Cours d’économie industrielle/1837/13

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TREIZIÈME LEÇON.


Séance du 16 janvier 1838.


QUESTION DE LA MONNAIE BELGE (FIN). AGRICULTURE.


Sommaire : Rappel des faits qui ont amené la discussion avec M. de Brouckère. — Discussion. — Conclusion.
Agriculture. Position spéciale de l’agriculture. — Ses besoins. — Qu’a-t-on fait pour elle ? Rien. — Ses représentants ne se sont servis du pouvoir que pour eux, et ils en ont fait un mauvais usage.
Des routes et de l’instruction par rapport à l’agriculture.
Tout ce que l’on fera pour cette branche de la production, réagira sur les deux autres.


Messieurs,


Je reviendrai ce soir sur le projet de loi relatif à la fabrication d’une nouvelle monnaie d’or en Belgique, pour répondre aux différentes attaques qui ont été dirigées contre moi au sujet de l’opinion que j’ai émise sur cette question, dans notre neuvième Leçon, du 26 décembre dernier (Voir pages 189 à 192).

Si j’ai tardé aussi long-temps à terminer ce débat, ce n’est pas, Messieurs, que j’aie reculé devant l’obligation d’endosser la responsabilité de mes paroles j’ai voulu seulement laisser au temps le soin d’éclairer la question et d’apaiser les colères que j’avais soulevées.

Des arguments de mes adversaires il faut faire deux parts ; la première comprendra les observations désobligeantes qui m’ont été adressées et auxquelles je ne veux pas répondre ; dans la seconde se rangent les objections sérieuses qui m’ont été faites et que je me propose d’examiner, pour les admettre si elles sont fondées, et les combattre si elles ne me semblent pas justes. Ne considérant cette discussion comme toutes celles qui pourraient s’élever par la suite, au sujet des matières traitées par moi dans ce cours, que sous le rapport scientifique, je n’éprouverai jamais aucune hésitation à reconnaître les erreurs dans lesquelles je pourrais tomber, comme aussi je soutiendrai toujours envers et contre tous l’intégralité des principes que je considère comme les seuls vrais. Dans les questions de cette nature, l’amour-propre de l’homme doit disparaître complètement, pour ne laisser à sa place que l’amour de la science et de la vérité, qui doit seul animer un professeur je m’efforcerai toujours de suivre ce précepte, et d’en faire la règle de ma conduite.

Comme l’origine du débat remonte déjà à plusieurs semaines, je vous rappellerai les faits et les termes qui lui ont donné lieu, avant d’entrer plus avant dans la discussion.

Examinant dans quelques-unes de nos précédentes leçons la question des monnaies, j’eus occasion de vous signaler les effets désastreux des altérations commises à différentes époques par plusieurs gouvernements ; et je m’étonnai qu’une administration aussi éclairée que celle de la Belgique pût songer à renouveler au 19me siècle les déplorables falsifications de monnaies des âges précédents.

Ce pays, séparé violemment de la Hollande en 1830, se trouva à cette époque sans monnaie nationale et fut obligé de se servir des monnaies étrangères ; empruntant plus particulièrement à la France ses pièces d’argent, et à la Hollande ses pièces d’or. Ce fut pour sortir de cette position qu’une loi fut présentée aux chambres en 1832, pour donner à la Belgique une monnaie spéciale. Cette loi, votée le 5 juin 1832, portait qu’il serait frappé à la monnaie de Bruxelles des pièces à l’effigie du roi Léopold, fabriquées d’après le système monétaire français. La partie de la loi concernant les monnaies d’argent reçut bientôt son exécution, celle qui statuait à l’égard des pièces d’or, resta seule suspendue, ce que j’ignorais et ce qui fut de ma part la cause d’une erreur dont je vous parlerai tout à l’heure.

Aujourd’hui une nouvelle loi étant proposée à la chambre des représentants et au sénat, et cette loi brisant, quant aux pièces d’or, l’unité de système décimal français adopté pour les pièces d’argent, je me suis permis de l’attaquer en terminant notre 9me leçon.

Voici probablement quel a été le mobile qui a fait agir le gouvernement belge :

Sur le point d’exécuter les pièces d’or au poids et au titre des pièces françaises, on observa qu’il existait toujours entre la valeur de l’argent et de l’or, une différence en faveur de ce dernier, qui était tantôt de 10 et tantôt de 12, 14 et même 15 francs par mille ; ce qui retirait la monnaie d’or de la circulation pour la faire affluer dans la boutique des changeurs. Ce fut pour anéantir cet agio, ou plutôt pour en faire profiter le trésor, que le gouvernement suspendit l’exécution de la loi de 1832, et qu’il vient aujourd’hui demander l’autorisation de réduire le poids de chaque pièce d’or qu’il s’agit de fabriquer, d’une quantité égale à la valeur de l’agio.

