la ville. On apprit bientôt que c’étaient deux masses énormes de rochers qui s’étaient détachées de la montagne de la Table, à une hauteur qu’on ne put calculer, parce que le faîte du précipice était alors enveloppé de nuages. Une de ces masses était beaucoup plus grosse que l’autre, et un témoin oculaire prétend qu’elle devait peser de quarante à cinquante tonneaux. On présume qu’un incendie qui éclata peu auparavant dans des herbes sèches et des broussailles fit fendre le rocher, et que les grandes pluies, survenues depuis, ayant miné le sol sur lequel il reposait, ces deux quartiers avaient dû s’en détacher.


ASIE. — Le capitaine Mignan a publié dans les journaux de Bombay un nouveau projet de communication par les bateaux à vapeur, entre l’Angleterre et l’Inde, par le golfe Persique. Suivant M. Mignan, un bâtiment à vapeur pourrait exécuter le trajet de Bombay à Bassorah, et gagner même la barre du fleuve dans l’espace de douze jours ; de là un navire à voiles ou un petit bâtiment à vapeur tirant cinq pieds d’eau (les grands paquebots de Rotterdam n’en tirent pas davantage) irait en huit jours à Beles, sur l’Euphrate, d’où la distance par terre à Antioche, en passant par Alep, est seulement de cent vingt lieues, par une route excellente ; d’Antioche à Londres il ne faudrait que quinze jours, de sorte que le voyage de l’Inde en Angleterre pourrait se faire en cinq semaines.

Un navire arabe, arrivé dernièrement à Bombay, de la mer Rouge, y a apporté deux cent cinquante balles de fil de coton apprêté sortant des filatures qu’Ali-Pacha possède auprès du Caire. Il en a expédié en outre cinq cents balles à Surate, mille à Calcutta, et il a, dit-on, l’intention d’y envoyer l’année prochaine des draps longs, des madapollams, etc., provenant de ses manufactures, où il a déjà établi plusieurs métiers mus par la vapeur.


ÉTATS-UNIS. — Deux voyageurs américains, MM. Smith et Jackson sont revenus le 7 octobre 1830 à Saint-Louis (Missouri), d’un voyage de découverte dans la partie occidentale de l’Amérique du nord. Ils avaient quitté les montagnes Rocheuses au commencement d’août, et ramenaient deux chariots à quatre roues qu’on leur avait expédiés au printemps, et qu’ils rencontrèrent près de ces montagnes. Ces voyageurs ont rapporté une quantité considérable de fourrures, dont la vente les indemnisera amplement de leurs avances et de leurs fatigues. Ils n’ont éprouvé dans leur trajet aucun accident sérieux, et n’ont point perdu un seul homme de leur suite. M. Smith a passé cinq ans à explorer le pays situé entre le golfe de Californie et l’embouchure de la Columbia. Nous espérons pouvoir bientôt donner des détails plus circonstanciés sur la contrée que ces voyageurs ont parcourue.


ÉTATS-UNIS. Nouvelle cloche à plongeur. — L’on a dernièrement essayé dans le port de Barnstable, aux États-Unis, une nouvelle machine à plongeur. Bien que l’eau fût bourbeuse dans l’endroit où l’expérience eut lieu, et que la surface en fût agitée par un vent violent, elle donna les résultats les plus satisfaisans. Une boîte de trois pieds de long sur un de large, et remplie de pierres, fut jetée à trois reprises différentes de dessus le pont d’un navire, dans quatorze pieds d’eau, et autant de fois saisie par le plongeur et retirée par l’équipage. Le plongeur descendait et remontait sans le secours de personne, et avec la plus grande facilité ; il se servait de ses bras aussi librement que s’il eût été à terre et n’éprouvait pas la moindre difficulté pour respirer. Le courant, qui avait une vitesse de quatre nœuds à l’heure, n’entrava nullement les opérations de la machine. Le plongeur pouvait voir à quelques perches de distance en tous sens, malgré le peu de limpidité de l’eau, et apercevait distinctement des objets placés à vingt ou trente pieds de lui. Durant les huit heures qu’on laissa la machine sous l’eau pour mettre sa solidité et son imperméabilité à l’épreuve, elle ne fit que huit gallons d’eau. On peut s’en servir jusqu’à la profondeur de vingt-deux pieds pour construire des ouvrages de maçonnerie, et retirer des objets ensevelis sous flots.


