Cours d’économie industrielle/1837/3

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TROISIÈME LEÇON.


Séance du 5 décembre 1837.


Capital. Impôt. Rente. Profits du Capital.


Sommaire. Définition du capital. — Comparaison d’un peuple et d’un journalier qui consomment tous leurs revenus, et d’un ouvrier qui épargne. — Rôle que joue le capital dans le phénomène de la production. — L’abondance des capitaux amène la division du travail. — Avantages de la division du travail ; ex. d’une fabrique d’épingles. — Les capitaux peuvent recevoir différents emplois dont les résultats sont entièrement différents. — Comparaison de la Hollande, de l’Italie et de l’Espagne. — Le bon emploi des capitaux facilite le progrès industriel ; ex. de Watt, Wyatt, Lewis Paul, Arkwright, Hargreaves, Crompton, Cartwright, Berthollet, Bell. — Importance du fer dans la civilisation. — Est-il toujours possible d’accroître les capitaux, de faire des économies ? Oui. Ex. de la France. — Le développement des richesses fait disparaître les inégalités sociales : Ex. de la domesticité en Amérique ; il sert aussi la moralité et la civilisation.
DE L’IMPÔT.
Définition de l’impôt : de son chiffre, de sa répartition, de son emploi. — Un économiste anglais, partisan des impôts, les regarde comme des enfants qui forcent les chefs de famille à travailler. — Réfutation de cette opinion. — Outre le chiffre de l’impôt, sa répartition et son emploi, il faut encore considérer les formalités que sa perception entraîne : des acquits à caution.
DU CAPITAL MORAL.
L’intelligence de l’homme est le plus précieux de tous les capitaux. — Il importe de la cultiver. Ex. de peuples qui ont accru leur capital moral : différence avec les premiers. — Comparaison des résultats obtenus par un homme qui a consacré toute sa fortune pour accroître son capital moral, et par un autre homme qui a conservé son argent et son ignorance.
De l’intérêt des profits. — De la réduction de la rente : ses inconvénients, ses avantages. — Considérations sur l’habitude française de se retirer de bonne heure des affaires. — C’est une perte du capital moral.


Je reviendrai encore ce soir sur la nécessité de bien s’entendre sur la définition de certains termes dont nous sommes forcés de nous servir, pour résoudre les nombreuses et intéressantes questions dont je vous ai parlé dans mes deux premières leçons.

Avant qu’Adam Smith ne nous eût donné du mot valeur la belle et simple définition que je vous ai citée l’autre jour, on avait écrit des centaines de volumes sur le même sujet sans pouvoir s’entendre. Ces apparentes contradictions ont discrédité la science auprès de certaines personnes qui ne l’avaient point étudiée ; c’est comme si l’on reprochait aux médecins de professer plusieurs doctrines et de suivre des systèmes différents pour le traitement des mêmes maladies ; malgré ces dissidences on ne saurait dire que la science médicale n’existe pas ; il en est de même de la science économique. C’est du conflit qui s’élève entre ses partisans de doctrines opposées, que jaillit la lumière qui sert à nous guider, et que sortent les découvertes et les vérités qui forment aujourd’hui les bases sur lesquelles elle repose.

Nous avons vu déjà que les principaux éléments de la production industrielle étaient les capitaux et le travail. Le capital est cette portion de la richesse publique qui sert à l’entretien des travailleurs et au développement de la production : il dérive des profits accumulés par l’épargne c’est l’excédant de la production sur la consommation. Admettez un peuple qui consomme tout ce qu’il produit, et son capital restera stationnaire ; il ne diminuera pas mais il ne s’accroîtra pas non plus. C’est comme un ouvrier qui mange chaque jour ce qu’il gagne et qui ne garde rien pour les jours d’inaction et de maladie. Si au contraire l’ouvrier qui reçoit un salaire de trois francs n’en dépense que deux, cette épargne de un franc par jour se multipliera ; elle produira bientôt des intérêts, et l’ouvrier deviendra capitaliste, c’est-à-dire, qu’il pourra à son tour avancer aux simples journaliers des instruments et des outils pour travailler, des aliments ou un salaire qui les représente pendant toute la durée de leur travail, et des matières brutes à transformer. Si l’état se compose de beaucoup d’individus semblables à cet ouvrier économe, sa prospérité s’accroîtra ; dans le cas contraire elle diminuera chaque jour.

Le rôle que le capital ou le crédit qui le représente joue dans la production est si important que rien ne pourrait se faire sans lui ; c’est ainsi par exemple, que l’on remarque souvent dans un pays un grand nombre de bras inoccupés, en même temps que des travaux considérables et fort utiles restent inexécutés. Dès que les capitaux existent et sont disposés à entreprendre un travail quelconque, on voit aussitôt les ouvriers s’offrir de tous côtés. Lorsque la proportion des capitaux inactifs est plus grande que celle des ouvriers oisifs, les salaires augmentent, parce qu’il y a demande de travail ; si, au contraire ; ce sont les travailleurs qui s’offrent plus qu’ils ne sont demandés ce sont les salaires qui sont réduits.

