Coupe géologique à travers les Pyrénées

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COUPE GÉOLOGIQUE
à travers les pyrénées.

Les Pyrénées, que l’on avait considérées jusqu’ici comme une chaîne de montagne anormale, au point de vue de la composition géologique, offrent un intérêt tellement grand, depuis qu’elles ont été si bien étudiées par les savants modernes, qu’il m’a paru opportun et utile de publier une coupe montrant la constitution intime de notre grand massif de montagnes du midi de la France, et de rectifier certaines erreurs géologiques, assez importantes, commises à son sujet.

Deux géologues avaient annoncé depuis plusieurs années, et l’un d’eux le professe encore dans son cours à Toulouse, que les terrains concourant à former les Pyrénées, ne présentaient pas de suite complète, et que plusieurs niveaux géologiques manquaient dans la série des couches redressées et disloquées de cette chaîne de montagnes. Les études entreprises depuis une douzaine d’années, surtout par MM. Collomb, Coquand, Frossard, Hébert, E. Lartet, H. Magnan, Ch. Martins, L. Martin, Noulet, etc., et moi-même, sont venu renverser les vues simplement théoriques des rares géologues auxquels j’ai fait allusion. C’est ainsi que les recherches des savants que je viens de nommer ont eu pour résultat de prouver :

1° Que les granites pyrénéens, loin d’être tous éruptifs, sont souvent très-bien stratifiés et alternent avec des calcaires, des schistes ardoisiers, des micaschistes, des gneiss, des amphibolites, etc. Cet ensemble forme un niveau de roches de dépôt, connu sous le nom de terrains cumbrien et laurentien, et occupe la base de toutes les autres formations. (F. Garrigou, H. Maguau, L. Martin *[1].)

2° Que les roches dioritiques et amphiboliques, appelées ophites, dans les Pyrénées, ne sont pas toujours des roches éruptives, ignées. Bien souvent, en effet, les passages insensibles de ces roches aux calcaires et aux schistes argileux environnants permettent de les considérer comme des productions spéciales, faisant corps avec les couches qui les supportent ou qui les recouvrent, ayant la même provenance physique et mécanique, mais s’étant produites dans des milieux aqueux de composition chimique différente. (F. Garrigou, H. Magnan, Virlet d’Aoust *.)

3° Que les principaux gîtes ferrifères des Pyrénées (Vic-de-Sos et Ferrières) appartiennent au terrain dévonien, de même que les grands gisements de marbres rouges et verts, et que le terrain laurentien contient également des mines de fer exploitables et exploitées. (Puy-Morens, F. Garrigou. *)

4° Que le calcaire carbonifère et le terrain houiller, de même que les terrains permiens et triasiques existent dans les Pyrénées (Nérée Boubée, Coquand, Frossard, Garrigou, Geuraud, H Magnan, L. Martin *.)

5° Que la série du terrain crétacé inférieur est complète et qu’elle s’arrête au terrain cénomanien, exclusivement. (Hébert, H. Magnan.)

6° Que des glaciers immenses ont laissé dans notre chaîne de montagne, et à diverses époques, des traces irrécusables de leur existence. (Collomb et Ch. Martins, F. Garrigou, Jeanbernat, H Magnan, de Nansouty *.)

7° Que la présence de l’homme dans les Pyrénées date de temps bien reculés, puisque la faune a eu le temps de se renouveler au moins deux fois, dans nos régions, depuis le moment où l’homme a habité les cavernes. (Alzieu, Cartailhac, de Chasteignier, A. Fontan, Frossard, Filhol, F. Garrigou, E. Lartet, L. Martin, A. Milne-Edwards, de Nansouty, Noulet, Piette, Philippe, F. Regnault, Rames, Trutat.)

8° L’homme a également habité les lacs pyrénéens, comme il le faisait en Suisse, dans les temps préhistoriques. (F. Garrigou)*.

Coupe géologique à travers les Pyrénées.

Le diagramme représenté dans la figure ci-jointe donne une idée des terrains constituant les Pyrénées. Le terrain permien seul n’est pas représenté dans cette portion de la chaîne ; on ne le retrouve, surtout, que dans la partie occidentale. Le trias existe tout près de Foix ; mais comme la coupe que je décris ne passe pas exactement sur ce point et l’exactitude la plus rigoureuse étant la règle que je me suis imposée dans mes descriptions, je ne fais qu’indiquer le trias près de Foix, sans le représenter théoriquement sous le terrain jurassique (lias) de Saint-Sauveur.

En remontant de Pamiers vers Foix, Tarascon et Vic-de-Sos, nous trouvons :

1° Les dépôts alluviens les plus récents de notre époque, sur lesquels est bâtie, en partie, la ville de Pamiers. Des terrasses de ces mêmes dépôts échelonnées en escalier et qu’il m’a été impossible de représenter ici à cause des dimensions trop restreintes de la coupe, donnent par leur superposition leur âge respectif, les plus élevées au-dessus du fond de la vallée étant les plus anciennes. (Alluvions quaternaires.)

2° Une formation argilo-marneuse M, avec alternances de calcaires grossiers et de cailloux roulés quartzeux, généralement peu volumineux à mesure que l’on l’éloigne de la montagne. Cette formation renferme des fossiles (ruminants, rongeurs, carnassiers) que j’ai recueillis aux environs de Pamiers et de Saverdun. Ils ne sont pas encore décrits, mais ils appartiennent aux terrains tertiaires (miocènes).

