Cours d’agriculture (Rozier)/ARGILE
ARGILE.
I. De l’Argile en général, & de ses usages pour les Arts.
L’argile est une terre très-abondante, répandue sur presque toute la surface du globe. Mêlée plus ou moins avec les terres propres à la végétation, elle en fait une portion essentielle. Il est donc bien intéressant à un agriculteur de connoître & sa nature & ses propriétés. Les arts en empruntent de grands secours ; préparée & façonnée par des doigts industrieux, elle prend toutes les formes utiles & agréables qu’on veut lui donner. Mais toutes les argiles ne sont pas propres à remplir les objets que l’on desire. Une variété prodigieuse dans leurs qualités, annonce que mille substances différentes se trouvent mêlées avec l’argile proprement dite. Souvent ces substances étrangères contrarient directement les vues que l’on se propose en se servant de cette terre. De quelle importance n’est-il donc pas à l’artisan de la campagne de distinguer la bonne non-seulement de la mauvaise, mais même de celle qui n’est que d’une nature médiocre ? Un mauvais choix entraîneroit des défauts dans ses ouvrages, que rien ne pourroit corriger.
Nous allons tracer les propriétés générales & caractéristiques de l’argile la plus parfaite en général ; celles qui en approcheront le plus de qui en réuniront davantage, devront toujours être préférées.
1o. L’argile se présente ordinairement en masse dense & compacte, par lits ou bancs ; un morceau de bonne argile se polit par le simple frottement contre un autre corps poli ; mis sur la langue, il y happe plus ou moins fortement.
2o. Humectée d’eau, elle s’en imbibe insensiblement, se gonfle & se délaye avec la plus grande facilité dans ce fluide.
3o. Quand elle n’a que la quantité d’eau nécessaire, on peut la réduire en une pâte de consistance moyenne ; elle jouit alors de beaucoup de ductilité, c’est-à-dire que toutes ses parties peuvent changer de place respectivement les unes aux autres sans se désunir. C’est à cette propriété qu’on doit la facilité avec laquelle on peut lui faire prendre toutes les formes qu’on veut, soit sur le tour, soit dans des moules.
4o. Si l’on jette dans un feu assez vif un morceau d’argile, il décrépite & saute en éclats avec grand bruit. L’eau que l’argile retient ordinairement entre ses molécules, raréfiée tout d’un coup par la chaleur, produit cet effet. Cette décrépitation n’auroit pas lieu, si l’argile contenoit assez d’eau pour être molle, ou si elle n’étoit exposée qu’à une douce chaleur ; alors elle se dessécheroit simplement en prenant de la retraite. Cette retraite est souvent cause qu’elle se fend au feu.
5o. Au feu le plus violent, l’argile pure ne se fond point ; elle se durcit seulement au point de faire feu avec le briquet. Mais il est très-rare de trouver de l’argile assez pure pour être réfractaire ; mêlée ordinairement avec de la terre calcaire, elle devient fusible.
6o. Quoique les acides n’attaquent point l’argile avec cette effervescence que l’on remarque dans les dissolutions des terres calcaires par les mêmes acides, ils ne la dissolvent pas moins, sur-tout l’acide vitriolique qui forme avec elle un sel très-connu sous le nom d’alun.
Telles sont les propriétés générales & essentielles aux argiles pures ; mais il est rare de les rencontrer toutes réunies : les matières étrangères dont l’argile est presque toujours mélangée, l’altèrent au point quelquefois de la faire méconnoître, ou du moins de lui donner des propriétés bien différentes. Les substances qui altèrent la pureté des argiles naturelles sont le sable, les terres calcaires sur-tout, les matières bitumineuses, pyriteuses & métalliques. La variété de ses couleurs est due à ces divers mélanges.
L’argile qui n’est colorée que par une matière inflammable non métallique, perd cette couleur au feu, & devient blanche lorsqu’on la calcine. Telles sont la plupart des argiles grises & brunes d’une couleur uniforme, & qui ne sont point veinées. Les argiles colorées par les terres métalliques, comme le fer ou le cuivre, & les matières pyriteuses, ne blanchissent point au feu ; bien plus, lorsque ces substances sont en grande quantité, elles les rendent fusibles. On les reconnoît à leurs couleurs jaunes, rouges, vertes ou veinées, & jaspées de toutes ces nuances. Ce sont les plus mauvaises de toutes en général, & sur-tout pour les ustensiles qui doivent éprouver un coup de feu violent, comme creusets, briques, fourneaux, pots de verreries, &c.
Il n’est presque point d’argile qui ne contienne un peu de terre ferrugineuse. Dans les belles argiles blanches, on reconnoît cette substance à de petites taches jaunes, dispersées de côté & d’autre. Quand on veut employer cette argile pour des ouvrages précieux, il faut avoir soin d’enlever exactement toutes ces taches jaunes avec la pointe d’un couteau.
Les parties pyriteuses qui se rencontrent dans les argiles, les font fondre avec la plus grande facilité, & ces petites cavités ou trous, tapissés ordinairement d’une matière vitreuse de couleur noire plombée que l’on remarque dans l’argile cuite, ne viennent que des grains pyriteux qui se sont fondus & vitrifiés.
Les terres calcaires qui altèrent les argiles se reconnoissent à l’effervescence qu’elles font avec les acides. Ce mélange, joint avec plus ou moins de sable, forme une espèce de terre connue sous le nom de marne. (Voyez Marne) Le sable, le mica, le quartz, détruisent la ductilité de l’argile. Le lavage est le moyen le plus propre à purger les argiles de ces matières hétérogènes, excepté des terres calcaires ; aussi faut-il rejeter absolument les argiles qui en contiennent, comme incapables d’être employées dans les ouvrages de poterie. Pour laver les argiles, on les délaye dans une grande quantité d’eau pure : on laisse ensuite reposer cette eau jusqu’à ce qu’elle ne soit presque plus troublée que par les parties les plus fines & les plus légères. On la décante de dessus le dépôt, en la passant par un tamis de soie très-fin. Le second dépôt qui se forme dans cette eau est la portion la plus argileuse & la plus pure : on doit la recueillir & la sécher avec soin ; c’est celle qu’on emploie dans les poteries fines & les porcelaines.
De tous les acides, l’acide vitriolique est le seul qui paroît avoir été distribué & combiné dans toutes les argiles, d’une manière singulière, par la nature.
D’après le grand nombre de substances qui se rencontrent mêlées avec l’argile pure, on conçoit facilement quelle variété il en doit résulter, soit pour la nature, soit pour la couleur des argiles. Nous allons les parcourir successivement, afin d’en donner une connoissance suffisante.
