Cours d’agriculture (Rozier)/ANIMAUX à naturaliser en France

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Libairie d’éducation et des sciences et des arts (Tome dixièmep. 446-462).


ANIMAUX à naturaliser en France.

Nous allons nous occuper des animaux qui n’ont pas encore été amenés à l’état de domesticité, ou de ceux qui, vivant dans cet état ailleurs, méritent d’être naturalisés parmi nous.

Nous tracerons la marche que les hommes ont suivie dans la naturalisation des animaux, celle qui nous reste à suivre, les moyens que nous croyons propres à faciliter cette entreprise ; enfin nous donnerons une instruction pour aider dans le choix des animaux.

Les premiers hommes trouvaient leur nourriture dans les fruits spontanées de la terre, ou parmi les animaux qui peuplent les forêts ou habitent les eaux. Le manque de fruits dans de certaines circonstances, les travaux toujours pénibles et quelquefois insuffisans de la chasse et de la pêche, portèrent insensiblement l’homme à la culture de la terre. Alors il chercha parmi les animaux ceux qui avoient assez de force et de docilité pour faciliter et accélérer ses travaux, ou qui lui offiroient des ressources pour se nourrir et se vêtir, C’est ainsi qu’il a dompté par succession de tems les animaux qui lui sont le plus utiles.

Le choix n’a pas toujours été dirigé sur les espèces dont on devoit attendre les plus grands avantages ; on s’est décidé souvent ou d’après des besoins pressans, ou d’après des circonstances locales.

Une peuplade qui voudroit se livrer aux travaux de l’agriculture, et qui ne connoitroit aucun des animaux domestiques recevroit avec joie les plus mauvaises races d’ânes ou de moutons que nous ayons en Europe, et rien ne les conduiroit à penser qu’il existe des animaux plus propres à aider l’homme dans ses travaux, à lui fournir de meilleurs alimens, des vêtemens plus appropriés à ses besoins ou à ses goûts. Ce n’est qu’autant que les sociétés s’agrandissent et se perfectionnent, et que les lumières et les besoins se multiplient par les relations commerciales, que l’homme est animé par le désir, et soutenu par le pouvoir d’améliorer son sort en augmentant ses jouissances.

Les Grecs et les Romains avant qu’ils sortissent de l’état de barbarie, cultivoient un petit nombre de plantes : ils élevoient peu d’animaux. Mais leur prospérité commençant à s’accroître, ils voulurent l’augmenter de plus en plus en s’appropriant les plantes et les animaux utiles qu’ils trouvoient chez les autres nations.

Après la conquête des Gaules, ils apprirent à nos ancêtres à connoître ces nouvelles richesses. C’est à ce peuple conquérant et observateur que nous devons plusieurs fruits qui font aujourd’hui les délices de nos tables. La découverte de l’Amérique, les voyages qui se sont multipliés, les progrès que l’histoire naturelle et l’économie rurale ont fait dans le dernier siècle, sont autant de causes qui ont augmenté presque à l’infini le nombre des espèces et des variétés de fruits, et qui ont presque doublé celui des races précieuses d’animaux.

Si les conquêtes que nous avons faites sur la nature, sont grandes, celles qui nous restent à faire peuvent les égaler ou même les surpasser.

Ces sortes d’acquisitions ainsi que nous le prouve l’expérience, se font toujours lentement. L’homme qui jouit se contente de ses jouissances présentes, il cherche rarement à les porter au-delà de ses habitudes ou des objets qui frappent immédiatement ses sens.

Les souverains et les riches particuliers se couvroient avec orgueil dans le douzième siècle, de vêtemens qui seroient aujourd’hui dédaignés par les citoyens des classes inférieures. Si un homme éclairé eût proposé à cette époque de naturaliser les races de moutons à laine fine, ou le ver à soie, on eût regardé cette idée comme chimérique ou absurde.

Aujourd’hui de telles propositions sont écoutées : et il est heureusement peu de personnes qui n’en sentent l’importance. Cependant l’apathie où nous retiennent nos anciennes habitudes empêche, ou du moins retarde l’exécution de ces projets vivifians. L’homme riche occupé de ses jouissances ne sent pas qu’il peut facilement en augmenter le nombre ; celui qui possède une fortune médiocre, satisfait de son sort, ne cherche pas à le rendre meilleur. C’est ainsi qu’on reste indiffèrent sur des améliorations avantageuses à tous, même à la classe indigente, mais qui heureusement profite toujours de la prospérité des autres classes.

On sait qu’il n’y a pas de pays en Europe où les races des animaux domestiques soient aussi belles et aussi bonnes qu’en Angleterre. Cette amélioration est absolument étrangère au sol et au climat de la Grande-Bretagne. Elle est due aux soins que les Anglais ont eus de choisir dans tous les pays les plus belles espèces, et de les naturaliser chez eux. Quoique sous un.climat austère, ils ont introduit depuis quelques années de nouvelles espèces d’animaux dans l’espérance d’en tirer des produits favorables à l’agriculture et à l’industrie. Imitons les Anglois dans cette louable activité qui tend sans cesse à augmenter les fortunes particulières, et qui toujours enfante la prospérité publique ; mais cessons de les imiter dans ces goûts frivoles qui en ruinant nos manufactures, font prospérer celles de nos plus cruels ennemis, et leur fournissent les moyens de nous susciter des guerres éternelles.