ÉTATS-UNIS. Remède contre la morsure des serpens venimeux. – Le consul des États-Unis à Juan-Baptista-Tabasco (Guatemala), M. Henri Perrine, a envoyé dernièrement au docteur Samuel Mitchell, de New-York, une boîte pleine de vejuco del guaco, plante renommée dans ce pays pour guérir la morsure des serpens venimeux. Les indigènes et les noirs de Santa-Fé (Colombie) s’en servent depuis long-temps, et la trouvent fort efficace. Non-seulement elle arrête les progrès du mal, mais c’est encore un préservatif contre la morsure. Les naturels du pays, qui connaissent ses propriétés, en portent ordinairement sur eux, et peuvent prendre dans leurs mains les serpens les plus dangereux. Don Pedro Oribe y Vargao, qui le premier a décrit les vertus de cette plante dans le Mercure d’Espagne, rapporte avoir vu un noir saisir un de ces reptiles de l’espèce la plus venimeuse, sans que celui-ci eût cherché à lui faire le moindre mal. M. Oribe ajoute qu’après avoir lui-même fait de nombreuses expériences, et toujours avec succès, il a publié un mémoire sur ce précieux antidote dans un ouvrage périodique de Santa-Fé. Ou l’appelle vejuco del guaco, du nom d’un oiseau de proie qui se nourrit principalement de serpens, et dont le cri monotone ressemble au mot guaco.


ÉTATS-UNIS. Fossiles de Big-Bone-Lick. — On a découvert dernièrement à Big-Bone-Lick, comté de Boone, dans le Kentucky, des ossemens gigantesques, dont un squelette colossal, qui appartient à une espèce non décrite, de soixante pieds de long sur vingt-deux de haut, paraît être, d’après l’inspection des dents, celui d’un animal carnivore. Parmi les os appartenant à d’autres espèces, et enfouis ensemble, sont deux pieds de cheval un tiers plus gros que ceux des chevaux actuels. Cette circonstance est d’autant plus remarquable que le cheval n’existait point en Amérique lors de la découverte, et que les traditions des Indiens ne font mention d’aucun animal ayant de l’analogie avec celui-là. Ces fossiles extraordinaires ont été trouvés à vingt pieds de la surface de la terre, dans une couche de limon noir (black mud), lequel est au-dessous d’un banc d’argile jaune, de douze à quinze pieds d’épaisseur. Le sol est une alluvion de dix-huit pouces. Le possesseur de ces débris d’un autre âge les a transportés à Cincinna où ils sont exposés comme une rare curiosité. Il doit ensuite les montrer à New-York, et peut-être leur fera-t-il passer la mer pour les soumettre à l’examen de nos savans d’Europe.


ÉTATS-UNIS. Village de Fall-River. — À vingt milles de Providence, dans la Nouvelle-Angleterre, sur les bords d’un torrent qui tombe de chute en chute d’une montagne escarpée, s’est élevé tout à coup, et comme par magie, au milieu des rochers, un village florissant qui porte le nom de la rivière qui lui donne la vie et la prospérité. Il y a quelques années, ce n’était qu’un bois sauvage qu’animaient seulement le bruit des cascades et le cri bruyant des pics (oiseaux du genre pic-vert très-commun en Amérique) ; maintenant c’est une petite ville qui compte seize grands édifices consacrés à la fabrique des tissus de coton. Trois mille ouvriers y sont occupés. Le village a cinq auberges et deux journaux. Ce qui excite surtout l’intérêt et la surprise des étrangers dans ce village, c’est la grande fabrique de clous du colonel Valentine, dans laquelle une barre de fer est convertie en un baril de clous avec une facilité merveilleuse. La barre ardente, divisée par des cylindres tranchans et par des ciseaux que les chutes d’eau font mouvoir, tombe en une pluie de clous sur un étage inférieur, où les barils les reçoivent pour être livrés au commerce. Les eaux de Fall-River, après avoir servi ces fabriques, portent le steam-boat qui va à Providence, et dont on se sert pour remorquer des bâtimens.

  1. 27 janvier 1830.
  2. Sur la carte de la mer Adriatique, publiée par le Dépôt de la marine, en 1820, le cap Chiéfali porte le nom de Pointe-Arilla et le cap Drasti, celui de cap Sidari.