La première qui s’offre est : une terre argileuse qui contient peu ou point de parties sableuses, & que l’on connoît sous le nom de glaise. (Voyez ce mot) Le chimiste qui distingue les substances par les parties qui les composent, ne trouve absolument aucune différence entre l’argile & la glaise : aussi regarde-t-il ces deux mots comme synonymes. Plus ou moins de sable mêlé avec de l’argile pure ne doit constituer une classe particulière que pour le naturaliste nomenclateur, qui a besoin de divisions & de sous-divisions pour former un enchaînement de degrés systématiques.
L’argile très-pure, mais remplie d’une grande quantité de terre ferrugineuse, colorée par cette terre d’une manière uniforme en jaune ou en rouge, & qui a la propriété de s’attacher fortement à la langue, forme les bols, terres bolaires, & terres sigillées. (Voyez ces mots ) C’est la classe la plus nombreuse pour la variété des couleurs : elle renferme les argiles blanchâtres, grises, jaunes, rouges, &c. qui ne diffèrent entr’elles le plus souvent que pour la couleur. Cette même variété dépendant de l’hétérogénéité des substances qui y sont mêlées, change la nature de l’argile, & la rend plus ou moins fusible. Ce caractère a engagé M. Daubenton à s’en servir pour les diviser en argile absolument infusible, en argile en partie fusible, & en argile absolument fusible.
Les seules argiles très-blanches naturellement, ou d’un gris brun qui blanchit au feu, comme celles de Gournay & de Gisors, peuvent être regardées comme absolument infusibles, On s’en sert pour faire les pots ou les creusets de verrerie. Ces vaisseaux devant éprouver le plus grand coup de feu pour tenir le verre en fusion, il est nécessaire que sa matière dont ils sont composés, y puisse résister. La terre à pipe est encore de cette classe.
Dans celle des argiles en partie fusibles, dont le caractère générique est de prendre au feu une dureté égale à celle du caillou, à se fondre en partie, à cause des matières étrangères, telles que le sable, le gypse, &c. & à avoir une cassure vitreuse, on compte l’argile ou terre à porcelaine. C’est une argile assez impure, grisâtre ou blanchâtre, fort légère, molle au toucher, quelquefois compacte & dure. Elle soutient d’abord assez bien le feu, s’y durcit, & finit par s’y demi-vitrifier. C’est le vrai koalin dont les chinois se servent pour leurs porcelaines : on en trouve un semblable près de Limoges. Les argiles qui forment la poterie d’Angleterre & la poterie de grès, sont de cette seconde classe.
Les argiles entiérement fusibles se durcissent à un feu médiocre, & se fondent à un très-grand feu. De ce nombre sont toutes les terres qu’on emploie pour les poteries communes, pour la fayance, pour les carreaux, pour les tuiles & les briques.
Dans la nomenclature de l’histoire naturelle de l’argile, nous ne pouvons passer sous silence l’argile à dégraisser, ou terre à foulon. Elle est feuilletée, savonneuse, & grasse à l’œil & au toucher ; elle s’étend entiérement, & se dissout en partie dans l’eau, y produit une mousse & quelques bulles savonneuses. La terre savonneuse ou smectite, n’est qu’une terre à foulon plus pure. On se sert de cette espèce d’argile pour fouler les étoffes de laine ; on en voit de plusieurs couleurs. La meilleure se trouve en très-grande abondance en Angleterre & en Écosse. La supériorité des draps anglois vient sans doute de la terre à foulon dont ils se servent, en vain transporteroit-on leur laine, si l’on n’employoit pas cette terre, on n’atteindroit jamais cette beauté & cette douceur qu’ils donnent à leurs draps. Toutes les propriétés de la terre à foulon ne se bornent pas à l’usage des manufactures : elle est très-excellente pour accélérer la végétation des plantes, & améliorer les terrains trop légers. On fait de cette terre angloise une marchandise de contrebande, & il y a les mêmes peines contre ceux qui la transportent dans les pays étrangers, que pour l’exportation des laines. On trouve en France assez communément la terre à foulon ; mais elle est inférieure en qualité à la terre angloise. Ce seroit un devoir essentiel des sociétés d’agriculture distribuées dans nos différentes provinces, de travailler à la recherche d’une bonne terre à foulon, & d’en faire les essais. Cette découverte vaudroit & seroit plus utile que la plupart des dissertations qu’elles couronnent.
L’argile entre comme partie principale dans la composition d’un très-grand nombre de pierres, comme les schistes tendres & communes, la pierre noire ou ampelite, l’ardoise, les pierres à rasoir ou cos, les talcs, les amiantes, la stéatite, la pierre ollaire & les serpentines.
Après avoir fait l’énumération des différentes espèces d’argiles, il seroit intéressant de connoître son origine. Plusieurs illustres savans ont travaillé à la deviner, & la variété de leurs sentimens doit nous faire conclure que la nature ne nous a pas encore dévoilé son secret sur cette matière. Stahl & M. Baumé, la confondant avec la terre vitrifiable, ne la distinguent de celle-ci uniquement que parce qu’elle est combinée avec l’acide vitriolique. M. Linnæus regarde l’argile comme le sédiment terreux de la mer ; enfin, M. de Buffon pense qu’elle doit sa formation à la matière vitreuse de son monde primitif, attenuée & réduite en molécules extrêmement fines, liées ensemble par un gluten particulier. Nos connoissances ne sont pas encore assez parfaites, assez constantes sur l’origine de cette terre, pour oser prononcer, il nous suffit, il nous intéresse de savoir le rôle qu’elle joue dans la nature, les avantages que nous pouvons en retirer, & ses effets dans l’économie végétale & même dans l’animale.
Comme l’argile en masse se laisse très-difficilement pénétrer par l’eau, c’est à elle que l’on doit le plus souvent ces amas d’eau connus sous le nom de lac, d’étang, de fontaine, qui paroissent ne jamais tarir. Les bancs argileux s’étendant dans l’intérieur de la terre, empêchent que les eaux des pluies, qui filtrent de la surface, ne pénètrent plus avant & ne se perdent, en frustrant les hommes, les animaux & les plantes des avantages qu’elles répandent de tous côtés, & dans tous les genres. Ces eaux se trouvant arrêtées par ces couches, s’étendent sur elles, & s’y conservent comme dans un réservoir précieux ; ou bien s’échappant par la première ouverture que la nature leur a ménagée, ou qu’elles se sont formée elles-mêmes, elles viennent donner naissance aux sources & aux fontaines, qui ne cessent de couler que lorsque le grand réservoir intérieur, n’étant pas renouvelé par la filtration d’une eau nouvelle, se tarit insensiblement. Si dans le cours de ces eaux à la surface de la terre, il se trouve des enfoncemens recouverts immédiatement par une couche argileuse, ou que cette couche se trouve assez près de la surface pour s’opposer à la perte de ces eaux ; alors elles ne peuvent plus pénétrer le sein de la terre ; elles séjournent à l’extérieur, & forment les étangs & les lacs.