Puisque, s’est-il dit sans doute, une pièce d’or vaut quatre pièces de 5 francs plus quelques centimes ; pourquoi la donnerais-je pour 4 pièces de 5 francs seulement ? — n’est-il pas plus juste que je ne livre au public qu’une valeur égale à celle que j’en reçois ? Si en effet, outre sa valeur intrinsèque, l’or emprunte à quelques circonstances extérieures une valeur conventionnelle, pourquoi n’en profiterais-je pas ? L’affaiblissement de la monnaie d’or est donc pour moi un droit, dont l’exercice me procurera des bénéfices importants, et aura de plus l’avantage de replacer dans la circulation une espèce de monnaie qui y est soustraite aujourd’hui :

Telles furent, sans doute, les raisons qui motivèrent le projet de loi dont je vous ai entretenu, et que j’ai vivement critiqué, parce que si les observations faites par les financiers belges sont exactes, les déductions qu’ils en ont tirées me semblent fausses.

Sans doute l’or disparait de la circulation et se réfugie chez les changeurs ; mais pour quelles causes ? Parce que les billets de crédit des banques et des particuliers servent à faire les paiements qui se soldaient autrefois en or ; et que celui-ci n’est plus recherché que par les voyageurs, les militaires, etc., qui le trouvent chez les marchands changeurs.

Sans doute l’or monnayé jouit d’une prime ou agio ; mais cette prime varie suivant les besoins ; c’est à dire qu’elle augmente parce que l’or est plus recherché toutes les fois qu’une crise commerciale ou financière altère le crédit et déprécie les billets des banques ; ou qu’une guerre extérieure envoie au dehors un plus grand nombre de soldats et d’employés des administrations et des armées, dont les services se paient en monnaie d’or, beaucoup plus facile à transporter que l’argent et qui a cours partout.

La prime diminue au contraire lorsque la paix rétablit les communications, et que la prospérité fait renaître la confiance qui met le papier-monnaie au pair de la monnaie métallique.

Les circonstances qui influent ainsi sur le rapport de l’or à l’argent, et sur la prime dont jouit le premier, étant, comme nous venons de le voir, essentiellement variables, il en résulte naturellement qu’il est impossible, même à une loi, de rétablir l’équilibre et de faire disparaître la prime.

Une réduction sur le poids des pièces d’or égale à 13 francs pour mille, taux actuel de l’agio, mettrait bien aujourd’hui l’or au pair de l’argent ; mais que demain une guerre éclate entre la Hollande et la Belgique, et tous ceux qui voudront cacher leurs capitaux ou les emporter au loin ; ceux qui suivront les armées et l’administration elle-même pour le service de la solde, des vivres, etc. ; tous ceux en un mot qui auront besoin d’or, consentiront à payer une prime de 1 ou 2 francs et même plus, pour changer leur argent contre des pièces de 20 ou de 25 francs, bien que celles-ci ne vaillent plus réellement cette somme. Faudra-il alors faire, comme on le propose aujourd’hui, une nouvelle loi et une refonte de la monnaie d’or, pour diminuer les pièces déjà réduites, de la valeur de la nouvelle prime ?

Supposez au contraire, ce qui est plus probable, que les progrès de l’industrie et du commerce, affermissant chaque jour davantage la paix, fassent descendre le crédit dans toutes les relations d’affaires, et doublent, décuplent même, ce qui n’est pas impossible, la circulation des billets, et vous verrez, dans ce cas, l’or devenir chaque jour plus inutile, les avares et les voyageurs seuls le rechercheront encore, et comme la demande se trouvera ainsi de beaucoup diminuée, la prime de l’or baissera dans la même proportion. Dans cette seconde hypothèse comme dans celle qui précède, faudra-t-il faire une loi monétaire et une refonte des pièces d’or, non pas cette fois pour diminuer le poids des pièces, mais bien pour y ajouter tout ce que la prime aura perdu ?

Telle est cependant la position dans laquelle on se place en voulant établir officiellement un rapport exact entre l’or et l’argent ; comme ce rapport change tous les jours, il faudra que la loi change avec lui, à moins que le premier ne soit rendu obligatoire, ce qui est impossible ; de telle sorte que la loi deviendra inutile si elle change, et vexatoire si elle demeure immuable.

Je m’étonne que le gouvernement belge qui a conçu la pensée d’établir ainsi de nos jours, non pas un maximum, mais un prix fixe pour une marchandise comme la monnaie ; n’ait pas demandé en même temps aux chambres de fixer par un tarif le prix légal des autres marchandises, avec défense de vendre meilleur marché ou d’acheter plus cher. Cette prétention n’eût pas été plus exorbitante que celle qu’il élève à propos de la monnaie.

Ayant chiffré, dans ma neuvième leçon, la réduction dont le gouvernement belge menaçait les pièces d’or, à 13 % ou 1,3 %, le journal (l’Europe Industrielle,) qui donne de mes leçons l’analyse la plus complète, mais à la rédaction duquel je suis complètement étranger, imprima par erreur 10 pour cent.

C’est l’article de ce journal qui, reproduit par les journaux belges avec l’erreur que je viens de signaler, a soulevé la polémique dont j’ai à vous entretenir aujourd’hui.

Ayant trouvé en Belgique des économistes partisans des doctrines que je professe et des adversaires pour les combattre, il en est arrivé que j’ai reçu des premiers des éloges trop bienveillants peut-être, et des seconds quelques raisonnements mêlés à de violentes attaques personnelles.

