Cours d’agriculture (Rozier)/BEURRE de la Prévalaye

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Libairie d’éducation et des sciences et des arts (Tome dixièmep. 462-466).


BEURRE. Procédé du beurre de la Prévalaye.

La méthode des beurrières de la Prévalaye ne consiste pas uniquement dans la manière de préparer le lait et d’apprêter le beurre, la bonté des pâturages ne suffit même pas pour lui donner ce parfum qui n’est connu qu’à Rennes, et qui est entièrement perdu pour les personnes qui ne le mangent qu’à Paris. Je crois que le gouvernement et le régime des vaches sont une partie très-essentielle. Ainsi je vais commencer par cet article, je ne ferai que décrire ce que j’ai vu pratiquer dans les campagnes mêmes de la Prévalaye.

Les vaches sont logées toute l’année dans des étables bien closes, et couchées sur de la litière de paille fraîche qui est renouvelée tous les soirs. Cette propreté est absolument nécessaire ; sans elle le lait et par conséquent le beurre contracteroient la mauvaise odeur et peut-être le mauvais goût des matières qui se seroient attachées à la peau de l’animal. C’est aussi dans la même vue qu’on les étrille tous les matins. Cette opération se fait avec un simple bouchon de paille. Il seroit à souhaiter qu’on se servît d’étrilles comme on le fait dans quelques autres provinces. Cette pratique auroit le double avantage, et de mieux nettoyer le poil, et de faciliter plus puissamment les transpirations d’un animal qui ne fait presqu’aucun exercice ; ce qui contribueroit beaucoup à sa santé.

On ne retient pas les vaches continuellement dans l’étable. On les mène régulièrement tous les jours dans les prairies ou pâtures, à moins qu’il ne fasse de la pluie, et on les y laisse en hiver depuis 9 heures du matin jusqu’à 4 heures et demie ou cinq heures du soir, c’est-à-dire pendant tout le temps que l’air est suffisamment échauffé par le soleil. En été, au contraire, on les retire soit dans l’étable, soit à l’ombre des arbres pendant la grande chaleur du jour, et on les mène paître soir et matin.

Les plus gras pâturages sont consacrés aux vaches dans les campagnes de la Prévalaye. Mais cette nourriture ne suffit pas à beaucoup près, outre qu’elles ont de bon foin sec à discrétion dans l’étable, on donne tous les jours à chaque vache, deux repas ou portions de son de froment, l’une le matin et l’autre le soir. La préparation de ce son consiste à le démêler dans de l’eau chaude ; chacune de ces potions est composée d’un quart de boisseau de son dans environ un seau d’eau. La mesure qu’on nomme à Rennes un quart contient en effet la quatrième partie d’un boisseau, et le boisseau de froment en grain pèse de 40 à 45 livres poids de marc.

Outre ces potions, on leur fait manger deux ou trois fois par jour en hiver (et pendant le carême qui est la saison ou le beurre de la Prévalaye est le meilleur), ce que les paysans de Rennes appellent de la verte, et ce qu’on nomme dans d’autres provinces du coupage, c’est-à-dire, de l’herbe de seigle qui a été semé dans le mois de septembre, et qui est bonne à faucher dès le mois de février. Les beurrières assurent que c’est ce qui donne le plus de parfum au beurre.

On trait les vaches soir et matin ; dès que le lait est tiré on le passe, pour le purger de toutes les immondices qui peuvent s’y trouver. Cette opération qui n’est peut être pas en usage par-tout, se fait aux environs de Rennes dans des jattes de cuivre jaune dont le fond est percé et garni comme un tamis d’une étamine ou d’un linge très délié. Le linge est préférable. On l’attache par le moyen d’une ficelle engagée avec les bords du linge dans une petite gorge pratiquée à l’extérieur de la jatte. Quoique cette jatte soit fourbie, c’est-à-dire, écurée tous les jours, il seroit à souhaiter qu’elle fût de toute autre matière que de cuivre.