Quelquefois ces bancs d’argile se trouvent placés sur les sommités des montagnes ; ils y retiennent les eaux que les nuages y versent, ou que les neiges y déposent, si l’évaporation n’égale pas la quantité d’eau qui s’y rassemble. Le voyageur surpris est étonné de rencontrer à ces hauteurs des lacs assez considérables.
Il arrive souvent que ces bancs d’argile venant se terminer sur le penchant d’une colline, & se trouvant mêlés de beaucoup de substances hétérogènes que l’eau dissout facilement, cèdent au poids des masses supérieures qui les recouvrent ; alors ils s’étendent dans le sens où la résistance est moindre, c’est-à-dire, vers le côté extérieur de la colline ; les corps qui se rencontrent au dessus s’avancent avec eux, se détachent du reste de la masse générale, & parcourent souvent un espace considérable. Telle est la cause de ces accidens fréquens dans les pays montagneux, ou les bancs argileux & schisteux sont communs. Combien de fois n’a-t-on pas vu des masses de rochers, des parties entières de forêts situées sur le revers d’une montagne, des habitations & des maisons se détacher & rouler dans la vallée par le déplacement de leur base argileuse ? Il n’est pas rare de voir encore dans ces pays une maison assise sur de l’argile, se hausser & se baisser alternativement. Lorsque les eaux de pluie pénétrent cette argile, elle s’humecte, s’en imbibe, se gonfle & acquiert plus de volume ; si elle ne peut s’étendre en surface, elle s’élèvera en hauteur, & soulevera la maison qu’elle supporte : à mesure que cette argile se déssechera, elle prendra de la retraite, elle s’affaissera, & la maison avec elle. On sent facilement quelles dangereuses suites peuvent avoir de pareils événemens répétés jusqu’à un certain point. On doit donc avoir un très-grand soin, lorsqu’on bâtit & que l’on rencontre un banc d’argile, d’aller plus avant, de pénétrer au dessous, & de n’établir les fondemens que sur un terrain sec & ferme. Si le banc étoit trop considérable & trop épais, un pilotage préviendroit tous les accidens.
La nature est un grand maître qui donne à l’homme des leçons continuelles. Heureux quand il en profite ! Le moyen dont elle se sert pour retenir les eaux ne pouvoit nous échapper ; nous en avons tiré le plus grand profit, soit pour notre utilité, soit pour notre agrément ; & ces pièces d’eau, qui forment les embellissemens de nos jardins, ou qui fournissent aux animaux de quoi se désaltérer, ne sont dues souvent qu’à des couches artificielles d’argile que nous avons l’art de construire autour de ces bassins.
L’industrie humaine tire le plus grand parti des argiles dans ses manufactures. Tantôt la pétrissant, & lui donnant une forme agréable sur le tour, elle en forme des vases aussi commodes qu’élégans ; tantôt elle s’en sert pour fouler & dégraisser les étoffes ; tantôt enfin, sous des doigts savans, elle prend les traits & la ressemblance des mortels dont on veut conserver l’image.
Mais tous ces avantages ne sont rien auprès de ceux que l’on en retire dans l’agriculture. M. M.
II. De l’Argile relativement à l’Agriculture.
Malheur au propriétaire dont la majeure partie de son terrain est argileuse. S’il habite un climat où les pluies soient fréquentes en hiver, son grain végétera d’une manière languissante, il jaunira ; enfin, noyé par l’eau, il pourrira. En supposant le printems assez sec, la glaise se durcira, les canaux séveux de la plante seront comprimés, le collet étranglé, & la tige ne pourra s’élever. En supposant que cette plante ait souffert de la sécheresse, & sur-tout de l’étranglement à l’époque où la tige devoit s’élever ; s’il survient des pluies, elles humecteront la terre, pénétreront ses pores, dissiperont leur trop forte adhérence ; enfin, la plante végétera avec force, les feuilles fanées s’éleveront avec la tige, l’épi se formera ; il aura la plus belle apparence, & cependant cet épi sera peu grainé, & son grain petit & retrait, à moins que depuis le moment de la fleur jusqu’à celui de la récolte, les circonstances les plus heureuses de la saison ne réparent le premier mal. Toutes les plantes graminées ont en général deux époques à redouter ; celle où elles commencent à pousser leur tige, & celle où elles fleurissent.
On a improprement appelé ces terres froides ; elles ne sont pas plus froides par elles-mêmes que toutes les autres terres. Un thermomètre plongé dans l’argile ou dans le sable, toutes circonstances égales, marquera le même degré de chaleur. Elles ont été appelées froides pour désigner la lenteur de la végétation des plantes qui leur sont confiées, par leur facilité à retenir l’eau, enfin, par l’adhérence de leurs parties entr’elles : elles sont donc froides en ce sens, que la chaleur du soleil ne les pénètre pas si profondément qu’elle pénètre le sable dont les grains sont désunis.
On a vu le fumier amoncelé acquérir une chaleur forte & vive ; on a vu ce même fumier répandu, & ensuite enfoui dans ces terres, récompenser par de bonnes récoltes les travaux du cultivateur : de-là, on s’est imaginé que le fumier échauffoit ces terres, & on a eu tort. Dès que le fumier n’est plus en masse, sa fermentation cesse, & en même tems sa chaleur ; elle se met en équilibre avec celle de l’atmosphère. Le thermomètre en fournira encore une preuve qui parlera aux yeux, & sera sans replique.
Le véritable avantage du fumier sur l’argile vient, 1o. de l’union de son sel alcali avec la terre de l’argile ; 2o. du mélange de ce sel avec les matières grasses & huileuses du fumier ; 3o. de ce mélange, il en résulte une substance savonneuse parfaitement miscible à l’eau, & la seule parfaitement analogue à la végétation de la plante ; 4o. les pailles mêlées à ce fumier & ce fumier lui-même tiennent les terres soulevées, favorisent dès-lors l’écoulement des eaux, dont l’abondance ou la stagnation devenoit un obstacle réel pour la végétation.
