Cours d’agriculture (Rozier)/DESSÈCHEMENT (supplément)

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DESSÈCHEMENS (grands) Le dessèchement des terres est une opération qui exige l’industrie de l’homme, et par laquelle il se rend maître des eaux qui couvrent son domaine, les dirige, les retient ou les fait écouler à volonté ; et, en cela, le dessèchement diffère essentiellement de l’assèchement, qui consiste à délivrer, une fois pour toutes, le sol des eaux intérieures qui le couvrent. Ainsi, les dunes de la Hollande, de la Flandre, en s’élevant, traînent derrière elles de grandes flaques d’eau : en leur ouvrant un passage, on en délivre le sol pour toujours, elles vont se perdre à la mer, et l’assèchement est complet : par le dessèchement, on ne cherche qu’à délivrer le terrain des eaux extérieures qu’il faut contenir, mais qu’il importe infiniment de ménager pour ses irrigations. (Voyez Irrigation.)

La première, la plus importante question, qui se présente, dans un projet de dessèchement, est celle-ci :

Le dessèchement est-il utile ?

Doit-il être total, ou ne comprendre qu’une partie du terrain ?

Enfin, est-il de l’intérêt du propriétaire de faire un demi-dessèchement, ou de dessécher complètement ?

Il ne s’agit ici que des dessèchemens d’une grande étendue, et non de ceux de quelques ares de terre. Ceux-ci n’ont pas été oubliés par l’auteur du Cours d’Agriculture ; il en trace le mécanisme et les premiers travaux d’une manière assez claire. Il ne faut d’ailleurs qu’appliquer les mêmes principes : qui peut le plus, peut le moins.

Première Question. Le dessèchement qu’on veut faire est-il utile ou dangereux ?

Il ne faut pas plus tout dessécher, qu’il ne faut tout défricher. Il faut bien voir et observer la nature, et consulter ses intérêts et les nôtres.

Parmi nos erreurs en économie politique, il ne faut jamais oublier la fameuse loi du 14 frimaire an 2, qui ordonna le dessèchement des lacs et étangs, pour les rendre à la culture ; (elle fut heureusement rapportée le 13 messidor an 3.) Les sources, les ruisseaux, disparurent, les puits et fontaines tarirent dans un vaste horizon, et, pour rendre le sol français plus fertile, on lui eût donné l’aridité des sables du désert. Leçon utile qu’il ne faut pas oublier.

Il faut encore considérer si le terrain qu’on veut dessécher n’est pas un réservoir d’eau qui deviendra, un jour, utile au point de partage nécessaire pour la navigation intérieure. Cette navigation est, pour l’agriculture comme pour le commerce, d’un tel intérêt, que tous les autres doivent lui céder ; et c’est pour cela même que nul dessèchement ne doit être entrepris (dans l’intérieur des départemens) sans l’intervention de la partie publique, sans le concours de l’administration.

Quant aux terres inondées près les côtes de la mer, il n’y a jamais de danger à en opérer le dessèchement, leurs eaux qui s’écoulent à la mer ne peuvent remonter, et sont inutiles aux terrains supérieurs qui doivent cependant toujours être prévenus des dessèchemens qu’on propose de faire. (Voyez Dessèchement, (Société de), Statut 2.)

Deuxième Question. Le dessèchement doit-il être entier, ou ne comprendre que partie du terrain ? C’est ici qu’il faut une grande connoissance du sol et l’habitude de ces sortes de travaux. Celui qui ne l’a pas doit consulter avant de rien entreprendre. Les cas varient à l’infini, suivant les dispositions locales. Je ne puis indiquer ici que les principales considérations.

1°. J’admets d’abord le cas où la partie publique juge que le dépôt des eaux est nécessaire à la navigation, aux irrigations, etc. ; on peut alors, sans en diminuer le volume, en limiter l’étendue ; on peut faire la part aux eaux, les resserrer par des chaussées ou digues, convertir un marais infect, partie en prairies fertiles, partie en étangs poissonneux. Ce travail est digne de l’industrie humaine, et toujours possible.

2°. Supposons maintenant que la partie publique (l’administration) n’eût point d’intérêt à opposer à un dessèchement, il faut encore examiner s’il est de l’intérêt du propriétaire qu’il soit entier ou partiel.

En effet, le plus grand avantage d’un dessèchement est de ménager les eaux, de manière à ce que le terrain puisse toujours être desséché ou arrosé à volonté. Et, pour cela, quand on ne peut prendre des eaux extérieures, il faut s’en réserver sur son propre domaine ; car les marais inondés sont des dépôts vaseux ou tourbeux faits par les eaux ; ils reposent toujours sur un fond de glaise, d’argile ou de tourbe, sans quoi les eaux pilleroient et disparoîtroient. Or, ces fonds argileux et vaseux redoutent la sécheresse ; ils se fendent en longues crevasses, tout se dessèche, tout brûle à leur surface ; les bestiaux mêmes craignent d’y poser le pied, et ne les parcourent pas sans danger. Il est donc bien important de se ménager des moyens d’irrigation, dût-on sacrifier une partie du terrain, pour faire un grand dépôt ou réservoir d’eau. C’est un conseil que je ne crains point de donner aux propriétaires, et dont ils ne se repentiront jamais. Il est d’autres circonstances où il faut sacrifier une partie du terrain, pour assurer les travaux d’un dessèchement. On le verra à l’article des travaux nécessaires aux dessèchemens.

Troisième Question. Faut-il opérer un dessèchement entier ou un demi-dessèchement ?

Ici, l’intérêt seul du propriétaire ou entrepreneur doit être consulté. Il faut calculer la dépense et le produit ; il faut sur-tout considérer les terrains environnans. Une promenade chez ses voisins est toujours utile au cultivateur qui sait bien observer, et qui veut entreprendre une exploitation rurale. En effet, s’il falloit dépenser beaucoup d’argent pour faire un dessèchement complet, recourir à des ouvrages d’art dispendieux, tandis que, par des travaux faciles, on se procureroit un demi-dessèchement et de bons pacages, si enfin ceux-ci donnent plus de revenu que des terres labourables, il est évident qu’il faudroit préférer les demi-dessèchemens, c’est-à-dire ceux où le sol reste couvert d’eau partie de l’hiver.

Toute opération rurale, comme toute affaire de commerce, doit finir par un bordereau en recette, dépense, produit. Cependant il ne faut jamais perdre de vue que rien n’est ruineux comme les fausses économies en agriculture. C’est pour cela qu’il faut bien calculer avant d’entreprendre.

Supposons maintenant les données précédentes résolues ; supposons que le dessèchement soit juge utile, il faut alors s’assurer des moyens de l’exécuter, et, pour cela, deux choses sont nécessaires :

De l’argent, et des bras.

Il faut encore savoir bien employer l’un et l’autre.

Il est rare qu’un vaste terrain appartienne à un seul propriétaire, ou qu’il puisse en entreprendre le dessèchement avec ses propres moyens. Presque toujours il se forme des associations ou sociétés de dessécheurs qui sont ensuite chargées de l’entretien des travaux.

Il importe infiniment de bien régler ces actes d’association, soit pour l’administration générale, soit pour les intérêts des actionnaires.

Je proposerai quelques idées sur les règlemens nécessaires aux sociétés de des sécheurs, de dessèchement, à l’article Société de dessèchemens. Cet article (qui ne touchera en rien à la législation générale) est de la plus grande importance pour prévenir, d’interminables difficultés qui amènent la ruine de l’entreprise et son abandon.

