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Correspondance littéraire, philosophique et critique, éd. Garnier/15/1787/Mai

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Texte établi par Maurice Tourneux, Garnier frères (Volume 15p. 50-73).
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ΜΑΙ

Le mardi 17 avril, on a donné, sur le Théâtre-Italien, la première représentation de Fellamar et Tom Jones, comédie en cinq actes et en vers, de M. Desforges.

Cette comédie est la suite de Tom Jones à Londres, du même auteur ; ce sont, à la vérité, presque tous les personnages du roman anglais, mais dans des situations nouvelles, et dont l’idée appartient tout entière à M. Desforges. La scène se passe à une demi-lieue de Londres, dans une maison de campagne que le lord Fellamar a cédée à sir Western ; la goutte a forcé ce bon gentilhomme à renoncer à la chasse, et à se rapprocher des secours qu’il peut trouver dans la capitale. Tom Jones est absent depuis quelque temps ; il vient de battre les ennemis de sa patrie avec une flotte dont le lord Fellamar, parvenu au ministère, lui a fait donner le commandement avec le grade de commodore. Il a laissé sa femme et sa fille âgée de quinze ans auprès de sir Western et de son oncle Alworty. Fellamar vient les voir tous les jours, et lady Bellaston, qui n’a pu pardonner à ce lord de lui avoir enlevé Jones pour le faire épouser à sa rivale, et qui depuis quinze ans conserve toujours le désir de se venger de cette injure, n’en paraît pas moins vivre avec cette famille dans la plus grande intimité. Elle soupçonne Fellamar de n’avoir point cessé d’être amoureux de Sophie de Western.

Cette comédie, malgré beaucoup de longueurs et une succession trop précipitée d’événements souvent peu vraisemblables, n’a point déplu ; les trois premiers actes ont surtout fort bien réussi. On a fait grâce au vieux ressentiment de lady Bellaston, à tous les moyens forcés auxquels le poëte a eu recours, parce qu’on ne peut disconvenir qu’il n’en résulte du mouvement et même une sorte d’intérêt assez vif. La situation de la jeune Sophie a paru touchante ; il y a dans ce rôle plusieurs traits d’une sensibilité fine et délicate, et ce rôle a été parfaitement bien rendu par Mme Saint-Aubin, jeune actrice pleine de grâce et d’intelligence.

Quant au style de la pièce, on y a trouvé encore plus de négligence, plus d’impropriété d’expressions que dans Tom Jones à Londres et dans la Femme jalouse, comédies dont le plan d’ailleurs est tout à la fois plus raisonnable et plus théâtral.

Correspondance familière et amicale de Frédéric II, roi de Prusse, avec U. F. de Suhm, conseiller intime de l’électeur de Saxe, et son envoyé extraordinaire aux cours de Berlin et de Pétersbourg. Deux volumes in-12, à Berlin.

Quoique l’objet de ces lettres soit en général assez peu important, on y retrouve quelques traits de l’âme du grand Frédéric, avec quelques anecdotes de sa première jeunesse, et c’est assez sans doute pour en rendre la lecture intéressante. Il paraît que ce prince éprouva de bonne heure le besoin d’un sentiment qui manque trop souvent au bonheur des rois ; il paraît qu’il sut inspirer de bonne heure à ceux qui l’approchèrent la passion la plus vive de le servir aux dépens même de leur repos et de leur sûreté. On voit dans plusieurs de ses lettres des preuves remarquables de son extrême application, de l’ardeur insatiable qu’il eut de s’instruire dès sa plus tendre jeunesse ; on y voit que les ouvrages de Wolf occupèrent longtemps ses loisirs et son admiration ; ce n’est pas sans raison qu’un de nos écrivains accuse ce philosophe d’avoir noyé le système de Leibnitz dans un fatras de livres et dans un déluge de paroles ; ce n’est pas sans raison qu’un autre a dit que sa méthode ressemblait à la marche d’un homme qui ferait toujours deux pas en arrière pour mesurer avec plus d’attention celui qu’il avait tenté de faire en avant ; mais on n’en serait pas moins injuste de vouloir lui disputer le mérite d’être le premier en Allemagne qui ait répandu sur plusieurs parties de la métaphysique des lumières dont elles ne paraissent guère susceptibles, et sa Petite Logique, le moins diffus de ses ouvrages, est un chef-d’œuvre d’ordre et de clarté.

Il est souvent question dans cette correspondance des emprunts que M. de Suhm était chargé de négocier pour le jeune prince, et ces emprunts sont toujours déguisés sous des emblèmes assez plaisants ; on les couvre tantôt du voile d’une souscription pour les compagnies du prince Eugène, tantôt d’un projet pour l’Académie de Pétersbourg. Tous ces détails ont quelque chose d’original et de plaisant.


SUITE
DES VOYAGES DE M. VOLNEY EN ÉGYPTE ET EN SYRIE.

En sortant de l’Égypte par l’isthme qui joint l’Afrique à l’Asie, M. Volney entre dans cette province connue parmi nous sous le nom de Syrie, et que les Arabes, qui n’adoptèrent jamais la nomenclature grecque, ont toujours appelée Barr-el-cham, contrée si célèbre par les grands peuples qui l’occupèrent tour à tour, et surtout par cette nation singulière qui, ayant passé des déserts de l’Arabie en Égypte, vint, sous la conduite de Moïse, s’établir ensuite dans l’Idumée, où ses antiques traditions, consacrées par un culte pompeux, ont servi de base aux deux religions que professe aujourd’hui la plus grande partie de l’Europe et de l’Asie.

Notre voyageur philosophe, qui pense que l’histoire des lieux doit toujours précéder celle des hommes qui les habitent, commence par faire un tableau très-intéressant de la situation géographique de la Syrie, de son sol, de ses montagnes et de la température de son climat. Il résulte de ses observations que la Syrie réunit sous un même ciel les climats les plus différents, et rassemble dans son enceinte des jouissances que la nature n’a placées ailleurs qu’à de très-grandes distances. Les végétaux de l’Europe et quelques-uns de l’Amérique, tels que l’arbre sur lequel croît l’insecte précieux à qui nous devons la cochenille, les bananes de Saint-Domingue, les figues de Marseille, les pommes de la Normandie et les prunes de la Touraine croissent également dans ces heureuses contrées. Avec ces avantages, qui appartiennent au climat et au sol, il n’est pas étonnant que la Syrie ait passé de tout temps pour un pays délicieux, que les Grecs et les Romains l’aient mise au rang de leurs plus belles provinces, et égalée presque à l’Égypte. Aussi de nos jours, un pacha qui les connaissait toutes deux, étant interrogé à laquelle il donnerait la préférence, répondit : « L’Égypte sans doute est une excellente métairie, mais la Syrie est une excellente maison de campagne. »

M. Volney présente un tableau historique des mœurs, des usages et de la religion des peuples sédentaires et agricoles de la Syrie, qui, sous le nom d’Ansârié, de Druses, de Maronites et de Moutoâlis, peuvent être considérés comme les restes confondus des anciens Assyriens, des Perses, des Grecs, et surtout des Arabes conquérants.