Tous les animaux domestiques asservis à l’homme, ont vécu primitivement dans une entière indépendance. L’Asie, qui paroit être la région d’où l’homme et les animaux ont tiré leur origine, conserve encore aujourd’hui les races primitives du cheval, de l’âne, de la chèvre, du mouton, du coq, etc. Le taureau sauvage étoit anciennement très-commun dans la Germanie, et se retrouve encore aujourd’hui dans les vastes forêts du nord de l’Europe. Lorsque l’homme dompta et apprivoisa ces animaux, ils n’étoient pas moins féroces ou moins sauvages que les individus qui vivent encore sous l’empire de la nature. La nécessité et l’industrie sont parvenues cependant à assouplir leur caractère, à les plier aux besoins de l’homme. Il a fallu, sans doute, un grand nombre de siècles, des hasards heureux, et sur-tout des besoins pressans pour faire ces importantes acquisitions ; mais on a cessé de pousser plus loin les recherches et les tentatives, depuis que l’homme s’est trouvé suffisamment secouru par tant d’animaux propres à le nourrir, à le vêtir et à le seconder dans ses travaux et dans ses entreprises. Telle est la cause qui nous prive depuis longtems de la jouissance de plusieurs animaux sauvages, qui ne sont ni plus féroces, ni moins utiles que les espèces réduites à l’état de domesticité.

Si quelques essais de ce genre n’ont pas réussi, ce n’est pas que le naturel de certains animaux soit intraitable. L’expérience des succès qu’on a eus eu domptant le taureau, le cheval, etc. nous prouvent la possibilité de faire encore des conquêtes en ce genre.

Pallas raconte, dans son voyage de Russie, qu’un cosaque ayant pris un poulain sauvage, voulut l’élever et qu’il le nourrit pendant plusieurs mois ; mais que le jeune animal resta toujours sauvage, et finit par se tuer. Si cet essai eût été fait dans un pays où les chevaux domestiques n’eussent pas été connus, on n’auroit pas hésité à conclure que le cheval étoit un animal indomptable.

Il y a peu d’animaux aussi féroces et aussi dangereux que le buffle sauvage ; cependant il a produit le buffle domestique, qui, chez plusieurs nations, partage les travaux des champs avec l’homme, et le nourrit de son lait.

Les canards musqués, qui paroissent n’être sortis de l’état de nature que vers le milieu du seizième siècle, sont une des espèces les plus difficiles à apprivoiser. « Ils sont farouches et défians, (dit Laborde dans son voyage à la Guyane), et ils ne se laissent guère approcher ».

Si l’on vouloit rapporter tous les faits de ce genre, il faudroit faire une énumération complette de nos animaux domestiques. Il suffit d’avoir prouvé qu’avec des recherches, de l’industrie et de la patience, il nous sera facile de doubler le nombre de ceux que nous possédons. Voyons par quels moyens nous pourrons y parvenir.

Moyens à employer pour augmenter le nombre de nos animaux domestiques.

1°. Il faut, avant tout, s’informer dans les pays étrangers, quels sont les animaux domestiques du pays, et ceux qui vivent dans les campagnes, livrés à leur propre instinct.

2°. Si l’on découvre un animal sauvage qui paroisse offrir quelques avantages, il faudra, si c’est un quadrupède, s’en procurer les petits peu de jours après leur naissance, et les faire allaiter par un animal domestique, le plus analogue à cette espèce. Les petits qui n’auront pas connu leur mère, s’accoutumeront avec celle qui lui sera substituée ; et celle-ci étant familière avec l’homme, ses nourrissons perdront par l’exemple le caractère sauvage qu’ils semblent tenir de la nature. L’imitation a sur les animaux, ainsi que sur l’homme, une influence plus grande qu’on ne l’imagine communément.

Si c’est un oiseau qu’on veut amener à la domesticité, on fera couver les œufs par l’espèce la plus analogue.

3°. On placera ces animaux dans des bâtimens commodes et aérés, ou, ce qui est préférable, sous des hangars. Il seroit avantageux d’avoir, vis-à-vis de leur demeure, une cour plantée de quelques arbres, pour leur servir de promenade ou d’abri. Ce local ne doit être ni trop spacieux, ni trop couvert, pour qu’ils ne puissent pas se dérober à la vue des hommes. Ce terrein sera enclos et fermé, afin d’en interdire l’accès aux animaux et aux personnes qui pourroient les troubler ou les épouvanter. Il seroit bon que la porte ou les fenêtres d’un appartement habité donnassent sur la cour et les hangars. Il est peu de moyens aussi puissans pour apprivoiser un animal, que la vue habituelle de l’homme.

4°. Il faut, autant qu’on le peut, donner à ces animaux la nourriture qu’ils ont coutume de prendre lorsqu’ils jouissent de leur liberté : il seroit même très-à-propos de faire ramasser les graines des plantes, qu’ils choisissent de préférence, et de les cultiver pour leur servir de fourage. On les conduira graduellement à une autre nourriture. S’ils refusent toute espèce d’alimens, on fera manger devant eux d’autres animaux. On a l’exemple d’animaux mourans de faim, dédaignant les alimens qu’on leur présentoit, et qu’ils voyoient manger par d’autres animaux. Ils refusoient de les prendre, parce qu’ils n’en avoient jamais goûté. Si on leur présentoit des alimens qui leur fussent connus, ils les mangeoient, et passoient insensiblement à ceux qu’ils avoient d’abord refusés.

5°. On doit sur toute chose traiter avec douceur les animaux que l’on veut amener à l’état de domesticité. Un coup qui leur sera donné, un cri et même un geste qui les épouvante peut rendre inutiles tous les soins qu’on se donnera, et faire manquer sans ressource l’entreprise.

Il faut les loger avec des animaux d’un naturel doux, qui ne les troublent point, et qui soient très-familiers avec l’homme. Ainsi ils s’habitueront insensiblement à nous voir, et ne craindront point nos approches. Celui qui en prendra soin les accoutumera à venir prendre leur nourriture auprès de lui, même dans ses mains.

Si un animal s’obstine à fuir la présence de l’homme, on le rendra docile en l’affamant, et en le privant du sommeil plusieurs jours de suite. Avec de tels soins et de la patience, il y a peu d’animaux qu’on ne parvienne à maîtriser.

