Coups de clairon/Un Sauvetage
UN SAUVETAGE
à son ouvrage sur les Stations de Sauvetage.
« Ohé ! les gâs ! Hardi ! Courage !
Paraît qu’un brick est en péril ;
C’est encor là du bel ouvrage,
Au sale équinoxe d’Avril !
Allons, debout, toute la bande !
Il faut sortir notre canot,
Si petit sur la Mé si grande
Mais que Dieu bénit de là-haut !
À présent, comptez-vous, les hommes :
Dix ! vingt !! trente !!! pourquoi pas plus ?
Quatre suffiront, car nous sommes
Des gâs d’attaque et des poilus !
Allons, ne pleure pas, du mousse !
Grandis et nous t’emmènerons !
Nous sommes parés ? Va bien ! Pousse !
Et souquez dur aux avirons !
Le brick est loin, faut qu’on l’atteigne !
Hardi ! souquez dur, les enfants !
Tant pis tant mieux si la main saigne :
Plus besoin de cracher dedans !
Fameux temps pour rincer les voiles !
Fameux temps pour laver les ponts !
L’embrun nous perce jusqu’aux moelles,
On tremble ainsi que des capons…
Mais ça n’est qu’à fleur de carcasse :
Les cœurs sont chauds sous les cirés !…
Bon ! voici leur grand mât qui casse !
J’arrivons, les gâs ! Espérez !
Ils ont talonné de l’arrière…
Que bruit : on dirait du canon !
Vite, lançons-leur une aussière :
Leur bateau coule, nom d’un nom
Raté !… Laissons virer la barque,
Nous aurons le vent sur tribord…
Victoire ! Ohé ! du gâs, embarque !
Le mousse et les femmes d’abord !
On est au complet ? Bonne affaire,
C’est que Sainte-Anne est avec nous !
Et maintenant, cap sur la terre !
Nage au plus près, gare aux remous !
La Mé grogne et menace et pleure,
On connaît ses mauvaisetés :
Elle comprend ben qu’à cette heure
Les naufragés sont sauvetés ;
Elle en écume, toute blanche,
Et doit se dire : « Un de ces jours
Sur vous je prendrai ma revanche :
On ne me nargue pas toujours ! »
On dirait d’une femme soûle
Qui bave en hurlant son défi…
Assez, donc, la Mé ! tais ta goule,
T’es roulée aujourd’hui, suffit !
Honte à toi !… Pour nous, double joie !
— Nos cœurs en sont aises, faut voir, —
Car nous t’avons volé ta proie
Et fait, tertous, notre Devoir ! »