La glaise, ou argile toute pure, est aussi stérile que la craie pure, parce que toutes deux retiennent l’eau. En vain tenteroit-on, dans ce sol ingrat, de semer des bois, de planter des vignes, &c. c’est enfouir son argent, & rien de plus. Que doit faire un possesseur d’un pareil terrain ? L’améliorer en divisant ses molécules : c’est là le grand point de la science. Si l’exécution étoit aussi facile, aussi peu coûteuse que le conseil à donner, il est constant que l’agriculture en retireroit des produits immenses : mais quelle différence entre le propriétaire & l’écrivain ! Celui-ci, la plume à la main, défriche, défonce, dans moins d’un quart-d’heure, des lieues entières de pays ; & celui-là, toujours obéré, toujours écrasé par les impôts, n’a pas le moyen de défoncer un quart d’arpent dans l’année. Les auteurs agronomes n’ont pas assez considéré la situation du cultivateur.
De cent propriétaires qui vivent sur le produit de leurs terres, il n’en existe peut-être pas cinq en état de faire une avance de cinquante pistoles. Si c’est un fermier qui cultive, il seroit peu sensé, pour un bail de six & même de neuf années, de le tenter ; le bénéfice seroit pour son successeur, puisque sur neuf ans, il auroit tout au plus quatre ou cinq récoltes, tandis que ce n’est jamais tout à la fois qu’il faut chercher à corriger l’argile, mais par une longue suite d’opérations constamment soutenues. À quoi serviroit au propriétaire ou au fermier de défoncer, de miner même à la profondeur d’un pied son champ argileux ? Les pluies d’un hiver suffiroient pour raffermir cette terre, & lui faire acquérir à la fin de l’année la même compacité qu’elle avoit auparavant. Je ne présente pas ce tableau, quoique vrai à la rigueur, dans la vue de décourager le propriétaire : ce seroit lui rendre un mauvais service & en même tems à l’agriculture. L’espérance, la patience & le travail doivent être les vertus favorites du cultivateur : sans l’espérance d’une récolte future, il abandonneroit la charrue ; sans la patience, soutenue de l’espérance, il ne supporteroit pas la vue des déplorables effets d’une mauvaise saison ; & sans le travail le plus opiniâtre, la terre refuseroit des dons qu’il faut lui arracher par la force.
Avant de décrire les moyens de rendre l’argile fertile, il convient d’établir un plan de travail, & parler ensuite des moyens.
Veut-on trop entreprendre à la fois, on ne réussit jamais bien ; entreprendre au dessus de ses forces, c’est se ruiner, ou du moins se mettre à la gêne pendant plusieurs années consécutives ; & cette gêne, non-seulement fatigue, mais encore ruine peu à peu. Le tems s’écoule, l’argent emprunté porte intérêt, & l’époque de leur paiement ou du capital est plus promptement survenu que les secours ou les facilités du remboursement. L’immortel Francklin fait dire avec raison par son bon homme Richard, que les créanciers sont des personnes qui connoissent le mieux les époques & les dates de l’almanach. N’entreprenez donc rien, si vous n’en avez les facilités, même sans toucher aux produits d’une année, qu’il est sage d’avoir toujours d’avance : c’est la seule façon de travailler avec avantage. Que de gens peu réfléchis taxeront ces conseils de paradoxe ! Avant de les condamner, je leur demande de les examiner attentivement, & d’en tirer les conséquences qui en dérivent.
Un propriétaire intelligent jette un coup d’œil sur toute la partie d’argile qu’il veut améliorer, & calcule le travail qu’exige son champ ; enfin, à combien montera la dépense totale, & il doit toujours caver au plus fort. Alors, consultant ses moyens, il juge de la quantité de terre qu’il peut améliorer, sans toucher à ses avances d’une année ; son champ est distribué en parties égales, & chaque année il remplit scrupuleusement la tâche qu’il s’est imposée, jusqu’à ce que le champ entier soit mis en état. Cet arrangement partiel ne nuira point à la culture générale, suivant la coutume du canton ; & ce seroit une erreur grossière de ne point labourer & semer avant que l’amélioration totale soit achevée. De cette manière, le cultivateur ne perdra aucune récolte ; & il vaut encore mieux en obtenir de médiocres que rien du tout.
Les moyens d’amélioration se réduisent, 1o. aux labours ; 2o. aux semis de plantes pour être enfouies ; 3o. aux fumiers ; 4o. aux mélanges avec le sable ; 5o. enfin, à brûler les argiles, pour rendre la terre moins compacte & plus perméable à l’eau.
Avant d’entrer dans aucun de ces détails, il faut que le propriétaire connoisse l’épaisseur de la couche de glaise sur laquelle il doit opérer. Si la couche, par exemple, n’avoit qu’un pied de profondeur, le travail le plus utile & le plus avantageux en même tems, seroit de la rompre, & de mêler la terre de la couche inférieure avec celle de la couche supérieure. Si, au contraire, l’argile s’enfonce à plusieurs pieds de profondeur, il doit recourir à d’autres expédiens, & les multiplier en raison de l’épaisseur. Le degré de compacité est le second objet à considérer.
1o. Des labours. Ils divisent la terre, en retournant une partie de sa surface : la pluie, les rosées, la gelée, le soleil, l’attraction de l’acide de l’air, (voyez le mot Amendement) tous, en un mot, concourent à sa plus grande divisibilité ; mais après un certain tems, la terre s’affaisse, son grain se resserre, une pluie d’orage survient, ou des pluies trop continuées finissent par rendre cette terre remuée presqu’aussi dure, presqu’aussi compacte qu’elle étoit six mois auparavant. La raison en est simple ; les labours n’ont rien ajouté à cette terre pour tenir ses parties plus séparées les unes des autres.
Malgré cela, je conseille, aussitôt que l’épis est coupé, de labourer très-profondement avec une charrue armée d’un fort versoir, afin d’ouvrir un large sillon, & même de repasser une seconde fois dans le même sillon ; le sillon sera plus profond, plus large, présentera plus de surface à l’action des météores ; enfin, il enterrera mieux le chaume, objet très-important. Le chaume qui se dessèche sur pied, laisse évaporer presque tous les sels qu’il contient, & ne rend à la terre qui l’a nourri que très-peu de substance : un exemple va le prouver. Prenez, si vous le voulez, deux quintaux de feuilles quelconques, mais d’une même espèce. Laissez un quintal de ces feuilles séparées les unes des autres, & exposées au soleil ; lorsqu’elles seront parfaitement dessechées, elles se réduiront facilement en poussière. Pesez alors, & tenez compte du poids. Laissez, au contraire, l’autre quintal de ces feuilles amoncelées, jusqu’à ce qu’elles soient réduites en terreau : pesez, & comparez les deux poids ; la différence sera frappante. Mêlez actuellement le produit des feuilles dessechées avec une quantité de terre, & sur une étendue de terre donnée : répétez la même opération avec le terreau des autres feuilles ; enfin, semez ces deux portions de terrain, & leurs produits très-différens vous apprendront par analogie, que le chaume desséché au grand air ne contient presque plus de parties salines & huileuses, tandis que celui qui a été enterré tout aussitôt après la moisson, n’en a presque point perdu. Si on veut pousser cette analyse par les moyens chimiques, la différence sera bien plus frappante. Cette addition de terre végétale & de principes huileux & salins, sera peu considérable, j’en conviens, proportion gardée avec la masse de l’argile ; mais au moins la terre n’aura pas été privée du petit secours qu’elle attendoit, & sur-tout d’un secours porté sur le lieu même.