Enfin, il s’agit de mettre la main à l’œuvre.

Première Observation préalable. Il faut, avant tout, bien examiner le terrain, le parcourir plusieurs fois, l’apprendre, si j’ose ainsi parler, par cœur en bien étudier les pentes, faire un nivellement, général, (que l’eau rend toujours facile) sur-tout s’assurer des parties les plus basses. Je connois des dessèchemens manqués, parce qu’ils renferment des terrains dont les eaux ne peuvent s’écouler par les canaux dont le niveau est trop élevé. C’est une grande faute, la plus irréparable de toutes, parce qu’on ne peut y remédier qu’à l’aide de machines dispendieuses, telles que les pompes à feu, les moulins ou polders hollandais, les vis d’Archimède, etc.

Deuxième Observation. La surface du terrain bien étudiée, il faut se hâter de le sonder, pour connoître la nature des couches de terre inférieure ; car on ne contient pas les eaux antérieures avec des sables, des pierres calcaires, il faut nécessairement trouver des terres argileuses, pour en former des digues. Tous les terrains inondés offrent de l’argile, sans cela, ils ne seroient pas couverts d’eau ; mais il faut s’assurer de leur profondeur, pour y appuyer les digues ou levées. Souvent les bords des marais inondés, qui touchent aux terrains non mouillés, n’offrent point d’argile. Il faut bien se garder d’y poser des digues. Il vaut mieux les descendre dans le marais et laisser des terrains en dehors, dût-on les abandonner aux eaux, ce qui rarement est nécessaire.

Troisième Observation préalable. Nous supposons maintenant le terrain, sa nature, ses pentes, bien connus ; il faut encore s’assurer si on peut conduire les eaux dans des bassins naturels, tels que la mer, une rivière, un lac, un étang ; enfin, si l’on possède ou si l’on peut acquérir le terrain nécessaire pour creuser les canaux qui doivent y porter les eaux. Il existe presque par-tout de ces bassins inférieurs destines à recevoir les eaux supérieures. La nature, qui fit la terre pour l’homme, la disposa de manière qu’il pût toujours rendre son domaine utile, même l’embellir ; et si elle a exigé qu’il y employât ses forces et son intelligence, c’est un nouveau bienfait. Elle a voulu lui réserver par-là de grandes jouissances, en faire son collaborateur, l’associer à une seconde création.

C’est un dédommagement que j’ose promettre à ceux qui ne seront pas effrayés de l’aridité de ces détails. Mais ici il ne faut rien négliger ; l’eau est, comme le feu, un ennemi qui profite de la plus légère faute pour tout envahir. L’ouvrage de cent ans périt dans un moment.

Enfin, tous nos élémens sont rassemblés, nos connoissances préliminaires sont acquises ; il faut opérer. Il faut,

Contenir les eaux extérieures ;

Vider les eaux intérieures ;

Je traiterai, dans deux chapitres séparés, ces deux objets. Je tâcherai de mettre, dans cette discussion, le même ordre qu’il faudra mettre dans les travaux.

CHAPITRE PREMIER.


Moyens de contenir les eaux extérieures.


Avant tout, il faut contenir les procès, plus dangereux que les eaux. Il est donc des formalités à remplir. Voyez à l’article Dessèchemens. (Société de)

On ne peut contenir les eaux extérieures que par des ouvrages d’art, des digues faites soit avec des terres, soit en maçonnerie. Il est rare qu’on soit obligé de recourir à ces derniers travaux, plus rare encore que le produit vaille la dépense ; mais, comme ces sortes d’ouvrages ne sont pas à la portée de l’agriculteur, pour qui seul j’écris, je le renvoie à son entrepreneur, en lui conseillant de bien calculer avec lui, avant de rien entreprendre.

Il ne s’agira ici que des ouvrages qu’on peut exécuter avec les moyens qu’offre le terrain à dessécher.

Digues, chaussées, levées. Pour contenir les eaux extérieures nous élèverons des digues en terre, nous nous rappellerons qu’il faut que leur base ou pied porte ou sur l’argile, ou sur un banc calcaire imperméable à l’eau ; car, si elle filtroit par-dessous les levées, on les élèveroit inutilement à la plus grande hauteur.

Les levées maintenant bien fondées, il faut examiner quels matériaux la nature offre pour les construire et les élever.

Nous avons déjà dit que, si le sol n’offroit qu’un sable cru ou des pierres, il seroit impossible d’en former des levées qui continssent les eaux.

Heureusement ce cas est très-rare dans les marais inondés ; on ose même dire qu’il n’arrive jamais, quand on veut descendre dans le marais, et sacrifier quelques terres hors des levées.

Cependant, si l’on ne rencontre que des sables ou des terrains calcaires, pourvu qu’ils soient mêlés de terre végétale, il ne faut pas désespérer du succès, il faut que l’industrie vienne au secours de la nature ; il faut élever les chaussées, y planter des arbres, des arbrisseaux, des tamariscs, semer des gazons… Bientôt les racines entrelacées consolident le terrain ; les feuilles pourries, les débris des plantes, des insectes qui les habitoient, les pluies fécondes, les influences de l’atmosphère, couvrent les digues de terre végétale et de gazon qui arrêtent les eaux. Mais il faut tenter quelques essais avant de travailler en grand ; car ici la seule expérience peut prononcer définitivement. Tout le reste n’est que présomption plus ou moins fondée. Si l’on parvient à défendre un demi-hectare des eaux, on réussira sur cent mille hectares.

Bardelages, enveloppes en roseaux. Ces sortes de digues, faites avec des terres végétales, sont peu solides, les premières années. L’eau les attaque facilement jusqu’à ce qu’elles soient bien gazonnées. Il est une manière ingénieuse de les défendre ; on les couvre de longs roseaux, chouins ou massettes, et autres plantes aquatiques que les marais mouillés produisent en abondance ; on les contient par des perches saisies elles-mêmes par des crochets de bois enfoncés dans la terre. L’eau glisse sur les roseaux, monte, descend, sans endommager les levées. On laisse ainsi ces digues sous enveloppe, si j’ose ainsi parler, pendant tout l’hiver. Les roseaux, les plantes, pourrissent, forment du terreau, et, au printemps, on voit avec étonnement succéder à ce lit de roseaux secs et jaunâtres de beaux gazons, une belle verdure.

Il est bon de répéter cette opération pendant plusieurs années. Elle n’est pas dispendieuse, les marais mouillés étant toujours pleins de ces roseaux.

Coupes transversales. Souvent les eaux extérieures qui menacent les digues tombent par torrens des montagnes. Alors plusieurs coupes transversales, ou fossés parallèles arrêtent, brisent l’impétuosité du torrent.

Chaussées parallèles aux digues ou levées. Plus souvent, dans les plaines, les eaux s’étendent sur une large plage, un lac, un étang, un fleuve. Poussées par les vents, elles roulent de longues lames qui, accélérées dans leurs cours, renversent, surmontent tous les obstacles. Il faut élever des chaussées parallèles à la première, qui brisent le flot et garantissent la levée principale.

Moyens employés pour les digues de la Durance. Je ne dois point omettre un moyen pratiqué dans la ci-devant Provence, pour contenir les eaux de la Durance, auxquelles on n’a à opposer que des digues faites avec un terrain sablonneux et mouvant, mais qui contient cependant quelques terres végétales.

