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Correspondance littéraire, philosophique et critique, éd. Garnier/15/1789/Avril

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Texte établi par Maurice Tourneux, Garnier frères (Volume 15p. 432-449).
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AVRIL.

C’est le lundi 2 mars que fut représenté pour la première fois, sur le Théâtre-Italien, Raoul Barbe-Bleue, drame en trois actes mêlé d’ariettes, de MM. Sedaine et Grétry. Le conte de Perrault qui en a fourni le sujet est assez connu.

Cet ouvrage était annoncé depuis longtemps, et la réputation de l’auteur semblait devoir en garantir le succès ; mais il n’a pas été aussi complet que M. Sedaine pouvait l’espérer. On a bien reconnu ce drame dans la touche originale de son talent, cet art qu’il possède si bien de trouver des effets de théâtre absolument nouveaux dans les conceptions les plus simples comme dans les plus hardies ; mais celle-ci a paru en général plus bizarre qu’intéressante ; il était en effet presque impossible que la manière dont M. Sedaine a conçu et présenté le caractère d’Isaure pût intéresser sur la scène. Au tort d’une curiosité si indiscrète, et qui dans le conte est la seule cause de ses malheurs, fallait-il donc ajouter celui d’une coquetterie capable de lui faire préférer à l’amant le plus tendre, à celui à qui elle vient de jurer une fidélité à toute épreuve, des plumes et des diamants ? Comment s’attendrir sur son sort lorsqu’on n’a pu se défendre de souhaiter qu’une inconstance si basse par son motif fût justement punie, mais d’une manière sans doute moins cruelle que celle qu’emploie Barbe-Bleue pour corriger la curiosité de ses femmes ? Non-seulement l’inconstance d’Isaure repousse l’intérêt que devrait inspirer cette jeune personne, elle rend presque ridicule l’amour que lui conserve Vergy et tout ce qu’il lui fait entreprendre pour une femme qui trahit, pour ainsi dire au même instant, et l’amant qu’elle adorait et l’époux riche qu’elle lui a préféré. Nous avons observé qu’il paraissait peu vraisemblable que Raoul ignorât qu’Anne, cette sœur chérie de sa femme, fût morte ; mais ce qui a paru plus inconcevable encore, c’est que Vergy, en s’introduisant sous un habit de femme dans le château de Raoul, n’ait pas eu la précaution si naturelle de se munir à tout événement d’une dague ou d’un poignard qu’il était si facile de cacher sous ses habits de femme ; c’est une négligence qu’on est surtout étonné d’avoir à reprocher à M. Sedaine, car on sait que personne n’a porté plus loin que lui l’attention à ne pas s’écarter de la vérité, jusque dans les détails les plus minutieux. Le soin qu’il a eu de motiver les épreuves cruelles auxquelles Raoul a condamné ses femmes par les prédictions qu’on lui avait faites empêche que cette cruauté ne soit aussi ridiculement atroce que dans le conte. Il faut louer aussi la manière dont l’auteur a préparé le déguisement de Vergy, en rapportant la première impression que ce jeune homme a faite sur le cœur d’Isaure à sa ressemblance avec sa sœur Anne ; mais ce qui est surtout bien digne d’éloge, c’est l’effet prodigieux que M. Sedaine a su tirer de la situation où se trouve la femme de Barbe-Bleue lorsqu’elle a ouvert le fatal cabinet, situation qui devient plus déchirante encore par le retour de son amant à qui elle montre avec effroi le sort affreux qui l’attend pour avoir dédaigné ses conseils. On doit également savoir beaucoup de gré à M. Sedaine d’avoir si bien jugé que la situation où Barbe-Bleue, du fond de l’horrible cabinet, appelle à grands cris sa femme restée seule avec sa sœur, était dramatique, et combien la simplicité du conte pouvait servir ici le talent du musicien.

La musique de ce drame a paru en général plus savante et d’une harmonie moins uniforme dans ses accompagnements que beaucoup d’autres compositions de M. Grétry ; on a trouvé son orchestre plus varié et plus soigné en même temps ; le duo entre Isaure et Vergy, lorsqu’elle et son amant voient le danger inévitable qui les menace, est d’un effet déchirant. Le dernier trio entre Isaure, Vergy et Barbe-Bleue, véritablement digne de la réputation de M. Grétry, offre encore une de ces attentions que son esprit manque rarement de saisir quand la situation les lui présente, celle de changer tout à coup de rhythme et de mouvement, quand Vergy annonce à Isaure qu’il voit s’élever dans la campagne un tourbillon de poussière, et surtout lorsqu’il lui dit qu’il entend le galop des chevaux, mouvements que M. Grétry a su peindre fort ingénieusement par l’effet de son orchestre, et qui préparent avec adresse le spectateur à la catastrophe du dénoûment. Le reste de cette composition a paru manquer trop souvent de l’expression noble et sensible que demandaient le caractère et le ton général de l’ouvrage.