La partie supérieure de cet étage miocène a été enlevée inégalement sur plusieurs points par des courants d’eau considérables, dont l’existence peut être rapportée à une période géologique postérieure à l’époque miocène et antérieure à l’époque quaternaire. Ce serait donc là un effet produit par des cours d’eau pliocènes, qui, du reste, ont déposé leurs alluvions et leur lœss. Ceux-ci se retrouvent souvent en place dans ces sortes de vallées occupant le sommet des plateaux supérieurs dans les plaines du bassin sous-pyrénéen.

3° Un dépôt glaciaire énorme, atteignant une épaisseur de plusieurs centaines de mètres, et formant la moraine frontale d’un glacier antérieur à l’époque des dépôts stratifiés miocènes, puisque ces dépôts fossilifères reposent sur cette moraine. D. G. — Cette formation, qui est postérieure au soulèvement dit des Pyrénées, a été elle-même disloquée et brisée par un accident géologique plus récent, dont l’effet s’est fait sentir d’une manière très-sensible sur quelques points spéciaux dans le bassin sous-pyrénéen.

4° Une formation E, composée d’alternances de calcaires gréseux et de poudingues généralement calcaréo-siliceux avec fossiles d’eau douce. C’est là l’eocène proprement dit. Il est relevé à 45° et plonge vers le nord.

5° Des grès à nummulites, des marnes plus ou moins compactes à turritelles, des calcaires à milliolites (foraminifères), qui forment dans leur ensemble le terrain nummulitique N, redressé comme le précédent à 45°, et plongeant au nord, comme lui.

6° Un calcaire compact reposant sur des marnes rouges avec lesquelles il alterne quelquefois, en formant un terrain spécial, avec fossiles d’eaux douces (l’abbé Pouech), et sur d’autres points dans la Haute-Garonne et dans l’Ariège, avec fossiles marins (Leymerie). C’est à M. Leymerie qu’est due la découverte de ce terrain auquel il a donné le nom de Garumnien, G. Depuis lors, divers géologues ont signalé ce même niveau géologique dans le bas Languedoc et en Provence. Je l’ai retrouvé moi-même sur la côte nord du golfe de Gênes, en allant de Nice vers Menton, Vintimille, etc. C’est dans un calcaire appartenant à cet étage que sont creusées les grottes de Menton. L’inclinaison et le plongement de ce terrain sont les mêmes que pour les étages précédents.

7° À la suite apparaissent : 1° des calcaires jaunâtres, auxquels succèdent : 2° des grès contenant des lits de lignite, et plus loin 3° des grès fossilifères (hippurites, caprines, cyclolithes, etc.) alternant avec des couches argileuses qui reposent sur un énorme conglomérat formant la base de tout cet ensemble. Les deux membres supérieurs de ce terrain sont rapportés, grâce à leurs fossiles (ostrea vesicularis, etc., ananchites ovala, etc.) à la craie de Maestricht et à l’étage sénonien C3. — Les deux membres inférieurs constituent également, grâce à leurs fossiles, le terrain turonien et le cénomanien. C2. — Le plongement de ces terrains se fait au nord.

8° Après avoir traversé la petite plaine de Vernajoul, — dont une moraine plus récente que la moraine D. G. cache les terrains C2, — on arrive au pied d’un grand monticule calcaire, appelé le pic de Saint-Sauveur, constitué par le terrain crétacé inférieur C1, calcaire lithographique avec fossiles (nérinées, belemnites, ammonites, terebratula sella, cidaris Pyrenaica, etc.), et par le terrain Jurassique J. (ammonites radians, belemnites sulcatus, terebratula perovalis, etc.). Le trias T. est visible très-près, de ce point. Le terrain Jurassique commençant par une brèche calcaire énorme repose sur le trias. Cet ensemble forme une sorte de voûte brisée vers le nord, ainsi que le représente la coupe.

9° Une faille fait apparaître brusquement le granite au sud du pic Saint-Sauveur et de la ville de Foix. Le granit se poursuit jusqu’à Tarascon, et partout on trouve, à Ferrières, à Amplaing, à Mercus, à Bonpas, etc., des roches stratifiées (calcaires, schistes et micaschistes), alternant avec le granité. Il faut ranger cet ensemble dans le terrain Laurentien avec fossiles (Eozoon Canadense, trouvée à Mercus). — À Bonpas, l’on rencontre une nouvelle moraine plus récente que les précédentes.

10° À Tarascon, apparaissent les terrains de transition S. D. fossilifères (ortis, orthocères, etc.), surmontés par des gypses et des ophites au-dessus de Quié, O. — Le calcaire crétacé inférieur fossilifère repose sur cet ensemble et renferme des grottes supérieures G1, habitées par l’homme à l’époque de l’ours, et des grottes inférieures G2, habitées par l’homme à l’époque du renne (pierre taillée), et aussi pendant les âges préhistoriques de la pierre polie, du bronze et du fer (vallée de Niaux).

11° Le terrain Laurentien apparaît de nouveau jusqu’au village de Cabre (près Vic-de-Sos).

12° Une faille a mis en ce point en contact le granite avec toute la série inférieure des terrains, et ceux-ci, par suite de ce grand accident stratigraphique, se trouvent complètement renversés. On trouve à la base, en effet, un niveau de calcaires marmoréens blancs, avec dipires, couzeranite, amphibole, etc., semblables au calcaire carbonifère et à fossiles de Gabas, d’Ossau et d’Aspe. En remontant, l’on rencontre les calcaires dévoniens avec minerai de fer (Rancié), puis le silurien supérieur et inférieur avec ardoises, puis enfin les granites laurentiens. Sur cet ensemble repose à Sem un lambeau de terrain jurrassique (lias).

On le voit donc, en remontant la vallée de l’Ariège, on trouve la série complète de tous les terrains.

Dr  F. Garrigou.


  1. J’ai marqué d’un astérisque (*) les faits les plus nouveaux.