À la suite de ce tableau historique, M. Volney fait succéder un précis de la vie de Dâher, de cet allié fidèle d’Alibek, qui a commandé à Acre depuis 1750 jusqu’en 1776. Ce chaik était d’origine arabe, d’une de ces tribus de Bédouins qui vivent sur les bords du Jourdain, dans les environs du lac de Tibériade. On prétend que dans sa jeunesse il avait conduit des chameaux ; cet usage n’a rien d’incompatible, en Orient, avec une naissance distinguée ; il est et il a toujours été dans les mœurs des princes arabes de s’occuper de fonctions qui nous semblent viles, et de nos jours, comme au temps d’Abraham et d’Homère, les chaiks guident leurs chameaux et soignent leurs chevaux, pendant que leurs filles et leurs femmes broient le blé, cuisent le pain, lavent le linge et vont puiser de l’eau à la fontaine. Il est constant, en Syrie, que la famille de Dâher était une des plus anciennes du pays.

M. Volney parcourt ensuite dans tous leurs détails les divers pachalics ou gouvernements qui divisent la Syrie.

Des bords qui virent autrefois Tyr et sa grandeur, M. Volney promène ses lecteurs dans cette partie de la Syrie que les anciens appelaient Anti-Liban, et les Grecs Cœle-Syrie. Il les conduit ensuite à Balbek, cette ville célèbre sous le nom d’Helios-Polis, ou ville du Soleil. Un mur ruiné flanqué de tours carrées en trace l’enceinte, qu’occupent des décombres qui déposent encore de la grandeur de cette ville ; mais ce qui constate encore davantage son importance, ce sont les débris d’un grand édifice qui, par la hauteur de ses murailles et ses riches colonnes, annonce un de ces grands monuments élevés à la gloire des dieux, et un de ces chefs-d’œuvre d’architecture que l’antiquité a laissés à notre admiration.

Le pachalic de Damas, que décrit entre autres M. Volney, offre toujours cette fertilité si célèbre dans l’antiquité, et qui est encore remarquable par les fruits excellents qui croissent sur le sol qui avoisine sa capitale. Damas est peut-être la seule grande ville que les Turcs n’aient pas détruite dans ces contrées. Elle fut le chef-lieu de l’empire de plusieurs de ses califes. Tous les pèlerins du nord de l’Asie s’y rassemblent encore comme ceux de l’Afrique au Caire ; chaque année le nombre s’en élève depuis trente jusqu’à cinquante mille. Damas ressemble alors à une foire immense, tout y est plein d’étrangers venus de toutes les parties de la Turquie, et même de la Perse. Cette foule, suivie d’une quantité de chevaux, de chameaux, de mulets chargés de marchandises, fait route par la frontière du désert, et arrive en quarante jours à la Mecque pour la fête du Bairam. Il ne faut pas croire que le motif de tant de fatigues et de frais soit uniquement celui de la dévotion, l’intérêt pécuniaire y a encore plus de part. La caravane est un moyen d’exploiter une branche de commerce très-lucrative, presque tous les pèlerins en font un objet de spéculation, et rapportent ordinairement de la Mecque les mousselines et les toiles peintes du Malabar et du Bengale, les châles de Cachemire, l’aloës du Tonquin, les diamants de Golconde, les perles de Barhaim, et beaucoup de café d’Yémen. Ainsi, cette caravane nous retrace encore une faible image de ce commerce qui, dans la plus haute antiquité, se faisait par le continent de l’Asie.

Les ruines de Palmyre, si connues dans le troisième âge de Rome par la conquête qu’en fit Aurélien, déposent encore en faveur de cette assertion. Les malheurs de Zénobie et son courage plus grand encore avaient laissé un beau souvenir dans l’histoire, mais ce n’était plus qu’un souvenir, et même assez vague, lorsque, sur la fin du siècle dernier, des négociants anglais établis à Alep, las d’entendre des Arabes Bédouins parler de ruines immenses qui se trouvaient dans le désert, résolurent d’éclaircir enfin le prodige de ces récits. Leur relation, publiée à Londres dans les Transactions philosophiques, trouva beaucoup d’incrédules ; on ne pouvait ni concevoir, ni se persuader qu’au milieu d’un désert immense de sable il avait pu exister une ville aussi magnifique que l’attestaient les récits et les dessins de ces négociants ; mais le voyage du chevalier Dawkins et les plans qu’il leva lui-même sur les lieux ne laissèrent plus de doutes sur l’existence de Palmyre. L’Europe a été forcée d’avouer que l’antiquité n’a rien laissé dans l’Italie et dans la Grèce qui soit comparable à la magnificence des ruines de cette ville. M. Volney en fait une description qui mêle au sentiment d’admiration que commandent la grandeur et la magnificence de ces débris le regret d’avoir vu disparaître de dessus la terre un peuple qui dut être immense, et dont l’industrie et le goût avaient su porter les arts, au fond de ces déserts, à un si haut degré de perfection. M. Volney a joint à sa description le plan et la vue de Palmyre. « Elle offre, dit-il, au milieu de beaucoup de monuments renversés, une file de colonnes debout qui occupe circulairement une étendue de plus de treize cents toises, et masque une foule d’autres édifices cachés derrière elle. Dans cet espace, c’est tantôt un palais dont il ne reste que les cours et les murailles ; tantôt un temple dont le péristyle est à moitié renversé ; tantôt un portique, une galerie, un arc de triomphe ; ici les colonnes forment des groupes dont la symétrie est détruite par la chute de plusieurs d’entre elles ; là elles sont rangées en files tellement prolongées, que, semblables à des rangs d’arbres, elles fuient sous l’œil dans le lointain et ne paraissent plus que des lignes accolées. Si de cette scène presque mouvante la vue s’abaisse sur le sol, elle y en rencontre une autre presque aussi variée : ce ne sont de toutes parts que fûts renversés, les uns entiers, es autres en pièces ; de toutes parts la terre est hérissée de vastes pierres à demi enterrées, de chapiteaux écornés, de frises mutilées, de reliefs défigurés, de sculptures effacées, de tombeaux violés et d’autres souillés de poussière. »