— Le vendredi 6 mars, les Comédiens français ont donné la première représentation d’Auguste et Théodore, ou les Deux Pages, drame en deux actes, imité du Page, comédie allemande de M. Engel, par M. de Sauvigny, l’auteur des Illinois, du Théâtre de société, etc. Il paraît que la pièce avait été arrangée d’abord pour le Théâtre-Italien. M. Dezède en avait composé la musique, et c’est lui-même qui l’a présentée ensuite à la Comédie-Française. Pour que sa composition ne fût pas entièrement perdue, on a voulu en conserver au moins deux ou trois morceaux dont le chant est assez agréable, mais qui n’ajoutent rien à l’intérêt de la scène.

Cette pièce, malgré quelques longueurs et beaucoup de détails insignifiants, a paru faire un extrême plaisir. La scène du second acte, entre le page et le roi, est vraiment neuve et touchante ; mais rien n’a plus contribué au succès de ce petit ouvrage que la manière dont il a été joué : il y avait longtemps qu’on n’avait vu de comédie représentée avec autant de chaleur, d’ensemble et de vérité[1]. Le sieur Fleury, chargé du rôle de Frédéric, à l’observation la plus exacte du costume a su joindre le talent de saisir si parfaitement les gestes et la physionomie du héros, qu’il a fait illusion même aux spectateurs qui avaient eu le plus souvent le bonheur d’approcher l’auguste modèle. On assure que cet acteur avait reçu plusieurs leçons d’un gentilhomme de la suite du prince Henri ; quoi qu’il en soit, il a paru que l’art ne pouvait guère être porté plus loin dans ce genre d’imitation ; et le mérite d’offrir une copie si naturelle et si frappante d’un roi qui fut l’admiration de son siècle, comme il le sera sans doute des siècles à venir, ce seul mérite aurait décidé le succès de la représentation. M. le comte d’Oëls a été, sans en être prévenu, le témoin de l’hommage que la nation rendait à son frère ; on avait engagé le maréchal de Beauvau à conduire l’illustre voyageur dans une loge où le public pouvait jouir de la satisfaction de lui adresser les applaudissements dont on faisait retentir la salle ; ils ont redoublé lorsqu’à la fin de la pièce, on a chanté au jeune page le couplet que voici :


Vous allez voir un guerrier
Qui sut toujours être invincible,
Qui joignant le myrte au laurier
Sut être modeste et sensible ;
Vous allez donc voir ce héros
Qui vous reçoit sous ses drapeaux.
Si la gloire vous paraît belle,
Si vous voulez par des faits brillants

Unir les vertus aux talents,
Prenez ce héros pour modèle.


COUPLETS À BABET POUR LE JOUR DE SA FÊTE
PAR UN VIEUX PHILOSOPHE.

Ô que d’Amours à ma Babet
S’empressent d’offrir leur bouquet !
MaC’est ce qui me désole.
Mais tous ces Amours, par bonheur,
N’ont pas le secret de mon cœur :
MaC’est ce qui me console.

Ils vont chanter leurs tendres feux,
Son teint de rose et ses beaux yeux ;
MaC’est ce qui me désole.
Des charmes dont je suis jaloux
Ils n’ont pas senti le plus doux ;
MaC’est ce qui me console.

Qu’un air naïf, tendre et fripon
Nous trouble aisément la raison !
MaC’est ce qui nous désole.
Son regard même au froid bon sens
Donnerait encore des sens ;
MaC’est ce qui la console.

Enchaînant et jeunes et vieux,
Si jolie on fait trop d’heureux,
MaC’est ce qui me désole.
Mais si Babet peut tout charmer,
Il n’est qu’un cœur pour bien l’aimer ;
MaC’est ce qui me console.

J’ai vu s’envoler mon printemps ;
De plaire, hélas ! il n’est plus temps ;
MaC’est ce qui me désole.
Mais cœur sensible est jeune encor ;
Aimer est toujours un trésor,
MaC’est ce qui nous console.


CHARADE.

M. de Lauraguais est ma première, M. de Rivarol est ma seconde, M. de Mirabeau est les deux et mon tout[2].

— On faisait fort mauvaise chère chez Mme d’Aligre, et l’on y médisait beaucoup. En vérité, disait M. de Lauraguais, si avec son pain l’on ne mangeait pas ici le prochain, il y faudrait mourir de faim. »

M. le garde des sceaux demandait un jour au comte de Mirabeau quel homme était son frère le vicomte. « S’il faut répondre franchement, lui dit M. de Mirabeau, dans toute autre famille il passerait pour un homme d’esprit et pour un mauvais sujet ; mais dans la nôtre, c’est un homme ordinaire. »

— Un des laboureurs élus députés dans le bailliage présidé par M. de Coigny avait toutes les apparences d’un homme peu délié. « Eh bien, lui dit M. de Coigny, qui l’avait fait asseoir à table à côté de lui, que vous proposez-vous de demander aux états généraux ? — La suppression des pigeons, des lapins et des moines. — Voilà un rapprochement assez bizarre. — Il est fort simple, monseigneur : les premiers nous mangent en grain, les autres en herbe, les troisièmes en gerbe. »

M. le comte d’Oëls rencontra M. Séguier dans la galerie de Versailles, ayant sous le bras l’Histoire secrète de la cour de Berlin, que Sa Majesté venait de lui remettre en lui ordonnant d’en faire la dénonciation à la cour : « Monsieur le comte, lui dit-il en montrant les deux volumes, c’est de la boue, mais cela ne tache pas. »

— Le mardi 10 mars, les Comédiens italiens ont donné la première représentation de l’Homme à sentiments, comédie en cinq actes et en vers de M. Pluteau, qui n’est connu que par cet ouvrage. C’est une imitation d’une des comédies les plus connues du théâtre anglais, the School for scandal, de M. Sheridan. Un de nos petits spectacles s’était déjà emparé de ce sujet sous le titre de l’Oncle et les deux Neveux ; ce n’était qu’une mauvaise découpure d’un excellent tableau.