On plante sur ces chaussées un rang d’arbres aquatiques, frênes, bouleaux et autres. À trois ans, un coup de hache coupe à moitié épaisseur, et à trois pieds de terre, la tige même de l’arbrisseau. Il se renverse, et sa tête tombe au dessous du pied et des racines. Bientôt la cicatrice se forme, mais l’arbre ne se relève pas. Les branches opposent toujours une molle résistance à l’action des eaux qui viennent y déposer le limon qu’elles charroient, les branches enfouies deviennent des racines, et poussent de nouveaux jets. Les années suivantes, un nouveau rang d’arbres est planté, et le fleuve vaincu est forcé d’enchaîner lui-même ses propres eaux.

C’est ainsi que le foible roseau résiste à la tempête, tandis que le chêne est abattu. Rien n’est impossible à l’industrie de l’homme secondé par le travail.

Passons maintenant à l’art même de construire les digues.

Construction des digues. Les digues ou chaussées, comme un mur de circonvallation, doivent contenir l’ennemi (les eaux extérieures.)

Il faut connoître la force de cet ennemi, calculer le volume des eaux, la rapidité de leur cours, la direction des vents qui peuvent ajouter à leur choc, afin de leur opposer des moyens suffisans de défense, par la hauteur et la force des digues.

Avant d’aller plus loin, définissons les mots que nous employons, afin d’éviter toute confusion dans les idées.

Une digue, chaussée ou levée a toujours la forme d’un cône tronqué. Sa base s’appelle pied, empâtement, son sommet s’appelle la couronne, ses côtés sont les flancs, le fossé extérieur d’où, l’on a tiré la terre, s’appelle la ceinture. S’il y a un second fosse en dedans, c’est la contre-ceinture. La lisière des terrains qui borde les canaux, les ceintures, contre-ceintures, sont appelées francs bords. Ces noms sont consacrés à la chose qu’ils désignent, et je les préfère à ceux de both contre-both, qui nous viennent des Hollandais, et que chacun entend à sa manière.

Quand on élève une digue, il faut non seulement calculer la force, le volume des eaux, mais encore la nature du terrain qu’on peut employer.

Si la terre est forte, argileuse, il faut moins donner d’empâtement, de base aux digues ou levées, moins de largeur à la couronne, moins de talus à ses flancs.

Si l’on manie des terres légères et calcaires, mélangées de détritus de végétaux, il faut alors tracer de larges chaussées, donner peu de pente aux talus des flancs, afin de prévenir les éboulemens. Ce seroit une erreur de vouloir appliquer ici les règles ordinaires du calcul. Il ne s’agit point d’un rempart, d’un mur de fortification, où l’on emploie la pierre, la brique à volonté. Vous n’avez ni le choix des moyens, ni celui des matériaux. Vous ne pouvez pas faire la loi, il faut la recevoir, il faut capituler avec la nature ; voilà la seule règle qu’on peut prescrire.

La force des digues ou chaussées doit être en raison composée du volume des eaux, de leur rapidité, du plus ou moins de force et de ténacité des terres qui servent à les contenir.

J’ai donc dit, avec raison, qu’il falloit, pour faire un grand dessèchement, un coup d’œil exercé, une grande connoissance du terrain. Ici, le plus habile ingénieur seroit en défaut. Il faut consulter l’habitant du pays, celui qui, comme l’arbre des forêts, a pris racine sur le sol, et le connoît par instinct. Cependant les fouilles profondes révèlent presque toujours la qualité des terres des couches inférieures qu’on a à employer.

Mais, en principe général, on ne peut trop donner de largeur aux chaussées eu digues.

Il vaut mieux que les ceintures et contre-ceintures soient larges que profondes.

Il faut se ménager au moins trente pieds de francs bords le long des ceintures et contre-ceintures, afin de trouver toujours la terre nécessaire pour charger et rehausser les levées.

La dépense est plus forte, sans doute, mais les produits sont assurés, si l’on plante en bois les digues, les francs bords même. Tous les bois blancs y viennent avec une inconcevable rapidité, et il n’y a pas de revenu plus certain et plus grand.

Cependant il faut bien se garder d’y laisser venir les arbres en haute futaie ; agités par les vents, cet immense levier soulève, ébranle les levées. Il faut couper la tige des arbres à deux mètres, (six ou huit pieds) les planter par rangs, et on en retire, tous les quatre à cinq ans, d’excellent fagotage. Jamais capital ne fut placé sur la terre à si fort intérêt.

Ce seroit donc une bien fausse économie que de ménager le terrain pour les digues ou chaussées, et de s’exposer à manquer le dessèchement. Les eaux, sont un ennemi contre lequel il faut toujours être en garde. Si on lui permet la plus légère invasion, il s’étend avec rapidité. Jamais donc le principiis obsta, la prévoyance ne fut plus nécessaire, et c’est pour cela même que je ne puis trop recommander d’avoir toujours, sur la tête des digues, des dépôts de terre argileuse, qu’on puisse porter, à volonté, dans les crues d’eau. Souvent quelques paniers de terre, portés dans un endroit exposé, peuvent arrêter une grande inondation, et le propriétaire imprévoyant qui voit, du haut de ses digues, les eaux le menacer et couvrir au loin le sol, voudroit acheter un peu de terre au poids de l’or ; mais ses regrets sont superflus, ses champs sont inondés, ses moissons perdues, et son voisin, plus intelligent, peut lui appliquer l’utile morale du bon Lafontaine :

Que faisiez-vous au temps chaud ?

Rupture des digues. Moyens de les prévenir. Cependant, comme la prudence ne peut prévenir tous les événemens, je terminerai l’article des digues par indiquer les moyens de remédier à leur rupture.

Si les digues n’ont point été couvertes de roseaux, ce qu’on appelle bardeler, (Voyez page 463) et qu’une crue momentanée les surmonte, on forme, sur la couronne, une rangée de terre d’un pied en tout sens, qu’on appelle cordon, parce que la terre représente un cordon étendu sur le terrain.

Si la force de l’eau rompt une digue, il faut, à l’instant, y jeter des sacs de toile pleins de terre, traverser la coupe par de longues pièces de bois, y jeter de longues claies. Lorsque la lame arrive avec vitesse, il est très-utile d’abattre de grands arbres avec toutes leurs branches, et de tâcher de les conduire en travers de la coupe. Rien ne rompt aussi bien la vague, et alors on travaille plus sûrement avec les bois, les claies, les sacs pleins de terre, enfin avec la terre elle-même dont il faut surcharger tout ce travail.

Il réussit toujours, quand il est pris à temps, et lorsque les gardes, qui doivent veiller jour et nuit, dans les momens de danger, sont munis des instrumens nécessaires, sur-tout quand ceux qui dirigent l’ouvrage ne sont pas effrayés, et sont accoutumés à ces événemens très-rarement dangereux.

Rupture des digues. Cependant, si la rupture des digues étoit si prompte que rien n’eût pu la prévenir, (ce que je crois impossible) si la coupe ou rupture étoit trop considérable, il ne faut plus tenter d’inutiles efforts ; il faut retirer les hommes, les bestiaux, laisser inonder le marais, et quand les eaux sont de niveau, et se balancent au dedans et au dehors, il est alors facile de fermer la coupe[1], parce qu’il n’y a plus de courant. On la bouche le plus tôt possible, puis on ouvre les bondes ou vannes des canaux de dessèchement, (Voyez ci-après) et on vide les eaux intérieures. J’ai vu des blés rester vingt-quatre jours sous l’eau, et en sortir sans aucun dommage, pourvu toutefois qu’il n’y ait pas de grands vents, car alors la vague déracine les blés.