6°. Il est rare de voir produire les animaux que l’on transporte dans un pays dont la température diffère considérablement de celle à laquelle ils sont habitués dès leur enfance. Aussi les animaux que nous enfermons dans nos ménageries y mènent-ils une vie languissante, et y périssent sans laisser de postérité. Ces faits ne prouvent cependant pas qu’il soit impossible de les faire produire dans nos pays tempérés de l’Europe, puisque de semblables animaux s’y sont accouplés, et ont donné des petits qui ont vécu plusieurs années.

J’ai vu au cabinet d’histoire naturelle de Hesse Cassel, un dromadaire et un léopard empaillés qui étoient nés aux environs de cette ville, où le froid est plus long et plus rigoureux qu’à Paris. Je le répète, ce n’est qu’avec de l’adresse et de l’intelligence qu’on obtiendra des animaux le fruit de leurs amours.

Le climat cependant influe sur les animaux comme sur les plantes. Certaines espèces ne peuvent soutenir un passage subit d’une température à une autre. C’est pourquoi, lorsqu’on a apprivoisé dans son pays natal un animal sauvage, si l’on présume que le climat de France lui soit contraire, pour éviter cette transition subite, on le fera passer dans un lieu intermédiaire ; et l’on enverra de ce dernier endroit sa première génération, ou l’une des suivantes. On doit employer la même précaution pour les animaux qui vivent en domesticité.

7°. Il existe des animaux dociles, et auxquels notre climat n’est pas contraire, mais qui refusent cependant de s’accoupler avec leur espèce. Chaque espèce a ses habitudes et son instinct, ainsi que l’homme a ses habitudes et ses idées. On ne doit pas s’étonner s’ils ne se livrent pas aux doux transports de l’amour, lorsqu’on les fait passer brusquement de la liberté à l’esclavage ; lorsqu’au lieu des champs où ils erroient à volonté, on les retient dans une sombre et étroite prison ; lorsqu’on les entoure de bâtimens et d’autres objets qui leur rappellent sans cesse leur captivité ; lorsque enfin ils sont habituellement intimidés par la présence de l’homme et par celle d’autres animaux.

Il faut, pour réussir, les rapprocher de la nature ; leur donner par l’illusion ce qu’on leur a enlevé en réalité.

Les animaux sauvages sont dominés par la timidité, de même que l’homme est retenu par la pudeur. Ils ont besoin de se croire libres, isolés, et heureux, pour se livrer à un acte qu’on ne commande pas.

Il seroit à propos de séparer la femelle du mâle quelque tems avant l’époque de la chaleur. On leur donnera alors une nourriture succulente et en plus grande quantité ; on les tiendra dans une habitation ou un enclos plus spacieux ; on évitera de les troubler, et on les visitera rarement.

8°. Si malgré ces attentions le mâle refuse les approches de sa femelle, on pourra essayer de faire couvrir celle-ci par un mâle d’une espèce analogue, mais qui soit habituée à la domesticité. Ces sortes d’expériences tentées souvent, ont manqué presque toujours parce que le succès dépend essentiellement de précautions et de soins dont tout le monde n’est pas capable. On a nié long-tems que le bouc pût produire avec la brebis, le loup avec le chien ; mais des expériences mieux soignées ont constaté la fécondité de ces accouplemens.

En croisant ainsi différentes races, ou même des animaux qui paroissent de différentes espèces, on obtiendra des individus qui produiront des races nouvelles, plus avantageuses, peut-être, que celles que nous possédons.

Il y a des animaux qui ne s’allient jamais entr’eux lorsqu’ils vivent en liberté tels que le taureau ou l’âne avec la jument, le canard musqué avec les canards ordinaires ; mais ils ne répugnent pas à cette alliance lorsqu’ils sont soumis à l’homme, et engendrent des métis qui augmentent ses forces et ses jouissances.

9°. Les modes par lesquels la nature agit sont tellement diversifiés, et ils nous sont si peu connus, qu’il seroit téméraire de fixer les bornes de sa puissance.

Lorsque les recherches et l’application se seront dirigées vers la branche importante de l’économie rurale dont nous traitons ici, il est probable qu’on donnera l’être à de nouvelles races, je dirai presque à de nouvelles espèces plus précieuses, peut-être que celles que nous possédons. Les Anglois qui ont fait le premier pas dans cette carrière, ont obtenu des produits étonnans. Mais que de découvertes à faire avant qu’on ait atteint le terme de la carrière !

Si l’on vouloit employer tous les moyens que la physique et l’anatomie nous présentent, on parviendroit promptement à des résultats dont l’agriculture retireroit de grands avantages. La médecine calme la fureur des insensés et les rappelle à la raison ; pourquoi n’adouciroit-elle pas la férocité des animaux ? Les expériences de Spalanzani sur la génération n’indiquent-elles pas des moyens que la nature livrée à elle-même nous refuse ?

Mais ce n’est pas ici le lieu de traiter plus au long cette matière ; il suffit de l’avoir indiquée. Rentrons plus particulièrement dans notre sujet.

L’utilité reconnue des animaux que nous allons désigner nous porte à croire que plusieurs personnes stimulées par leur propre intérêt autant que par celui de leur patrie, feront leurs efforts pour se les procurer. Il sera facile aux commerçans, aux capitaines de vaisseaux, aux particuliers qui ont des possessions aux isles, et aux voyageurs de conduire eux-mêmes ou de faire conduire en France les animaux dont l’acquisition leur paroîtra la plus avantageuse.

Afin que les dépenses d’achat, de transport, etc. ne soient pas perdues, et que les espérances bien fondées des particuliers puissent se réaliser plus facilement, nous croyons à propos de donner une instruction qui pourra être utile à ceux qui seront chargés du choix de ces animaux.


Instruction pour les personnes chargées du choix des animaux.