Cette copie d’un excellent modèle a peu réussi. La marche de l’intrigue a paru froide et languissante ; ce n’est que dans les scènes fidèlement imitées de l’original qu’on a trouvé quelque intérêt. On peut reprocher à l’auteur français de n’en avoir pas conservé plusieurs dont l’intention très-comique aurait répandu sur tout l’ouvrage plus de mouvement et de variété. Nous sommes loin de prétendre cependant que l’on eût pu hasarder avec succès tous les tableaux, toutes les situations, toutes les plaisanteries de la pièce de M. Sheridan ; la grande liberté du théâtre anglais peut faire réussir des hardiesses qui seraient repoussées par l’habitude de nos convenances théâtrales. Ce n’est pas sans doute que les mœurs de Paris soient plus pures que celles de Londres, que la société n’y offre pas peut-être encore plus communément des modèles très-ressemblants de tous les vices que M. Sheridan a voulu peindre dans l’École de la médisance ; mais des tableaux où l’on représenterait nos mœurs telles qu’elles sont dans toute leur vérité ne seraient pas admis sur notre scène. On y voit tous les jours des demoiselles amoureuses à la folie, coquettes, infidèles, trahissant plusieurs amants à la fois ; mais l’exemple d’une femme mariée, galante comme lady Teazle, jalouse de son amant, prête à s’abandonner à lui dans un rendez-vous qu’elle a accepté dans sa maison, cet exemple serait un scandale révoltant au théâtre. À mesure que la société s’est corrompue, et surtout celle des femmes, qui en France influe plus que partout ailleurs sur les mœurs publiques, on est devenu plus difficile, plus austère sur tout ce qui tient à la décence théâtrale. Nos comédies ont été privées par là des effets les plus comiques, elles ont même été forcées de s’éloigner du véritable but moral auquel elles doivent tendre. On peut douter si de nos jours on eût permis à Molière de présenter Tartuffe comme il l’a fait, revenant, après avoir fermé la porte, les regards enflammés, se précipitant dans les bras d’Elmire, quoique l’on sache bien qu’elle ne fait semblant de se prêter aux désirs de cet imposteur que pour détromper son mari caché sous la table, et que le but même d’une situation si délicate doit en arrêter l’effet au moment où l’honneur du mari et l’honnêteté publique pouvaient en être blessés. Cette comédie nous conduit naturellement à vous faire observer que la comédie de l’École de la médisance a des rapports assez remarquables avec le Tartuffe ; plusieurs parties de l’action se ressemblent : c’est un hypocrite que l’un et l’autre auteurs ont voulu peindre et démasquer. Celui de l’École de la médisance est un homme du monde, et en cela même son hypocrisie est moins comique que celle du faux dévot, parce que les contrastes y sont moins saillants. Les deux hypocrites se sont également emparés de la confiance de leur bienfaiteur, mais la manière dont Tartuffe a su investir toutes les facultés et toutes les affections de sa dupe, la crédulité d’un mari qu’il faut convaincre comme malgré lui de l’effronterie des intentions du scélérat qui l’abuse, offrent des développements d’une touche bien plus vigoureuse que l’ingénieux coup de théâtre qui fait rencontrer à sir Teazle sa femme cachée derrière un paravent chez son pupille. Ce rapprochement ne peut nous faire oublier l’heureuse conception du caractère de sir Charles, de ce jeune étourdi qui, malgré ses dissipations et son libertinage, annonce le cœur le plus sensible et le plus généreux, refuse de vendre le portrait de son oncle, quoiqu’on lui en offre un prix excessif, et s’empresse, avec l’argent qu’il reçoit dans ce moment de besoin, à secourir un vieux parent malheureux ; caractère charmant qui contraste puissamment avec celui de l’hypocrite son frère, création qui appartient tout entière à M. Sheridan, opposition très-heureuse, et qui manque peut-être aux grandes beautés du chef-d’œuvre de Molière.

L’Homme à sentiments a paru en général assez bien écrit ; on y trouve de la négligence, de la contrainte, mais plus souvent du naturel et de la facilité ; enfin le peu de succès de l’ouvrage ne doit être attribué qu’à l’extrême difficulté qu’il y aura toujours à transporter sur notre scène les meilleures pièces des théâtres étrangers, et surtout les pièces de caractère, dont la physionomie, pour ainsi dire locale, constitue particulièrement le mérite. Il est presque impossible d’en conserver les traits les plus caractéristiques sans qu’ils paraissent trop étrangers à la nation à qui on les présente ; et les altérer, c’est presque toujours en détruire l’effet.