Je crois avoir réuni, dans ce premier article, tout ce qui concerne les travaux utiles pour contenir les eaux extérieures, et repousser l’ennemi au dehors. Passons aux travaux nécessaires, propres à vider les eaux intérieures, et pouvoir cultiver le terrain desséché.


CHAPITRE II.


Canaux intérieurs. C’est ici que le travail doit venir au secours de la nature ; mais il faut toujours qu’une grande connoissance du sol éclaire le premier.

En traçant un canal intérieur de dessèchement, vous avez trois choses à considérer : le niveau des parties les plus basses du terrain, la nature du sol, le volume des eaux à écouler.

Il est hors de doute qu’il faut que le canal destiné à écouler les eaux puisse les contenir, et qu’il puisse recevoir toutes celles que lui portent les canaux ou conduits subsidiaires qui dessèchent le terrain. Si les veines du corps humain sont d’un trop petit diamètre pour contenir le sang, on en diminue le volume par une saignée ; sans cela, il y auroit pléthore ou apoplexie. On ne peut pas diminuer à volonté le volume des eaux, il faut donc y proportionner les canaux destinés à les recevoir ; mais, comme il y a impossibilité de connoître mathématiquement le volume d’eau dans un dessèchement, la prudence demande (et je ne puis trop insister sur cette mesure) qu’en creusant les canaux on se réserve toujours les moyens de les élargir ; et, pour ce, il faut laisser un espace ou franc bord, entre les bords mêmes du canal et les déblais ou terres qu’on en tire pour les creuser. Quand cette opération se fait au moment même où l’on creuse le canal, elle est facile. Deux travailleurs, placés sur les bords, reçoivent les terres, et, avec la pelle, les jettent à dix pas du canal où d’autres les terrassent. Ainsi toute la dépense consiste dans quelques journées de travailleurs ; mais, lorsqu’on a négligé cette mesure, lorsqu’une fausse économie de terrain l’a repoussée, et qu’il faut élargir un canal, alors les dépenses deviennent immenses, quelquefois les travaux impossibles, et l’on éprouve une vérité certaine en agriculture : c’est que rien n’est plus ruineux que les demi-moyens et les fausses économies ; ajoutez encore que lorsqu’on a négligé de laisser des francs bords, et qu’il faut creuser les canaux, il faut alors porter les déblais à une grande hauteur pour atteindre le tête des jets, ce qui ne se fait que par des moyens très-dispendieux.

Nature du sol. Je ne pourrois que répéter ici ce que j’ai dit à cet égard pour les levées ou chaussées ; il faut, pour prévenir les éboulemens, parfaitement connoître la nature du terrain que l’on travaille, et ménager les pentes ou talus des terres. Venons au dessèchement des parties basses.

Niveau des parties les plus basses du terrain. Voici, de toutes les opérations d’un dessèchement, la plus difficile et la plus compliquée ; avant de l’entreprendre, il faut bien connoître,

1°. Le niveau comparatif des parties les plus basses et les plus élevées du sol ;

2°. La pente qu’on peut donner au canal général, pour rendre les eaux au bassin naturel destiné à les recevoir.

De l’examen de ces données, dépend la solution de la question suivante :

Peut-on opérer le dessèchement, complet, sans employer des ouvrages d’art ?

Faut-il, au contraire, avoir recours à des machines, ou à des écluses ?

En effet, si dans un terrain à dessécher il se trouve des parties fort au dessous du niveau général, il est évident que, pour en recueillir les eaux, il faudroit donner une telle pente aux canaux, qu’alors ils ne pourroient plus conduire les eaux dans le bassin naturel, étang, mer, fleuve ou rivière.

Il n’y a alors que deux partis à prendre, ou de resserrer, par des chaussées, les parties inondées, et d’en faire des étangs, ou de les changer en prairies.

Si vous en faites des étangs, l’art n’est plus nécessaire que pour en contenir les eaux par des digues.

Si vous les changez en prairies, il faut alors employer le polder hollandais, le simple chapelet ou bélier hydraulique, pour élever les eaux dans un canal ou aqueduc qui les rendra au canal général.

J’avoue que je connois peu de terrains en France qui méritent cette dépense ; mais il importe toujours de contenir, de resserrer les eaux, tant pour la salubrité de l’air, que pour avoir au moins des étangs poissonneux. Quant au parti à préférer, il faut consulter l’intérêt personnel ; c’est un guide à qui il ne faut pas cependant accorder une confiance sans réserve. Souvent il nous égare en voulant nous servir, il nous porte ou à l’excès de la crainte qui empêche d’entreprendre, ou aux espérances chimériques qui font tout oser.

Des pentes à donner aux canaux de dessèchement. La pente même du terrain que parcourt le canal doit être la première donnée du problème.

Ces pentes sont, ou trop rapides, ou trop lentes, ou nulles, ou inégales.

Pentes trop rapides. Les pentes sont elles trop rapides ? il suffit quelquefois de contourner le canal, de le faire circuler ; alors la pente se prolonge sur un plus grand développement, et devient peu sensible.

Ce moyen supplée souvent aux écluses, aux déversoirs, aux chaussées mobiles qu’on ne construit et qu’on n’entretient sur-tout qu’à grands frais ; il est encore très-utile pour aller chercher les eaux des parties les plus basses ; un simple chapelet suffit alors pour les déverser dans le canal général, et le chapelet lui-même est mis en action par le cours des eaux.

C’est un préjugé de croire qu’il faut que les canaux généraux d’un dessèchement soient toujours en ligne directe ; par-là, on manque un dessèchement, ou on ne l’opère qu’avec des machines dispendieuses.

Je viens de présenter deux hypothèses où il est évident qu’on doit préférer des canaux sinueux ; il en est une troisième qu’il ne faut pas omettre.

Il arrive assez souvent qu’après un dessèchement fait le fond de terre se trouve ardent, sablonneux ou trop compacte ; alors le sol, livré aux chaleurs de l’été, se fend en longues crevasses ; tout se dessèche, tout jaunit, tout brûle à sa surface. Si, dans un tel terrain, vous eussiez adopté les canaux sinueux, ralenti le cours des eaux, multiplié leur surface, augmenté les bienfaisantes rosées des brouillards du matin ; alors, dis-je, vous eussiez porté par-tout la fraîcheur et la vie, vos prairies et vos blés seroient toujours verts, et vous ne verriez plus vos bestiaux maigres et desséchés, n’oser appuyer le pied sur un sol brûlant qu’ils voudroient fuir pour jamais.

Pentes trop lentes. Les pentes sont-elles trop lentes ? souvent il suffit de ralentir momentanément le cours même de l’eau par des écluses à poutrelles ou des chaussées mobiles ; les eaux s’élèvent alors, deviennent plus rapides, et font, sur les parties inférieures, l’effet d’une écluse de chasse. (Voy. ci-après.)

Il est inutile de dire qu’alors les canaux les plus directs sont toujours à préférer.

Pentes nulles ou irrégulières. Défaut de pentes. Je dois observer que les pentes nulles ou irrégulières n’existent presque jamais à dessécher ; ce sont presque toujours de grands bassins que les eaux mêmes ont nivelés, et la bienfaisante nature a placé auprès d’eux des bassins inférieurs et naturels ; il n’y a donc d’obstacles à vaincre que pour le canal qui doit communiquer d’un bassin à l’autre.