2o. Des semis. Si on s’est contenté de labourer à une seule raie, ainsi qu’il a été dit plus haut, semez aussitôt dans cette raie l’espèce de graine qu’il vous plaira, pourvu toutefois qu’elle ne soit pas de nature à se reproduire trop promptement par de nouvelles fleurs. Les vesces, les pois, les haricots, le froment, le seigle, l’avoine, les grosses féves, le sarrasin ou blé noir, la luzerne, le sainfoin, le lupin, les raves, les navets, &c. ou ensemble ou séparement, peu importe ; la terre qui tombera en formant la raie suivante, fournira de quoi recouvrir la semence ; & quand même quelques grains ne seroient pas enterrés, la perte seroit de peu de conséquence, puisqu’on ne doit employer que des grains de rebut. On prévoit sans doute que je ne conseille pas ce semis dans la vue d’obtenir une récolte, mais seulement pour multiplier les herbes quelconques.
Ce conseil trop général demande une explication. Dans la partie basse & très-chaude de nos provinces méridionales, les seigles sont abattus à la fin de Mai ou au commencement de Juin, & les fromens du 10 au 25 de ce mois. Dans celles du nord, la fin de Juillet & le commencement d’Août, sont l’époque des moissons. Dans les premières, la chaleur du soleil, aussitôt après la récolte, est d’une si grande activité, que la végétation des plantes est pour ainsi dire suspendue ; & dans les secondes, la saison des pluies arrive trop tôt. Il faut donc, dans le premier cas, attendre jusqu’au commencement de Septembre pour donner ce premier labour, ou profiter du moment, si une pluie salutaire rend l’humidité à la terre. En Septembre les nuits sont fraîches, & les rosées assez fortes pour faire germer le grain & le nourrir. Dans les provinces du nord, au contraire, la température plus douce permet de labourer & de semer aussitôt après la moisson. Pourvu que de cette opération il naisse une herbe quelconque, c’est tout ce que le cultivateur peut & doit espérer.
Lorsque l’herbe aura acquis une certaine consistance, labourez de nouveau, & enterrez-la le plus exactement qu’il sera possible. L’époque pour ce second labour est relative à la constitution de l’atmosphère du pays que l’on habite, & elle doit toujours prévenir le moment des gelées.
Si on prend le parti de passer une seconde fois dans la première raie, ainsi que nous l’avons déjà dit, on sèmera sur le premier labour, & la terre du second recouvrira le grain. Si, dans le premier cas, on ne veut pas semer sillon par sillon, on sèmera alors sur le chaume. Cette manière ne vaut pas la première, parce que le grain se trouve enterré sous une trop forte masse de terre.
Voilà déjà une bonne préparation donnée à la terre, qui facilitera son hivernage. Dès que la saison des froids, des gelées ; dès que l’eau des pluies & des neiges sera écoulée ; en un mot, dès que la terre sera en état de recevoir la charrue, semez de nouveau les mêmes grains, & lorsque la majeure partie de l’herbe sera fleurie, labourez profondément avec la charrue à versoir, & enterrez cette herbe. Il est inutile de dire que le labour qui enfouira les herbes venues pendant l’été doit croiser le premier, & celui qu’on donnera après l’hiver, prendre la diagonale des deux premiers, afin que la terre soit labourée & remuée en tous les sens. C’est le moyen le plus efficace pour détruire les mottes.
L’avantage de cette méthode est de ne pas augmenter les frais de la main d’œuvre, à moins qu’on ne compte pour quelque chose l’opération de semer, & la perte du grain. Celle du grain seroit un objet important, si on employoit, par exemple, du blé assez bon pour être vendu ; mais comme il s’agit seulement d’avoir de l’herbe, tous les grains de rebut sont mis à profit, & même jusqu’à la semence du foin, dont on ne tire aucun avantage.
Aussitôt que l’herbe du printems sera enterrée, laissez reposer la terre & se cuire au soleil des mois de Juillet & d’Août. En Septembre & Octobre, labourez suivant la méthode ordinaire pour ensemencer la terre lorsque la saison sera venue.
Ce que je viens de dire est contradictoire avec les méthodes que les auteurs ont publiées, d’après lesquelles il ne faut pas laisser croître une seule plante, parce que, disent-ils, sa nourriture épuise la terre, & c’est une soustraction de subsistance pour les plantes qui couvriront le champ après elles. Cette contradiction s’explique en partie. Si l’herbe que je conseille de semer grainoit sur pied, ce seroit effectivement une perte pour le champ, & la terre renfermeroit dans son sein un amas de semences dont la germination & la végétation nuiroient à la récolte ; elles deviendroient alors des plantes vraiment parasites : mais ici on ne leur donne pas le tems de grainer, & elles sont enfouies à cette époque. Il en résulte donc un terreau, une vraie terre végétale, principe de toute production. Ce terreau s’unit à la glaise, en divise les molécules, les tient écartées, & favorise l’écoulement des eaux. Tout le monde sait qu’une plante rend plus à la terre qu’elle n’en a reçu. (Voyez le mot Amendement) Dès-lors cet engrais commence à remplir les vues d’amélioration de l’argile, sans augmenter la dépense de culture ; & si chaque année de jachère il est répété, on parviendra successivement au but qu’on desire. Suffit-il de tenir la terre bien labourée & bien meuble ? ce point sera discuté au mot Labour. J’ai l’expérience de ce que j’avance ; je prie d’en faire l’essai en petit, & on se décidera sur le résultat.