— Le 17 mars, on a donné sur le théâtre de l’Académie royale de musique la première représentation d’Aspasie, opéra en trois actes. Les paroles sont de M. Morel, assez connu par les poëmes d’Alexandre aux Indes, de la Caravane, de Panurge, etc. ; la musique est de M. Grétry.

N’est-ce pas un très-beau projet que celui de mettre en opéra le plus beau siècle de la Grèce pour y célébrer l’empire de cette beauté qui régna sur Athènes par les charmes de sa figure et de son esprit autant que Périclès par l’ascendant de sa politique ? Le choix de ce sujet devenait plus piquant encore par l’intérêt général que la lecture des Voyages d’Anacharsis venait de nous inspirer pour le caractère et les mœurs des Athéniens ; mais on ne peut se dissimuler que M. Morel a eu quelque raison de dire, dans l’avertissement qui est à la fin de son poëme, « qu’il avait entrepris une tâche au-dessus de ses forces, en voulant produire sur la scène les personnages les plus célèbres de l’antiquité ». Cet aveu, trop bien justifié par la manière dont il a conçu son plan, et par la manière dont il l’a exécuté, ne nous empêchera pas de remercier infiniment M. Morel de l’ingénieuse idée qu’il a eue de nous présenter au lever de la toile l’imposant et magnifique chef-d’œuvre de Raphaël, si connu sous le nom de l’École d’Athènes. Ce tableau, copié avec exactitude, et que développe avec le plus grand avantage l’optique théâtrale, offre les philosophes Anaxagore et Zénon au milieu de leurs disciples, occupés, les uns à étudier la géométrie, les autres à considérer une sphère et le mouvement des cieux ; Anacréon entouré des jeunes filles d’Athènes ; plus loin, Phidias donnant les derniers coups de ciseau à la statue de Vénus : cette belle scène est encore animée par les danses de jeunes Athéniens et Athéniennes, formant des groupes dont l’élégance, la variété et les dispositions pittoresques ajoutent un attrait de plus à l’exécution vivante de cette superbe conception du plus grand peintre dont se glorifie l’Italie.

L’amour d’Aspasie pour Alcibiade, et la générosité qu’elle a d’immoler son amour à l’honneur que doit lui faire ce sacrifice, auraient eu besoin d’être plus développés pour inspirer quelque intérêt ; mais ce qui a nui le plus au succès de la première représentation de cet opéra, ce sont les plates plaisanteries que l’auteur a cru pouvoir hasarder dans la bouche d’Aristophane ; on les a supprimées à la seconde représentation ; on en a fait autant de plusieurs scènes fort insignifiantes entre Aspasie et Alcibiade ; et la manière dont elles étaient écrites ne peut les faire regretter.

M. Morel n’a conservé de son poëme que ce qu’il en fallait absolument pour expliquer à peu près l’action et préparer les ballets. Ce qui ne doit être que l’accessoire de tout ouvrage lyrique a fait le succès de celui-ci. Les ballets d’Aspasie font beaucoup d’honneur au sieur Gardel le jeune, qui a remplacé son frère aîné ; et ce premier essai de son talent prouve que l’on peut réussir sur le théâtre de l’Opéra sans le secours des paroles, et même de la musique. On n’a guère reconnu dans celle de cet ouvrage le talent de M. Grétry. Si l’on a reproché à M. Morel d’avoir donné aux personnages les plus aimables d’Athènes un langage qu’on pardonne à peine aux interlocuteurs de la Caravane et de Panurge, on a été bien plus étonné de leur entendre chanter des airs dont le caractère était à peine celui de la composition bouffonne la plus triviale. Parmi les airs de danse qui composent la partie essentielle de l’opéra d’Aspasie, on en a distingué deux ou trois d’un caractère très-neuf et très-piquant : presque tous ont au moins de la grâce et de la fraîcheur.

La comédie des Châteaux en Espagne, par M. Collin d’Harleville, ayant été retirée après la première représentation, et des circonstances particulières ne nous ayant pas permis de la revoir depuis les changements très-considérables que l’auteur y a faits, nous sommes forcés d’en renvoyer encore l’analyse au prochain envoi. Le jour de la première représentation[3], on avait trouvé de l’embarras et quelques longueurs dans le premier acte, du vide et de la langueur dans les deux derniers ; mais l’auteur les a presque entièrement refondus. Il a eu peu de changements à faire au troisième, dont le succès avait été complet ; on avait surtout applaudi avec transport dans cet acte le moment où d’Orlange (c’est le faiseur de châteaux) s’imagine qu’il pourrait bien arriver qu’un jour il devint roi de quelque île nouvelle, je choisirais, dit-il,


Je choisirais d’abord un ministre honnête homme,
Le choix est bientôt fait quand le public le nomme.


Le valet, qui vient troubler un si beau rêve, après s’être moqué de la folie de son maître, finit par rêver lui-même qu’il achètera un jour une métairie, et cela parce qu’il a dans sa poche un billet de loterie, billet qu’il s’aperçoit même bientôt qu’il a perdu. Ces deux scènes, dont l’idée est heureuse en elle-même, sont encore embellies par tous les charmes du style le plus naturel et le plus animé. Ainsi que l’Inconstant et l’Optimiste, c’est surtout par les détails de l’exécution que les Châteaux en Espagne ont réussi ; nous croyons cependant que l’ordonnance de ce dernier ouvrage offre plus d’invention théâtrale, plus de scènes, plus d’intentions vraiment comiques.