Plus les capitaux sont abondants et plus l’industrie se perfectionne, plus les travaux se divisent en un plus grand nombre de mains. Comparez le commerce dans une grande ville et dans un village d’un côté vous verrez tout se subdiviser à l’infini, des industries presque sœurs se sépareront, le marchand de papier peint ne vendra pas de papier blanc de l’autre côté au contraire vous verrez toutes les professions, toutes les industries se confondre, le charron sera maréchal et serrurier, l’épicier vendra du vin et sa femme des bonnets. De cette différence il résultera que dans la ville les mêmes marchandises seront moins chères que dans le village, bien que celui-ci soit exempt d’impôt et que les loyers y soient moins chers. C’est l’abondance des capitaux qui aura produit ce phénomène ; c’est par elle que le marchand de la ville aura pu acheter à meilleur compte en prenant de plus fortes parties c’est qu’il s’adressera à des consommateurs plus riches et plus nombreux, et qu’il pourra dès lors réduire ses bénéfices partiels parce qu’il est sur de les voir se multiplier.

L’action du capital sur industrie n’est pas moins remarquable que celle qu’il exerce sur le commerce. Adam Smith nous en cite un exemple curieux dans la fabrication des épingles. Il suppose une fabrique assez mal montée et composée seulement de dix ouvriers ; si chacun d’eux était obligé de faire des épingles entières depuis la première opération jusqu’à la dernière il en ferait à peine 20 dans sa journée, soit 200 pour les dix ouvriers ; si au contraire ils se partagent la besogne et que chaque ouvrier fasse toujours la même ou les mêmes opérations, ils acquerront tous une telle habileté qu’ils pourront faire 43,000 épingles dans un jour[1]. On conçoit qu’il doive résulter de cette augmentation de la production une baisse de prix qui facilite l’accroissement de la consommation.

Si les capitaux, ou plutôt ceux qui les possèdent, avaient toujours assez d’esprit pour aller féconder les industries qui végètent faute de cet aliment indispensable toutes les entreprises, le pays n’aurait plus bientôt de malheureux dans son sein, et chacun jouirait du bien-être et de l’aisance que lui aurait procurés son travail. Malheureusement il n’en est pas ainsi, et souvent des capitaux nécessaires sur un point ont été compromis sur un autre dans des affaires mal conçues ; ils sont devenus la proie que se sont partagée quelques intrigants et au lieu de servir à une reproduction avantageuse pour tous, ils ont été détruits par une consommation improductive.

L’emploi que l’on peut faire des capitaux varie tellement, qu’il importe de savoir quel est celui que l’on doit préférer. Dans une société bien organisée, au moins sous le rapport économique, les capitaux trouvent presque toujours un placement sûr et productif ; dans le cas contraire, ils se consomment inutilement et sans donner lieu à la création d’une autre valeur.

Voyez la Hollande : dans ce pays, la plus petite économie trouve un placement ; elle se groupe, s’associe, s’accroît par la puissance de l’intérêt composé. Les habitations sont commodes et bien tenues les routes sont bornées ; on voit que des hommes industrieux et travailleurs ont fixé dans ce lieu leur demeure ; tout y est en harmonie, les individus, comme les gouvernants sont gens d’affaires et ne négligent rien.

Jetez un regard sur l’Italie. Le pays est superbe, la nature est généreuse, le soleil et la terre fertiles. Tous ces biens sont perdus cependant, parce que les capitaux ne viennent pas les mettre en œuvre. L’habitant est sobre, et par conséquent, il lui serait facile d’épargner, de former le noyau d’un capital, la boule de neige qui va toujours grossissant. Et tout cela est inutile parce qu’on n’a pas dans ce pays l’habitude de l’épargne ; elle n’est pas dans les mœurs, et on n’y trouverait pas, comme en France, en Angleterre, en Belgique, en Hollande, en Amérique, des caisses, des établissements spéciaux pour les y déposer et les retirer à volonté. Là, le lazzaroni mange le soir le revenu que la mendicité lui sert chaque jour, comme le grand-seigneur dépense celui que ses fermiers lui paient, sans souvenir de la veille comme sans prévoyance du lendemain. En Italie comme en Espagne, autre pays dont nous avons déjà parlé, si riche à la fois et si misérable, le peuple est pauvre et à peine vêtu tandis qu’il n’y a pas de route, que des marais répandent au loin la maladie et la mort ; des milliers de cierges brûlent en plein jour dans les églises au lieu d’éclairer des fabriques, des troupes de laquais inutiles et paresseux peuplent les antichambres. Ils forment avec quelques chevaux de main tout le luxe de leurs maîtres, qui brille d’autant plus que leurs uniformes galonnés font contraste avec les guenilles et les haillons dont sont couverts les autres habitans.

Tous ces biens naturels, la puissance productrice de la terre, la valeur morale et matérielle de l’homme sont ainsi gaspillés sans profits et de leur inaction il résulte une perte, une décroissance du capital national ; car, de même que rester en place lorsque tout le monde marche, c’est reculer ; conserver la même fortune quand tous les autres augmentent la leur, c’est s’appauvrir.

L’emploi des capitaux, ai-je dit, peut se faire de plusieurs manières, et suivant qu’on adopte tel ou tel placement, il en résulte un accroissement on une diminution des forces productives d’un pays. Que la poudre à canon, par exemple soit brûlée en feu d’artifices ou pour faire sauter un rocher qui nuit à la navigation, ou se trouve en travers d’une route ; qu’elle entr’ouvre la terre et livre ses trésors à nos ingénieurs et à leurs ouvriers ; que les éleveurs s’adonnent à la production des chevaux de luxe ou à celle des chevaux de travail, et vous verrez quelles seront les, conséquences de ce choix sur la fortune publique.