Un journal semi-officiel, (l’Indépendant,) qui, en cette qualité, a une certaine importance, basa toute la critique qu’il fit de mon opinion, sur l’erreur typographique dont je viens de vous parler, et sur l’ignorance, bien facile à comprendre, dans laquelle j’étais resté, de la non-exécution de la partie de la loi de 1832 concernant la monnaie d’or. Un autre de mes adversaires, M. de Brouckère, a publié également différentes lettres, insérées dans les journaux belges, et motivés, comme l’article du journal ministériel l’Indépendant, sur l’erreur d’impression et la circonstance de non-exécution de la loi de 1832.

Déjà j’ai répondu directement à l’article de l’Indépendant[1] ; je vais, pour terminer enfin cette discussion, examiner rapidement les principales objections présentées par M. de Brouckère dans sa dernière lettre, adressée au journal le Commerce Belge, qui avait reproduit ma leçon en donnant une complète approbation aux opinions qu’elle l’enfermait, et dont voici les passages importants.

« Je suis invité à m’en rapporter à la seconde partie (de la lettre de M. Blanqui, reproduite à la fin de cette leçon, et qui répondait à la fois aux critiques de l’Indépendant et aux observations de M. de Brouckère). Pour y répondre, je n’éprouve qu’une difficulté, c’est celle de préciser où elle commence.

« Est-ce à l’explication de ce que la Belgique a fait en adoptant la loi monétaire de 1832 ? Mais j’étais député à cette époque, et je ne pense pas qu’on ait besoin de m’apprendre ce que j’ai fait.

« Est-ce à la citation des savants auteurs du système monétaire français ? Je ne puis le croire davantage ; car on a puisé, nous dit-on, à des sources authentiques ; et la seule qui existe est l’exposé des motifs du projet de loi.

« Dans cet exposé, on lit qu’un membre de la commission, et ce membre c’est moi, à propos du changement de valeur nominale attribuée aux pièces d’or, a dit : « Plutôt que d’adopter les mesures proposées, et n’obtenir qu’une monnaie spéciale à la Belgique en dehors du système décimal, il était préférable de laisser la pièce d’or ce qu’elle est dans la loi, sauf à changer la dénomination de 20 francs, ou l’effigie, en l’expression du poids et du titre[2], et de laisser au gouvernement le soin de fixer tous les ans, ou tous les six mois, la valeur à laquelle l’or serait pris au trésor, d’après les prix du marché ; que ce système rationnel était conforme aux sains principes, et qu’il nous éviterait, les refontes de monnaie, les variations soit de poids, soit de titre, et laisserait subsister l’harmonie des lois monétaires qui ont le franc pour base. »

» Est-ce enfin au paragraphe où l’on a la générosité de nous croire encore assez ignorants pour caresser les illusions de la balance du commerce qu’on me renvoie ? mais la citation qui précède suffit pour repousser cette pensée.

» Que reste-t-il donc pour moi, Monsieur, dans la lettre que vous reproduisez : rien.

» Soyons de bonne foi ; les premiers arguments avaient été puisés à des sources apocryphes, et ceux qu’on produit pour ne pas les rétracter reposent sur une supposition erronée.

» On suppose de nouveau que nous avons un système monétaire, tandis que nous n’avons qu’une loi qui n’a pas été mise à exécution pour ce qui concerne la monnaie d’or.

» Nous, Belges, nous sommes aujourd’hui dans la même position que celle où se trouvait la France il y a quarante ans ; nous nous trouvons même dans une condition plus libre ; car nous n’avons rien à démonétiser ; nous sommes sans antécédents qui nous gênent, sans préoccupation du passé.

» Dans une pareille situation, et précisément parce que nous n’avons qu’un étalon monétaire, que cet étalon est l’argent, parce que l’or est marchandise, nous devons établir le rapport légal d’après la moyenne des prix du marché. Or, c’est ce que nous avons fait ; on l’avoue en ne répondant point à la seule condition sérieuse de la question. On avait d’abord prétendu que la hausse de l’or était momentanée ; j’ai hasardé de repousser cette idée et l’on n’y revient plus ; cependant toute la difficulté est là. Qu’on nous prouve que l’or doit revenir à la valeur qu’il avait il y a quarante ans, que le rapport de 1 à 15 1/2 approche plus de la réalité actuelle que celui de 1 à 15 3/4, et je me donne pour battu ; car je suis d’accord sur les principes, je ne conteste que leur application. »

Du moment où M. de Bouckère veut bien convenir qu’il est d’accord avec nous sur les principes, les différences d’application deviennent presque insignifiantes. Il résulte en effet de la lettre qui précède que l’honorable directeur de la banque de Bruxelles veut, comme moi, qu’on laisse subsister l’harmonie des lois monétaires qui ont le franc pour base ; comme moi, il veut éviter les refontes de monnaie, les variations soit de poids, soit de titre ; comme moi, il repousse les propositions de la loi dont il s’agit, et qui tendent à n’obtenir qu’une monnaie spéciale à la Belgique, en dehors du système décimal ; il trouve enfin qu’il est préférable de laisser la pièce d’or ce qu’elle est dans la loi, sauf à changer la dénomination de 20 francs ou l’effigie, en l’expression du poids et du titre, et de laisser au gouvernement le soin de fixer tous les six mois, la valeur à laquelle l’or serait pris au trésor, d’après le prix du marché.

