Correspondance inédite de Hector Berlioz/136

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Texte établi par Daniel Bernard, Calmann Lévy, éditeur (p. 320-321).
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CXXXVI.

À M. ET MADAME DAMCKE.


Genève, hôtel de la Métropole, 22 août 1865.

Chers amis,

Je vous écris seulement trois lignes pour que vous ne m’accusiez pas de vous oublier. Vous le savez, je n’oublie pas aisément, et, si je le pouvais, je me garderais bien d’oublier des amis tels que vous.

Je suis ici dans un état de trouble que je ne chercherai pas à vous décrire ; il y a des instants d’un calme sublime, mais beaucoup d’autres pleins d’anxiété et même de douleur. On m’a reçu avec un empressement, une cordialité extrêmes[1] ; on veut que je sois de la maison, on me gronde quand je ne viens pas. Je fais des visites de quatre heures, nous faisons de longues promenades à pied sur le bord du lac ; hier, nous sommes allés en voiture à un village éloigné que l’on nomme Yvonne, avec sa bru et son plus jeune fils qui vient d’arriver ; mais je n’ai pas pu me trouver un instant seul avec elle ; je n’ai pu parler que d’autres choses ; cela m’a donné un gonflement de cœur qui me tue.

Que faire ? Je n’ai pas l’ombre de raison, je suis injuste, stupide. Tout le monde dans la famille a lu et relu le volume des Mémoires. Elle m’a doucement reproché d’avoir imprimé trois de ses lettres ; mais sa belle-fille m’a donné raison et, au fond, je crois qu’elle n’en est plus fâchée…

Je tremble déjà en pensant au moment où il me faudra partir. Le pays est charmant, le lac est bien pur, bien beau et bien profond ; mais je connais quelque chose de plus profond encore, et de plus pur, et de plus beau. Adieu, chers amis.

  1. Pour l’intelligence de cette lettre énigmatique, nous sommes obligé de renvoyer le lecteur au dernier chapitre des Mémoires où toutes les explications nécessaires lui seront données.