Cours d’agriculture (Rozier)/BOL

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Hôtel Serpente (Tome secondp. 351-353).


BOL, ou terre bolaire, terre sigillée, est une vraie argile, blanche ou colorée, d’un grain extrêmement fin, & qui s’attache plus fortement à la langue que les autres argiles ; elle contient aussi plus de terre ferrugineuse. On a attribué autrefois de grandes vertus aux bols. Les cérémonies religieuses que l’on employoit pour les tirer de la terre, ont encore augmenté l’idée de ses merveilleuses propriétés dans l’esprit du peuple toujours crédule & toujours dupe de ses yeux. Si les terres bolaires jouissent de quelques qualités médicinales, elles les doivent certainement au principe ferrugineux qu’elles contiennent & qui leur donne leur couleur ; car l’analyse chimique démontre que toutes en contiennent plus ou moins ; & l’on connoît l’action du fer sur l’économie animale, dans diverses maladies.

Leur usage a été & est encore trop fréquent en médecine, pour que nous n’examinions pas s’il est bien fondé, & s’il ne pourroit pas être suppléé par des remèdes plus simples & plus directs. On a regardé les bols comme emplastiques, alexipharmaques, dessiccatifs, astringens, fortifians, résolutifs, propres à adoucir les acides intérieurement, & à arrêter la dyssenterie, le flux & le crachement de sang. Cette longue énumération de vertus doit d’abord les faire soupçonner par un médecin sage, à qui les remèdes universels ne paroissent que des remèdes, ou vains, ou dangereux. De plus, il est très-douteux que ces substances argileuses puissent se dissoudre dans les premières voies. Les acides minéraux & végétaux n’ont aucune action sur elles, à plus forte raison les acides de l’estomac les plus foibles de tous. Il est donc à craindre que restant intactes dans les organes de la digestion, elles ne fassent que fatiguer l’estomac, sans passer avec les alimens dans la masse générale. S’il s’en dissout une portion, ce ne peut être que de la terre calcaire qui s’est trouvée mêlée avec la terre argileuse qui forme les bols ; dans ce cas, pour adoucir les acides & absorber les aigreurs, il vaudroit mieux employer les terres absorbantes, comme les yeux d’écrevisse, la craie préparée, &c. &c, La terre ferrugineuse qui forme une partie de la terre bolaire, peut produire un bon effet, si l’opération de la digestion vient à bout de l’extraire & de la séparer de l’argile ; mais ne vaudroit-il pas beaucoup mieux employer tout simplement des préparations martiales, dont on connoîtroit les proportions, & la manière d’agir des substances qui les composent ? Dans aucun cas l’usage des bols n’est préférable, & il s’en trouve souvent où leur emploi peut être dangereux ; il seroit donc avantageux de les abandonner entiérement.

Il est intéressant au naturaliste-cultivateur de pouvoir reconnoître toutes les terres qui se rencontrent au tour de lui & sous ses pieds, de les comparer avec celles qui sont décrites & dont on retire quelqu’avantage ; c’est ce qui nous détermine à dire un mot des bols les plus connus.

On les distingue communément par leur couleur.

1o. Le bol rouge, ou d’Arménie. Il a été très-vanté autrefois ; mais il devient rare & cher, parce que l’on n’en apporte presque plus du Levant. Les médecins s’en servoient comme astringent & alexipharmaque. Les doreurs l’emploient encore pour faire l’assiette de l’or de leur dorure ; & les relieurs, après l’avoir porphyrisé avec un peu de blanc d’œuf mêlé d’eau, s’en servent pour dorer la tranche des livres. Du côté de Saumur & de Blois en France, on trouve du bol rouge, mais il est plus communément d’un rouge pâle, ou couleur de chair, comme la terre sigillée, ou le bol de Lemnos. Cette terre bolaire a été très-fameuse, même dans la plus haute antiquité, puisqu’Homère & Hérodote en parlent. On voit dans ces auteurs que ce n’étoit qu’avec de très-grandes cérémonies, & l’appareil imposant de la religion, qu’on la tiroit de terre. On nous rapporte encore beaucoup de terre de Lemnos, sous la forme de pastilles convexes d’un côté & plates de l’autre. Sur le côté aplati est l’impression du cachet que chaque souverain des lieux où on trouve ces bols y fait apposer ; de-là leur vient le nom de terre sigillée.

2o. Le bol blanc qui paroît n’être qu’une argile blanche, très-pure & très-douce au toucher, vient de Gran en Hongrie, & de Coltberg sur le territoire de Liège. Il a dans ces pays la réputation d’être d’une efficacité singulière dans la dyssenterie.

3o. Le bol gris est assez commun dans le Mogol en Asie ; ce bol tirant un peu sur le jaune, porte le nom de terre de patna ; on en fait des pots, des bouteilles, des carafes que l’on nomme gargoulette, si minces & si légères, que le souffle même les fait rouler çà & là. Les Indiennes en sont friandes, surtout pendant le tems de leur grossesse ; & lorsque ces vases sont imbibés de la liqueur qu’ils ont contenue, & qu’elles ont bu cette liqueur, elles mangent avec plaisir & avidité ces vases de terre, auxquels elles attribuent beaucoup d’excellentes qualités. On fait en Espagne des vases presque semblables que l’on nomme bucaros.

4o. Le bol verdâtre qui ne doit sa couleur qu’au cuivre qu’il renferme ; il est facile de voir qu’il ne faut jamais employer ce bol intérieurement. Bien loin d’être un remède, il deviendroit un vrai poison.

5o. On trouve enfin un bol noir dans le comté de Berne, qui contient du bitume.

Tels ont été les bols les plus connus. Comme ils ne sont qu’une terre argileuse, ferrugineuse, on pourroit assurer que toutes les argiles colorées par ce métal sont plus ou moins bols ; ainsi nous renvoyons au mot argile pour avoir des détails plus étendus sur la nature de cette terre. M. M.