On ne peut voir tant de monuments d’industrie et de puissance sans demander quel fut le siècle qui les vit se développer, et quelle fut la source des richesses nécessaires à ce développement. M. Volney, se fondant sur le genre d’architecture de tant de monuments échappés pour ainsi dire aux outrages du temps, en assigne la construction aux trois siècles qui précédèrent Dioclétien ; mais il distingue à Palmyre deux genres de ruines ; les unes appartenant à des temps plus reculés, qui ne sont plus que des débris informes, et les autres monuments subsistants, qui annoncent le siècle qui les vit construire. Quant à la source des richesses de cette ville, Palmyre, située à trois journées de l’Euphrate, dut sa fortune à l’avantage de sa situation ; elle dut être, dans les temps les plus reculés, l’entrepôt naturel des marchandises qui venaient de l’Inde par le golfe Persique, et qui de là, remontant par l’Euphrate ou par le désert, allaient dans la Phénicie et l’Asie Mineure se répandre chez les nations qui en furent toujours avides. Un grand commerce est le signe d’une grande population, et l’on ne doit pas douter que telle n’ait été celle de cette ville et d’un empire que sa destruction par Dioclétien fit seule connaître à notre continent.

De ces déserts, où sont renfermées les ruines de Palmyre, M. Volney ramène ses lecteurs aux rives du Jourdain. On traverse ce fleuve, qui n’a que soixante ou quatre-vingts pas dans sa plus grande largeur, pour entrer dans un canton montueux, jadis célèbre sous le nom de royaume de Samarie, et connu aujourd’hui sous celui de Pays de Nâblous. C’est en marchant par des montagnes qui à chaque pas deviennent plus rocailleuses et plus arides que l’on parvient à découvrir une ville qui, comme tant d’autres dans ces célèbres contrées, présente un grand exemple de la vicissitude des choses humaines des murailles abattues, des fossés comblés, une enceinte embarrassée de décombres, telle est actuellement cette Jérusalem si célèbre dans nos livres saints, cette capitale d’un royaume qui, sous le règne de Salomon, obtint une sorte de considération en Asie, et qui, détruite par les Babyloniens, et rebâtie ensuite par les Juifs, eut l’honneur de résister quelque temps à tout l’effort de la puissance romaine. On s’étonne de la sorte de fortune et de célébrité de cette ville en voyant sa situation : Jérusalem, placée dans un terrain sablonneux et privé d’eau, entourée de ravines et de hauteurs difficiles, écartée de tout grand passage, ne semble avoir été jamais propre à devenir le centre d’un grand commerce ; elle le fut cependant sous le règne de Salomon, pour prouver sans doute ce que peut l’opinion maniée par un souverain habile ou favorisée par des circonstances heureuses. C’est cette même opinion qui lui conserve encore un reste d’existence ; musulmans, chrétiens, juifs, se font encore un devoir religieux de voir la ville noble et sainte, comme ils l’appellent ; mais le zèle des Européens se refroidit chaque jour ; au lieu de ces pèlerins armés qui, sous le nom de croisés, se jetaient sur l’Asie et achevaient de dévaster les lieux qui virent naître et mourir l’Homme-Dieu, on ne voit plus que quelques misérables qui se rendent à Jérusalem, et qui y vivent des aumônes que les rois de France et d’Espagne continuent encore à y faire passer.

M. Volney parcourt ensuite le reste de la Palestine, mais ses observations sur cette contrée si célèbre n’offrent plus rien de piquant ; il est à remarquer seulement que les Arabes de Bâkir l’ont assuré qu’il y a au sud-est du lac Asphaltite, dans un espace de trois journées, plus de trente villes ruinées absolument désertes. Plusieurs d’entre elles ont eu des édifices avec des colonnes qui ont dû appartenir à des temples anciens ; on ne doit pas être surpris si l’on se rappelle que ce fut là le pays de ces Nabathéens qui furent les plus puissants des Arabes, et de ces Iduméens qui, dans les derniers temps de Jérusalem, étaient presque aussi nombreux que les Juifs. Il paraît que ces peuples eurent pour mobile d’activité et de population une branche considérable du commerce de l’Arabie et de l’Inde. Les villes d’Asioum, de Gaber et d’Aïlah, qui leur appartenaient, étaient situées sur le golfe de la mer Rouge qui touche à ces déserts ; à l’aide de ces deux entrepôts, que leur enlevèrent les Juifs du temps de Salomon, leur commerce rivalisait avec celui des Tyriens. Des caravanes partaient de ces ports pour se rendre en dix ou douze jours dans la Palestine et la Judée. Cette route, plus longue que celle de Suez au Caire, l’est infiniment moins que celle d’Alep à Bassora ; et si jamais l’Égypte devenait impraticable ou restait fermée, une puissance maîtresse de la Syrie pourrait facilement, en suivant cette route et en traitant avec les Arabes, s’assurer du commerce de l’Inde et lui rendre le cours qu’il a suivi pendant tant de siècles.

M. Volney termine son ouvrage par un résumé de l’état actuel de la Syrie. D’après les renseignements qu’il s’est procurés, il en évalue l’étendue à cinq mille deux cent cinquante lieues carrées, et sa population à deux millions et demi d’habitants. On a droit de s’étonner d’une population si faible sur un sol si bien fait pour la propager ; on ne peut s’empêcher de demander ce que sont devenus ces peuples qui couvraient la Syrie dans les temps anciens.

Depuis Chardin, nous ne connaissons point de voyageur qui ait observé d’une manière plus judicieuse que M. Volney, qui ait porté dans ses recherches des vues plus saines, plus philosophiques, et dans ses récits un caractère de vérité plus simple et plus piquant.


LOGOGRIPHE[1].

Qui Je fus un prodige d’audace,
Qui D’adresse et de duplicité,
Qui Riant de l’imbécillité
Qui De ceux qui m’avaient mis en place :
QuiMais il faut que chacun ait son tour ;
Qui Aujourd’hui je fais la grimace,
Qui Comme un plaideur mis hors de cour ;
Qui Mais j’ai bien garni ma besace.
QuDans les sept pieds qui composent mon nom,
Qui Se rencontre un meuble à la mode,
Qui Aux vieillards surtout fort commode,
Qui cent fois m’aurait dû faire changer de ton ;
On y trouve de plus une horrible machine,
QuiVomissant la flamme et la mort :
Si c’était contre moi, l’on bénirait le sort ;
QuiTout bon Français me la destine.
QuiJ’offre un engin pernicieux,
QuiAux craintifs habitants de l’onde,
Et lorsque la raison a dessillé les yeux,
QuJe croyais y tenir les trois quarts du monde.
QuEt pour finir, j’offre aux yeux du lecteur
La portion de moi si digne de la corde.
Qui Mon cher Charlot, miséricorde !
Qui Que j’en sois quitte pour la peur[2].