Que reste-t-il donc maintenant entre M. de Brouckère et moi ? Rien, puisque d’une part le reproche d’ignorance que j’adresse aux auteurs du projet, qui caressent encore les illusions de la balance du commerce, ne s’adresse pas à cet économiste qui repousse lui-même le projet et ses erreurs ; et que de l’autre je reconnais l’inexactitude des renseignements qui m’avaient fait croire à l’existence d’un système monétaire complet, tandis qu’il n’y a qu’une loi qui n’a pas été mise à exécution pour ce qui concerne la monnaie d’or.

Quant aux principes, donc, nous sommes parfaitement d’accord, ainsi que le déclare M. de Brouckère, et si nous différons encore sur leur application, je crois que cela tient uniquement à ce que mon adversaire ne s’est pas conformé assez rigoureusement aux règles qu’il a lui-même reconnues et acceptées. Je vois en effet qu’après avoir défendu, dans la commission qui a élaboré la loi de 1832, la cause des bons principes, il s’en écarte aujourd’hui en disant dans la seconde partie de sa lettre que c’est pour les Belges un droit et un devoir d’établir le rapport légal de l’or à l’argent, d’après la moyenne des prix du marché. Du moment où il admet que l’or est une marchandise qui se cote au marché suivant les offres et les besoins, il ne doit pas pouvoir soutenir que le rapport de l’or est invariablement fixé à 15¾ pour 1, et qu’il est logique qu’une loi arrête officiellement cette proportion.

C’est donc bien à tort, suivant moi, que M. de Brouckère nous met au défi en disant : qu’on nous prouve que l’or doit revenir à la valeur qu’il avait il y a quarante ans ; car la question n’est pas de savoir si ce chiffre peut ou doit être atteint de nouveau, mais bien si la valeur de l’or peut être immuablement fixée par une loi, ou si elle est susceptible d’éprouver des modifications. Dans ce dernier cas, dont on admet la possibilité en se servant de l’expression moyenne des prix du marché, qui suppose l’existence de plusieurs prix, une loi devient, comme je le disais tout à l’heure, à la fois impossible, puisque le rapport qu’il s’agit de fixer est variable ; et inutile, puisque le prix qu’elle établirait ne serait pas adopté par le commerce qui en fait de valeur de marchandise, ne connaît d’autre tarif que celui des besoins et des offres.

Il est probable que la contradiction flagrante qui existe comme vous venez de le voir, entre l’opinion de M. de Brouckère en 1832, et celle qu’il semble vouloir défendre dans la dernière partie de sa lettre, n’est que le résultat d’une mauvaise rédaction ; car je ne puis admettre qu’un esprit aussi logique et aussi droit que le sien soutienne à la fois :

1° Que plutôt que d’adopter les mesures proposées afin de donner une monnaie spéciale à la Belgique en dehors du système décimal, il est préférable de laisser la pièce d’or ce qu’elle est dans la loi, et de laisser au gouvernement le soin de fixer tous les ans ou tous les six mois, la valeur à laquelle l’or serait pris au trésor, d’après le prix du marché ;

Et 2° que la Belgique doit établir le rapport légal, etc, et faire confectionner des pièces d’or d’après ce rapport.

Cette partie, la seule importante de la discussion, se trouvant ainsi terminée, je ne m’étendrai pas sur les inconvénients que je vous ai déjà signales comme devant résulter du nouveau mode de coupure par pièces de 25, 50 et 100 fr. Les premières, ai-je dit, rompront l’unité du système décimal, ce magnifique monument du génie français, dont l’admirable simplicité et les précieux résultats sont reconnus et cités par les savants de tous les pays ; quant aux pièces de 100 fr., elles vont directement contre le but que l’on s’était proposé de faire servir les monnaies d’or à la circulation ; car elles seront recherchées plus que les autres par les avares et les enfouisseurs, ce qui rendra improductif un capital assez considérable.

Comment le gouvernement belge n’a-t-il pas prévu ce résultat ? comment surtout n’a-t-il pas reculé devant la crainte d’altérer par son projet les rapports intimes qui unissent ce pays à la France ? Trop d’entraves ne s’opposent-elles pas déjà à ce que les peuples communiquent facilement entr’eux ? Pourquoi en créer là où il n’y en a pas, et surtout entre deux peuples que tant d’intérêts rapprochent, que tant de liens unissent ? Il y a dans cette question de finance intérieure, et qui semble spéciale à la Belgique une question de haute politique à laquelle on n’a peut-être pas assez songé, et qui devrait suffire pour faire rejeter le projet de loi.

Toute cette affaire, que je n’avais nullement provoquée et que des circonstances qui n’ont pas dépendu de moi ont seules fait durer aussi longtemps, étant enfin terminée, nous allons maintenant rentrer dans les limites du cadre que nous avons choisi.

La suite de notre plan me conduit à vous parler des grandes branches de la production, et de la situation relative de l’agriculture, de l’industrie et du commerce. Toutes trois sont également fécondes, également utiles au pays ; seulement il en est peut-être qui, plus heureuses et mieux placées, ont trouve dans certaines circonstances extérieures des encouragements à l’aide desquels elles ont pu réaliser des progrès importants, que les autres n’étaient pas en position d’obtenir.