On a lieu de regretter que M. Collin d’Harleville, avec un talent si propre à écrire la comédie, ne soit pas plus heureux dans l’invention, dans l’ordonnance de ses plans ou dans le choix de ses sujets. Celui de cette comédie appartient au sentiment exagéré de l’espérance, sentiment qui existe plus ou moins dans le cœur de tous les hommes, mais dont l’exagération peut être comique ; M. Collin nous le prouve ; c’est donc moins le choix du sujet que l’on peut lui reprocher, que l’intrigue qu’il a imaginée pour développer le caractère de son faiseur de châteaux en Espagne. Elle est fondée sur un quiproquo qui, sans être absolument invraisemblable, est trop romanesque pour être vraiment théâtral. La manière dont se prolonge l’erreur causée par cette méprise fait trop sentir les efforts que l’auteur a été obligé de faire pour remplir l’espace de cinq actes : dès le troisième, Florville pouvait la faire cesser, sa position même semble l’y engager, et l’on conçoit difficilement, malgré tout l’art du poëte, pourquoi il s’obstine si longtemps à ne pas se faire connaître ; mais ces défauts donnent lieu à tant de traits charmants, presque tous amenés par la situation même, que l’on est forcé de lui pardonner. Son dialogue est toujours vrai, facile, du meilleur goût et du meilleur ton. Plus nous avons vu cette charmante comédie, plus nous avons désiré de voir l’auteur s’occuper davantage du choix de ses sujets, et les concevoir d’une manière plus ferme et plus profonde.

La première représentation des Châteaux en Espagne avait déjà eu beaucoup de succès, mais le quatrième et le cinquième acte avaient paru inférieurs aux trois premiers. M. Collin n’a pas balancé, il a retiré sa pièce, et en moins de huit jours refondu son quatrième acte et refait en entier le cinquième. Voltaire seul nous avait donné avant M. Collin l’exemple de cette incroyable facilité. Le succès complet de la reprise a été la récompense d’un travail qui n’honore pas moins la docilité de son goût que l’extrême fécondité de son talent.

— Le 26 mars, on a donné sur le Théâtre-Italien la première représentation de l’Heureuse Inconséquence, ou la Fausse Paysanne, comédie en trois actes et en vers, mêlée d’ariettes, par M. de Piis. La musique est de M. Propiac, l’auteur de celle des Trois Déesses rivales.

Il paraît que M. de Piis, encouragé, peut-être même lassé des succès que lui ont valus ses nombreux opéras en vaudevilles, veut quitter ce genre et essayer son talent dans une carrière où il faut pour réussir quelque chose de plus que de jolis tableaux et quelques couplets agréables. Ces mêmes ressources avaient pourtant obtenu une sorte de faveur à son drame mythologique des Trois Déesses rivales, mais cette faveur n’a pas duré longtemps, et celle de la Fausse Paysanne ne paraît guère plus assurée.

Le fond de cette comédie a paru trop romanesque, trop peu vraisemblable pour inspirer un véritable intérêt ; ce qui ajoute encore à ce défaut essentiel, c’est une foule de détails étrangers et minutieux qui retardent la marche de l’action et la rendent souvent assez obscure, au moins fort embarrassée.

Quant à la musique, elle confirme tristement le peu d’espérance que nous avions conçu du talent de M. Propiac, lorsque nous eûmes l’honneur de vous rendre compte de la musique des Trois Déesses rivales[4] ; celle de cet ouvrage n’offre ni plus d’invention, ni plus de variété.

— Il y eut encore une séance publique de l’Académie française, le jeudi 12 mars, pour la réception de M. de Nicolaï, premier président de la chambre des comptes, élu à la place de M. le marquis de Chastellux[5]. Le récipiendaire, après avoir parlé avec beaucoup de modestie de l’honneur qu’il venait d’obtenir, après avoir jeté un coup d’œil rapide sur l’esprit du siècle, sur les progrès de l’opinion, après avoir distribué beaucoup de louanges à l’Académie en général, et à plusieurs de ses membres en particulier, s’est attaché à rendre à la mémoire de son prédécesseur tous les hommages dus à sa passion pour les sciences et pour les arts, à l’amabilité de son caractère, à la facilité de son esprit, à l’étendue et à la variété de ses connaissances, à ses succès militaires en Allemagne et dans l’Amérique septentrionale, etc. ; enfin il a caractérisé le mérite de ses différents écrits, dont les principaux sont un Traité de la félicité publique, un ouvrage sur l’Union de la poésie et de la musique, l’Éloge du baron de Closen, celui d’Helvétius, ses Voyages en Amérique, etc., etc. Ce discours, assez long par lui-même, l’a paru davantage encore par l’extrême lenteur avec laquelle il a été prononcé.

