Coste/01
|
(1/2)
|
► | (2/2)
|
COSTE
Coste (Jean-Jacques-Marie-Cyprien-Victor), célèbre naturaliste français, que nous venons de perdre, était originaire du département de l’Hérault. La petite ville de Castries, située au milieu d’un des plus riants cantons des environs de Montpellier l’a vu naître, il y a bientôt 66 ans. Son enfance s’est écoulée dans ce riant et fécond département, véritable jardin de la France méridionale, patrie de Cambon, de Daru, de Cambacérès, de Barthez, de Viennet, de tant d’hommes célèbres dans tous les genres. Dès sa plus tendre enfance, Coste donna les signes de cette riche et puissante organisation, qui lui permit d’acquérir sans travail apparent, par une sorte d’intuition artistique, les connaissances les plus ardues. Les séductions de son heureuse nature méridionale lui valurent au sortir du collège, et pendant qu’il était encore sur les bancs de l’École de médecine, l’amitié de Delpech, le restaurateur de la grande chirurgie dans les départements du Midi.
Ce dernier, qui avait une rare intelligence et un esprit élevé, ne tarda point à apprécier la valeur du concours qu’il pouvait trouver dans cette jeune activité. Il commença par faire de Coste son chef de clinique, puis il l’associa à ses difficiles recherches sur le développement des embryons. On vit deux auteurs, l’un au début de la carrière, l’autre dans tout l’éclat de sa réputation, apporter de Montpellier à l’Académie, au mois de novembre 1831, un Mémoire sur le développement du poulet dans l’œuf. Les auteurs s’étaient mis en mesure de répéter devant l’Académie toutes les expériences qu’ils avaient exécutées dans le fond de leur province. Ils avaient eu l’audace de tenter un véritable tour de force, car ils ne se proposaient rien moins que de présenter en une seule séance des œufs à toutes les périodes de l’incubation. Le succès d’une tentative un peu hors de saison, à une époque où les œufs deviennent rares, ne pouvait être complet. Cependant le rapport de Flourens fut des plus favorables. Ampère loua beaucoup les expérimentateurs d’avoir signalé les analogies remarquables que présentent les phénomènes de l’évolution embryologique pendant les premières périodes, avec les transformations qui s’accomplissent dans les corps inorganiques quand on les soumet à l’action d’un courant voltaïque de longue durée et de faible intensité. C’est à cette époque que M. Becquerel père commençait à publier ces belles recherches, qui ne sont pas encore épuisées, sur l’action de l’électricité dans la production de certaines cristallisations.
Le choléra, qui devait produire tant de ravages, et s’élever en quelque sorte à la hauteur d’un évènement politique, avait envahi l’Angleterre. Le gouvernement de Juillet avait envoyé à Sunderland le célèbre Magendie. Delpech n’hésita pas à prendre volontairement le rôle de commissaire investigateur, accompagné par M. Jules Desfourneaux, qui fit avec générosité les frais de l’expédition, et de son inséparable le docteur Coste, il se rendit en Angleterre pour suivre la piste du mal épouvantable devant lequel chacun fuyait.
Les trois associés furent reçus avec distinction par le prince de Talleyrand, alors ministre de France auprès de la cour de Saint-James, et ils se rendirent sans perdre de temps à Newcastle, alors le foyer de l’épidémie. Après différentes pérégrinations qu’il serait trop long de raconter, les trois Français tombèrent malades à Masselborough, petite ville des environs d’Édimbourg ; on était alors vers le 10 février. Quoique le jeune Coste eût été le plus sérieusement atteint, il parcourut rapidement le reste de l’Écosse pendant que ses deux compagnons se repliaient sur Londres, où le choléra venait d’éclater. Ils arrivaient tous trois à Paris avant le 22 mars, jour funeste où les premiers signes de l’invasion furent constatés. Quand la crise éclata, ils étaient donc sur le champ de bataille, prêts à mettre au service de leurs compatriotes le fruit de l’expérience personnelle qu’ils avaient acquise en pays étranger, au péril de leur vie.
C’est à l’Hôtel-Dieu que le docteur Récamier utilisa leurs avis. Le livre du professeur Delpech, à la rédaction duquel Coste prit une grande part, permet de voir que la maladie avait été très-sûrement diagnostiquée ; on avait nettement reconnu l’existence de la diarrhée prémonitoire, et indiqué pour la combattre l’efficacité des boissons opiacées. Il est vrai, l’on émettait quelques doutes sur l’utilité des cordiaux alcooliques que prônait Magendie, et l’on inclinait pour les saignées, d’après le système rival du docteur Brousseau.
Ces dangers et ces travaux mirent naturellement en évidence le jeune docteur Coste, qui n’eut pas de peine à se faire admettre au Jardin des Plantes en qualité de préparateur des cours d’anatomie. Il assistait à cette étonnante leçon où Cuvier sembla pressentir si nettement la paralysie foudroyante qui vingt-quatre heures plus tard devait le frapper. Il faisait partie du petit nombre d’admirateurs et d’amis qui deux ou trois jours plus tard, reçurent le dernier soupir du législateur de la paléontologie.