Comme il est bien reconnu aujourd’hui que chaque branche de la production est tributaire des deux autres, et que des lors la plus parfaite égalité existe entre elles, nous n’avons pas à déterminer l’ordre dans lequel on doit les considérer. Toutefois on peut dire que s’il était besoin d’assigner un rang à chacune, l’agriculture qui fournit à l’industrie les matières premières, au commerce ses plus nombreux clients, et à tous les travailleurs la laine, la soie et le lin de leurs vêtements ; le pain, la viande, et le vin de leurs repas ; devrait occuper la première place. Et cela plus encore en France que partout ailleurs, parce que les trois quarts de la population sont occupés aux travaux de la terre.

Placée dans une position toute spéciale, l’agriculture jouit de quelques avantages particuliers, rachetés par d’assez graves inconvénients. Si les revenus et les profits de ses travailleurs sont modiques et garantis contre les crises qui désolent l’industrie, rien ne les défend contre l’inclémence des saisons ; elles craignent également le froid et la chaleur, l’humidité et la sécheresse, les maladies et les inondations. Si le cultivateur est plus riche que l’artisan des villes avec des profits moins élevés, parce qu’il a des besoins moins impérieux, il est étranger aux jouissances des arts dont une instruction plus complète et plus variée fait mieux sentir le prix au premier ; mais il a sur celui-ci une supériorité incontestable, celle de l’indépendance, beaucoup plus grande pour le paysan que pour l’ouvrier. Celui-ci est placé constamment à la merci d’un entrepreneur et d’un propriétaire, pour son salaire et son logement, quand l’autre est presque toujours assuré de sa nourriture et ne peut jamais, comme le premier, être mis hors de son habitation, qui lui appartient d’ordinaire pour un terme en retard.

Telle est la condition naturelle de l’agriculture ; voici maintenant celle que les lois et les hommes lui ont faite.

Mère nourricière de tous les citoyens, la terre n’a le plus souvent trouvé en eux que des fils ingrats, qui ont négligé de satisfaire ses besoins.

Il lui fallait des capitaux et des avances pour améliorer son fonds : on lui en a laissé manquer.

Il fallait que ses travailleurs fussent instruits, au moins des premiers éléments de la science, afin de pouvoir suivre les progrès de l’industrie : on les a laissés dans l’ignorance ;

Il lui fallait de bonnes et nombreuses routes pour expédier ses produits sur les marchés où ils auraient pu trouver un placement avantageux : on les a laissés s’encombrer dans les granges, faute de routes et de chemins ;

Il lui fallait encore des machines, des découvertes, des inventions, pour défricher et cultiver avec avantage tous les sols, pour tirer de ses produits et de leurs résidus tout le parti possible : les savants, les mécaniciens et les inventeurs n’ont travaillé que pour l’industrie, et rien fait pour l’agriculture.

L’énumération des besoins de cette branche précieuse de la production remplirait des volumes ; ce qu’on a fait pour les satisfaire se renferme dans ces deux mots : abandon, oubli ; qui expliquent comment elle n’a fait aucun progrès important depuis plusieurs siècles. Elle emploie encore aujourd’hui les mêmes instruments qui servaient du temps des Romains, et ne connaît d’autre moteur de ses machines, que les forces si coûteuses de l’homme et des animaux.

Je saisirai l’occasion qui se présente ici de répondre à quelques critiques dont ma première leçon a été l’objet. Abusant de mes paroles, tronquant ma pensée, on a prétendu trouver dans quelques mots relatifs à l’agriculture, un réquisitoire contr’elle, et l’approbation de l’abandon dans lequel on la laisse. Ce n’est pas auprès de vous qu’une pareille accusation a pu trouver créance ; vous savez trop bien, à cet égard, que je n’ai jamais eu pour l’agriculture que les sentiments d’un fils respectueux ; mais j’ai pu dire, parce que j’ai cru comme je le crois encore, qu’elle n’avait pas marché à l’égal de sa sœur, l’industrie : Personne, je pense, n’oserait soutenir le contraire. J’ai pu dire encore que l’abandon déplorable dont elle souffre depuis si long-temps, était dû en partie à ses principaux représentants qui, lorsqu’ils se sont trouvés avoir dans les chambres et dans l’administration, le pouvoir entre les mains, ne s’en sont pas servis pour la soulager ; se sont bornés à faire rendre pour la grande culture qui les intéressait particulièrement quelques mauvaises lois sur les bestiaux et sur les laines ; lois dont ils ont été les premiers à souffrir, ainsi que quelques-uns ont eu depuis la bonne foi de le reconnaître.

Quant au reste des cultivateurs qui n’ont ni prairie ni herbages, ni bœufs ni moutons, et qui ont plus souffert des lois soi-disant protectrices de l’agriculture comme consommateurs, qu’ils n’y eussent gagné comme producteurs, si leur effet eût été tel qu’on l’attendait ; rien n’a été fait pour eux. Et cependant en prenant ceux qui paient 20 fr. d’impôt foncier et au-dessous, on voit qu’ils sont au nombre de 8 471 656, dont 5 205 411 paient moins de 5 fr., contre 46 557 payant 500 fr. et au-dessus[3] !