La majeure partie des terrains inondés en France le sont par des lacs ou des rivières qui s’extravasent, si j’ose ainsi parler, et se répandent sur des terrains qui sont au dessous de leurs eaux enflées par les pluies ou par les torrens. Alors il suffit d’élever le long des bords du fleuve une chaussée parallèle, pour contenir ses eaux, et de creuser un canal intérieur également parallèle au fleuve, et qui va à un ou deux myriamètres lui porter ces mêmes eaux qu’il refusoit de contenir dans la partie supérieure de son cours. C’est ainsi que le génie de l’homme sait quelquefois modifier, à son avantage, les lois mêmes de la nature qui ne devient rebelle que lorsqu’on veut lui en imposer et s’opposer à ses immuables décrets.

Je pourrois ici multiplier les exemples ; mais je ne décrirai jamais tous les cas particuliers. Qui pourroit croire, si l’expérience ne l’eût prouvé, qu’il suffit quelquefois de creuser des puisards dans un terrain que l’on veut dessécher, de percer le lit de terre que contenoient les eaux supérieures ? Alors elles se perdent dans un banc de pierre ou de sable ; elles disparoissent et vont enfler ces sources fécondes qui portent ailleurs la fertilité et la vie.

Canaux secondaires, ou saignées. Je ne dois point terminer ce chapitre, sans parler des canaux secondaires, qui, comme autant de ramifications, vont porter les eaux aux canaux généraux de dessèchement.

Comme on peut augmenter, réduire le nombre, ou changer le cours de ces canaux secondaires, leur construction est bien moins importante que celle des canaux principaux ; on peut, pour ainsi dire, les essayer avant de les adopter définitivement ; je me bornerai donc ici à quelques observations générales.

1°. Il importe de construire à l’embouchure de chacun de ces canaux des clapets très-peu dispendieux, mais qui servent à retenir les eaux dans telle ou telle partie, tandis qu’il faut les faire écouler dans une autre : sans cette précaution, il arrive souvent que telle partie d’un dessèchement est inondée, tandis que telle autre est frappée de sécheresse. Il ne faut donc pas négliger un moyen aussi simple de se rendre maître du coins des eaux.

2°. Il est un usage connu en Angleterre et recommandé par Rozier, c’est celui de combler les fossés secondaires ou rigoles avec de grosses pierres, (quand la nature en offre) et de les couvrir de quinze à seize pouces de terre franche. Alors il n’y a pas de perle de terrain, et les eaux s’écoulent par des conduits secrets.

Je suis loin de blâmer cet usage ; mais n’est-ce pas le cas de dire ici qu’il n’y a pas de règle sans exception, et que celle-ci en souffre beaucoup ?

1°. En comblant les fossés secondaires, vous perdez l’avantage précieux de pouvoir contenir les bestiaux, et de les empêcher de vaguer et de fouler avec leurs pieds plus d’herbe qu’ils n’en mangent ; vous éloignez d’eux les moyens de se désaltérer.

2°. Dans les terrains brûlans, (et il y en a beaucoup de ce genre dans les dessèchemens) vous renoncez à l’avantage inestimable de ces vapeurs qui s’élèvent de la surface des eaux et qui se répandent en fertiles rosées sur un sol aride ; cet effet, naturel dans un pays de montagnes, n’existe pas dans les plaines : c’est donc encore ici à l’art à aider la nature.

3°. Vous renoncez enfin à ces plants d’arbres aquatiques qui bordent les canaux, en contiennent les terres, attirent la rosée et la fraîcheur, et décomposent l’air méphitique et pestilentiel.

Ainsi donc, par-tout où il faut purger l’air et le rendre salubre, par-tout où il importe de conserver, de porter la fraîcheur sur un sol trop brûlant, par-tout où il faut préférer les prairies aux terres emblavées, nous ne devons pas renoncer à nos antiques usages, de laisser nos canaux secondaires découverts, et nous ne devons adopter la méthode anglaise que dans les terres assez arrosées, ou destinées à être emblavées ; il ne faut donc pas que la manie de l’imitation nous porte trop loin. Nous devons, en économie rurale, imiter les Romains, qui n’adoptaient des autres peuples que les coutumes et les armes qui pouvoient convenir à leurs mœurs ou à leur politique.

Je ne terminerai point ce qui concerne les canaux de dessèchement, sans recommander de se rendre maître de la circulation des eaux par des moyens simples et peu dispendieux.

Souvent la partie inférieure d’un marais est fatiguée d’eau, le bas d’un canal surchargé, tandis que la partie haute est à sec, et les terres sans irrigation.

Il importe donc de maintenir dans un même canal plusieurs niveaux d’eau ; ce qui est très-facile par les écluses à poutrelles. (Voy. À l’article Ouvrages d’art, ci-après.) Elles seront employées dans les canaux généraux de dessèchement.

Deux piliers de bois portant une rainure, une planche entre deux, formeront un clapet qui suffira dans les petits écours.

Par ces moyens faciles, on se rend entièrement maître de la circulation des eaux ; on les retient ; on les fait circuler ; on les porte à volonté, et dans telle partie qu’on le désire ; on facilite les irrigations ; on précipite les eaux trop lentes par une chasse d’eau de quelques heures ; souvent on réussit à entretenir les canaux par ce seul moyen : car il faut souvent curer les canaux, comme il faut recharger les digues ; et comme ces travaux sont toujours dispendieux, il importe de chercher tous les moyens de les éviter. C’est pour cela que j’ose encore donner les conseils suivans aux desséchants.

Sarclage des canaux. Les terres marécageuses produisent un grand nombre de roseaux, massettes et chouins de toute espèce. Le dessèchement et la culture en délivrent bien le terrain desséché ; mais il est impossible de les empêcher de croître dans les canaux, quand l’eau est stagnante.

Il faut donc les sarcler, et cette opération connue se fait à l’aide de faulx attachées à de longs manches. Des hommes, sur les bords du canal, les sarclent ; d’autres, dans des bateaux, sarclent le milieu : le plus difficile de l’opération est de se délivrer des amas d’herbes. Avec les écluses à poutrelles tout devient facile, parce qu’on se procure des chasses d’eau à volonté ; si on peut les multiplier, les plantes aquatiques croissent moins vite.

Curage des grands canaux. Cette opération, à bras d’hommes, est bien coûteuse. On peut, l’éviter en prévenant l’envasement par le moyen de bacs-râteaux qu’on fait jouer ; ce sont des bateaux qui, par le moyen d’ailes, tiennent toute la largeur d’un canal, et traînent une drague ou pièce de bois armée de fortes dents de fer.

Le courant (quand il y en a) fait marcher ce bac-râteau ; il entraîne les vases. On gaffe en avant, pour prévenir les dépôts qui arrêteroient la machine ; mais elle n’est utile qu’avec un courant assez fort pour l’entraîner : on l’aura toujours par le moyen des chasses d’eau données par les écluses à poutrelles. Je ne puis trop en recommander rasage ; on en trouvera la description dans le chapitre suivant.


CHAPITRE III.


Des ouvrages d’art. — Écluses, Vannes.


Ouvrages d’art. Mon dessein n’a point été de traiter des dessèchemens qu’on ne peut opérer qu’à l’aide de machines dispendieuses, des polders ou moulins de la Hollande, des vis d’Archimède, etc., etc.

Ces travaux sont hors du domaine de l’agriculture ; et je connois peu de terrains en France qui puissent supporter de pareilles avances.

Portes ou écluses. Mais, dans tous les dessèchemens ordinaires, qu’on opère en élevant des digues, en creusant des canaux, il est très-rare qu’on ne soit pas obligé de construire à l’embouchure de chaque écours général, une écluse, vanne ou porte-battante ou à coulisse. Cette construction est indispensable pour tous les dessèchemens qui portent leurs eaux à l’Océan, pour arrêter l’action du flux qui feroit refouler les eaux ; elle sert encore dans tous les lacs, étangs, rivières où l’on peut craindre des crues d’eaux.