Épinoche gardant son nid et agitant l’eau autour de ses œufs avec ses nageoires.
Delpech, qui dirigeait un grand établissement d’orthopédie, et qui était en outre professeur à l’Académie de médecine, ne pouvait rester longtemps éloigné du siège ordinaire de ses travaux et du centre de sa clientèle. Il revint donc à Montpellier ; ce fut pour se faire assassiner en plein jour par un fou furieux, son ancien pensionnaire, qui lui tira un coup de fusil par la fenêtre d’un hôtel, et qui se brûla la cervelle avant qu’on eût pu le saisir.
Coste, resté à Paris, continua ses travaux, qui lui valurent la grande médaille d’or de l’Académie des sciences pour l’année 1834. Son maître et ami Delpech lui était associé dans cette belle récompense.
Une note de Dutrochet, rapporteur d’une des commissions qui ont eu à se prononcer sur la valeur des travaux de Coste et Delpech, permet de juger la nature des obstacles que le jeune expérimentateur rencontra et la flexibilité d’esprit dont il dut faire preuve pour parvenir à les vaincre. « Puisque nous sommes amenés à parler ici, dit l’académicien, de notre dernier rapport sur le travail relatif à l’ovologie du lapin, nous croyons devoir présenter une observation que nous ne fîmes point alors. Les travaux de M. Coste furent présentés à l’Académie dans plusieurs communications successives, lesquelles furent toutes renvoyées à la même commission. Les journaux qui rendent un compte habituel des séances de l’Académie donneront au fur et à mesure l’analyse de ces travaux successifs. Or, M. Coste, par notre avis, supprima entièrement son premier travail. Il reconnut qu’il s’était trompé et il accepta la manière dont nous développions les phénomènes qu’il mettait sous nos yeux. Mais par un sentiment de bienveillance nous crûmes devoir nous abstenir de parler dans notre rapport des parties du travail que M. Coste avait retirées, nous eûmes tord !! » En effet, les journaux, ces maudits, attribuèrent à toutes les parties du travail de M. Coste, l’approbation que Dutrochet n’avait accordée qu’à l’ovologie rectifiée de la Brebis.
Épinoche faisant son nid, et épinoche aidant la femelle à pondre.
Parmi les communications intéressantes de cette période de la vie de Coste, nous devons signaler un examen anatomique des jumeaux de Siam qui, à cette époque, excitaient vivement la curiosité publique. M. Coste pensait alors comme l’on pense aujourd’hui, que la réunion des deux moitiés de cet être complexe, a eu lieu dans les premiers temps de la grossesse de la mère, cependant, à une époque où les deux embryons avaient déjà une individualité formée, quoiqu’ils n’eussent chacun qu’une taille d’un demi-pouce. Il n’y a donc point confusion de viscères, et la séparation chirurgicale aurait toute chance de réussir. Le mémoire qui avait valu à Coste et à Delpech la médaille d’or de l’Académie des sciences fut augmenté des recherches ultérieures du jeune savant, et publié chez Jean-Baptiste Baillière, sous le titre de Recherches sur la génération des mammifères et sur la formation des embryons.
Coste y expose complètement sa grande découverte, qui consiste dans la formation de l’œuf par l’organe femelle, et par sa fécondation à l’aide des produits de l’organe mâle au-devant desquels il semble lui-même se rendre.
Le succès de cet ouvrage détermina la nomination de Coste à la suppléance de Blainville, dans la chaire d’anatomie comparée au Muséum. Il tint le cours pendant les années 1836 et 1837, avec un succès qui détermina M. Guizot à créer pour l’auteur, désormais célèbre, une chaire d’embryologie comparée au Collège de France.
C’est surtout dans les laboratoires du Collège de France que la réputation de Coste s’épanouit. Son Aquarium devint une des curiosités non seulement du bel établissement de la place Cambrai, mais de Paris même. Une des premières découvertes qu’il y fit obtint un retentissement immense, c’est là qu’il révéla au monde nouveau les mœurs singulières de l’épinoche que ni les pêcheurs ni les poètes n’avaient jamais soupçonnées. Il décrivit ce petit habitant des eaux limpides avec une naïveté et un style émouvant qu’on rencontre rarement dans les Mémoires de l’Académie des sciences.
Les planches qui accompagnent ce charmant travail sont dessinées et coloriées avec soin. Elles montrent toutes les phases de ce drame de la vie intime d’animaux qu’on croyait dépourvus de toute intelligence.
Les poissons réhabilités se montrèrent sous un jour nouveau et vrai ; on s’intéressa, on se passionna même pour les péripéties de cette lutte de l’amour paternel contre des ennemis innombrables. Car l’industrieux mâle ne se borne point à construire son nid avec un art admirable ; il n’a pas seulement le talent d’attirer la femelle inconstante, sous le toit qu’il lui a si laborieusement préparé ! c’est lui qui défend les œufs avec un véritable héroïsme pendant tout le temps de la maturation, et qui agite l’eau autour de ces objets si chers afin d’éviter que des byssus ne s’y développent et ne les empêchent d’éclore.