En parlant tout à l’heure de ce qu’il fallait à l’agriculture, j’ai indiqué les routes qui lui sont de la plus impérieuse nécessité et qu’elle n’a pas. C’est vraiment une chose difficile à concevoir que depuis 30 ans que l’on ne cesse de faire et de projeter des routes pour tous les coins de la France, la fatalité ait voulu qu’on ne songeât qu’aux besoins de l’industrie et du commerce ; et que ceux non moins légitimes de l’agriculture aient toujours été oubliés.

Et cependant sans routes économiques rapides et multiplées, l’agriculture ne peut porter ses denrées, presque toutes de nature encombrante sur les marchés où elles trouveraient un bon placement. Chaque pays de grain ne peut vendre que dans un rayon limité à cause des frais de transport, qui sont assez considérables pour que les consommateurs de Marseille aient plus d’avantages à recevoir de blé étranger chargé de droits, que celui de Chartres ou d’Étampes. C’est encore par les routes et les transports, que s’explique la différence de prix que nos constructeurs de navires trouvent à faire venir un sapin du Jura, que de la Norwège ou du Canada.

Dans ces derniers temps enfin l’administration a compris tous les bénéfices que le pays en général retirerait d’un système de routes perfectionnées ; et l’agriculture spécialement, d’un développement considérable des chemins vicinaux et de grande communication. La loi qui a été présentée et votée dans ce but offre encore quelques imperfections, mais elle est déjà un grand progrès, dont la réalisation a malheureusement rencontré plusieurs fois des obstacles. Ici ce sont les agents voyers ou les piqueurs qui manquent, là les cantonniers ou les pierres ; ailleurs enfin ce sont les communes elles-mêmes qui se refusent à voter les fonds nécessaires pour couvrir les dépenses, et que les préfets sont obligés d’imposer d’office leur faisant ainsi du bien malgré eux.

Les routes et les chemins sont pour l’agriculture des instruments précieux, mais ils ne suffisent pas seuls pour créer la richesse ; il faut avant de les faire servir au transport des récoltes, que l’intelligence éclairée du cultivateur ait su rendre celles-ci aussi bonnes, aussi abondantes que possible.

Dans la plupart des campagnes, la routine a seule dirigé jusqu’ici la production il serait tems enfin que le science vint remplir cette tâche souvent délicate, et guider l’ouvrier agricole dans ses travaux.

C’est là une question d’enseignement, que le gouvernement a pensé résoudre par la loi sur l’instruction primaire, mais qui ne le sera véritablement que lorsque le programme des connaissances que les maîtres d’école sont chargés de faire acquérir aux enfants qui leur sont confiés, aura été modifié c’est-à-dire quand les matières inutiles à des cultivateurs auront fait place à d’autres plus spéciales, telles que des notions de chimie pour l’analyse des terres et des engrais, des éléments de l’art vétérinaire pour les maladies de bestiaux, des leçons théoriques et pratiques sur les greffes, les plants, semis etc., l’établissement des haies, fossés, rigoles, pour retenir les terres, absorber les eaux et arroser les prairies.

Toutes, ces connaissances n’ont rien d’inutile, et qu’on ne puisse exiger des maîtres que les écoles normales des départements forment pour tous nos villages ; la grande difficulté, c’est de faire adopter par le conseil de l’Université une réforme dans le mode de l’enseignement, et d’abandonner, dans ce cas du moins, le système des études littéraires pour celui d’une instruction pratique, tel que l’a adopté l’Autriche, pays que nous considérons à tort comme arriéré, et qui pourrait nous offrir souvent plus d’un bon exemple à suivre.

En voyant tout ce qu’il y a à faire pour ramener l’agriculture dans la voie de la prospérité, on comprend jusqu’à un certain point, tant la tâche est lourde et difficile, qu’on n’ait rien fait pour elle, et que la sympathie qu’on lui témoigne en tant de circonstances se soit bornée jusqu’ici à des vœux stériles. Mais on ne peut s’empêcher de regretter que ses amis officieux, et surtout officiels, n’aient point eu du moins le courage et la volonté d’empêcher qu’il ne lui fût fait plus de mal encore, dans une occasion récente, lors du vote de la loi des sucres, qui a sacrifié l’industrie du sucre de betteraves au prolongement de la crise de mort des colonies.

Dura lex, sed lex

La loi est dure, mais c’est la loi ; je la respecterai donc, mais tout en souhaitant que la session qui vient de s’ouvrir ne se passe pas sans être témoins de son abrogation ou tout au moins de sa révision complète.

Tout ce que l’on fera d’ailleurs pour l’agriculture réagira sur l’industrie et le commerce ; car, on l’a dit avec raison, les consommateurs par excellence sont les habitants du pays. Quand, donc, la Provence vendra ses huiles ; la Bresse, la Bauce, la Brie leurs grains ; le Nord ses colza et ses navettes ; le Bordelais, la Champagne et la Bourgogne leurs vins ; Rouen, Mulhouse, Sedan, Reims, St. Quentin, Tarare, Lyon, Amiens placeront facilement leurs draps, leurs toiles, leurs mousselines, leurs flanelles, leurs mérinos et leurs soieries.