INSCRIPTION

POUR LE NOUVEAU MARCHÉ ÉTABLI DANS L’EMPLACEMENT
DU CIMETIÈRE DES INNOCENTS,
PAR M. LEMIERRE DE L’ACADÉMIE FRANÇAISE.

Quas funestavit quondam mors hospita sedes,
Nunc flores hilarant dulceque ditat olus.


— Le mardi 17 avril, on a donné, sur le théâtre de l’Académie royale de musique, la première représentation d’Alcindor, opéra-féerie en trois actes ; les paroles sont de M. Rochon de Chabannes, la musique de M. Dezède, connu au Théâtre-Italien par celle des Trois Fermiers, de Blaise et Babet, à l’Opéra par la chute du Siège de Péronne.

Le sujet d’Alcindor est tiré du quatrième volume des Mille et une Nuits, de l’histoire du prince Zeyn Alasnam et du roi des Génies.

Le succès de la première représentation a été plus que douteux. On y a trouvé un amas de spectacle et de prodiges aussi confus que fastidieux ; l’action en est tellement embarrassée qu’elle en a paru presque inintelligible. Le style du poëme, quoique moins incorrect que celui du Seigneur bienfaisant, est encore fort négligé et d’une prolixité qu’on n’a pu rendre supportable qu’en se déterminant à supprimer des scènes entières et à en tronquer plusieurs autres, sans songer si la marche n’en paraîtrait pas encore plus obscure. Il s’en faut bien que la musique ait dissimulé tous ces défauts ; c’est peut-être la composition la plus barbare, la plus anti-musicale que l’on ait encore entendue depuis longtemps sur le théâtre de l’Opéra ; un assemblage de phrases sans idées, de la mélodie la plus pauvre et la plus sèche, que brisent à chaque instant les accompagnements les plus bruyants, les plus durs, employés d’une manière si opposée au caractère du chant que le chant l’est lui-même à l’expression des paroles. Cet opéra n’en attire pas moins cette foule de spectateurs assez malheureux pour n’avoir d’autres sens que les yeux ; il faut convenir aussi que le spectacle ne laisse rien à désirer, grâce à la magnificence inouïe, et l’on peut dire presque scandaleuse, avec laquelle on s’est cru engagé à établir cet ouvrage, tandis que les chefs-d’œuvre de nos grands maîtres sont traités souvent avec toute la mesquinerie de la plus sordide épargne.

— Le 2 mai, on a donné, sur le Théâtre-Italien, la première représentation de l’opéra d’Azémia ou les Sauvages, titre que les auteurs ont substitué à celui du Nouveau Robinson, sous lequel on l’avait joué l’année dernière à la cour. Les paroles sont de M. de La Chabeaussière, l’auteur des Maris corrigés, etc., la musique de M. le chevalier Dalayrac.

Nous avons eu l’honneur de vous tracer le plan et la marche de cet ouvrage en vous rendant compte des spectacles donnés pendant le voyage de Fontainebleau[3]. Azémia, donnée à Fontainebleau il y a quelque temps, y avait eu fort peu de succès ; elle a été beaucoup plus favorablement accueillie à Paris. Nous osons croire que cette différence tient essentiellement au parti qu’a pris l’auteur de remettre en prose le dialogue de ce drame, qu’il avait d’abord écrit en vers ; ce moyen, auquel la faiblesse de quelques-uns de nos poëtes devrait souvent avoir recours, a fait disparaître une partie des négligences et des longueurs qu’on lui avait reprochées. Si l’action n’y a pas gagné plus de vraisemblance, elle en a du moins plus de rapidité, et c’est bien quelque chose. On ne peut admettre, à la vérité, sans quelque peine, l’inconcevable hasard qui rassemble ainsi, et presque au même instant, dans l’île du nouveau Robinson, des sauvages, des Espagnols, et ce milord Ackinson dont la délivrance a été opérée on ne sait comment pour le faire arriver juste au moment où il convient si fort de lui faire reconnaître son fils, qu’Edwin, quinze ans auparavant, ravit à la cruauté des sauvages ; mais de cette accumulation d’événements romanesques, et presque toujours mal préparés, il résulte pourtant une variété de tableaux et de situations qui n’est pas sans intérêt. La naïveté des amours de Prosper et d’Azémia, qui tous deux méconnaissent la différence de leur sexe, ajoute encore à cet intérêt par la manière piquante dont l’expression des premiers sentiments qu’ils éprouvent tranche avec la teinte générale de l’ouvrage ; ces scènes n’ont pas été les moins applaudies.

La musique nous a paru une des compositions les plus soignées de M. Dalayrac, aux réminiscences près, dont il n’a pu perdre encore la douce habitude ; il y a plusieurs morceaux dans cet opéra qui seraient faits pour donner les plus grandes espérances.

Observations fondamentales sur les langues anciennes et modernes, ou Prospectus de l’ouvrage intitulé la Langue primitive conservée, par M. Le Brigant, avocat. Brochure in-4o.

On sait que Mlle Kerkabon, cette bonne tante d’Hercule l’Ingénu, avait toujours pensé que la plus belle de toutes les langues était le bas-breton ; c’est précisément l’opinion que M. Le Brigant cherche à établir dans cet ouvrage, de toute la puissance de son génie et de son érudition. Il fera voir : 1° la filiation historique et critique des langues de l’ancien et du nouveau monde depuis l’origine du celtique jusqu’à présent ; cette filiation, démontrée par les monuments de l’histoire et par ceux de la nature, sera fortifiée de preuves que cette langue, qui remonte à la plus haute antiquité, s’est conservée entière, et qu’elle est actuellement parlée et usuelle en Basse-Bretagne et dans la principauté de Galles. La seconde partie de son livre contiendra la grammaire et la syntaxe de cette langue primitive encore existante ; la troisième, une méthode pour décomposer les mots des autres langues par les monosyllabes radicaux du celtique ; la quatrième, un vocabulaire et un dictionnaire complet des radicaux monosyllabiques et des mots composés de cette langue, sous chacun desquels on a rassemblé les altérations, les modifications, les extensions de leur sens propre ou figuré chez les différents peuples.