C’est M. de Rulhière qui a été chargé de lui répondre en qualité de directeur de l’Académie. Il s’est étendu d’abord avec beaucoup de complaisance sur cette longue succession d’une même dignité, une des plus belles du royaume, transmise de génération en génération, et sans aucun intervalle, des ancêtres de M. de Nicolaï jusqu’à lui. « Comment et par quel art, s’est-il écrié avec assez d’emphase, dans une nation si mobile, au milieu de tant de cours orageuses, et quelquefois au milieu des plus sanglantes dissensions, sous tant de règnes, tantôt défiants et sévères, tantôt fermes et superbes, tantôt faibles et agités, s’est maintenue dans ce calme toujours égal cette élévation [de premier président de la chambre des comptes], toujours la même, que rien jamais n’a pu ébranler !… » On a été dédommagé de cet ample et magnifique pathos par l’anecdote qui le termine et qui nous paraît trop intéressante pour être oubliée. On commençait le siège de Valenciennes ; cette ville faisait prévoir une longue résistance ; les mousquetaires sollicitaient d’être envoyés seuls à l’attaque d’un ouvrage extérieur où déjà l’élite des autres troupes avait été repoussée. Louis XIV apprit alors que le fils aîné du premier président de la chambre des comptes, destiné à cette même place, venait de mourir à Paris ; il fit appeler le jeune Nicolaï qui servait dans une de ces compagnies si célèbres à cette époque, l’instruisit du malheur de sa famille, lui ordonna de partir aussitôt pour aller consoler la vieillesse de son père, et daigna pour première consolation lui en assurer la survivance. Le jeune homme tombe aux pieds du roi et s’écrie : « Sire, dans quelque état que je serve Votre Majesté, elle ne peut pas vouloir que j’y entre déshonoré. » Le roi applaudit à ce sentiment, et le jeune Nicolaï, déjà premier président, fut un de ceux qui attirèrent le plus les regards de toute l’armée dans un assaut à jamais mémorable.

C’est ce même Nicolaï qui, dans le temps du système, lorsqu’on publia la fameuse défense de garder chez soi de l’argent, après avoir déclaré que si on osait venir faire quelques recherches chez lui, il ferait un mauvais parti au curieux, dit encore au régent : « Je garde cent mille écus, parce qu’au train que prennent les affaires, le roi aura besoin des offrandes de ses sujets, et cette somme, j’irai la lui offrir lorsqu’il sera majeur. »

De l’éloge des ancêtres de M. de Nicolaï, le directeur est descendu enfin à celui du récipiendaire et n’a pas manqué de rappeler le talent qu’il a déployé dans les différents discours adressés par lui aux administrateurs des finances dont chacun est venu tour à tour prêter entre ses mains un serment tant de fois inutile. « Chacun de ces discours, a-t-il dit, est un portrait fidèle, crayonné d’une main hardie, mais légère et circonspecte, et d’habiles physionomistes auraient pu y reconnaître d’avance le destin de ces administrations passagères. »

Dans l’éloge que M. de Rulhière a fait du marquis de Chastellux il a développé surtout une singularité assez remarquable, c’est que les Entretiens de Phocion et le Traité de la félicité publique furent le fruit d’une conversation dans laquelle le marquis de Chastellux, jeune encore, et l’abbé de Mably, dans la maturité de l’esprit et de l’âge, s’entretinrent longtemps de leurs opinions contradictoires. Tous deux écrivirent sur le bonheur auquel doivent prétendre les sociétés ; le premier le fondait tout entier sur la bonté des mœurs publiques, l’autre sur les progrès nécessaires de l’esprit, des sciences et des arts. Ce fut un modèle peut-être unique d’une querelle littéraire, car les deux ouvrages polémiques publiés en opposition l’un de l’autre ne laissent rien pénétrer de cette intention particulière. Pour relever le parallèle de ces deux athlètes, M. de Rulhière n’a pas craint d’y joindre encore un troisième, cet homme célèbre qui soutint avec toute la force de l’éloquence, toute l’adresse de la plus subtile dialectique, que nos institutions sociales ne sont que la corruption des sentiments naturels, nos arts les plus nécessaires l’altération de nos facultés physiques, etc. « Rousseau, dit-il, détracteur de la société, misanthrope par l’excès même de son amour pour le bonheur des hommes, annonce l’inévitable ruine, la subversion instante et prochaine de tous les royaumes, républiques et empires… Mably, plaçant le bonheur dans l’état d’une société simple et bien ordonnée, croit que d’utiles réformes peuvent encore renouveler le destin des empires ; il cherche la méthode de procéder à ces réformes ; ses dernières prédictions furent cependant celles d’un citoyen découragé… Il semble aujourd’hui que le marquis de Chastellux aura porté sur l’avenir un regard plus perçant, et qu’en cette occasion du moins il aura eu sur ces deux sages célèbres le double avantage d’avoir mieux présagé les événements, et d’avoir joui d’avance, par ce présage même, d’une félicité qu’ils n’osaient pressentir. Ami de tous les arts, ne doutant pas que l’esprit humain ne parvienne au plus haut degré où la perfectibilité puisse atteindre, accoutumé à chercher le bien jusque dans les erreurs du siècle présent, il annonce en France et dans toute l’Europe le retour de la liberté par l’excès même de la dette publique ; il dit que les besoins du fisc sont les vrais précepteurs des rois, et qu’envisagés d’un œil juste, ils deviendront un jour les protecteurs de la fortune des peuples, etc. »

M. l’abbé Delille a terminé la séance par la lecture de plusieurs morceaux de son poëme sur l’Imagination, qui ont été applaudis avec enthousiasme.