1°. On doit choisir les animaux à l’âge où ils cessent de teter leurs mères ; alors ils s’apprivoiseront, et s’acclimateront plus facilement. Il est cependant de certains animaux, tels que le cheval, le bœuf, etc. qui doivent être choisis à l’âge où ils ont presqu’atteint leur entier développement. Cette précaution doit être prise pour s’assurer que l’animal n’a aucun défaut.

2°. On enverra plusieurs mâles et plusieurs femelles de la même espèce, sur-tout si la valeur de ces espèces est bien reconnue, afin d’obvier ainsi aux accidens qui peuvent survenir dans la route. Il seroit même plus sûr de les envoyer sur différens bâtimens, et à différentes époques. On doit, pour les faire voyager, choisir, autant que les circonstances le permettent, la saison la plus analogue à la température du pays où est né l’animal.

3°. On préférera les animaux les mieux proportionnés, les plus grands, les plus dociles, les races les moins délicates, celles dont les individus s’accommodent des nourritures les plus communes ; qui font annuellement un plus grand nombre de petits, et dont la croissance est la plus prompte. Il faut, en général, que les mâles soient de la même couleur que les femelles.

4°. On choisira parmi les animaux de monture ceux qui sont les plus légers, qui ont l’allure la plus douce, le port le plus gracieux. Les animaux de trait ou de labour doivent être gros et robustes. Si l’espèce qu’on veut exporter est uniquement choisie pour servir de nourriture à l’homme, il faudra donner la préférence aux races qui sont les plus grosses, et qui engraissent le mieux et le plus promptement.

5°. Si toutes les qualités désirables ne se trouvent pas réunies dans le même animal, on se décidera d’après l’importance ou le nombre de ses qualités.

6°. Afin de se procurer les animaux les plus beaux et les plus recommandables par leurs qualités, il sera bon de choisir dans les cantons où les races seront les plus estimées, et parmi les troupeaux qui ont le plus de réputation ; ensuite on examinera chaqque bête l’une après l’autre ; on séparera celles qui paroîtront le mieux convenir, dans un nombre double de celui qu’on se propose de prendre.

7°. Le premier triage étant fait, ou examinera de nouveau les animaux choisis, et on mettra à part, pour la seconde fois, ceux qui seront doués des qualités les plus désirables, en rejettent ceux qui ne seroient pas aussi bien conformés, ou qui auroient quelques vices ou quelques symptômes de maladie.

8°. On fera une marque particulière à chaque animal, afin d’indiquer sûrement aux personnes auxquelles ils seront adressés, quelles sont les qualités particulières de chacun de ces animaux, et pour quelles raisons on leur a donné la préférence : mais afin d’éviter toute méprise et tout accident, on marquera les animaux, soit en taillant le oreilles de diverses manières, soit en leur appliquant des numéros avec un fer rouge.

9°. Lorsque l’éloignement, ou d’autres causes, ne permettront, pas d’envoyer des animaux vivans, il seroit utile d’envoyer leurs peaux couvertes de la laine, afin qu’on fût plus à portée de juger quels avantages on pourroit en retirer.

10°. Les oiseaux étant d’un naturel plus délicat que les quadrupèdes, ils supportent en général les longues routes moins facilement que ceux-ci. Si l’on craint de les perdre dans le transport, il sera à propos d’en avoir les œufs, qu’on vernira lorsqu’ils sont frais, afin que l’air ne les altère pas. On peut les vernir avec deux ou trois couches de vernis le plus commun, ou les enduire d’une légère couche de graisse de mouton, ou d’huile, ou de cire liquéfiée. Les œufs dans cet état se conserveront féconds pendant six semaines au moins. On doit cependant les préserver des cahots sur terre ou des roulis sur mer ; à cet effet, on les assujettit exactement dans une boîte, avec du coton, du son, ou de la sciure de bois, etc., et on suspend la boîte dans un filet.

Le choix des belles races de moutons et de quelques autres animaux à laine, tels que la vigogne, étant assez difficile pour ceux qui ne se sont jamais occupés de ces objets, nous allons ajouter ici quelques observations qui pourront faciliter leurs recherches.


Précautions qu’exige le choix des bêtes à laine.

1°. La toison est la chose principale à laquelle on doit s’attacher ; mais il ne faut cependant pas perdre de vue les avantages et les qualités que présente le corps de l’animal ; l’un doit être combiné avec l’autre,

2°. On choisira les animaux dont la toison est la plus fine, la plus douce, la plus soyeuse, la plus abondante en filamens, et la plus égale. Les laines longues et nerveuses étant également importantes pour la fabrication de certaines étoffes, on étendra également ses recherches sur les animaux qui les produisent. On donnera la préférence à ceux qui présenteront ces qualités à un plus haut degré, ou qui en réuniront un plus grand nombre, considérant sur-tout la finesse, la douceur et le nerf de la laine.

3°. On rejettera, s’il est possible, les animaux qui ont du jarre, c’est-à-dire, des poils plus gros, plus rudes, et d’une teinte différente de celle des brins de laine parmi lesquels ils croissent souvent ; ceux dont la laine ne seroit pas d’une couleur uniforme, ou qui auroient des taches sur le corps ou dans la bouche.

4°. La couleur blanche est préférable, et toujours à raison de son éclat. Si l’on trouve des animaux qui donnent une fourrure d’une autre couleur, mais remarquable par sa beauté, on ne négligera pas de les envoyer. On ne choisira jamais ceux qui sont tachetés de diverses couleurs.[1]


Liste des animaux qui peuvent être acclimatés en France.

I. Le mouton à longue queue, Ovis longicauda, Ovis dolichura, de Pallas, ou mouton tscherkessien, des Russes. Cette variété, dont la queue est longue et traîne par terre, ne trouve dans l’Ukraine et la Podolie. Elle est de haute taille et produit une bonne laine, exempte de jarre. Les peaux des agneaux de cette race donnent les belles fourrures qui se vendent à très-grand prix en Russie, Les blanches sont les plus estimées ; viennent ensuite celles qui sont d’un beau noir.