Ce bel édifice pourrait bien n’être au fond qu’une caricature du système développé par le président de Brosses, dans son Traité sur la formation mécanique des langues, lequel prouve au moins ingénieusement qu’il est des sons primitifs qui se retrouvent dans les origines de toutes les langues, plus ou moins purs, plus ou moins composés. Quoi qu’il en soit, on ne saurait refuser à M. Le Brigant le mérite d’un travail très-opiniâtre et d’une sagacité souvent assez heureuse.

Les Amants d’autrefois, par Mme la comtesse de Beauharnais. Trois volumes in-8o.

C’est le titre qu’il a plu à M. de Beauharnais de donner à un recueil de contes, de romans et de pièces fugitives dont la plupart étaient déjà connues. Le premier ouvrage de ce recueil est un poème érotique, en prose, intitulé Azémir le Grand ; ce poëme est en douze chants comme l’Enéide. Au commencement l’on est tenté de croire que l’intention de l’auteur était de peindre Louis XIV ; en continuant de lire, on est bien plus tenté de ne rien croire du tout ; c’est de la magie sans invention, de l’héroïsme sans chaleur, sans intérêt, de la monotonie la plus triste et la plus langoureuse. On lit avec moins de peine deux Nouvelles tirées des Œuvres de Bandel, surtout l’histoire de Violente ; à force d’être bizarre, elle a du moins une sorte de caractère. Cette Violente a un vieil époux et un jeune amant, nommé Octave. Dangereusement malade, elle est bientôt réduite à l’extrémité ; Octave vient la voir, le mari survient, on se détermine à cacher l’amant dans un grand coffre. Violente cependant touche à son dernier moment ; elle montre à son mari le coffre qui renferme Octave, lui dit qu’il contient des effets auxquels elle est extrêmement attachée, et exige que sans l’ouvrir on l’enterre avec elle. Elle ferme les yeux. Vous allez craindre que l’amant ne fasse du bruit ; non, il se résigne et se laisse porter paisiblement dans un caveau funèbre. Heureusement le vieux époux a deux neveux qui croient que ce coffre renferme de grandes richesses ; ils viennent la nuit pour s’en emparer, l’ouvrent ; le jeune homme en sort tout habillé ; cette apparition leur fait prendre la fuite. Octave n’en est pas moins décidé à suivre les dernières volontés de sa belle inhumaine, il va terminer ses jours auprès d’elle ; mais, avant de se frapper, il hasarde un dernier baiser ; ô miracle de l’amour ! il sent palpiter deux cœurs, Violente n’est pas morte, etc. Si ce n’est pas là un amant d’autrefois, c’est encore mieux, c’est un amant de l’autre monde.

La Marmotte au bal est une espèce de conte philosophique dont l’objet principal est d’attaquer l’injustice avec laquelle le public juge les productions de nos Sapho modernes. On ne peut se dissimuler que Mme la comtesse de Beauharnais n’a pas trop de raisons de s’en louer. Il y a dans ce petit ouvrage une volubilité de style vraiment rare ; on y trouve des pages entières du babil le plus sémillant et d’un persiflage dont le génie même de Dorat aurait pu être jaloux.

— Le passage de Massillon que Mme de Genlis a pris pour épigraphe de son dernier ouvrage n’a pas paru d’un choix aussi heureux que celui qu’une femme de ses amies lui a conseillé d’y substituer ; le voici : Souvent enflé de quelques lumières qu’on croit avoir puisées dans des lectures plus recherchées, on veut tout instruire sans connaissance, tout entreprendre sans talents, tout décider sans autorité ; tout paraît au-dessous de ce qu’on croit être soi-même. Ce passage est tiré d’un sermon de Massillon pour le jour de la Purification, sur les dispositions nécessaires pour se consacrer à Dieu par une vie nouvelle ; volume des Mystères, page 102.

Lettre d’un Anglais à Paris. Brochure in-8o. Londres, 1787. C’est le meilleur pamphlet qui ait encore paru en faveur des opérations de M. de Calonne, parce que, suivant les grands principes de l’art polémique, au lieu de défendre il attaque, et c’est particulièrement au clergé que s’adressent les traits les plus forts. On y représente ce corps redoutable, ou plutôt trop longtemps redouté, comme le véritable auteur de toutes les oppositions formées par l’assemblée des notables, et pour le rendre plus intéressant, voici de quelles couleurs on s’est permis de le peindre aux yeux de la nation :

« Parmi ces corps privilégiés répandus sur la surface de ce vaste empire, il en existait un, comblé de prérogatives, d’honneurs et d’exceptions ; il en existait un, révéré des malheureux même qui supportaient le poids de ces exceptions pécuniaires. Le clergé avait conservé des dehors d’indépendance quand le temps avait anéanti toutes les indépendances particulières ; seul au milieu de l’État, il osait présenter au roi, comme un don volontaire et libre, ce que le reste des peuples acquittait comme devoir et services, et tandis que le noble ajoutait aux impôts qu’il payait le sacrifice de sa vie, tandis que le peuple usait la sienne à fertiliser de ses sueurs le champ de ses pères, le clergé, tranquille et opulent, offrait paisiblement des prières pour nos armées, enlevait la dîme des moissons, voyait avec fierté les divers corps de l’État s’empresser de mettre aux pieds du trône leur existence et leur fortune lorsqu’il semblait n’accorder à son roi que des dons de sa munificence. Faut-il donc, pour révérer les ministres d’une religion sainte, accumuler sur leurs têtes d’immenses richesses ? Et ira-t-on jusque dans le temple du Seigneur apprendre à n’y honorer que l’excessive opulence ?