3o. Les fumiers. Je comprends sous cette dénomination la chaux, la marne, le plâtre & les fumiers des écuries. (Voyez ces mots) Les trois premiers contiennent un sel alcali, (voyez ce mot) & par leur mélange le principe d’adhésion des parties de la glaise est détruit. Les uns & les autres, ils en soulèvent les parties, & donnent à l’eau un passage plus libre. Les fumiers d’écurie les plus pailleux sont les meilleurs, parce qu’ils sont plus long-tems à se décomposer, & tiennent les terres plus long-tems soulevées. Si au lieu de paille on faisoit aux bestiaux des litières avec des joncs, des bruyères, des genêts, des feuilles de buis, &c. ce fumier seroit à préférer. Il s’imprègne fortement des sels & des parties graisseuses contenus dans les excrémens des animaux. Semblables à une éponge, ils les retiennent, & sont comme autant de petits leviers qui empêchent la réunion des molécules. Ce fumier doit être enfoui le plus profondément qu’on le peut. Son alcali agit comme celui de la chaux, de la craie, de la marne, &c. & a sur eux l’avantage de contenir des parties graisseuses & huileuses. Voyez leurs effets au mot Amendement.
Une autre attention qui n’est pas à négliger de la part du cultivateur, c’est de réunir du sable au fumier lorsqu’il le dispose en monceau. Le proverbe dit, dans l’argile, sable vaut fumier. Je voudrois donc que ce monceau fût formé par des lits de trois pouces d’épaisseur : le premier seroit de fumier, le second de sable, & ainsi successivement : alors en voiturant le fumier sur le champ argileux, on rempliroit une double indication. Il y a deux époques auxquelles on doit enfouir le fumier : la première un peu avant l’hiver, en donnant le labour dont j’ai parlé pour l’année de jachère, & la seconde au labour qui précède le moment de semer en bons grains. Le premier aura le tems de travailler depuis la fin d’Octobre ou de Novembre, suivant le pays, jusqu’au mois d’Août ou de Septembre d’après ; & le second, de tenir la terre soulevée pendant que les grains poussent leurs premières racines. Comme ce fumier se décompose peu pendant l’hiver, la bonne semence végétera bien, malgré les pluies, à cause des interstices que ses racines trouveront entre les molécules d’argile & celles de fumier. En un mot, le grand point est de faciliter l’écoulement des eaux, de diviser la terre, & cet engrais pourvoit à tout.
4o. Des sables. Il est bien démontré, 1o. que l’infertilité, ou le peu de fertilité des argiles, vient uniquement de la plus ou moins forte adhérence de ses parties entr’elles ; 2o. que l’argile, unie en proportions convenables avec d’autres terres, est la plus productive ; 3o. que s’il faut s’en rapporter au sentiment de M. Baumé, l’argile est la seule matière terreuse propre à la végétation, puisqu’elle est la seule qui fasse partie des végétaux & des animaux ; & cette terre, dans son état de pureté, ne produit que peu ou point de végétaux. Il résulte de-là que le sable même, uni aux petits graviers ou aux petites retailles de pierre, devient pour l’argile un excellent engrais. Il agit mécaniquement, & ne lui communique aucune augmentation de parties salines, ni huileuses ou graisseuses, &c. Le sable le plus sec, le moins terreux est le meilleur.
Quelle quantité doit-on en jeter sur le champ ? il est impossible de la fixer. Elle dépend de plus ou moins de pureté, & par conséquent de tenacité de l’argile. C’est au cultivateur à juger son terrain. Il me paroît qu’une trop grande quantité de sable répandue à la fois ne produiroit pas autant d’effet que si cette même quantité étoit jetée à différentes reprises, par exemple avant les labours. Chaque coup de charrue lève tout à la fois de grosses mottes de terre, le sable s’amoncelle dans les vides ou au fond du sillon. S’il survient une pluie un peu forte, tous les sillons deviennent de petits ruisseaux, & le sable est entraîné, sur-tout dans les climats où il pleut par orage. Les labours successifs sont les seuls agens de la combinaison intime du sable avec l’argile, & il ne faut pas espérer que cette combinaison soit l’ouvrage de deux ou trois labours. Si le propriétaire est assez riche pour faire défoncer le terrain à la bêche, à la houe, &c. la chose est bien différente : ces instrumens soulèvent peu de terre à la fois, brisent les mottes, & mêlent le sable avec les portions terreuses : alors les pluies & les gelées complètent la combinaison. Le meilleur sable pour cette opération, est celui qui se rapproche le plus par sa qualité, du sablon ou sable de grès, parce qu’il est sec, pur, & dès-lors très-susceptible de s’incorporer avec l’argile ; il convient de le mêler avec des retailles de pierre, ou avec du petit gravier. Le cultivateur a été engagé, par la difficulté de se procurer du sable, à recourir à un autre moyen ; c’est celui de brûler la croûte de son champ.
5o. Des brûlis. Dans les pays bien boisés, & sur-tout dans ceux où la difficulté du transport laisse peu d’avantage pour le débit, le brûlis est facile à exécuter. Il n’en est pas ainsi dans les provinces méridionales ou circonvoisines des grandes villes. La consommation du bois y est prodigieuse, & le luxe l’accroît de plus en plus. C’est le cas alors de recourir aux bruyères, aux joncs, aux genêts, aux fougères, aux touffes de joncs, de roseaux ; en un mot, à toutes les matières combustibles les plus faciles à se procurer, & les moins coûteuses.
La manière de calciner l’argile pour s’en servir comme engrais, est donnée dans le Journal économique du mois de Mars, de l’année 1762, & nous allons la décrire. Elle renferme tout ce qu’on doit connoître sur cette opération faite en grand.
Marquez une pièce de terrain de 42 pieds de longueur, & de vingt-deux de largeur ; tirez sur le terrain que vous aurez marqué au cordeau, neuf petits canaux, à quatre pieds les uns des autres, & de seize pieds de longueur. La surface intermédiaire sera mise de niveau, & on formera ces canaux de six pouces de largeur, sur autant de profondeur, & ainsi ils seront à quatre pieds les uns des autres, & la surface qui les sépare sera égalisée & rendue unie.
À travers ces petits canaux, pratiquez-en quatre autres à quatre pieds les uns des autres, & on les creusera sur la même largeur & profondeur que les premiers. Mettez le gazon & la terre que vous couperez en faisant ces tranchées, dans le milieu des quarrés qui sont marqués par ces fossés, & ensuite vous couvrirez les tranchées même avec des tuiles épaisses, ou avec des briques.
On les laissera ouvertes aux endroits où elles se traversent, car ces parties doivent servir d’autant de cheminées ; mais par-tout ailleurs on les couvrira le plus exactement que faire se pourra.