Plus le capital national est bien placé, et plus il facilite le progrès de la civilisation. Si le révérend docteur Roebuck ; et après lui Mathew Boulton de Birmingham n’eussent confié leurs capitaux au célébre Watt[2], où en seraient aujourd’hui la machine à vapeur et les conquêtes que nous avons faites avec elle ? Où en serait la civilisation, si les capitaux n’étaient venus aider dans leurs travaux les auteurs de tant d’admirables découvertes ? Les vaisseaux à voiles, les steam-boats, n’eussent pas remplacé les chaloupes et les galères conduites à la rame ; nos usines n’auraient encore pour moteurs que des manéges ; nos soldats seraient armés de flèches ; John Watt, Lewis Paul, Richard Arkright, James Hargreaves, Samuel Crompton, Edmond Cartwright, Berthollet et Bell n’eussent pas inventé : le premier, son métier à filer mécanique ; le second, sa carde cylindrique ; le troisième, son rowing-frame et drowing-frame, son métier continu et sa carde sans fin ; le quatrième, sa spinning-Jenny ; le cinquième, sa Mull-Jenny ; le sixième, la navette volante ; le septième, le métier à tisser mécanique ; le huitième l’art de blanchir le coton au chlore ; et le neuvième celui d’imprimer les étoffes au cylindre sans fin. Je borne cette citation aux découvertes qui concernent la fabrication des étoffes de coton, parce que ce sont elles surtout qui ont opéré la révolution industrielle qui a changé les rapports des nations entre elles, qui ont fait pénétrer notre civilisation et nos connaissances dans tous les pays où nos tissus trouvaient une place, qui ont enfin donné à un grand nombre de travailleurs l’occupation et le salaire dont ils ont besoin pour vivre et soutenir leurs familles. Sans ces découvertes nous en serions à la filature à la main, aux quenouilles, nos étoffes seraient tissées sur le vieux métier à main[3], elles seraient peintes à la brosse au lieu d’être imprimées au cylindre.

C’est à l’abondance des capitaux, et surtout à leur bon emploi que nous sommes redevables de ces perfectionnemens et de tous ceux qui ont été apportés dans les autres industries. C’est à eux que nous devons l’exploitation régulière et productive d’un métal indispensable, le fer, dont la seule présence influe si fortement sur l’agriculture et l’industrie. Otez le fer que l’on n’arrache du sein de la terre qu’avec des capitaux énormes, ôtez encore le bœuf et le cheval dont l’éducation dure des années, c’est-à-dire nécessite de longues et périlleuses avances de capitaux, et voyez ce qui restera à l’homme et ce qui deviendra, je le répète, la cause de la civilisation. C’est là, messieurs, qu’en étaient nos aïeux, et s’ils sont demeurés si longtemps stationnaires c’est qu’ils manquaient des capitaux nécessaires pour faire au travail des avances d’instrumens, de salaires et de matières premières, ou qu’ils les consommaient improductivement à entretenir dans l’oisiveté une suite nombreuse de valets et d’hommes d’armes qui eussent fait d’excellents ouvriers, et à donner des fêtes et des banquets.

C’est au bon emploi du capital que l’on distingue les peuples civilisés de ceux qui ne le sont pas ; à ces derniers, il manque, presque toujours, jusqu’aux premiers éléments du travail. Ils savent bien du reste eux-mêmes quelle est leur infériorité à cet égard ; voyez les sauvages, par exemple, ce qu’ils estiment le plus, c’est le fer ; avec un clou, un marteau, on obtient d’eux tout ce que l’on désire ; c’est toujours avec des haches et des clous que tous nos grands navigateurs, Lapeyrouse, Cook, trafiquaient avec les peuples dans les pays desquels ils pénétraient.

Locke attribue l’enfance prolongée de l’Amérique, malgré son climat, son sol et ses fleuves, à l’absence du fer ; à cette cause j’en ajouterai une autre. Si, en effet, les Espagnols eussent bien dirigé leur activité, s’ils l’eussent employée à produire au lieu de l’appliquer à détruire si, en retour des galions chargés d’or qu’ils envoyaient à la métropole, ils eussent rapporté du fer qu’ils n’avaient pas chez eux, des charrues, des instruments de labourage, des machines propres aux travaux de l’industrie ; le pays qu’ils avaient conquis aurait atteint un haut degré de prospérité ; il est pauvre et désolé par la guerre civile, par ce qu’on y a fait un mauvais emploi des capitaux, et qu’on y a méprisé le travail.

J’ai dit en commençant cette leçon que les capitaux dérivaient des profits par l’épargne ; après vous avoir tracé le tableau de tout ce que les capitaux bien employés permettaient d’entreprendre, je dois rechercher s’il est toujours possible d’accroître les capitaux, c’est à-dire de faire des profits et des épargnes. Pour moi, je considère que dans la plupart des cas, lorsque le gouvernement et les mœurs n’y sont pas entièrement opposés, ce qui est fort rare, il est possible de travailler et de faire des économies ; car la force productive de l’homme est très grande, quand elle n’est pas contrariée, et presque toujours on produit plus que l’on ne consomme.