« Toutes les objections faites par les notables contre la forme proposée des administrations provinciales sont imputées à l’ambition du clergé, qui aurait voulu s’attribuer exclusivement la présidence de ces assemblées. Les difficultés insurmontables que ce corps a prétendu trouver dans la subvention territoriale en nature n’ont point eu, dit-on, d’autre objet que celui de renverser le plan destructeur de ses privilèges et de se ménager la possibilité de s’en ressaisir un jour. J’admire, ajoute l’auteur, que le clergé, qui a fait valoir ces objections avec l’énergie la plus exagérée, n’ait pas senti que tout ce qu’il disait contre cette espèce de dîme royale se rétorquait avec avantage contre la dîme ecclésiastique qui est beaucoup plus considérable, et que présenter l’une comme odieuse était prononcer la réprobation de l’autre, c’était porter anathème à son revenu le plus précieux. » Si l’impôt est converti en argent, poursuit l’anonyme, lorsque la classification des terres du royaume aura donné la connaissance exacte des sommes que le clergé devra fournir à la contribution générale, il dira au roi : Vous n’avez plus d’intérêt à la destruction de nos antiques privilèges, puisque nous offrons, en conservant nos fermes, de verser au trésor royal le contingent auquel nous sommes assujettis. Cette offre adoptée, le clergé voit dans les crises orageuses de l’État les causes de son bonheur particulier ; il les attendra avec autant d’impatience que d’attention. Alors, en ces moments difficiles, il offrira des secours, un emprunt, un droit gratuit qu’on récompensera en lui rendant sa première existence.

On attribue la Lettre d’un Anglais à M. Le Brun, l’auteur des Discours du chancelier Maupeou, de la nouvelle traduction du Tasse et de l’Iliade[4].

Le Mode français, ou Discours sur les principaux usages de la nation française[5]. Un gros volume in-8o, Londres, 1786.

Ce gros volume n’est qu’un seul discours à perte d’haleine, où l’on célèbre avec la même emphase le trône et la cuisine de France. Rien de ce qui existe dans le royaume n’est oublié et tout y est porté aux nues ; l’espèce de dignité attachée à la grande étendue du ressort du parlement de Paris, la révocation de l’édit de Nantes, le désintéressement des procureurs, il n’est rien qui ne trouve sa place dans ce superbe panégyrique. L’âme tendre et reconnaissante de l’orateur bénit avec la même effusion ce que le bonheur des Français doit à la sagesse de la Providence, du roi, des ministres, des cours souveraines, des intendants, des subdélégués, des collecteurs, etc., etc. Il convient qu’en accordant à la nation française toutes les vertus imaginables, les nations rivales l’accusent de les gâter par une légèreté dont on voudrait lui faire un grand crime. « Mais cette légèreté, dit-il, n’est point de celle qui est volage et superficielle, c’est de cette légèreté qui répugne à la pesanteur et à la monotonie. » Sous ce rapport on ne pourrait reprocher à l’auteur d’être trop Français.

Le gouvernement de France lui paraît en général le plus excellent des gouvernements en ce qu’il est le plus simple, mais il désapprouve fort tous les écrits semés par les ministres ; ils sentent trop l’appel à la multitude, affichent trop le désir de décliner la juridiction suprême. « Tout engage, ajoute-t-il, un ministre français à se taire. On s’est avisé de publier, il y a quelques années, des tableaux détaillés des recettes et des dépenses du trésor royal ; il répugne infiniment à la politesse française de recevoir de pareils comptes. » Ce sont les propres expressions de l’auteur, nous n’y changeons pas une virgule.

On n’est guère surpris que l’anonyme ne parle pas avec la même considération de nos gens de lettres et de nos cuisiniers. Il dit de ces derniers qu’ils sont regardés partout comme les plus excellents du monde parce qu’ils savent surtout ne pas s’écarter de la nature. Mais ce que l’on a quelque peine à comprendre, c’est d’où peut venir à ce juge si bénévole l’espèce d’humeur qu’il paraît avoir contre nos tragédies. Il ne peut s’empêcher d’avouer que nous leur prodiguons trop d’admiration, et l’on sent que si le ton dominant de son discours le lui avait permis, il en eût dit volontiers plus de mal encore.

Nous avons cherché jusqu’ici très-inutilement l’auteur de ce bel ouvrage, mais si le précis que l’on vient de voir pouvait par malheur faire soupçonner tant d’éloges d’ironie ou de mauvaise foi, nous nous empressons de déclarer qu’il est impossible que ceux qui auront, comme nous, l’avantage de les avoir lus conservent encore une pareille idée.

Confession du comte de C*** avec l’histoire de ses voyages en Russie, en Turquie, en Italie et dans les pyramides de l’Égypte, au Caire et à Paris. Un petit volume in-12.

Ce nouveau roman du comte de Cagliostro ne vaut pas, à beaucoup près, celui du Mémoire de M. Thilorier[6]. C’est un conte où il n’y a guère plus d’invention que de vérité. Notre aventurier déclare dans ces confessions, car c’est toujours lui qui est censé écrire son histoire, qu’il est fils naturel d’un marquis sicilien, fort riche et grand alchimiste. À Pétersbourg, il loge chez la comtesse de Novogorotzi, femme très-savante dont aucun Russe n’a jamais entendu prononcer le nom. Cette dame épouse le comte de B*** qui devient jaloux de Cagliostro et l’oblige à changer de domicile ; mais au moment de son départ il reçoit de la comtesse un talisman dont la vertu ne peut être révoquée en doute. En l’ouvrant il y trouve un billet de vingt mille roubles payables à N***. Après avoir fait à Constantinople plusieurs guérisons miraculeuses, il est appelé auprès de la fille du grand vizir et lui inspire une grande passion. Pour sauver la vertu de cette jeune princesse il passe en Égypte. Il descend dans une pyramide ; égaré sous ces sombres voûtes, il arrive à une rivière où il rencontre une nacelle qui le porte dans un vaste souterrain éclairé par des lumières phosphoriques. Le souterrain, qui peut avoir trente lieues d’étendue sur cinquante, est habité par un peuple très-doux et très-heureux ; ce sont les Assiliens. Il y trouve encore une beauté au cœur sensible et tendre, l’aimable Féline ; il ne tarde pas à s’en faire adorer, mais la coutume assilienne ne lui permettant pas de devenir son époux, il la détermine, ainsi que son père, à regagner la pyramide et puis Alexandrie, où Féline et lui renouvellent au pied des autels la foi qu’ils s’étaient promise.


CHANSON

À Mme DE *** POUR LE JOUR DE SA FÊTE
(au mois de décembre)
PAR M. ROUSSEAU, ARCHITECTE[7].

Sur l’air de la Provençale.

TaTant que la froidure
TantDure
TOn n’a pas de bouquet ;
TaVeuille me permettre
TantMettre
En place quelques couplets.

TaBien souvent ma muse
TantMuse
TQuand je veux m’en servir ;
TaPour toi je l’invite,
TantVite
Elle hâte d’accourir.

TaC’est que la coquette
TantQuête
TLe moment de briller ;
TaCe que j’en éprouve
TantProuve
Que tu sais l’émoustiller.

