Coups de clairon/Paul Henry/Le Corps du Héros
LE CORPS DU HÉROS
Du Grand Large ou du Ménez-Bré,
D’où que tu souffles, Vent de Gloire,
Chante un Te Deum de Victoire
Et non plus un Miserere !
Et toi, fier Soleil, Astre-Roi,
Voile modestement ta flamme
Car il plane sur nous une Âme
Plus éblouissante que toi !
Entr’ouvre-toi, Terre d’Armor,
Puis referme ton drap de mousse,
Et fais-toi maternelle et douce
Pour recevoir le Héros mort ;
Car voici qu’un rapide esquif
Ayant tous nos cœurs à la traîne
T’a, dans les flancs de sa carène,
Rapporté ton fils adoptif !
Il s’était embarqué, joyeux,
Pour des croisières triomphales,
Cap sur les Mers orientales
Et les Pays mystérieux ;
Il avait, d’un cœur valeureux,
Quand sonna l’heure de combattre,
Réclamé l’honneur de se battre
Au poste le plus dangereux :
Il avait maintenu, luttant
Un contre mille et plus encore,
Notre pavillon tricolore
Sur les remparts du Peï-Tang !
Puis, mourant du Rêve si beau
Qu’il caressa toute sa vie,
Il tomba pour Dieu, la Patrie,
Vengeant la Croix et le Drapeau !
Il revient par ce jour d’été,
Kergresq, au rendez-vous suprême,
Mort sans doute, mais vivant quand même,
Debout dans l’Immortalité !
Dans tes rudes bras de granit
Ne le serre pas trop, falaise,
Pour qu’il puisse s’étendre à l’aise
Au pied du vieux clocher bénit !
Vents et Flots, de vos grandes Voix
Chantez-lui les belles Berceuses,
Les Cantilènes enjôleuses
Qui l’ensorcelaient autrefois !
Et toi, Glèbe au sein tout-puissant
Dans lequel il faut qu’il renaisse,
Imprègne-toi de sa Jeunesse,
De son cœur aspire le sang
Afin — quand le jour aura lui
De nos futures Épopées —
Qu’il germe une moisson d’Épées
De ton sol fécondé par lui !