H. Le mouton à large queue, Ovis laticauda, qu’élèvent les Tartares Kirguises, dans les vastes plaines de la Tartarie méridionale. Cette race de moutons, inconnue dans le midi de l’Europe, est cependant la plus nombreuse de toutes. Elle forme des troupeaux dans la Tartarie méridionale, dans la Perse, la Syrie, la Judée, la Barbarie, et se trouve jusqu’au Cap de Bonne-Espérance : elle varie dans la finesse et la rudesse de sa laine. Plusieurs voyageurs s’accordent à dire que la queue de ces moutons, qui est un manger délicat, pèse de trente à quarante livres. Pallas, qui affirme le même fait, dit en outre que la queue des moutons des Kirguises donne vingt à trente livres de suif, et que l’animal pèse communément cent trente deux à cent soixante trois livres.

III. Le mouton à larges fesses, qu’on élève dans plusieurs cantons de la Russie, de la Perse, et même de la Chine, est sans queue, et porte, à la partie postérieure de son corps, deux masses de graisse, qu’on dit peser jusqu’à quarante livres.

IV. Les mémoires des missionnaires Chinois parlent d’une race de mouton qui habite les déserts occidentaux de la Chine. Ces animaux, qui ont une bosse sur le dos, pèsent quatre-vingt à cent livres, sont gros comme de petits ânes, et servent de nourriture aux Tartares. On promène les enfans dans les rues de Pékin sur des voitures traînées par ces moutons.

V. Le mouton de Bucharie, variété qui paroît provenir du mélange des races à longue queue, avec les races à large queue. Elle est très-commune chez les Tartares de Bucharie et dans la Perse. Elle produit des laines plus fines que celle du mouton à longue queue. Les fourrures des agneaux ont aussi plus de valeur ; elles sont satinées, et forment des ondulations très agréables à la vue.

VI. La race des montons du Kerman et du Kyschmir ou Cachemire donnent les plus belles laines connues. Elles servent à la fabrication des beaux schawls qui nous viennent de la Perse, « Ces schawls (dit Pallas, Voyage dans les Gouvernemens méridionaux de la Russie, tom. I. pag. 171.) sont faits de la laine des moutons de Kerman et Kyschmire dont la qualité soyeuse surpasse de beaucoup l’éclat et la beauté de la soie la plus blanche. L’introduction d’une race aussi précieuse seroit d’un grand avantage pour nos manufactures.

VII. La race des moutons d’Espagne à laine fine devient tous les jours plus commune en France. L’avantage éminent que ces animaux ont sur nos mauvaises races a déterminé plusieurs particuliers à se livrer à leur éducation[2]. Nous conseillons vivement à tous ceux qui connoissent leurs vrais intérêts de se procurer cette race précieuse. Les succès qu’elle a eus en Suède, dans diverses parties de l’Allemagne, et sur-tout en Saxe, dont nous avons été témoins oculaires, nous ont convaincus qu’elle peut réussir dans tous les lieux de à France où on élève des moutons.

VIII. La Vigogne. Camelus tophis nullis, corpore lanato. L. Elle est d’une taille inférieure au Lama auquel elle ressemble beaucoup. Elle n’a jamais été amenée a l’état de domesticité. Elle habite les hautes montagnes de l’Amérique méridionale : on la trouve principalement sur les côtes occidentales de cette partie du nouveau continent. La laine précieuse de cet animal alimente, dans plusieurs de leurs provinces, des manufactures de draps et de bonneterie. On en fabrique des mouchoirs, des gants, des bas, des chapeaux, des tapis, etc. Elle est ordinairement de couleur fauve, il y en a de noire et de mélangée. La vigogne donne du lait ; sa chair a de la saveur ; et sa peau préparée s’emploie à divers usages. On connoit les draps faits avec sa laine. Ils surpassent en beauté et en prix les autres espèces de draperies[3]. J’ai appris lorsque j’étois à Aranjuez, maison du roi, à 12 lieues de Madrid, que les vigognes qu’on y avoit transportées y avoient vécu plusieurs années, et que même elles avoient engendré. Mais comme ou les conservoit pour la seule curiosité, on les a négligées, et elles ont péri.

On a nourri une vigogne pendant 14 mois à Charenton, aux environs de Paris ; elle venoit d’Angleterre où elle avoit vécu un certain tems ; ainsi il est très-probable que cette espèce d’animal se naturaliseroit facilement en France.

Les hautes montagnes telles que les Alpes, les Pyrénées, les Cévènes, les Vosges, celles de Corse, etc. doivent être choisies de préférence pour cette naturalisation. Nous invitons fortement les citoyens qui ont des propriétés sur ces montagnes à faire des tentatives dont le succès est presque certain.

« Ces animaux (dit Buffon) » seroient une excellente acquisition pour l’Europe, et produiroient plus de biens réels que tout le métal du nouveau monde »

Il seroit aussi utile, et plus facile de les introduire à Saint-Domingue, et dans quelques autres îles de la république. Celui qui le premier naturalisera les vigognes en France aura bien mérité de la patrie ; et la postérité reconnoissante le placera au-dessus de ces conquérans dont les victoires entraînent avec elles tant de maux et procurent de si foibles avantages.

Si le gouvernement s’intéresse à la prospérité publique, pourquoi ne consacreroit-il pas une somme pour récompenser celui qui naturaliseroit en France les vigognes ? « Cet objet, dit Raynal, est digne de l’attention des hommes d’état, que la philosophie doit éclairer dans toutes leurs démarches ».