TaOui, qui te regarde
TantGarde
TDe toi le souvenir,
TaEt plein de tendresse
TantDresse
Le plan de te conquérir.

TaTa gentille taille
TantTaille

TDes croupières à tous.
TaOn voit le moins tendre
TantTendre
À jalouser ton époux.

TaTa riante mine
TantMine
TLe respect qu’on te doit,
TaMais à qui s’égare,
TantGare,
Ta vertu maintient son droit.

TaChacun à ta table
TantTable
TSur plus d’un propos fin ;
TaEt ta gentillesse
TantLaisse
Plus d’ivresse que le vin.

TaQue tout sur ta trace
TantTrace
TQu’on t’aime comme moi,
TaQu’à nos vœux fidèle
TantD’aile
Le temps n’use plus sur toi.


CHANSON IMPROMPTU

À LA REINE DES LANTURELUS
(Mme LA MARQUISE DE LA FERTÉ-IMBAUT),
PAR M. LE COMTE D’ALBARET.
Sur l’air de Marlborough.

TaImbaut, quand votre tête
Comme un vent tourne à la tempête,
TaNon rien ne vous arrête,
TaVous gronderiez le roi.
TaTout vous fait de l’effroi,
TaTout est en désarroi,
TaUn fil vous semble un câble,
TaUn enfant vous accable
TaEt sans savoir pourquoi.
TaImbaut, quand, etc.

TaMais après cet orage,
Comme un ciel pur sort du nuage

TaVous devenez plus sage,
TaBientôt vous vous calmez ;
TaEt puis vous nous aimez
TaEt vous nous l’exprimez ;
TaAlors, toujours aimable
Aux jeux, aux cercles, à la table,
TaVotre art incomparable
TaNous a tous ranimés.
TaMais après, etc.


FRAGMENT
d’un éloge de M. guettard, lu a la séance publique
DE L’ACADÉMIE DES SCIENCES[8] PAR M. LE MARQUIS DE CONDORCET,
ET DONT LE PUBLIC S’EST PERMIS DE FAIRE UNE APPLICATION
SANS DOUTE FORT INJUSTE AU CÉLÈBRE AUTEUR
de la Religion considérée comme l’unique base du bonheur, etc.

«… M. le duc d’Orléans avait quitté le monde pour s’épargner le spectacle de l’hypocrisie plutôt encore que celui du scandale ; il savait avec quelle facilité, auprès des princes religieux, le désir de leur plaire multiplie l’alliance révoltante des pratiques de dévotion et d’une conduite licencieuse, des apparences du zèle avec les fureurs de l’orgueil et de l’envie, des discours où l’on exagère la morale avec des sentiments et des actions qui en offensent les principes et les règles. Il avait prévu quelle foule de vices sa vertu même pourrait faire naître autour de lui, et il avait fui dans la retraite… »


COUPLETS
SUR L’AIR DU PAUVRE CALPIGI, ROMANCE DE L’OPÉRA DE Tarare.

Pour l’intelligence de ces couplets, il faut savoir qu’il parut il y a quelques jours un mémoire très-éloquent, rédigé par M. Bergasse[9] et signé de M. Kornmann[10] contre la dame Kornmann sa femme, le sieur Daudet[11], le sieur Caron de Beaumarchais et M. Le Noir[12], que dans ce mémoire, qui a fait une grande sensation[13], M. de Beaumarchais est accusé non-seulement d’avoir pris sous sa généreuse protection tous les désordres de Mme Kornmann, mais encore d’avoir employé les moyens tout à la fois les plus vils et les plus insolents pour déshonorer et perdre son mari. Voici sous quels traits l’on s’est permis de présenter, dans ce terrible écrit, le caractère de l’illustre auteur de Tarare et de Figaro.

« Un homme dont la vie entière n’a été qu’un attentat perpétuel contre les mœurs et la probité ; un homme jeté dans toutes les affaires, dans toutes les entreprises pour en abuser à son profit ; un homme qui n’a jamais connu d’autres ressources pour accroître et pour maintenir sa fortune que l’intrigue, l’espionnage, la délation, la mauvaise foi ; bas quand il est de son intérêt de ramper ; audacieux quand il s’est arrangé pour ne pas craindre ; insultant à l’autorité quand il peut le faire avec succès ; se vendant à l’autorité quand il peut en espérer des faveurs ; un homme qui, pour citer un fait trop connu dans une circonstance politique, importante pour nous, se fait charger des fournitures nécessaires à l’Amérique anglaise, à l’instant où nous l’aidons à briser ses fers, et qui, au milieu des plus grands intérêts, ne méditant que son profit personnel, inonde les contrées du Nouveau-Monde de marchandises avariées, et porte ainsi au delà des mers un coup funeste au commerce national, à la réputation du nom français… un homme en un mot qui toute sa vie ne s’est agité que dans un foyer de corruption et d’impostures, et dont la sacrilège existence atteste avec un éclat si honteux le degré de dépravation profonde où nous sommes parvenus ; un tel homme ose parler, etc. »

Aussi surpris qu’indigné d’une pareille diffamation, M. de Beaumarchais en a pénétré sur-le-champ le véritable motif ; quel autre l’eût deviné comme lui ? Ce n’est pas le besoin de réclamer contre l’injustice des persécutions dont il se trouve la victime, ce n’est pas ce besoin qui a déterminé le sieur Kornmann à publier son Mémoire avant la fin de l’assemblée des notables, c’est uniquement l’espoir d’arrêter par un coup subit la représentation (de Tarare) de l’ouvrage que le public attend de M. de Beaumarchais. Il s’est pressé, en conséquence, d’envoyer à toutes les portes une petite feuille où, après avoir dénoncé au public ce détestable complot, il lui adresse ses excuses et ses regrets de la manière la plus touchante. « Le public, dit-il à la fin de cette singulière feuille, ne peut me savoir mauvais gré, dans l’état austère où je me trouve, de suspendre l’objet de son amusement, de ne lui présenter mon œuvre légère qu’après lui avoir fait raison sévèrement de moi. On s’amuse peu d’un ouvrage dont on mésestime l’auteur, et la défense de mon honneur doit passer avant tout. Et vous, mes vertueux amis, qui vous affligez du mal momentané qu’on me fait, ne vous fatiguez pas à me défendre[14] ; laissez, laissez dormir chez les gens prévenus l’estime qui m’appartient ; donnez-moi le temps d’y répondre. »