Voyez la France d’autrefois avec ses 26 millions d’habitants, et la France d’aujourd’hui qui en compte 33. Comparez le logement, la nourriture, les vêtements aux deux époques ; dites-vous encore que dans les 40 années pendant lesquelles ce changement s’est opéré, il faut compter au moins 15 années de guerre, qui ont dévoré plus de 4 millions d’hommes ; dites-vous aussi que les frontières se sont plutôt rapprochées qu’étendues que deux fois l’étranger a envahi le territoire ; qu’il a mis à contribution la capitale, les villes et les campagnes, et que pour le renvoyer il a fallu lui donner des milliards. Rappelez-vous tous ces faits, et vous serez convaincus qu’il est toujours possible d’économiser, d’augmenter son capital ; car tant de maux n’ont pu être effacés, tant de jouissances n’ont pu être mises à la portée d’un plus grand nombre d’hommes, que par une direction plus intelligente du travail qui a procuré des profils sur lesquels on a fait des économies, qui, accumulées et associées, ont formé des capitaux considérables.

Les pays où les capitaux se multiplient et se développent avec le plus de facilité, c’est-à-dire ceux où ils sont employés de la manière la plus intelligente, sont en même temps ceux où les distances qui séparent les différentes classes de la société se comblent avec le plus de rapidité, où l’ouvrier passe plus vite de la condition de simple journalier à celle d’entrepreneur. Là encore les inégalités sociales disparaissent tous les jours, les domestiques n’y sont pas tenus par les maîtres dans une espèce de vassalité, parce qu’il leur est facile de changer de condition. C’est aux États-Unis de l’Amérique du Nord que l’on remarque surtout ce résultat particulier du développement du capital et de son application à un travail de reproduction. Cette réhabilitation de l’homme est fort importante, parce qu’elle ajoute au capital moral de la nation qui l’entreprend. En Amérique, où les domestiques n’acceptent pas la qualification de serviteurs, mais prennent celle d'aide (help), leur conduite est régulière ; ils tiennent à être respectés par leurs maîtres, parce qu’ils se respectent eux-mêmes ; ils ne travaillent que modérément, mais ils le font avec conscience ; leurs gages sont élevés, mais ils ne cherchent pas à les augmenter par les vols, les abus de confiance qui se commettent avec tant de facilité dans d’autres pays où ils sont presque tolérés. Le domestique américain se conduit bien et cherche à mériter l’estime du monde, parce qu’il sait qu’il pourra plus tard y prendre sa place ; il respecte en lui-même le futur citoyen qui sera appelé peut-être à remplir des fonctions dans la cité et à parler un jour dans la salle des États.

Ainsi non seulement les capitaux bien dirigés multiplient la richesse, mais ils ajoutent encore à la considération de l’homme ; ils sont aussi un puissant moyen de moralité. Dans le pays dont nous venons de parler, la débauche n’est pas devenue, comme ailleurs, une sorte de mal-nécessaire ; le séducteur n’abandonne pas la femme qui a manqué pour lui à ses devoirs ; il se marie parce qu’il sait pouvoir subvenir par son travail aux besoins de la famille qu’il se crée, à l’éducation des enfants qu’il peut avoir.

C’est en suivant cette marche que les Américains sont parvenus à réaliser des progrès si incroyables dans un demi siècle. Là où s’élevaient il y a 50 ans les arbres séculaires des forêts vierges dont les voyageurs nous ont donné de si magnifiques descriptions, on compte les villes par centaines ; de vastes terrains incultes qui rappelaient en les voyant les steppes de la Russie ont été livrés à la culture ; des routes, des canaux des chemins de fer, ces produits admirables d’une civilisation avancée, sillonnent aujourd’hui les vastes plaines que le bison et l’Indien à peau rouge habitaient seuls autrefois.

Si tant et de si utiles travaux ont pu être faits en un temps si court c’est que plus qu’ailleurs les capitaux étaient productifs ; c’est qu’au lieu de rapporter 10 pour cent comme en Europe, ils en donnaient d’abord 20, 30, et ensuite jusqu’à 100 et 200.

Cet état de choses était transitoire il est vrai, et tenait à la position toute spéciale de ces Européens transportés dans un pays tout neuf avec les connaissance qu’ils avaient acquises dans leur ancienne patrie. C’est ainsi qu’ils ont pu éviter beaucoup d’écueils et marcher plus vite que nous, qui avons eu à surmonter des obstacles que le temps avait formés et qui n’existaient pas pour eux. D’autres causes encore se sont du reste opposé chez les peuples d’Europe aux développements de la richesse et à la formation des capitaux : Je placerai en première ligne l’impôt.