Que la paix se rétablisse en Espagne, que l’agriculture retrouve les bras qui portent aujourd’hui le mousquet, et vous verrez bientôt nos départements méridionaux, si languissants et si désolés, reprendre une nouvelle vie et renaître à la prospérité.

Dans une prochaine leçon nous commencerons l’examen des principaux systèmes économiques dans leurs rapports avec l’agriculture.

Ad : B. (des V.)

Nota : nous avons cru devoir reproduire ici la lettre écrite par M. Blanqui au journal Belge l’Indépendant, afin qu’aucune pièce du débat qui s’est élevé à propos de la fabrication d’une nouvelle monnaie d’or en Belgique, ne manque au dossier du procès.

À M. le Rédacteur de l’Indépendant.

On me communique, monsieur, l’article que vous avez cru devoir publier sur mon compte à l’occasion de l’opinion que j’aurais émise au Conservatoire des Arts et Métiers sur le projet de fabrication d’une nouvelle monnaie d’or en Belgique. S’il ne s’agissait ici que d’une attaque personnelle, le caractère de la vôtre pourrait me dispenser d’y répondre mais il s’agit d’une question fort grave, dans laquelle mes paroles ont été complètement dénaturées et je me borne à réclamer de votre loyauté une simple rectification.

Les leçons que je donne au Conservatoire des Arts et Métiers sont recueillies chaque jour par deux ou trois journaux auxquels je suis entièrement étranger et qui les rédigent comme bon leur semble. Dans le compte-rendu par l’un d’eux de la leçon dont vous avez cité un extrait, il y avait des erreurs tellement manifestes que la plus insigne malveillance ne pouvait pas, non-seulement m’en rendre responsable mais même les attribuer au rédacteur du journal. Il était évident qu’après avoir établi que le nouveau système de fabrication produirait une différence de 13 pour mille, on ne pouvait pas soutenir, quelques lignes plus bas, que cette différence serait de 10 pour cent. Une telle absurdité ne pouvait être considérée que comme le résultat d’une faute d’impression.

C’est cependant sur de telles données, Monsieur, que vous avez lancé contre un professeur qui vous est inconnu, les accusations les plus dures d’inexactitude et de légèreté vous avez même pris sur vous d’assurer que le compte-rendu dont j’ai tant à me plaindre, avait dû certainement passer sous mes yeux. Il faudrait donc aussi admettre que j’ai affaire à un auditoire de fous et que les 8 ou 900 personnes qui assistent régulièrement à mes leçons, magistrats, députés, employés du gouvernement, en majorité barbes grises, se réuniraient tous les soirs pour entendre déraisonner un professeur sur les matières de leur compétence. Vous ne le croyez pas, Monsieur, et je n’ai besoin de défendre à cet égard, ni leur dignité, ni la mienne.

Je traitais, il y a peu de jours, la question des Monnaies, et tout naturellement il me vint à l’esprit de rappeler le projet soumis à la chambre des représentants Belges, et d’en critiquer les dispositions susceptibles de critiques. Ce ne sont pas là Monsieur des choses avec lesquelles on puisse amuser un auditoire ; pas plus qu’on ne l’amuserait des pillages littéraires dont la Belgique est le théâtre ; ce sont des matières sérieuses que nous traitons sérieusement dussent nos opinions être réfutées par des injures plus que par des raisons. Et maintenant, si vous voulez des raisons, je vous en donnerai, dont au moins je suis en mesure de répondre.

Laissons les chiffres de côté. Votre gouvernement s’est aperçu que l’or jouissait d’un agio qui réduit ce métal à l’état presque absolu de marchandise et qui le fait affluer dans les caisses des changeurs, pour être vendu par eux avec profit. C’est afin de les maintenir dans la circulation qu’il veut refondre les espèces d’or, en leur donnant un poids qui rétablisse l’équilibre entre le poids légal de l’or et celui de l’argent. En un mot, votre gouvernement veut que 1 000 francs en or qui s’échangent aujourd’hui contre 1 012 ou 1 013 fr. en argent puissent être désormais échangés prix pour prix ; et pour y parvenir, il propose de diminuer le poids des pièces d’or d’une valeur de 12 à 13 francs par mille, c’est-à-dire d’une somme égale à l’agio qui subsiste depuis plusieurs années.

J’ai soutenu qu’une telle mesure n’aurait pas les résultats qu’on paraît s’en promettre. En effet, Monsieur, il ne peut y avoir, en monnaie, qu’un étalon sur lequel viennent se mesurer toutes les autres valeurs. La France et la Belgique ont adopté la monnaie d’argent comme étalon de préférence à la monnaie d’or, parce que l’argent sort moins rarement du pays pour solder des créances à l’étranger, et que d’ailleurs sa pesanteur le rend moins mobile que l’or. La valeur de l’or relativement à l’argent varie suivant l’abondance ou la rareté des demandes. En France cette valeur est cotée à la bourse, parce que l’or monnayé n’est pas autre chose qu’un lingot divisé et ayant un titre certain. Or, si un lingot d’or est considéré comme marchandise et traité comme tel comment espère-t-on assujétir les pièces d’or à des règles différentes ! Vainement les lois prescriraient le contraire de ce qui existe, la conversion des pièces d’or en lingots est trop facile et trop peu coûteuse pour qu’on puisse les soumettre avec succès à un régime différent. La perte des frais de monnayage ne sera jamais qu’un faible obstacle à cet conversion lorsque le commerce aura intérêt à s’y livrer.