M. le baron de Breteuil, du département de qui dépend l’administration de l’Opéra, n’a pas jugé à propos de céder aux scrupules de la délicatesse de conscience de M. de Beaumarchais, en risquant de faire perdre à ce spectacle plus de cent mille livres de frais qu’il lui en a déjà coûté pour les habits et les décorations de Tarare, dont les répétitions occupent depuis plus de six semaines tous les sujets de l’Académie royale de musique ; il a donc décidé inhumainement que l’opéra serait donné sans retard, ou que l’auteur en rembourserait les frais. À l’audience qu’il avait demandée à ce ministre, M. de Beaumarchais insistant toujours sur ce bel apophthegme, qu’on s’amuse peu d’un ouvrage dont on méprise l’auteur, M. de Breteuil a fini par lui dire : « J’ai peu de mémoire ; mais en faisant quelque effort, je suis sûr, monsieur, que dans ce moment je trouverais un exemple assez frappant pour vous prouver le contraire. »


J’ai vu la centième folie
De cette étrange comédie

Qui fit courir tous nos Français.
Ah ! bravo, bravo, Beaumarchais. (bis)
Ma foi, d’un mérite si rare
L’on doit attendre que Tarare
Va nous dégotter Figaro.
Ah ! Beaumarchais, bravo, bravo. (bis)

L’industrie avec l’impudence
De tous les temps auront en France
Chez nos badauds un grand succès.
Ah ! bravo, bravo, Beaumarchais. (bis)
Les mœurs, l’honneur, la modestie
Ne vaudront point dans ma patrie
Le mérite de Figaro.
Ah ! Beaumarchais, bravo, bravo. (bis)

Kornmann contre toi publie
Un factum rempli d’infamie ;
Il est l’écho de Mirabeau.
Ahi ! Beaumarchais povero ! (bis)
À ce mémoire véridique
Réponds en style marotique,
En calembours de Figaro.
Ah ! Beaumarchais, bravo, bravo. (bis)

Caron pour Goëzman eut le blâme ;
Aujourd’hui pour un crime infâme
Kornmann lui intente un procès.
Ahi povero Beaumarchais ! (bis)
Quoi ! tarer l’auteur de Tarare,
Qui déjà fut à Saint-Lazare
Au sujet de son Figaro !
Ahi ! Beaumarchais povero ! (bis)

Air du vaudeville de Figaro.

Avec ta philosophie
Tu dois rire des clameurs.
Que t’importe que l’envie
Dévoile au public tes mœurs ?
Si chacun blâme ta vie,
Souviens-toi de tes leçons :
Tout finit par des chansons.


M. le comte de Mirabeau ayant cru que les quatre vers qui lui avaient été adressés par M. de Rivarol, à l’occasion de sa dernière homélie contre l’agiotage, étaient de M. de Beaumarchais, il lui a répondu par le quatrain suivant :


Pour ton bourreau tu m’as choisi ;
Un roué s’y connaît sans doute.
Mais ne crois pas que je redoute
Un criminel que j’ai flétri.



  1. Ce logogriphe fait sur le nom de M. de Calonne, et contre lui, présente quelque différence avec la copie qu’on lit dans les Mémoires secrets, où, au lieu des quatre vers : « J’offre un engin pernicieux… » il y a :
    Par là l’on me devrait deviner sans effort.
    Qui Cherchez, et vous verrez paraître
    Qui Deux villes, un ambassadeur,
    QuDe Jeanne d’Arc le robuste vainqueur,
    Qui En amour un excellent maître :
    QuCe qu’à Cherbourg on élève à grands frais ;
    Celui qui de la vigne eut les premiers bienfaits,
    Le cinquième d’un lustre, un seizième de livre,
    J’en dirais davantage, on est las de me suivre,
    Et pour finir, etc.*.


    *. Caen, Laon, le Nonce, âne, cône, Noé, an, once.

  2. Canne, canon, nace, col.
  3. Voir tome XIV, page 483.
  4. Elle est plus probablement de M. Le Hoc, commis de M. le contrôleur général. (Meister.) — Quérard ne cite cette brochure ni à l’article de C.-P. Lebrun, ni à celui de Le Hoc ; elle est également inconnue à Barbier.
  5. Selon Barbier, l’édition presque entière de ce livre, dû à J.-Fr. Sobry, fut supprimée par les soins de M. de Breteuil, et les exemplaires qu’on avait sauvés valaient jusqu’à quatre louis. Sobry publia en 1788 le Nouveau Machiavel, qui fait suite au Mode français.
  6. J.-Ch. Thilorier avait publié un mémoire juridique contre Cagliostro. L’auteur de la Confession du comte de C*** nous est inconnu.
  7. Pierre Rousseau, né à Nantes en 1750, fut élève de Rome en 1773 et devint inspecteur des dehors à Fontainebleau. Il construisit à Amiens la halle aux grains, l’hospice Saint-Charles et un théâtre ; à Saint-Germain-en-Laye, une église commencée par son beau-père, Potain ; à Paris, le pavillon chinois de l’hôtel Montmorency et l’hôtel du prince de Salm, devenu le palais de la Légion d’honneur, édifié en 1786, détruit en 1871 pendant le second siège de Paris, et rebâti en 1872 par M. Fr.-A. Mortier.
  8. Le 17 avril.
  9. On connaissait M. Bergasse de Lyon comme un homme de beaucoup d’esprit, d’une tête fort exaltée, d’une imagination très-ardente ; mais jusqu’ici on n’avait vu de lui que quelques brochures en faveur du magnétisme, dont il a été un des plus fanatiques défenseurs. (Meister.)
  10. Guillaume Kornmann, magistrat de Strasbourg, frère et associé de M. Kornmann, banquier à Paris. (Id.)
  11. M. Daudet de Jossan est petit-fils de Mlle Le Couvreur. S’étant fait connaître d’abord par quelques critiques assez piquantes des tableaux exposés au Louvre, il s’est rendu depuis beaucoup plus célèbre par ses intrigues, par la part qu’il eut aux liaisons de Mme Newkerque avec le feu roi, par les négociations du mariage de Mme de Montbarrey avec le prince de Nassau… Tant d’illustres travaux lui ont fait obtenir l’adjonction à la place de syndic de la ville de Strasbourg. (Meister.)
  12. Conseiller d’État, ancien lieutenant de police. (Id.)
  13. Et qui en eût fait une plus grande encore s’il n’était pas signé et paraphé à chaque page de ce vilain nom de Caron. (Id.)
  14. À ce mot, disait fort durement M. le comte de Lauraguais, j’ai frémi, j’ai cru voir un soulèvement général dans Saint-Lazare et dans Bicêtre. (Meister.)