L’impôt c’est, vous le savez, la portion des produits d’une nation qui passe des mains des particuliers aux mains du gouvernement pour subvenir aux consommations publiques. Quand la répartition de l’impôt entre les contribuables est bien faite, quand sa quotité n’est pas trop forte et que les consommations qu’il permet de faire sont bien entendues, il ne gêne pas la production des richesses, il l’encourage même parce qu’il lui rend en services de toutes sortes, en sécurité, en économie et facilité de transports, au-delà du sacrifice qu’il a imposé à ceux qui l’ont payé. Malheureusement il est rare que l’impôt soit réparti, fixé et appliqué comme nous venons de le dire. Souvent il a été créé dans des circonstances malheureuses qui n’ont pas permis d’en bien étudier l’assiette et d’en limiter le chiffre ; et une fois établi on l’a conservé sans modifications même après que les circonstances auxquelles il était dû avaient cessé d’exister. C’est alors que l’impôt est nuisible et qu’il porte un coup funeste à l’agriculture, à l’industrie et au commerce. Il s’est pourtant trouvé des économistes qui ont soutenu en thèse absolue que l’impôt était une excellente chose et que l’on ne pouvait donner de meilleur stimulant au travail. Un écrivain anglais a même comparé l’impôt à un enfant nouveau-né dont l’existence obligeait le père de famille à redoubler d’industrie pour subvenir aux frais de son éducation. À ce compte nous serions tous pères d’une très nombreuse famille en poussant cet argument jusqu’à ses conséquences extrêmes on trouverait que le meilleur moyen de nous enrichir serait de prendre tout ce que nous avons. Pour appuyer son système, l’auteur donne en exemple son pays, l’Angleterre, où les impôts sont plus élevés que partout ailleurs et dont l’agriculture et l’industrie sont supérieures à celles de tant d’autres pays.

Tout en admettant les faits que nous cite l’économiste anglais, j’arriverai à une opinion entièrement opposée à la sienne ; je dirai que si la Grande-Bretagne a pu faire d’aussi grands progrès dans l’industrie et l’agriculture, c’est malgré les impôts et non pas à cause d’eux ; j’ajouterai même que s’ils ont pu et s’ils peuvent encore payer de si lourds impôts, c’est parce que le travail était développé chez eux sur de larges bases et qu’il procurait de grands bénéfices s’il n’en eût pas été ainsi et si, par exemple, l’impôt ne se bornant pas à prélever une part du revenu eut touché au capital, celui-ci en diminuant eût amené la chute d’un grand nombre d’entreprises, les salaires eussent été réduits, et une certaine quantité de travailleurs eût été mise en disponibilité. C’est-à-dire que tous les revenus, toutes les consommations auraient diminué à la fois et que l’impôt lui-même n’aurait pu être payé.

Avant de quitter cette matière j’ajouterai encore une considération qui ne parait pas sans importance. Beaucoup de personnes croient et à tort, que lorsque le chiffre d’un impôt n’est pas trop élevé, le dommage qu’il cause est minime et qu’il n’est pas dès lors d’une bien grande utilité d’en demander la suppression. L’argent que paie le contribuable est souvent bien peu de chose en comparaison de ce qu’il perd par suite des formalités, des délais qu’entraîne presque toujours la perception de ces sortes d’impôts. Vous connaissez les désagréments causés par la délivrance des acquits à caution dont le prix est de 25 cent. ; il en est de même pour certains droits de tonnage sur les canaux, ces droits ne sont souvent que de quelques centimes et ils occasionnent des dépenses considérables. Loin de protéger ce que j’appellerai les petits impôts je m’élèverai avec force contre eux, parce que leur perception coûte souvent plus ou au moins tout autant qu’elle ne rapporte, et qu’ils entraînent pour le pays une perte plus que double de celle que la loi a semblé leur imposer.

La plus importante question qui se rattache au capital, ce qui en forme l’élément le plus précieux, celui sans lequel les autres n’auraient aucune valeur puisqu’ils ne seraient pas mis en œuvre : c’est l’homme et son intelligence, qui forment ce que j’ai déjà appelé le capital moral d’une nation. L’intelligence de l’homme est le plus important de tous les capitaux et il importe de ne pas le laisser inactif. L’or n’est rien sans la pensée, c’est elle qui est tout. Malheur aux peuples qui la laissent s’engourdir, qui négligent de la cultiver. Voyez ce qui se passe dans les deux Amériques du Nord et du Sud ; quelle distance sépare les hommes de ces deux pays, également partagés sous le rapport du sol et du climat ! Voyez les Américains du Nord qui n’étaient que 1,400,000 à l’époque de la paix qui fut conclue après la guerre de l’indépendance, et qui sont aujourd’hui au nombre de plus de 14 millions ; voyez ensuite le Mexique, la Colombie, dont la population décroît au lieu de s’augmenter. D’un côté on travaille, de l’autre on se repose. Ici l’on a fait 3000 lieues de chemins de fer et de canaux en quelques années autant que tous les états de l’Europe réunis, en y comprenant l’Angleterre, la Belgique et la France ; là on met 15 jours pour faire un trajet qu’il serait possible de parcourir en quelques heures ; et lorsque des étrangers établissent un service de Messageries pour abréger les distances et établir des rapports plus faciles entre des villes importantes, on met obstacle à leur entreprise, on les ruine pour les punir d’avoir eu l’intention de faire du bien au pays.