IX. Le Lama, camelus dorso lœvi, topho picturali, L. habite les hautes régions des Cordillières les anciens Péruviens l’avoient amené à l’état de domesticité, et s’en servoient pour porter les fardeaux. Les Espagnols l’emploient aux mêmes usages. Ils lui font faire des routes de deux cents lieues, et le chargent de cent à cent-cinquante livres. Cet animal docile est facile à nourrir ; il marche avec sûreté dans des chemins impraticables pour toute autre espèce de bête de somme. Il pourroit remplacer l’âne dans plusieurs circonstances. Les femmes, au Pérou le préfèrent à toute autre monture à cause de la douceur de son pas. Il a la hauteur d’un âne de grande taille, et le corps plus alongé. Il est entièrement couvert d’une laine longue plus belle que celle du mouton ; il vit et engendre dans les climats froids et dans les pays dont la température est plus chaude que celle de la France.

Il existe peu d’animaux aussi utiles et d’un aussi grand rapport. Il soulage l’homme dans ses travaux ; il lui donne chaque année une toison précieuse pour servir à ses vètemens ; enfin après lui avoir rendu de si grands services durant sa vie, il lui offre à sa mort une nourriture saine et succulente.

X. L’Apalca, qui doit être rangé dans la même famille que le lama et la vigogne, tient le milieu entre ces deux animaux par la qualité de sa laine qui est plus fournie et plus fine que celle du lama. Il est sauvage, et paroît jouir d’une constitution plus robuste que la vigogne.

XI. La Chèvre d’Afrique, espèce qui est plus petite que celle qu’on élève en France, est très-commune sur les côtes d’Angola et de Guinée, où l’on préfère sa chair à celle du mouton.

XII. J’ai vu dans diverses parties du nord de l’Europe une très-petite espèce de chèvre qui donne beaucoup de lait, et qui peut-être tire son origine de celle d’Afrique, Il seroit bon de substituer cette race aux nôtres, puisqu’elle donne proportionnellement à elles une plus grande quantité de lait.

XIII. La Chèvre Manbrine, très-commune dans tout le Levant, donne du lait en abondance, qu’on préfère à celui de vache, ainsi que le fromage qui en provient. Elle a les oreilles pendantes, le poil fin et bien fourni.

XIV. La Chèvre d’Angora est bien connue en France ; mais elle n’y est pas aussi commune qu’elle devroit l’être. La finesse, la longueur et l’abondance de son poil rendent cette espèce précieuse. Elle ne perd aucune de ses qualités, même dans les pays situés au nord de l’Europe.

XV. La Chèvre du Tibet, qui porte, à la racine des longs poils dont son corps est couvert, un duvet laineux qui est employé à fabriquer les schawls précieux qu’on tire du Tibet.

XVI. Le Bison est une espèce de taureau qui a une bosse sur le dos. Il est réduit à l’état de domesticité dans la Perse, dans les États du Mogol et dans toute l’Inde méridionale. On le trouve dans une grande partie de l’Afrique jusqu’au Cap de Bonne-Espérance. Les bisons d’Asie et d’Afrique offrent autant de variétés que nos bœufs en Europe. Dans quelques parties, ils ont six pieds de haut, tandis qu’ailleurs ils ne parviennent pas à trois pieds. Il est rare d’en trouver qui aient deux bosses. La bosse de ces animaux pèse ordinairement quarante livres et même quelquefois soixante. Ils sont très-dociles, adroits, intelligens, et recommandables surtout par la vitesse de leur course. Tavernier dit qu’ils voyagent pendant soixante jours à douze ou quinze lieues par jour, et qu’ils vont toujours au trot. Ils servent au labourage et au trait ; ils portent les hommes et des fardeaux sur le dos. On les attèle aux carrosses dans quelques villes de l’Inde ; et on les fait galopper comme les chevaux. Enfin la chair, la peau etc. en sont excellentes.

Un animal qui réunit à toutes les bonnes qualités de notre bœuf d’Europe, la majeure partie de celles du cheval, est bien digne certainement qu’on s’occupe de le transporter en Europe pour l’y naturaliser. Cette naturalisation paroît d’autant plus facile, qu’il existe en Amérique sous un climat analogue à celui de la France, une espèce de Bison qui diffère très-peu du précédent, et dont nous allons parler.

XVII. Le Bison, qui habite l’Amérique septentrionale, n’a pas encore été appelé à la domesticité. Quoique le poil épais et long de deux pouces, qui recouvre son corps, puisse être facilement filé, la peau de cet animal étant bien préparée, donne une fourrure extrêmement chaude ; mais elle est trop lourde pour servir de vêtement. On s’en sert dans le Canada et dans le nord de l’Amérique, lorsqu’on voyage en hiver sur des traîneaux. Si cet animal étoit naturalisé en France, ses peaux, qui se vendroient trois fois plus cher que la peau d’un bœuf de même taille, pourroient devenir un objet important de commerce avec la Russie, et avec d’autres pays du nord. Sa chair est excellente ; et la bosse que l’animal porte entre les deux épaules, est regardée comme un morceau friand. Son poil est plus doux que la laine ; il est frisé, et de couleur brune ou noire.

XVIII. Le Taureau musqué de la baie d’Hudson, qui n’a jamais été naturalisé, promet de grands avantages. Il n’est guère plus haut que les moutons de grande race. Il a le corps entièrement couvert de poils longs et serrés, à la racine desquels naît une lainé épaisse, douce, soyeuse, et d’une grande finesse. Ses poils touchent presqu’à terre. La fourrure de cet animal peut être employée à différens usages, sur-tout dans les pays froids. Si l’on trouvoit un moyen facile de séparer la laine du poil, ainsi qu’on le fait au Tibet, avec la toison des chèvres, on pourroit employer cette substance à la fabrication de différentes étoffes précieuses. On en a fait des bas qui, dit-on, avoient autant d’éclat et le même degré de finesse que ceux fabriqués avec la soie. La chair de cet animal n’est bonne que dans certaines Saisons de l’année : elle contracte dans d’autres une odeur de musc qui la rend désagréable. Si on lui coupoit les testicules immédiatement après l’avoir tué, ainsi que les chasseurs le font au sanglier, il est probable que sa chair ne seroit point imprégnée de ce mauvais goût. Il se perdroit vraisemblablement aussi dans l’état de domesticité.