J’ai donc pensé qu’il étoit nécessaire de faire connoître les vices que j’ai constamment remarqués dans ces sortes de constructions.

Mais, avant tout, il faut les décrire. Elles consistent ordinairement en deux culées ou bajoyers, qui soutiennent des portes-battantes qui sont busquées du côté où elles doivent soutenir les eaux. Quelquefois les culées soutiennent quatre portes ou vanneaux, deux busquées, deux autres contre-busquées.

Presque toujours, près des premières culées, on en construit de secondes dans l’épaisseur desquelles on pratique une coulisse ou rainure dans laquelle une vanne monte et descend, conduite par une vis qui marche par le moyen d’un écrou fixé ; c’est ce qu’on appelle ordinairement porte-coulisse ou vanne. Telles sont les constructions les plus usitées ; voici leur usage :

Il faut se rappeler que, s’il importe de vider les eaux surabondantes, il n’importe pas moins de les retenir à volonté, pour l’irrigation des terres et abreuver les bestiaux.

Or les portes-battantes que l’Océan fait fermer d’elles-mêmes, au moment du flux, qui s’ouvrent à la mer descendante, parce que les eaux intérieures pèsent sur les vantaux ; ces portes, dis-je, s’ouvrent ou se ferment entièrement.

À la vérité, il est d’usage de construire de secondes portes-coulisses ou vannes dont nous avons parlé.

Il paroîtroit d’abord facile, à l’aide de cette machine, de modérer l’action des eaux ; mais cette opération est dangereuse, parce qu’alors la vanne ou porte coulisse soutient une masse d’eau énorme, celle de la hauteur de tout le canal ; qu’elle peut alors se rompre ou au moins se voiler ; et alors la vanne ne peut plus jouer dans les coulisses du bajoyer. Pour éviter ces inconvéniens, il est prudent, lorsque l’on bâtit les culées ou bajoyers, de leur donner assez de force pour y construire, dans l’épaisseur des piles, des canons creux que l’on ferme avec une simple vanne. Alors on peut ouvrir une seule de ces vannes, les deux en même temps, enfin les deux vannes et la porte principale, ce qui procure une plus grande chasse d’eau.

Bâtardeaux, aboteaux. Dans plusieurs dessèchemens, on est d’usage de construire, dans les canaux généraux, des batardeaux en terre, que les gens du pays appellent aboteaux, pour retenues eaux à différentes hauteurs. Ces aboteaux se font en terre glaise ou argile, que l’on soutient par des pieux, des madriers, des traverses.

Cet usage a les plus graves inconvéniens, et les voici :

1°. Il faut enlever ces batardeaux en entier, lorsque les eaux sont trop hautes, et souvent cela arrive momentanément après un orage. Trois jours après, il faudroit les reconstruire pour retenir les eaux ; et cela peut se renouveler plus d’une fois dans l’année.

2°. Ces batardeaux en terre, lorsqu’on les enlève, laissent toujours des barres ou dépôts, et, de là, des attérissemens, des envasemens dans les canaux.

3°. Enfin, dans les crues d’eaux rapides, on n’a pas le temps de retirer les batardeaux, et tout est inondé.

On prévient tous ces inconvéniens par la construction facile et peu dispendieuse des écluses à poutrelles.

Écluses à poutrelles. (Voyez Planche XXIV.)

Sur les bords du canal on construit deux piles ou culées ; elles portent chacune une coulisse assez profonde. Au fond du canal est une pièce de bois à demeure qui forme la sole entre les culées.

Au dessus des culées et du canal, on place une seconde pièce de bois qui traverse le canal, mais qui ne doit pas être d’aplomb sur la première, comme on le verra.

Quand le canal est trop large, on place au milieu une pile ou culée en bois, qui se fixe dans la pièce du fond, et est retenue par celle du haut. Cette pièce mobile se place ou s’enlève à volonté ; elle a deux rainures parallèles à celles des culées en pierres, et qui reçoivent les poutrelles dont on va parler.

Des pièces de bois légères ou poutrelles bien équarries, de longueur suffisante, descendent dans les rainures ou coulisses ; chacune porte un ou deux anneaux de fer. On les multiplie suivant le besoin.

Voici le mécanisme de cette construction. On descend une première poutrelle, elle va se ranger sur la pièce de fond ou sole ; on en descend une seconde, elle porte sur la première ; ainsi de suite pour la troisième, quatrième, etc.

On peut poser et enlever ces poutrelles une à une par le moyen d’un crochet de fer ; une simple corde ou chaîne les retient par un bout, et le courant les chasse et va les ranger sur les bords du canal. Veut-on les reposer ? on les tire par le bout non fixé ; on les glisse dans les coulisses une à une. On peut les y fixer par un coin, pour que l’eau ne les enlève pas ; on les manie aisément, parce que, par le moyen de la culée en bois, elles n’ont jamais une grande longueur.

Rien de plus simple que celle machine. Voici ses effets.

Si l’on, veut laisser courir l’eau supérieure, on enlève une, deux, trois poutrelles. Veut-on la ralentir ? on repose la poutrelle ; l’arrêter entièrement ? on les replace toutes ; et, comme elles se présentent l’une sur l’autre, que l’eau fait gonfler le bois, il en résulte une vanne totale qui laisse échapper très-peu d’eau.

Tels sont les conseils que je puis donner aux propriétaires des marais inondés ou fatigués par les eaux. J’ose croire qu’en les suivant ils tireront un parti avantageux de propriétés qui ne leur offrent aujourd’hui que des dangers pour leur existence et celle de leurs voisins. Je n’ai décrit que des travaux et des opérations dont j’ai une longue expérience, et que j’ai moi-même pratiqués. À l’article Marais, (culture des,) j’indiquerai celle qui est la plus convenable aux différens genres de terrains plus ou moins tenaces et argileux.

On a dû voir que les travaux d’un dessèchement exigent quelques efforts, quelques dépenses, ils offrent aussi un grand intérêt ; c’est une véritable conquête faite par le génie de l’homme sur la terre et les eaux en même temps.

Rien n’est plus intéressant que l’aspect d’un dessèchement bien entrepris.

Dans un corps humain bien constitué, le volume des vaisseaux est toujours proportionné à la masse du sang ; il circule avec facilité dans les veines, les artères, et va du cœur aux extrémités, des extrémités aux poumons ; nulle pléthore, nul engorgement, toute la machine est animée, tout agit, tout se meut, tout respire la vie. Voilà l’image d’un dessèchement bien entrepris.

Un corps cacochime et souffrant, où les fluides circulent à peine, dont les mouvemens s’exécutent lentement, péniblement, où tout annonce la souffrance de l’individu et le délabrement de la machine, nous donne l’idée d’un dessèchement mal conçu, mal exécuté.

Société de dessèchemens. Règlement et statuts nécessaires pour les associations de dessèchement. Les grandes entreprises de dessèchement ne peuvent être faites que par une réunion de propriétaires ou d’actionnaires, parce qu’elles exigent de forts capitaux.

Le dessèchement fait, il faut l’entretenir, car les eaux sont un ennemi contre lequel il faut toujours être en garde. Quand on lui permet la plus petite invasion, il est bientôt maître du terrain.

Il résulte de ces faits, que,

1°. Si l’acte d’association n’est pas bien et clairement rédigé, la division se met parmi les actionnaires ; on plaide, on perd du temps, et c’en est fait de l’entreprise. Ces exemples ne sont que trop multipliés sur tout le sol français.

