Couleur du temps (LeNormand)/Paroles vives

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Édition du Devoir (p. 122-123).

Paroles vives


Les paroles vives frappent ainsi que des cailloux pointus lancés sur la chair tendre : elles égratignent le cœur. Elles s’échappent à propos d’un mécontentement, d’un ennui, parce que, les nerfs fatigués ou tendus, nous n’avons pas la force de les retenir. Elles n’expriment la plupart du temps qu’un simple accès de mauvaise humeur, mais les paroles vives ne se surmontent pas. On dirait qu’elles naissent d’une langue de vipère qui n’est pas à nous ; parfois, folles et pressées, elles se multiplient et taillent de petites plaies sur les amitiés.

Aussitôt qu’elles ont pris leur vol, nous les regrettons. Nous voudrions les rattraper. Elles ont révélé des sentiments que nous n’éprouvons pas. La vilaine colère les a poussées de nos lèvres dans l’air sans que le cœur ait pu dire son mot. Il est bon, notre cœur, mais l’impatience un moment a crié si fort qu’elle l’a étouffé.

Le remords suit immédiatement les paroles vives et une impression lourde de tristesse s’abat sur nous, ainsi qu’après une offense irréparable. Nous nous sentons méchants, honteux, nous nous en voulons. À la prochaine occasion cependant, à la prochaine fatigue qui rendra nos nerfs trop sensibles, nous nous laisserons aller de nouveau à d’autres répliques brusques, et peut-être même mordantes et acérées.

Ah ! si pour l’amour du bon Dieu, pour l’amour de l’harmonie, pour l’amour de la belle douceur, nous savions donc, dans nos désappointements et nos ennuis, garder le silence d’or ! Si nous savions refouler en nous nos mauvaisetés. Que de petites scènes douloureuses qui enlaidissent la vie et chagrinent les cœurs, nous éviterions ainsi. À quoi bon les reproches, à quoi bon l’amertume exprimée, à quoi bon les paroles de colère qui font jaillir les réparties agressives, et qui sont comme des feux dommageables que l’on allumerait coupablement, pour ne pas s’être donné la peine d’éteindre une dangereuse allumette ?

Renfermons en nous la flamme méchante. Elle finira par mourir ou par s’habituer à passer sans éclat.