XIX. Le Sarluc ou le Bœuf grogneur, est un animal du même genre que le bœuf musqué, et a, comme celui-ci, des poils qui lui descendent jusqu’aux genoux. Il est originaire des parties septentrionales de la Tartarie et du Tibet : il a même été amené à l’état de domesticité dans quelques endroits de ce pays, ainsi qu’une variété de cette espèce, connue sous le nom de vache chittigong, l’a été dans les parties supérieures de l’Indostan. Il a le poil noir, avec la crinière, la queue, et une raie sur le dos, qui sont blanches. Les poils de la queue sont très-beaux, et sont très recherchés dans l’Inde, où l’on en fait des chasses-mouches à manche d’argent.

XX. Le Buffle, Buffetus. Le gouvernement a tiré d’Italie des buffles qu’on élève dans les établissemens nationaux. Cet animal qui, pour le travail, est préférable au bœuf, donne une chair dont notre délicatesse ne nous permettra jamais de faire usage. Cet inconvénient arrêtera sans doute sa propagation. Il seroit important de tenter une expérience qui a réussi dans le Brandebourg et en Angleterre. Il y a cinq ou six ans qu’on a fait accoupler dans ce dernier pays un buffle avec une vache. On a obtenu des animaux qui donnoient une grande quantité de bon lait. Si cette nouvelle famille avoit plus de vigueur que le bœuf, ainsi qu’il est probable, si elle se reproduisoit d’elle même, et si sa chair étoit bonne à manger, comme on tac l’a assuré, ce seroit une acquisition précieuse pour l’agriculteur

XXI. Le Nil-gaut, connu aussi sous le nom de Bœuf-gris du Mogol, se trouve dans plusieurs endroits de l’Inde. Un mâle et une femelle ont été conservés vivans dans le parc de la Muette, en 1774. Il est de la grandeur d’un cerf de moyenne taille ; il est doux, vite à la course, et assez fort pour être utilement employé à divers travaux. « Comme il vient d’un pays où la chaleur est plus grande que dans notre climat, il sera peut-être difficile de le multiplier ici, (dit Buffon) : ce seroit néanmoins une bonne acquisition à faire ».

XXII. Le Cheval sauvage equus hemionus de Gmelin, que les Mongols nomment Dshiggnétéi, habite la Mongolie et d’autres déserts de l’empire de Russie. Il est très-effilé, et fort léger. « On s’accorde à penser, dit Pallas, que dshiggnétéi surpasse à la course tous les autres animaux. On ne pourroit se procure de meilleurs bidets que ceux de cette espèce, s’il étoit possible de les apprivoiser ; je suis persuadé qu’on y réussiroit si l’on pouvoit prendre ces animaux peu de jours après leur naissance ». Les Tongouses mangent la chair du dshiggnétéi, et la préfèrent à celle de tout autre gibier.

XXIII. L’Onagre. Les anciens avoient une race d’âne très-estimée pour sa force, et sa grandeur. Elle provenoit des ânes sauvages ou onagres qu’on voit encore par bandes dans plusieurs cantons de la Grande Tartarie.

XXIV. Le Zèbre. Ce bel animal qui est leste et vîte à la course, mérite bien qu’on fasse des tentatives pour le naturaliser dans notre climat, et pour le rendre propre à nos usages domestiques. On a essayé, sans succès, à la ménagerie de Versailles d’accoupler un zèbre avec une ânesse ; mais cet essai ne doit point décourager. Des tentatives de ce genre ont souvent échoué faute de soins, ainsi que l’expérience l’a depuis démontré. D’ailleurs ce n’est pas seulement avec l’espèce de l’âne ou du cheval qu’il faudroit unir ces animaux, mais avec les individus de leur propre espèce. Le succès seroit moins douteux ; et la race qui en proviendroit seroit infiniment plus précieuse. On accuse le zèbre d’être rétif ; ce n’est qu’après l’avoir dompté dans sa première jeunesse, qu’on pourra prononcer sur ce point On sait qu’un roi de Portugal avoit pour sa voiture un attelage de zèbres.

XXV. Le Couagga, espèce de zèbre qui habite le cap de Bonne-Espérance. Il a été réduit à l’état de domesticité par les paysans de la colonie du Cap. Plus fort et plus robuste que l’âne, il pourroit lui être substitué avec avantage.

XXVI. Le Cochon. L’espèce de cochons de Siam ou de Tonquin, n’est pas encore beaucoup répandue en France ; c’est cependant une des plus productives. Nous n’avons eu qu’en dernier lieu la race des cochons solipèdes. Il y a dans les îles de la mer du Sud, une race de cochons qui viennent plus gros que les nôtres : il seroit avantageux d’essayer de les multiplier dans la république.

XXVII. L’Eider est une espèce d’oie beaucoup plus grosse que le canard. Il donne un duvet léger, élastique, très-recherché et d’un prix considérable. Quoique cet oiseau soit sauvage il seroit facile de l’apprivoiser. Il est très commun en Norvège. On m’a dit, lorsque je voyageois dans ce pays, qu’il venoit faire son nid sous les escaliers des habitations. Les paysans enlèvent de ces nids l’édredon que la femelle s’arrache pour reposer plus mollement ses petits. La naturalisation de cet oiseau seroit facile ; et les bénéfices qu’il donneroit lui feroient sans doute accorder la préférence sur les oies et les canards.

XXVIII. L’Outarde qui vit dans des pays d’une température très-opposée, s’apprivoiseroit sans doute, si l’on prenoit les soins nécessaires pour cela. Plus timide, mais moins farouche que les oies et les canards sauvages, elle pourroit être réduite à l’état de domesticité ainsi que l’ont été ces deux oiseaux. Sa chair est préférable à la leur, et ses pennes sont aussi bonnes pour écrire que celles de l’oie : il est étonnant qu’on n’ait pas encore tenté en France de s’approprier un oiseau aussi beau et aussi utile.