2°. L’entreprise et les travaux effectués, il faut des agens pour les entretenir, il faut continuer l’acte de société. Les premiers dessécheurs vendent ou meurent. Leurs successeurs n’ont ni les mêmes vues, ni les mêmes lumières ; ils ont cru jouir sans peine, sans frais, et acquérir un bénéfice simple. Il en est autrement : il faut des contributions annuelles, il faut des travaux sans cesse renaissans ; il faut des règlemens, des statuts, qui déterminent les droits de la société sur les actionnaires, ceux des actionnaires vis-à-vis de la société ; enfin, les droits des actionnaires entr’eux, la compétence, les pouvoirs des syndics, directeurs et maîtres des digues, commissaires, etc., etc.

En vain j’aurois tracé les moyens les plus assurés de faire un dessèchement, si les opérations étoient contrariées par le choc des volontés et des intérêts, qui s’opposent plus souvent aux dessèchemens que les eaux mêmes qui les inondent.

Il s’agit ici de plus de la centième partie du territoire français, qui représente la surface d’un grand département, et sûrement d’un des plus fertiles.

On ne sera donc point étonné de trouver, dans un ouvrage agricole, un projet de règlement qui intéresse si essentiellement l’agriculture française. D’ailleurs, j’ai cherché, dans les différens articles sur les dessèchemens, insérés dans ce Supplément, à donner un traité complet sur cette partie.

Mon travail seroit inutile, si, après avoir indiqué aux agriculteurs les moyens d’opérer de grands dessèchemens, je ne leur donnois celui de les conserver et d’en jouir utilement pour eux et pour l’État. Je sais que je ne dois point toucher ici à la partie administrative et judiciaire ; elle appartient au gouvernement seul qui saura bien en tracer les règles dans le Code rural, ou plutôt dans un code particulier sur le régime et l’administration des eaux.

Ce grand travail est fait dans les belles ordonnances que la sagesse de Sully et le génie de Henri IV ont dictées à eux et à leurs successeurs, en 1607, 1610, 1613, 1641, 1643, 1645, 1654 ;

Dans l’édit du roi pour la construction du canal de Languedoc, de 1644 ;

Enfin, dans l’ordonnance des eaux et forêts, de 1667.

Puisse un code général de l’administration des eaux, nous retracer bientôt les dispositions de ces belles ordonnances dont l’esprit est trop méconnu ! Il semble qu’on ait oublié que la navigation intérieure, les dessèchemens, les irrigations, les usines, demandent un système d’administration tout particulier. L’eau a l’utilité, mais aussi la rapidité de la flamme ; ses ravages ne sont pas moins funestes que ceux d’un incendie. On ne peut donc suivre ici la forme de la justice ordinaire ou de la police rurale.

Mais je sens que je dois m’arrêter. Il est des vérités, fortement senties, qui échappent comme malgré nous. Rentrons dans notre sujet, les règlemens nécessaires à l’administration d’un dessèchement.

Acte d’association.

Droits de la société et des dessécheurs. Les propriétaires d’un dessèchement forment un corps de société, représenté par des syndics ou agens soumis aux lois et règlemens généraux sur les dessèchemens, et aux statuts et règlemens qu’ils se prescrivent, après qu’ils ont été dûment homologués.

Le premier acte de l’association doit être sans doute vis-à-vis du gouvernement, pour obtenir son autorisation et jouir des privilèges accordés aux dessécheurs.

Le second, de régler ses droits vis-à-vis de ses voisins, pour ne pas être inquiété par la suite. Il faut donc qu’ils déclarent devant le préfet, s’ils entendent être compris ou non dans l’entreprise générale.

S’ils s’y refusent, ils ne perdent pas le droit de se dessécher un jour ; mais ils ne le peuvent plus qu’en indemnisant, à dire d’experts, ou en achetant les terrains nécessaires pour creuser des canaux, élever des digues, etc.

S’ils usent des travaux faits d’un dessèchement voisin, (de son consentement) il faut déterminer un niveau pour l’écours des eaux d’un marais à l’autre.

Ou convenir que les vannes fermant à clef ne seront ouvertes que du consentement des directeurs ou syndics des deux sociétés.

Si une redevance est établie, elle doit toujours être stipulée en blé froment de première qualité.

Sans ces précautions préliminaires, naissent d’interminables procès qui ruinent l’entreprise.

Si l’on a besoin de passer sur le terrain d’autrui, pour conduire les eaux au bassin qui doit les recevoir, il faut, avant d’entreprendre, traiter de gré à gré, ou recourir à la partie publique qui nomme des experts, etc. (Voyez le Code civil.)

Les intérêts réglés vis-à-vis des étrangers, il faut les déterminer encore vis-à-vis des sociétaires et propriétaires du terrain à dessécher.

Si tous sont d’accord, il faut faire un règlement général qui, une fois adopté, ne peut être changé ou modifié que de l’avis des trois quarts des membres intéressés.

S’il est des opposans, il faut leur offrir d’acheter leurs terrains, à dire d’experts, ou de le faire estimer dans l’état d’inondation, pour en recevoir la valeur en terrains desséchés, estimés par des experts. Le surplus du terrain reste à l’entreprise.

S’ils s’y refusent, il faut recourir à l’administration qui, certes, alors, agira d’office.

Passons à l’acte même d’association ; traçons-en rapidement les clauses les plus importantes.

Clauses les plus nécessaires de l’acte de société. Tous les associés doivent se soumettre,

1°. Aux hypothèques résultantes des inscriptions qui pourront être prises par ceux qui prêteront des fonds aux actionnaires ; le directeur ou syndic doit être autorisé à hypothéquer spécialement^ soit aux prêteurs de fonds, soit aux entrepreneurs d’ouvrages, d’après des devis arrêtés et signés avec les sociétés, leurs syndics ou directeurs, autorisés par des délibérations en forme,

Le corps entier du dessèchement, contenant tant d’hectares,

Confrontant du levant à ....... du couchant à .......

Si le partage du terrain est effectué entre les sociétaires, il faut désigner dans l’inscription le nom de chaque propriétaire, la quantité d’hectares qu’il possède, de manière que l’hypothèque étant bien et clairement spécialisée, elle ne puisse porter sur les autres biens du sociétaire ; mais aussi, de manière que celui-ci ne puisse disposer, aliéner, vendre, transmettre ce qu’il possède dans le dessèchement, qu’à la charge de l’hypothèque dont il est tenu pour sa part contributive (à tant par hectare) dans les fonds empruntés, et qu’il ne soit soumis à d’autre solidarité qu’à celle de ses co-associés, vis-à-vis desquels il trouve une garantie dans l’hypothèque spéciale, à laquelle ils se sont soumis.

L’oubli de ces formalités a causé la ruine d’un grand nombre de familles de propriétaires, et d’entreprises de desséchemens.

2°. Chaque sociétaire doit se soumettre aux délibérations qui seront prises dans les assemblées générales, dont l’époque sera fixée, et auxquelles tous ceux qui y auront droit seront convoqués, quinze jours d’avance, au domicile que tous doivent fixer dans l’étendue du département où se tient l’assemblée.

3°. Chacun doit se soumettre à payer les contributions qui seront établies, comme les contributions publiques, et, à défaut de paiement, à être poursuivi par la même voie.