Au sortir de cette jatte le lait est reçu dans des vases très-propres, et dès qu’il est refroidi, on le met dans un lieu couvert. Les paysans de Rennes ont pour cet usage des bahus ou coffres bien clos ; on ajoute (en hiver) au lait tiré le matin, un peu de lait caillé, c’est-à-dire, un demi-gobelet dans trois ou quatre pintes, j’entends par demi-gobelet environ le 14e d’une chopine, ou le demi-poisson de Paris. Cette addition seroit non seulement inutile, mais nuisible en été ; elle développeroit trop l’acide du lait ; et il est très-essentiel qu’il soit insensible lorsqu’on commence à baratter.

Tout ce lait, tant du soir que du matin, est baratté ensemble le lendemain à la pointe du jour. Pour cet effet, on verse la totalité dans une grande baratte, sans en extraire aucune des parties qui composent le lait ; en hiver on approche la baratte du feu ; mais dès que la partie butireuse commence à se séparer, on a grand soin de l’en éloigner ; sans cette précaution le beurre seroit blanc ; on éprouveroit le même inconvénient si l’opération étoit trop longue. Ainsi on doit y employer une femme vigoureuse, et qui ne se permette que peu de repos.

Dès que toute la partie butireuse est séparée, on la reçoit dans une jatte de bois aussi très-propre et bien lavée en eau froide avant de s’en servir ; c’est dans cette jatte qu’on pétrit le beurre pour le délaiter. Cette opération se fait, dans les campagnes de Rennes, avec une cuiller de buis très forte qu’on trempe de temps en temps dans de l’eau fraîche : le manche de cette cuiller n’a pas tout-à-fait 6 pouces de long et environ 10 lignes de diamètre dans toute sa longueur, le cuilleron est long de 4 pouces et demi, épais de 4 lignes dans le milieu du fond, et large de 3 pouces 5 lignes.

Il est très-essentiel de bien délaiter le beurre, c’est-à-dire, d’en extraire exactement tout le petit lait. Pour cet effet, on étend fréquemment le beurre avec la cuiller de buis dans de l’eau fraîche qu’on égoutte et qu’on renouvelle de temps en temps. Cette opération est assez facile, lorsque l’air est frais et serein, mais elle devient très-difficile quand la chaleur est grande, ou qu’il fait du brouillard ou de l’orage ; le beurre est alors si mou, qu’on n’y parvient qu’en la faisant à plusieurs reprises. Après l’avoir bien pétri, on en forme une pelotte qu’on couvre d’un vase renversé, et on le met en lieu frais pendant quelques heures ; on le repétrit ensuite et on le remet rafraîchir pour être pétri de nouveau, l’on continue ainsi jusqu’à ce qu’il soit entièrement purgé de son petit lait. On reconnoît qu’il n’en contient plus lorsque le beurre a acquis de la solidité, ou que l’eau qu’on y a mise ne prend presque plus de couleur laiteuse.

Ce n’est qu’après cette opération qu’on sale le beurre. Les beurrières de Rennes y emploient du sel très-blanc et très-fin ; non du sel blanc tel qu’on le tire de Guérande, mais du sel gris blanchi au feu suivant une méthode qui est connue de tout le monde. Il n’est peut-être pas difficile de trouver la raison de cette préférence. Le sel blanc de Guérande est très-salé, et ses cubes sont très-gros. Le sel gris, au contraire, qui a été blanchi en eau bouillante est peu salé, et ses parties sont très-fines. Le beurre, ne contenant presque plus d’humidité lorsqu’on y met du sel, ce sel y reste dans son état de cristallisation.. Si on faisoit usage de sel dont les parties fussent très-grosses et très-salées, on le retrouveroit sous la dent ; et comme il n’en faudroit qu’une petite quantité pour le degré de salure qu’exige le beurre frais, cette salure ne seroit pas également répandue dans toutes les parties du beurre. Il est inutile de décrire la manière dont on étend le sel ; tout le monde sait ou présume que c’est en repétrissant le beurre avec la cuiller. On ne peut fixer ici la dose du sel, pour une quantité donnée de beurre. Les beurrières n’ont d’autre règle que celle de leur goût.