Sans aller si loin et sans sortir de notre pays, rappelez-vous les cartes ingénieuses dressées par mon collègue M. Ch. Dupin pour indiquer le degré d’instruction de chacun de nos départements. Comparez les teintes noires de la Provence à celles si claires de l’Alsace, celles du Béarn à celles de la Normandie ; s’il y a a une si grande différence entre ces provinces d’un même pays cela ne vient pas de ce qu’il y ait moins d’intelligence d’un côté que de l’autre mais uniquement à l’éducation qui est donnée dans ces départements, aux habitudes qui y sont adoptées et donnent en quelque sorte une nouvelle éducation. Dans le Nord et dans l’Est toutes les pensées sont dirigées vers le travail industriel, les circonstances au milieu desquelles ces provinces sont placées excitent encore leur activité naturelle. Dans le Midi, au contraire, après une légère attention donnée aux affaires chacun se retire dans sa bastide, à l’ombre de sa vigne ou de son figuier, et passe le temps à boire, à fumer et à dormir. C’est comme cela, Messieurs, que le capital moral augmente et diminue.

Voyez la Hollande, avec ses villes et ses routes conquises sur la mer ; malgré les révolutions qui ont ébranlé sa puissance elle en a conservé une très-grande encore, parce qu’elle est restée attachée au travail. Voyez, au contraire, Venise, la reine de l’Adriatique, dont les escadres couvraient les mers dont le nom était respecté dans toutes les parties du monde, tant qu’elle conserva ses habitudes laborieuses et qu’elle tira sa force des capitaux dont disposaient ses négocians, et des besoins des autres peuples qui ne pouvaient se satisfaire qu’avec des produits sortis de ses manufactures ; Venise moderne, cette ville que l’oisiveté laisse pourrir dans les lagunes, est esclave elle appartient à l’Autriche. L’inaction, le découragement ont glacé ses habitans, qui vivent aujourd’hui dans la misère en se drapant dans la gloire de leur passé.

Ainsi, Messieurs, le capital s’augmente de la valeur intrinsèque de l’homme, qui représente les sommes dépensées pour son éducation mécanicien, manœuvre ou penseur, c’est la même chose leur valeur augmente ou diminue suivant leurs capacités, leur utilité échangeable. L’éducation est un capital fixé dans un homme, comme une semence est confiée à la terre l’éducation et la semence doivent l’une et l’autre rapporter des fruits. Bacon a dit : Le talent est un pouvoir ; nous disons : Le talent est une richesse. L’homme qui le possède en a l’usufruit, le fonds reste à son pays. Qu’un homme invente une machine, un procédé, il jouira seul de sa découverte pendant un certain temps ; mais après lui, et de son vivant même après un délai déterminé, elle tombera dans le domaine public, et chacun pourra en profiter.

L’étude est le moyen le meilleur et le plus sûr d’augmenter le capital moral d’un pays, et d’accroître par lui les richesses. Supposez un père ayant deux fils et un capital de 40,000 francs à leur partager. Il leur propose de choisir entre l’ignorance et un sac de 20,000 francs à leur majorité, ou une instruction solide et pas d’argent ; admettez que l’un des fils préfère recevoir sa part en argent et l’autre en science arrivés à vingt ans, les deux jeunes gens sont lancés dans le monde, l’un avec un capital de 20,000 fr. représentant mille francs de rente, l’autre avec un capital moral qui représente les études qu’il a faites et qui ont absorbé la part d’argent semblable à celle de son frère, à laquelle il avait droit. Si, au bout de dix ans, par exemple, vous retrouvez les deux frères : l’un végétera misérablement avec ses mille francs de rente, s’il ne les a pas même entamés et perdus ; tandis que l’autre aura fait son chemin dans l’industrie ou le commerce, et qu’il y aura amassé des capitaux doubles, triples, décuples même de ceux qu’il aurait eu de sa légitime. Maintenant appliquez ce raisonnement à une nation et voyez combien sa puissance devra, être considérable ou réduite, suivant qu’elle aura donné à chacun de ses enfants de l’or, comme l’Espagne, ou de l’instruction comme l’Angleterre.

Adam Smith a dit : ne croyez pas que la nation la plus riche est celle qui a le plus de troupes et de forteresses, mais celle qui a le plus d’intelligence, origine de la richesse. Voyez la Russie, qui occupe tant de place sur la carte, et a des centaines de millions de sujets et des millions de soldats ; et comparez la à l’Angleterre, dont le territoire microscopique semble un point qu’on ne peut observer qu’à la loupe. Ici il n’y a pas des bras nombreux voués à l’oisiveté des garnisons, les chevaux ne piaffent pas sur les places publiques et ne caracolent pas dans les champs de manœuvres ; ils travaillent à la charrue, ce qui ne les empêche pas, quand le besoin se fait sentir, de marcher à la guerre : les charretiers deviennent alors des soldats et des cavaliers, et les chevaux sont attelés aux canons.

C’est le développement quotidien du capital moral qui facilite l’accroissement des richesses nationales et les travaux d’un Watt, d’un Arkwright, d’un Lavoisier, d’un Vauganson, d’un Jacquard sont plus utiles à leurs pays que ceux de généraux illustres dont l’intelligence est réduite à l’oisiveté par la paix, cet état normal des sociétés modernes, ce qui n’empêche pas d’en avoir toujours un très grand nombre très-chèrement payés.

Le premier résultat de l’accroissement des capitaux est d’en diminuer la valeur, c’est-à-dire la rente que l’on paie pour leur usage, et à laquelle on a donné le nom d’intérêt.