— Il a paru tant d’écrits ennuyeux sur les états généraux ! comment ne pas accueillir le premier pamphlet où l’on trouve enfin quelques étincelles d’imagination et de gaieté ? C’est la Séance extraordinaire et secrète de l’Académie française, tenue le 30 mars 1789. On l’attribue au comte de Rivarol, et l’on a cru y reconnaître en effet le même esprit de plaisanterie qui a dicté la préface du Petit Almanach de nos grands hommes ; le style en est cependant plus faible, et surtout plus négligé.

Démophon (Marmontel), le secrétaire perpétuel, ouvre la séance par un discours où il exhorte ses confrères à éclairer la nation, à lui tracer la route qu’elle doit suivre. Il ne craint pas que les états généraux attaquent jamais la glorieuse institution des jetons, elle fait partie des lois fondamentales de la monarchie ; mais il pense qu’il est bon de rappeler à la nation que les travaux utiles de l’Académie restent sans récompense, etc. Il prie messieurs de délibérer. On rejette d’abord l’idée de faire un livre. Cet avis, qui est celui d’un archevêque, excite un murmure général, où l’on entend seulement qu’écrire est bon pour s’ouvrir les portes de l’Académie, mais que, parvenu au fauteuil, c’est bien assez d’endoctriner les cercles. — Mon projet, dit Cithéron (La Harpe), est de transporter ma chaire à Versailles, et deux fois par semaine je donnerai mes leçons aux comices. Je leur apprendrai que Boileau était correct, Racine harmonieux, Crébillon barbare, Molière philosophe, etc. Telles sont les vérités immortelles dont il importe à la nation de se pénétrer. Un gouvernement va de lui-même, mais la littérature s’affaiblit. Il faut répéter cent fois ce qui a été dit mille, refaire les mêmes tragédies sous d’autres noms, reproduire les mêmes idées sous un autre coloris. — Flaccus (Florian) propose d’accommoder aux circonstances la partie politique de son Numa. Si jamais, dit-il, cet ouvrage peut être lu, sa fortune est décidée. — Azur (Suard) offre de revoir les délibérations nationales comme il revoit les journaux et les opéras. L’esprit créateur est un mot ; tout ce qui est créé a besoin d’être revu. Les états généraux, que vont-ils faire eux-mêmes ? revoir. Puissent-ils s’en trouver aussi bien que moi ! — Pastorinet (M. le duc de Nivernois) rappelle en très-peu de mots ce qu’il a fait comme ambassadeur, comme duc et pair, comme ministre, comme académicien… Qu’exigez-vous encore de moi ? — Grand homme ! s’écrie Flaccus, mettez le comble à vos dons généreux ; composez une fable… — Bochan (Chabanon) déclare qu’il a porté longtemps la patrie dans son cœur, mais que les outrages répétés qu’il en a reçus ont à la fin glacé sa tendresse. Pourquoi m’occuper d’une nation qui a si cruellement négligé ma gloire ? Qu’elle s’adresse à M. Collin, puisqu’elle va rire à une pièce qui lui dit en face que ses projets de régénération sont des châteaux en Espagne. — Myris (Lemierre) veut qu’on fasse jouer Barnevelt ; c’est le meilleur encouragement pour les amis de la liberté ; c’est là qu’on trouve des vers à moustache… — Daube (M. de Rulhière) avoue qu’il a agi à sa manière, sous main, pour se faire nommer historiographe des états généraux. — Je m’imagine, lui dit Arsacès (le cardinal de Rohan), que vous peindrez l’état de la France avant la tenue des états ; je requiers que vous vous absteniez de parler d’un fameux épisode quorum pars magna fui. La reconnaissance (au baron de Breteuil) vous commanderait nécessairement l’injustice. — Zéangir (Chamfort) dit : Si ce n’est que cela, je vous réponds de son équité. — Tacticus (M. de Guibert) pense qu’il faut proposer aux états généraux d’établir un conseil de littérature qui réglera tout ce qui tient au bel esprit en France. Témoins tous les jours des fruits qu’on retire de celui de la guerre, vous pouvez, dit-il, espérer les mêmes avantages si vous suivez la même marche. Tout le secret est de trouver un rapporteur habile. — Cette idée de conseil est très-mal accueillie. Après beaucoup de débats, après de grandes explications, on se détermine à faire une députation, et l’on est fort étonné de voir au scrutin tous les vœux réunis en faveur de Tacticus. En voici, lui dit-on, la raison : chacun des prétendants crut, à part soi, qu’en nommant celui qui ne serait nommé par personne, il diminuait le nombre des suffrages pour celui qui pouvait être un compétiteur dangereux. Il s’élève un léger murmure. Tacticus demande la permission de lire le fameux discours qui causa sa disgrâce à Bourges[6]… c’est une pièce qui va à tout. — Vous aviez pris un parti plus sage, celui de l’imprimer ; cela ne gêne personne… Alors on entendit sortir de toutes les bouches : Imprimé, imprimé, imprimé… — Démophon propose un objet de délibération qui regarde le nouveau député, et le prie de vouloir bien se retirer quelques instants. Tacticus, ajoute-t-on, accoutumé à sortir sans qu’on l’en priât si poliment, répondit qu’il n’avait rien à refuser à ses confrères, et sortit par la porte. — Nul doute, dit Nestoret (Daguesseau de Frêne), que Tacticus soit exclu de toute assemblée nationale, civilement, oui, littérairement, non… Ainsi, messieurs, ce serait faire une injure gratuite à un galant homme dont la conscience est pure que de casser sa nomination. — Tout le monde applaudit à cette sage distinction, et l’on pria Tacticus de rentrer…