Tirez une partie de la terre sur les briques ou tuiles, pour les assurer dans leur place, & ensuite élevez une espèce de muraille entre chaque deux tranchées, avec du gazon sec ; elle doit avoir trois bons pieds de hauteur, mais elle ne demande pas plus d’épaisseur qu’il n’en faut pour contenir les gazons ensemble.
Quand cela sera fait, construisez des murs aux extrémités avec de l’argile humide, & laissez à chacune des rigoles un trou pour allumer le feu. Cette muraille ne doit pas avoir plus de hauteur que les autres ; mais on lui donnera un pied d’épaisseur. Sur chacun des trous, aux endroits où les rigoles se croisent, élevez une cheminée de briques, de six pieds de hauteur, & assurez-la en dehors avec un peu d’argile humide.
Ensuite mettez de la paille sur les rigoles, & quelques fagots par-dessus : arrangez-en autant qu’il en faudra, pour remplir les espaces qui restent entre les murs, & jusqu’au niveau des murs mêmes. Construisez ensuite aux deux côtés, des murs d’argile de la même manière que ceux qui sont dans les bouts, & laissez au-dessus de chaque canal, un trou de neuf pouces, de même que dans l’ouvrage précédent.
Couvrez le tout avec quelques bons fagots, & remplissez leurs intervalles avec de la fougère ou autre matière semblable, pour donner au tout une certaine solidité & une surface unie : ensuite élevez les quatre murs des extrémités & des côtés, aussi haut que ces fagots auront élevé tout l’ouvrage, & alors le tout sera en état de recevoir l’argile.
On la creusera, autant qu’on le pourra, en gâteaux, de la largeur & longueur d’un fer de bêche, & on la posera uniment sur le faîte des fagots. La couverture d’argile doit avoir deux pieds d’épaisseur, & être disposée d’une manière si serrée, que le feu puisse être parfaitement contenu en dedans, car s’il se faisoit passage par quelqu’endroit, il s’éteindroit bientôt de lui-même, sans avoir perfectionné sur l’argile l’opération qu’on a en vue.
Corroyez ensemble un peu d’argile & de terre avec de l’eau, & quand le mélange sera assez mou pour pouvoir être manié commodément avec une truelle, enduisez-en bien épais la partie extérieure des murailles jusqu’à la hauteur de trois pieds. Par ce moyen, l’argile dont ces murs sont composés aura également sa portion de la chaleur, & deviendra aussi bon engrais que le reste.
Lorsque le tout est ainsi préparé, apportez une bonne quantité d’argile, & garnissez-en le bâtiment tout autour : on pourra en préparer vingt charges, ou plus, pour cet usage, & on en jettera par-tout où le feu percera : par ce moyen, elle se calcinera aussi-bien que le reste, en même tems qu’elle remplira son objet, qui est de contenir le tout en bon ordre. Faites une ouverture de trois pieds de longueur, en partant du bout de chacune des tranchées, & qui ait autant de largeur & de profondeur qu’elles, mais elle n’a pas besoin d’être couverte.
Quand le tout sera ainsi préparé, on y allumera le feu dès la pointe du jour, afin d’avoir à soi toute la journée pour cette opération, que l’on fera de la manière suivante. Observez de quel côté le vent souffle ; préparez-vous à allumer de ce côté-là. Vous boucherez toutes les autres ouvertures des murs ; & à celles qui sont du côté du vent, vous mettrez le feu à la paille qui est au au-dessus des rigoles. Cette paille allumée portera la flamme dans toute la place, les fagots & tout le reste seront bientôt en ignition. Comme l’argile bouche les endroits où naturellement la flamme auroit pu percer, elle continuera de cuire lentement, & d’une manière presqu’étouffée, comme on se le propose.
Par-tout où on appercevra une crevasse au sommet, on y jettera une quantité d’argile fraîche qu’on aura préparée à cet effet, jusqu’à ce que la crevasse soit entiérement bouchée, & ainsi cette partie sera calcinée comme le reste.
Aussitôt que le feu est bien allumé, on doit boucher tous les trous qui sont dans les murs au-dessus des rigoles. Un homme sera continuellement occupé à faire la ronde pour voir s’il y a quelques crevasses par où la fumée sorte ; il faut les boucher à tems : ainsi la chaleur fera son office, & l’argile qui couvre tout l’ouvrage se calcinera dans toutes ses parties d’une manière graduée & régulière.
À mesure que le feu continuera de brûler, les matériaux se détruiront, & le lit d’argile qui couvre le sommet s’affaissera irréguliérement en divers endroits. Cela occasionnera des crevasses de plus en plus grandes, qu’il faudra recouvrir avec de la nouvelle argile, & de la même façon qu’auparavant ; mais on en mettra une moindre épaisseur, à proportion que le feu deviendra plus foible.
En dix ou douze heures de tems, le tout sera affaissé, au point de n’être plus qu’à environ trois pieds au-dessus de terre, & alors la partie de l’argile qui se trouve sur les murs de traverse, sera jetée dans le feu ; celle qui se trouvera la moins calcinée sera poussée vers l’endroit où le feu a le plus d’activité.
S’il arrivoit que quelque portion de toute cette construction brûlât mal, il y faudra pratiquer une ouverture dans cet endroit, & boucher le canal qui est vis-à-vis ; c’est un moyen prompt & facile d’établir un courant d’air & d’y porter la flamme ; mais il faudra boucher le canal qui est vis-à-vis.
Pendant tout le tems que cette argile continue à brûler, on tient de l’argile nouvelle toute prête pour la jeter où le besoin l’exigera. À mesure que le bois se consume, on entretient toujours les cheminées, pour le moins à six pouces au-dessus du niveau de la surface ; par ce moyen, & en y veillant avec soin, les murs & toute la masse étant tenus en bon état, il n’y aura pas la moindre difficulté. Si au contraire on laisse un seul moment le feu exposé à l’air, la flamme sortira sur le champ, & le courant d’air entraînera avec elle la chaleur. Lorsque le feu est éteint, & l’argile bien refroidie, le monceau sera brisé, & toute la terre étendue sur la partie qu’on veut améliorer.
La glaise ainsi préparée devient un excellent engrais, non-seulement pour les champs argileux, mais encore pour les terres à grains non argileuses, pour les prairies, &c.
Si on trouve le procédé qu’on vient d’indiquer trop coûteux, on peut faire de distance en distance, par exemple, de vingt en vingt pieds, de petits monceaux de matières combustibles, les recouvrir avec la glaise levée par tranches, & en former comme des espèces de fours. (Voyez le mot Écobuer) Ces petits fours exigent les mêmes attentions que l’opération dont on vient de parler, c’est-à-dire qu’on doit empêcher la flamme de passer par les crevasses.