Il faut distinguer l’intérêt des profits. Ceux-ci sont toujours honorables, parce qu’ils sont la rémunération d’un travail présent qui se renouvelle chaque jour ; l’intérêt est honorable aussi, mais il l’est moins cependant parce qu’il n’est que le prix accordé pour obtenir la faculté de se servir de capitaux, qui sont le produit d’un travail antérieur et déjà récompensé. De là la différence qui existe entre les travailleurs et les capitalistes, entre le taux de l’intérêt et le chiffre des profits.

Quand les capitaux sont abondants et nombreux, ils sont naturellement moins demandés, et le taux de l’intérêt baisse ; c’est ce qui a lieu en ce moment, et nous conduit tout naturellement à vous dire quelques mots de la question de la réduction de la rente.

Le rentier, c’est le propriétaire d’un capital accumulé autrefois, et qui a besoin pour produire de l’industrie et du savoir-faire d’un homme d’intelligence en disponibilité. Après avoir reçu 10 et 15 p. % de ses capitaux lorsqu’il les faisait valoir lui-même, le rentier trouve dur de n’en plus recevoir que 5, et plus dur encore d’être exposé à n’en recevoir plus que 4 et même moins. Cependant il ne peut pas en être autrement. L’homme dont le savoir et l’activité font marcher une entreprise, doit être plus rémunéré que celui qui n’a eu d’autre talent que celui d’avancer son argent, et d’autre danger à courir que l’éventualité d’une perte partielle.

En Orient, où cette éventualité est souvent proche de la réalisation, le taux de l’intérêt est plus élevé qu’ailleurs il n’est pas rare de le voir à 15 p. % et même plus il est en outre augmenté par le danger qui résulte de la violation des dispositions du Livre Saint, l’Al-Coran, qui défend le prêt à intérêt.

« L’usure, a dit Montesquieu, augmente dans les pays mahométans à proportion de la sévérité de la défense : il faut que le préteur s’indemnise du péril de la contravention. »

Hors ces cas spéciaux, dont on peut trouver encore des exemples dans les colonies où la mauvaise organisation du travail augmente les chances de perte, le taux de l’intérêt est modéré, et il tend continuellement à diminuer par suite de l’abondance des capitaux.

C’est pour avoir observé cette tendance générale vers la baisse, qu’on a songé à mettre les rentiers de l’État sur la même ligne que les rentiers du commerce et de l’industrie, en réduisant la rente 5 p. % à un taux inférieur.

La question est de savoir :

1o Si le gouvernement a le droit d’opérer cette réduction ;

2o S’il a intérêt à la faire ;

3o Quels intérêts sont favorisés par cette mesure

4o Et enfin, quels intérêts elle froisse.

Le gouvernement a le droit, comme tout débiteur, de rembourser son créancier, en lui donnant le taux nominal de sa dette et non le montant effectif de l’emprunt. Presque tous ont été consumés bien au-dessous du pair ; il n’y a donc pas eu service rendu par les préteurs, qui ont acheté de l’emprunt comme de toute autre marchandise ; et on ne saurait parler de reconnaissance nationale, de probité politique lorsque soi-même on n’a fait qu’une affaire. Le gouvernement, dont les finances sont prospères, a donc le droit de faire la réduction, c’est-à-dire de rembourser le 5 p. %, et d’offrir aux porteurs, en échange de leurs inscriptions, soit 100 fr. de capital par chaque 5 francs de rente, soit des coupons d’un nouvel emprunt à un taux inférieur.

Le gouvernement a intérêt à faire la réduction ; c’est même un devoir pour lui, parce qu’il diminue par là les charges publiques d’une somme assez forte, et qu’il rétablit l’équilibre entre la position des prêteurs à l’État et celle des prêteurs à l’industrie, dont les chances et les avantages doivent au moins être les mêmes, s’ils ne sont plus grands en faveur de capitaux industriels.

Les intérêts auxquels la réduction de la rente sera favorable sont assez nombreux. Ils se composent d’abord de toutes les industries, de tous les commerces qui verront affluer vers eux des capitaux dont ils ont souvent besoin, et qui, dans l’état actuel, vont de préférence vers le trésor, parce qu’il paie plus cher que tous les autres. À ces intérêts déjà nombreux, il faut ajouter encore ceux de tous les consommateurs, qui, par suite de l’activité donnée à l’industrie par l’abondance des capitaux, pourront payer moins cher une foule d’objets dont ils ont besoin.

Les intérêts que la réduction de la rente froisse ne forment que quelques exceptions, et ne touchent que peu de personnes. Les rentiers, qui seuls pourraient avoir le droit de se plaindre avec quelques fondements, n’y sont que fort légèrement intéressés, parce qu’ils seront indemnisés par la diminution des impôts qu’ils paient comme contribuables, et par la réduction du prix des objets dont ils ont besoin comme consommateurs.

Il y aura donc profit pour tous dans l’exécution de cette mesure, qui nous enlèverait ainsi l’un de ces nombreux enfants dont parle l’économiste anglais, et dont nous sommes tous abondamment pourvus ; sous ce rapport encore, nous venons de le voir, les rentiers eux-mêmes y gagneraient.