Cette facétie est terminée par le projet d’instruction pour la députation académique ; en voici quelques articles :

Art. I. Que dorénavant la nation s’assemblera périodiquement tous les cinquante ans ; ces assemblées donnant lieu à des nuées d’écrits patriotiques qui absorbent l’attention des lecteurs et les distraient des lectures essentielles, telles que les dithyrambes et les productions soignées de la prose bien coloriée.

Art. IV. Que Sa Majesté accordera la liberté de la presse à l’Académie française seulement.

Art. V. Que les propriétés personnelles, mobilières et foncières soient assurées, de manière que, sous aucun prétexte, on ne puisse voler à l’un ses idées, à l’autre ses sujets, et que tout plagiaire convaincu puisse être dénoncé.

Art. VI. Que l’Académie sera maintenue dans le droit exclusif de faire l’éloge du cardinal de Richelieu, l’ami de la liberté et le ministre le plus humain.

Art. XI. Le député aura un pouvoir illimité de concourir à régler tout ce que le temps permettra aux états généraux de statuer sur les améliorations de tous les genres et sur la poursuite des principaux abus qui affligent le royaume, et en particulier sur le maintien du goût, etc., enfin sur la suppression des entrées vexatoires de livres étrangers, qui font oublier les productions du sol, tels que la Richesse des nations, par Smith, les Recherches sur les Grecs, par M. de Paw, etc.

Sur quelques contrées de l’Europe, ou Lettres du chevalier de *** (c’est-à-dire de La Tremblaye), à madame la comtesse de ***. Deux volumes in-12, avec cette épigraphe :

Quiconque ne voit guère,
N’a guère à dire aussi.

(La Fontaine, liv. IX, fab. ii.)

M. le chevalier de La Tremblaye est un homme du monde qui a fait autrefois, il y a trente ans, des odes, des élégies, des épîtres, dont quelques-unes même ont remporté, je crois, le prix de l’Académie des Jeux Floraux à Toulouse. L’ouvrage que nous avons l’honneur de vous annoncer est le fruit de ses voyages en Italie et en Suisse. Il ne faut pas s’attendre à y trouver des observations bien neuves, bien profondes ; mais on y verra souvent des détails agréables, de la finesse, de la bonhomie, et même assez de légèreté dans le style, au moins dans la prose ; car les vers, et il y en a beaucoup, nous ont paru en général très faibles. Zurich lui doit des remerciements : il dit que c’est l’Athènes de la Suisse ; M. Lavater lui paraît, après M. Diderot, l’homme de l’imagination la plus forte qui puisse exister peut-être. Ce rapprochement n’étonnera point ceux qui ont connu l’un et l’autre. Quel homme que Diderot, s’il n’eût pas été athée ! Quel homme, diront d’autres, que Lavater, s’il n’eût pas été chrétien !



  1. Les rôles des deux pages ont été rendus avec beaucoup d’intelligence par Mme Petit-Vanhove et par Mlle Contat cadette. (Meister.) — J.-B.-P. Laffitte, dans les Mémoires apocryphes qu’il a rédigés sous le nom de Fleury, a donné de longs et minutieux détails sur les études préliminaires auxquelles se livra ce comédien pour parvenir à une ressemblance frappante avec son modèle.
  2. Fougueux.
  3. Le vendredi 26 février.
  4. Voir précédemment, page 306.
  5. Il ne l’a emporté que d’une seule voix sur son concurrent, M. Garat, professeur au Lycée, auteur de plusieurs Éloges couronnés par l’Académie. (Meister.)
  6. Ce qui s’est passé à Bourgesd est l’injustice la plus révoltante qu’un honnête homme puisse éprouver de la part d’une assemblée publique. M. de Guibert n’avait rien fait pour la mériter, mais, à en juger par le compte qu’il a rendu lui-même de sa disgrâce, il est impossible de ne pas le plaindre de n’avoir pas su repousser l’injustice par une résolution plus ferme et plus tranquille. On a dit que son Apologie avait le défaut qu’on reproche à beaucoup de tragédies françaises, c’est de mettre en récit ce qu’il fallait mettre en action. (Meister.)

    d. Guibert venait de se présenter au bailliage de cette ville pour être élu membre des étatsgénéraux ; ses ennemis appelèrent sur lui l’animadversion publique en lui attribuant tous les actes du conseil d’administration du département de la guerre, dont il avait été rapporteur en 1787. Non-seulement il ne fut pas élu, mais encore le chagrin qu’il ressentit de toutes ces tracasseries fut la cause de sa mort. (Ch.)