XXIX. L’Oie de Guinée qui se trouve dans plusieurs parties de l’Afrique, a été apportée en Russie, en Suède et en Allemagne où elle a multiplié dans l’état de domesticité. Cette oie surpasse en grosseur toutes celles que nous connoissons. Elle s’allie avec les oies domestiques d’Europe, et produit de beaux métis. Il seroit sans doute très-avantageux de substituer cette espèce à celles que nous élevons dans nos campagnes.

XXX. L’oie du Canada. Cette espèce est originaire de l’Amérique. Elle est un peu plus grande que notre oie domestique. On en élève au Jardin des Plantes et dans plusieurs lieux de l’Europe. Elle est d’un beau plumage et mérite d’être multipliée.

XXX. L’oie de Frise. Je recommanderai cette espèce que j’ai vue en Frise, et qui est beaucoup plus grosse que nos plus belles oies de France. Je l’ai retrouvée en Prusse, chez un particulier qui l’avoit fait venir de Frise, et qui la conservoit depuis un certain nombre d’années sans qu’elle eût dégénéré.

XXXII. Le Tadorne ou Canard-Renard, ainsi nommé, parce qu’il établit son nid dans les terriers de renards, ou de lapins, est un peu plus grand que le canard commun. Il a un duvet presque aussi fin que celui de l’eider, et se l’arrache également pour former son nid. « Comme les tadornes ne sont pas difficiles à priver, (dit Buffon) que leur beau plumage se remarque de loin, et fait un bel effet sur les pièces d’eau, il seroit à désirer que l’on pût obtenir une race domestique de ces oiseaux ». Le succès de cette tentative paroît d’autant plus facile, qu’on a vu ces oiseaux s’accoupler dans nos basses-cours avec des cannes, et produire des métis.

XXXIII. La Sarcelle commune paroît être amenée à l’état de domesticité pour le luxe des tables. Les Romains, qui en faisoient grand cas, en élevoient dans des volières.

Différens oiseaux aquatiques, qui ont des rapports plus ou moins éloignés avec nos oiseaux de basses cours, pourroient être élevés, sinon pour le bénéfice qu’ils procureroient, du moins pour l’agrément de nos maisons de campagne. On doit ranger dans ce nombre le canard sifleur, intéressant par ses manières vives et pétulantes, le canard huppé remarquable par l’éclat de sa robe, quelques espèces d’oies, etc.

XXXIV. Le Hocco approche de la grosseur du dindon. Il a la chair blanche et bonne à manger. Il s’apprivoise aisément ; on dit même qu’il est susceptible d’attachement pour son maître. Il faudroit essayer d’acclimater en France cet oiseau qui se trouve dans l’Amérique méridionale.

Il y a en Amérique un grand nombre d’oiseaux qu’il seroit très-utile et très-aisé de réduire à l’état de domesticité ; ce qui est arrivé pour les dindons donne les plus grandes espérances pour le succès d’une pareille entreprise.

Les Grandes-Indes, et sur-tout la Chine, peuvent fournir plusieurs oiseaux domestiques très-précieux. Il est à désirer qu’on veuille bien, en particulier, s’occuper des moyens de transporter en Europe, le grand faisan-argus qui est le plus grand et le plus beau des oiseaux de cette famille, le pigeon couronné de Ceylan, le beau pigeon de Nicobar, et un grand nombre d’autres pigeons dont on voit seulement en Europe quelques individus languissans dans des volières.

Le résultat de ces courtes indications est que nous ne devons pas perdre de vue que l’homme est parvenu par degrés à dépouiller une multitude d’animaux de l’usage libre de la force ou de l’adresse que la nature leur avoit départies ; qu’il est parvenu à réunir dans ses foibles mains deux agens si puissans, et à faire servir les animaux même à l’emploi qu’il eu fait contre eux. Songeons que si l’homme individuel a pu supposer de siècle en siècle qu’il avoit atteint le terme de ses conquêtes dans ce genre, une succession non interrompue de nouveaux succès avertit l’espèce humaine que ce terme n’arrivera jamais. Les bienfaits immédiats dispensés par la nature paroissent innombrables par leur diversité ; cependant leur profusion s’accroît sans cesse par cette suite de rapprochemens et de combinaisons dont l’observation et l’intelligence nous rendent capables. Ne nous décourageons donc point. Les animaux qui ont reçu tant de moyens d’assurer leur indépendance et d’en jouir sans trouble, subiront tous, par succession de temps, le joug qu’imposera toujours l’être qui pense, à tout être qui n’a reçu de force et d’adresse que pour agir.

Lasteyrie


  1. M. Anderson, dans un Ouvrage sur les bêtes à laines, dit qu’on a rapporté des Grandes Indes à Londres, la peau d’une espèce de mouton, dont la toison est remarquable par la finesse, par l’éclat et la couleur jaune qui la caractérise principalement. J’ai vu dans le cabinet de Hesse-Cassel, une peau qui me paroît provenir d’un animal semblable. Cette peau qui est entière, égale en grandeur celle d’un mouton de tailla ordinaire. Elle est garnie d’une laine épaisse, fine, soyeuse, formant des ondulations et des flocons ressemblans à ceux d’une toison de chèvre d’Angora ; les brins ont environ 4 pouces de long, et sont d’une couleur de pailla très-brillante.

    Tout ce que j’ai pu apprendre sur une toison aussi remarquable, c’est qu’elle avoit été rapportée d’Amérique, par un officier, il y a environ 20 ans.

  2. Il nous suffit de citer les troupeaux de Rambouillet, ceux des citoyens Daubenton, Chanorier, Lamerville, etc. dont le succès est complet et soutenu.
  3. Des draps faits à Louviers, avec des laines de Vigogne choisies, ont été vendus jusqu’à 300 francs l’aune.