Je terminerai cette leçon sur le capital, en signalant une faute qui se commet très-fréquemment chez nous, et qui nuit gravement aux progrès de la richesse publique. En France, donc, le grand tort de beaucoup d’industriels et de négocians, c’est de se retirer trop tôt et de ne travailler un instant avec quelqu’activité que pour se retirer aussitôt après. Il n’en est pas de même en Angleterre le père reste avec ses enfants, les aide de ses conseils et de son expérience. Chez nous, il semble qu’on ait hâte de se mettre à la charge des autres car c’est là réellement ce que font tous ces hommes qui se retirent jeunes avec toutes leurs connaissances et leur force. Toutes ces intelligences oisives sont perdues pour le pays, c’est une consommation improductive du capital moral.

Dans l’un des voyages que j’ai faits, je me suis trouvé avoir l’occasion de traiter cette question avec le célèbre économiste Malthus, qui me dit chez vous on fait tout bien et vite, l’industrie comme la guerre ; mais on n’attend le résultat de rien, on se dépêche de faire, puis on se retire pour voir travailler les autres. Les vétérans entament la bataille, et ils la laissent terminer aux conscrits qui la perdent.

  1. Babbage, dans sa science des manufactures, donne sur les avantages qui résultent d’une bonne direction du travail dans la fabrication des épingles, quelques renseignements qui ne sont pas sans intérêt.

    Les procédés suivants sont en usage dans la fabrication des épingles : L’étirage du fil de laiton, donne lieu à quatre opérations faites par des hommes.

    Le redressage du fil de laiton, opération confiée à une femme aidée d’un enfant.

    L’épointage, deux opérations, par un ouvrier et un enfant.

    Le posage des têtes, plusieurs opérations, par des femmes et enfants.

    L’étamage, trois opérations faites par un homme et une femme, ou un homme et une enfant.

    La Mise en papier, trois opérations faites par des femmes. »

    Comme on le voit, les différents travaux nécessités pour la fabrication des épingles, peuvent être exécutés par des hommes, des femmes et des enfants, dont les salaires varient avec le degré d’intelligence et d’habileté. S’il fallait que chaque ouvrier fasse lui-même les épingles entières, une partie de son temps serait employé à faire ce dont on peut charger un enfant dont le salaire n’est que de quelques sous, tandis que celui de l’ouvrier est de plusieurs francs ; il résulte donc de la division du travail dans la fabrication des épingles entre les hommes, les femmes et les enfants, outre une économie de temps considérable et une plus parfaite exécution, une économie non moins forte sur les salaires ; économie qui, loin de nuire à l’ouvrier, lui est au contraire favorable. La fabrication des épingles n’est ici qu’un fait entre mille, choisi pour établir la démonstration. Le même raisonnement est applicable à toutes les industries, à tous les jours de travail. (Note du R. Ad. B. (d. V.)

  2. En 1764, James Watt quitta la place de conservateur des médailles de l’université d’Edimbourg, pour se livrer tout entier à l’exécution de la première machine à vapeur améliorée. Le docteur Roebuck lui fit les avances nécessaires pour l’achever ; ce ne fut qu’en 1773 qu’il s’associa avec Mathew Boulton de Birmingham, fabricant distingué et homme de science, et qu’ils fondèrent ensemble, sur la colline alors stérile de Soho, les ateliers que depuis ils ont tant agrandi, et qui ont peuplé ce lieu désert, de beaux jardins et de riches habitations. (Note du R. — Ad. B. (d. V.)
  3. Le métier à tisser mécanique,. depuis long-temps en usage en Angleterre, n’est pas encore généralement adopté en France. Un grand industriel, dont les fabriquent occupent plus de 600 ouvriers, répondit un jour à l’auteur de cette note qui lui demandait pourquoi il n’avait pas remplacé son tissage à la main, par le tissage mécanique. « Pourquoi voulez vous que je fasse une dépense de plus de 100,000 fr., pour changer mes métiers lorsque je vends bien mes produits actuels ? je n’ai pour concurrents que des fabricants qui font comme moi je n’ai donc rien à craindre. Ah ! si les tissus anglais entraient en France, à la bonne heure, je serais forcé de perfectionner mes machines ; mais à quoi bon ? puisque les tarifs me protègent et que, l’espère du moins, on ne les changera pas. »

    Voilà déjà deux ans que cette conversation a eu lieu, et depuis lors, rien n’a changé ; les vielles machines fonctionnent toujours et font payer cher leurs produits aux consommateurs français. Car pour l’étranger, il y a longtemps que nous ne lui vendons plus que des étoffes fines dont le dessin et la couleur font tout le prix, et ne peuvent se trouver ailleurs. Ce sont les tarifs qui nous ont fait perdre d’importants débouchés, pour ces produits, ce sont eux qui ont empêché les perfectionnements sans lesquels on ne pourra jamais obtenir d’économies et de réduction de prix. C'est encore l'obstination des fabricants français à ne par suivre la progrès de la Grande-Bretagne, qui est cause de la concurrence déjà redoutable que nous fait ce pays dans la fabrication des étoffes de soie, dont hier encore nous avions le monopole. Nous conservons encore notre supériorité pour les façonnés, mais les industriels de Spitafields font avec leurs métiers mécaniques des étoffes de soie unies aussi belles et moins chères que les nôtres (Note du R. — Ad. B. (d. V.)