L’argile ainsi cuite fait effervescence avec les acides ; le feu a changé sa manière d’être ; & même imbibées d’eau, ses parties ne contractent plus la même adhérence entr’elles : le feu a exalté les parties calcaires qu’elle contenoit, augmenté leur alcalicité ; dès-lors leur lien d’adhésion a été détruit. C’est par cette raison que la chaux, que le plâtre, que la marne sont de très-bons engrais pour les terres argileuses, à cause du principe alcalin qu’ils contiennent. C’est encore par la même raison, que les fumiers bien fermentés ont une action directe sur elles, & ajoutent à cet avantage celui de tenir ces terres soulevées, & de donner passage à l’eau. M. Eller, dans ses Recherches sur la fertilité des Terres, a observé qu’au moyen d’une lessive d’alcali fixe, il détruisoit la ténuité de l’argile en la dépouillant de son gluten, & qu’alors elle devenoit friable, aride, & tomboit en poussière.
Il est inutile de discuter ici si l’argile contient des parties grasses & huileuses qui forment son gluten, ou si ces parties sont en assez grande quantité pour le former. C’est aux chimistes & non aux agriculteurs à résoudre ce problême. Il en est de même de celui-ci : quelle est la nature du sel contenu dans l’argile pure ? La couche superficielle en contient, il est vrai ; mais quel est celui des couches intérieures & profondes ? Le cultivateur demande des résultats, des faits, & non pas des problêmes. Ce qui lui importe de savoir, c’est que le feu, la chaux, la marne, le plâtre, les fumiers, les sables, &c. rendent l’argile propre à la végétation des plantes ; & que cette aptitude à devenir terre végétale est l’effet du tems & du travail, ou d’une dépense considérable, s’il est pressé de jouir.
Après avoir considéré les terres argileuses en masse, & par conséquent comme nuisibles à la végétation, il est tems de changer le tableau, & de le présenter sous un autre point de vue.
L’argile en proportions convenables, mélangée avec des terres d’une qualité différente, forme le sol le plus parfait. La perfection d’une terre dépend uniquement du juste mélange des parties qui retiennent l’eau dans le point nécessaire à la végétation de la plante qu’on lui confie, & qui ne laissent évaporer cette eau que lentement. Le sable est donc précisément l’opposé de l’argile. L’eau se précipite à travers ses grains désunis, & leur désunion facilite son évaporation lorsque le soleil les pénètre. Ainsi un mélange proportionné de sable & d’argile, forme un bon sol auquel il ne manque plus que l’humus, ou terre végétale, ou terre soluble dont nous avons si souvent parlé. (Voyez les mots Amendement, Alterner, &c.) Ce terreau précieux est formé par la décomposition des substances animales & végétales, & c’est la seule terre végétative. Les autres terres servent seulement de matrice aux plantes, & l’avantage qu’elles en retirent, c’est l’humidité qu’elles contiennent. Par le moyen de cette eau, les substances huileuses, graisseuses & salines, sont tenues en dissolution dans un état savonneux, ainsi que la terre soluble ; alors, leur grande ténuité, leur facile divisibilité leur permet d’être pompées par les plus petites racines des plantes.
L’argile, par sa propre nature, ne contribue donc pas à la fertilité de la terre, puisqu’elle ne contient en elle-même aucune partie grasse ou onctueuse, ou du moins elles y sont en si petite quantité qu’on peut à peine les y reconnoître. Son action est donc purement mécanique ; mais voici son véritable point d’utilité.
L’argile attire, rassemble l’eau, les vapeurs souterraines, ainsi que les parties salines & huileuses répandues dans l’atmosphère. Elle les conserve plus qu’une autre terre sous la croûte qui se forme par la sécheresse. C’est à cette qualité qu’est due la dénomination de terre forte, donnée à ce genre de terrain.
La glaise s’adapte, s’approprie, pour ainsi dire, la substance graisseuse & saline du fumier, ainsi que l’air contenu dans ces substances, de manière que l’eau ne peut les entraîner.
L’argile, en se desséchant par l’effet de la chaleur, forme une retraite ; les gerçures qui se manifestent alors sont autant de passages où l’air s’insinue & opère, & ces gerçures servent encore de passage aux racines, & de conduits pour charier leur nourriture.
Aucune terre n’a plus de facilité que l’argile pour se combiner avec la terre soluble, l’humus ; mais comme l’argile laisse peu de moyens d’évaporation, cet humus conserve plus long-tems ses parties grasses & huileuses, & par conséquent les plantes ont une jouissance prolongée & une nourriture proportionnée à leur accroissement.
L’argile se gèle en masse, à cause de l’adhésion de ses parties ; dès-lors, elle garantit les racines des impressions trop directes du froid, & sous cette croûte glacée elles poussent vivement, acquièrent une force dont la plante se ressentira lorsque le froid aura été dissipé par un vent chaud.
Il résulte de tout ce qui vient d’être dit sur les argiles, qu’en masse elles nuisent à la végétation, que mélangées convenablement, avec d’autres substances, elles sont la base des terres les plus productives. Le but de l’agriculteur doit donc être de trouver le point de perfection dans le mélange.
III. De l’usage de l’Argile dans la pratique de la Médecine.
L’argile, telle qu’elle est répandue, soit en grandes masses, soit combinée avec d’autres terres n’est point employée en médecine ; mais on a beaucoup vanté l’usage de l’argile unie à une terre martiale qui forme la terre bolaire. (Voyez Bol) Cette terre est fine, douce au toucher ; sa couleur varie du jaune au rouge, au brun, &c. la terre est inodore, & son goût austère ; elle fait effervescence avec les acides, se gonfle dans l’eau, s’y réduit en une pâte qui se dessèche à l’air ; exposée à un grand feu, elle conserve sa forme, prend une dureté considérable, & s’y vitrifie.
Si on s’en rapporte aux anciens, elle doit être regardée presque comme une panacée universelle. Sans entrer dans les détails des propriétés qu’on lui attribuoit, il suffira de dire que l’observation & l’expérience ont prouvé qu’elle ne diminue point les diarrhées occasionnées par l’amas des humeurs acides, ni celles produites par la foiblesse des intestins. Il est prouvé qu’à haute dose & longtems continuée, elle fatigue l’estomac, constipe, corrige difficilement les humeurs contenues dans les premières voies, ne l’emporte jamais, dans ce cas, sur la craie blanche, rend la digestion difficile, produit de la tension & de la dureté dans le bas-ventre. Extérieurement, elle suspend à peine la plus légère hémorragie, que la seule charpie seroit capable d’arrêter.