J’ai dit, en parlant des vases dont on se sert, qu’ils doivent être très-propres ; cette propreté et le choix des vases sont très-essentiels ; les pots de grès, dont on se sert dans les campagnes de Rennes, sont sans comparaison les meilleurs. (Je crois qu’on ne doit jamais faire usage de pots vernissés). Dès qu’ils sont vides, on a grande attention de les laver en eau chaude et presque bouillante ; on frotte les parois intérieures fortement avec un petit balai de houx-frelon, et on les fait sécher en exposant l’ouverture des pots devant un feu clair ; on les met ensuite en lieu propre, l’orifice en bas ; et afin que l’ouverture du vase soit exposée à l’air, on les suspend et on les accroche par l’orifice à des crochets de bois ; ces crochets sont de houx ou d’autres bois fort rameux auxquels on laisse toutes les branches coupées à 12 ou 15 pouces de leur naissance. Ceux qui ont observé la disposition des branches de houx, lui donneront la préférence ; mais quelque bois qu’on choisisse, il faut qu’il soit bien dépouillé de toute son écorce..

Les barattes de Rennes sont aussi de grès très-cuites et très-fortes, on a le même soin de les laver en eau chaude immédiatement après que le beurre est fait, de les frotter pendant long-temps, et de les mettre sécher soit devant le feu, soit au soleil, pendant tout le jour.

La jatte où l’on délaite le beurre, et la cuiller qui sert à le pétrir, sont aussi très-exactement lavées et trempées en eau bouillante aussitôt que le beurre est fait. Les beurrières de Rennes regardent toutes ces attentions comme indispensables, pour que le beurre ne contracte aucun mauvais goût.


Manière de faire le beurre en Bretagne pour envoi.

Il faut avoir une grande jatte de bois, un peu profonde, une grande cuiller de bois bien polie.

1°. Mettre le beurre sortant de la baratte dans la jatte, le bien pétrir avec la cuiller, pour en extraire toutes les parties laiteuses, ensuite le saler, en saupoudrant par couche de sel le plus fin et le plus blanc.

2°. Pétrir de nouveau le beurre, pour en extraire toutes les parties aqueuses que le sel pourroit avoir introduites, et aussi à l’effet de bien fondre le sel, et le diviser également dans toutes les parties du beurre.

Quand on se sera bien assuré d’avoir détaché toutes les parties laiteuses et aqueuses du beurre, on en fera un pain à peu près de la forme de l’intérieur du panier dans lequel on le mettra.

3o. Avoir de petits paniers carrés, que l’on tapissera de linge blanc, mouillé auparavant dans de l’eau salée, et qui excédera chaque côté du petit panier, de manière à couvrir la totalité du pain de beurre sur les quatres faces, ensuite un petit morceau de toile d’emballage, cousu avec de la ficelle.

Si on veut envoyer du beurre dans de petits pots de grès, on remplira chaque pot environ à quatre lignes du bord ; puis du sel blanc que l’on mettra cinq à six lignes au dessus du bord, se terminant en forme ronde ; on couvrira le tout avec un morceau de linge blanc sec, que l’on attachera avec du fil au-dessous du bourrelet du pot, que l’on aura eu soin de bien laver et nettoyer, ainsi que tous les vases et ustensiles qui servent à faire le beurre, la propreté étant ce qu’il y a de plus essentiel à la fabrication du bon beurre.

Quant à la dose du sel, elle ne peut être indiquée que par le goût que chaque personne peut avoir pour le sel, ce que l’usage fait acquérir bientôt. Il faut s’attacher à le bien faire fondre dans le beurre, et sur-tout à bien faire égoutter le beurre de toutes les parties, aqueuses et laiteuses. Quant à la couleur, elle dépend absolument de la bonté et de la nature des pâturages. Lasteyrie.