C’est donc en vain, Monsieur, qu’on essaie d’assigner une valeur fixe aux monnaies d’or, tandis que celle du lingot est variable. Les savants auteurs de notre système monétaire étaient bien loin de cette erreur lorsqu’ils disaient : « L’argent étant regardé comme le point fixe auquel on doit rapporter toutes les valeurs, et la proportion de l’or à l’argent étant par sa nature sujette à des variations, il est clair qu’on ne peut pas déterminer pour toujours la valeur d’une pièce d’or d’un poids fixé tel que le décagramme d’or. Ainsi, quand même le corps législatif jugerait convenable de fixer la valeur en francs pour laquelle le décagramme d’or sera reçu au moment de l’émission, cette valeur sera susceptible d’être changée au bout d’un temps plus ou moins long, sans quoi la république serait exposée à des pertes considérables. »

Examinez, Monsieur, quelles seraient les conséquences de la marche contraire. En affaiblissant le poids des pièces d’or pour rapprocher cette monnaie de la valeur des pièces d’argent, la Belgique fera une opération inutile et dispendieuse. Inutile, attendu que ce qui est vrai aujourd’hui cessera de l’être demain. Une multitude de causes tiennent l’or dans un état d’oscillation continuel. Une simple inquiétude de guerre, une crise, des troubles civils en élèvent le prix ; la découverte d’une mine féconde suffirait pour le faire baisser. À chaque fluctuation imprévue le gouvernement belge opérera-t-il la fonte de ses nouvelles monnaies pour maintenir l’équilibre entre l’or et l’argent ? Je dis aussi que l’opération sera dispendieuse, car la Belgique ne pourra laisser subsister concurremment des espèces de poids différents ; il lui faudra nécessairement refondre toutes les anciennes monnaies.

En modifiant ainsi son système monétaire la Belgique rend ses transactions à l’extérieur plus difficiles, sans profit pour elle, parce que si les paiements se font en or affaibli, les créanciers exigeront toujours la même quantité d’or fin quelle que soit la dénomination qu’il ait plu au gouvernement belge de donner à ses nouvelles monnaies. Mais, dit-on, ces espèces ne sortiront plus du royaume. Je n’ai rien à répondre à cela, Monsieur, sinon qu’il m’est impossible de croire qu’un gouvernement aussi éclairé que le vôtre en soit encore aux illusions de la Balance du Commerce. L’affaiblissement du poids des espèces n’en empêche jamais l’exportation, quand le pays est débiteur et qu’il n’a pas de meilleur moyen de s’acquitter. Nous ne sommes plus au temps où l’exportation du numéraire était considérée comme un malheur public.

Je dis plus : la Monnaie de Bruxelles pourrait fort bien continuer d’acheter des lingots d’or au prix où ils sont maintenant, et les convertir en monnaies qui s’élèveraient bientôt à la hauteur du prix des lingots, augmenté des frais de monnayage. Les nations voisines n’auraient plus intérêt à les acheter, et elles resteraient dans le pays plus sûrement que sous l’influence du changement qu’on a proposé ! Quant aux florins d’or de Hollande qui circulent en Belgique et qu’on veut démonétiser ils ne paraîtraient plus sur le marché belge que comme lingots. À ce titre, leur valeur étant inférieure aux monnaies légales, celles-ci ne pourraient être achetées par les Hollandais qu’avec désavantage.

« J’aurais encore, Monsieur, beaucoup de choses à vous dire à ce sujet, mais je crains avoir dépassé l’espace exigible même pour une défense légitime : je n’ajouterai plus qu’un seul mot. Beaucoup de bons esprits, en France, ont cru que le nouveau projet monétaire avait un caractère politique et que son but était de compléter la nationalité belge en distinguant la monnaie du pays de celle des Hollandais qu’on déteste et des Français qu’on n’aime guère. Je le croirais volontiers à la vivacité de vos attaques, non seulement contre un professeur, mais contre ce que vous appelez l’esprit français. L’esprit français, Monsieur, est plus sérieux que vous n’affectez de le dire, et ce qui le distinguera toujours, c’est l’urbanité, qui vous a manqué dans l’attaque dirigée contre moi.

» Je confie, Monsieur, cette réponse à votre loyauté et je vous salue de tout mon cœur.

blanqui, aîné,
« Professeur au conservatoire des Arts et Métiers. »

Ce 9 janvier 1838.

  1. Voir à la fin de cette leçon, la lettre adressée par M. Blanqui à l’Indépendant.
  2. Cette proposition a déjà été faite principe par Adam Smith et J.-B. Say. (Note du Réd.)
  3. Les propriétaires payant 500 fr. et au-dessus sont aux parcellaires de 0 à 20 fr. :: 11|20 : 100.