4°. Il faut régler la quotité d’hectares de terrain qui donne droit à délibérer dans les assemblées : autrement, par l’effet des successions des ventes, etc., les subdivisions sont telles qu’on ne s’entend plus, et que ceux qui possèdent un ou deux hectares, font la loi à celui qui en a mille.

C’est la propriété, et non le propriétaire, qu’il importe de représenter dans les associations de desséchemens. La propriété ne peut être bien représentée que par ceux qui ont un intérêt réel à la soutenir. Ce principe, admis heureusement aujourd’hui dans toutes les assemblées politiques pour la formation des corps électoraux et représentatifs, est d’autant plus nécessaire aux associations de dessèchemens, qu’elles sont exposées à un double danger.

Si les assemblées qui les représentent sont trop nombreuses, on ne peut plus discuter, on ne s’entend plus ; ceux qui ne possèdent que quelques ares de terre ne veulent faire aucun sacrifice. Étant plus nombreux, leur avis prédomine, les autres propriétaires se dégoûtent, renoncent à leurs entreprises, les travaux sont abandonnés.

C’est d’après ces principes que plusieurs sociétés de dessèchemens ont adopté les règles suivantes, que l’on peut proposer à toutes les associations de ce genre, sauf les modifications qu’elles peuvent y faire, sans toutefois détruire le principe.

1°. Dans les marais au dessous de trois cents hectares, ne seront admis à délibérer et à voler que les dix plus forts propriétaires, possédant au moins dix hectares.

2°. Dans les marais de trois cents à mille hectares, les quinze plus hauts cotisés, possédant au moins vingt hectares.

3°. Dans les marais de mille à trois mille hectares, les vingt plus forts propriétaires, possédant au moins trente hectares.

Au delà de trois mille hectares, ces assemblées ne pourront être de plus de trente votans, pris parmi les plus grands propriétaires, possédant au moins cinquante hectares.

4°. Si, dans les dessèchemens dont il vient d’être parlé, il ne se trouve pas le nombre indiqué de propriétaires qui possèdent les quantités requises pour voter, plusieurs propriétaires peuvent se réunir pour former ce nombre, et nommer l’un d’eux pour les représenter. Ceux qui posséderoient plusieurs fois les quantités requises, ne peuvent avoir plus d’une voix.

5°. Dans les associations composées de propriétaires de marais partie desséchés, partie demi-desséchés, ou dont une autre partie seroit plusieurs mois sous les eaux, chacun doit être appelé à voter suivant l’intérêt qu’il a à l’association et aux travaux communs. Cet intérêt est toujours déterminé par les contributions précédemment payées ; de sorte que si les marais demi-desséchés n’ont payé que moitié du terrain desséché, il faudra posséder ou représenter le double des terrains desséchés. Si les marais mouillés ne paient que le cinquième, le dixième par hectare des terrains desséchés, il faudra posséder cinq fois, dix fois plus d’hectares, ou les représenter.

6°. Dans le cas des sociétés mixtes, dont il vient d’être parlé, il faut toujours y appeler un tiers de propriétaires possédant ou représentant les quantités prescrites de terrains demi-desséchés ou mouillés. Ce nombre peut être pris en dehors du nombre de votans accordé au dessèchement.

Les assemblées dont il vient d’être parlé ont toujours le droit d’appeler, dans leur sein, ceux des propriétaires dont les talens et les connoissances leur seroient utiles ; mais il faut, pour les y admettre, une délibération en forme de ceux qui ont le droit de voter.

Je sais qu’il n’y a que les parties intéressées qui pourront supporter tous ces détails, mais c’est pour ces mêmes propriétaires que j’écris.

Il faut arrêter que le terrain des canaux et de leurs jets, des levées, des ceintures et contre-ceintures, des francs bords de dix mètres en largeur, le long des jets des canaux généraux, ceintures, contre-ceintures, sont du domaine général de la société, et ne pourront jamais être aliénés ; qu’en conséquence, juste et préalable indemnité sera accordée aux propriétaires, qui pourront cependant jouir du terrain ; mais à charge de laisser prendre toute la terre nécessaire pour les travaux et l’entretien du dessèchement.

Chacun doit encore se soumettre à fournir, par la suite, la terre nécessaire pour les travaux généraux en cas de nécessité, mais toujours d’après une indemnité réglée par des arbitres respectivement nommés, et payée un tiers en sus de l’estimation.

Voilà les objets les plus importans. En les observant, on préviendra les divisions, les procès, la ruine inévitable des entreprises. Il est impossible d’entrer ici dans des détails, et de faire un code entier.

Passons aux règlemens d’administration intérieure, aux statuts de la société.

Statuts ou règlemens pour les sociétaires, et le régime d’administration intérieure. Nous avons, dans ce genre, un modèle de règlemens auquel il n’y a rien à ajouter que ce que nécessitent les événemens subséquens et les changemens survenus dans les hommes, dans les choses, dans l’administration publique.

Ce sont les statuts faits pour les dessèchemens du Petit-Poitou, du 19 octobre 1646, et les statuts pour les dessèchemens des marais du Poitou, homologués le 1er. août 1654.

Ils furent l’ouvrage des Siette, des Bradley, des Noël Champenois, de ces Hollandais célèbres que Sully appela en France dans le seizième siècle, qui y apportèrent leur sagesse avec leur industrie, et auxquels nous devons à peu près tout ce qui existe aujourd’hui de grands travaux dans l’Ouest et dans le Midi.

Ces statuts du Petit-Poitou étant devenus extrêmement rares, je crois faire une chose utile d’en retracer ici les principales dispositions, d’y ajouter celles qu’une assez longue expérience, et celles de quelques amis livrés à cette partie, y ont ajoutées. Ceux qui voudront de plus grands détails, les trouveront dans mon Essai sur la législation et les règlemens nécessaires aux dessèchemens à faire ou à conserver en France. (Paris, chez Madame Huzard, an 10.)

S’il existe un acte d’association avant l’entreprise, et qu’il renferme les clauses de l’acte de société, (insérées ci-dessus) il est inutile de les rappeler dans les statuts ou règlemens particuliers. Si l’acte d’association n’existe pas, les premières clauses des règlemens doivent être celles relatives à l’hypothèque, à la quotité d’hectares, pour avoir voix délibérative dans les assemblées, aux contributions ; à l’époque fixe de ces assemblées, à l’obligation de se soumettre à ces délibérations homologuées par les préfets, etc. (Voyez l’acte d’association ci-dessus) chaque associé doit élire domicile pour y recevoir les avertissemens, quinze jours d’avance, dans le département où se tient l’assemblée ; elle peut seule changer le lieu de ses séances précédentes.

On peut se faire représenter, mais non par des fermiers, les intérêts de l’usufruitier étant souvent contraires à ceux du propriétaire.

Chaque propriétaire doit s’obliger à insérer dans ses baux, l’obligation à tout fermier de se rendre avec ses gens de travail, charrettes et chevaux, au son du tocsin, ou sur la réquisition, par écrit, des directeurs, syndics ou maîtres de digues, à peine de cinquante francs d’amende par hectare ; et ce, en cas de péril imminent, et à charge d’indemnité par la société.

Chacun doit s’obliger à ne point bâtir, à ne point passer en charrette ou voiture sur les digues, sans une autorisation, par écrit, du directeur, et en saisons convenables ;

À tenir ses fossés un écours particuliers en bon état ; à les récurer au moins tous les cinq ans ;

À n’établir aucuns filets dormans, gords, bouchauds, qui retardent les eaux ;

À ne déposer dans les canaux aucuns chanvres, lins, cuirs, ou autres objets qui peuvent infecter les eaux ;

À pratiquer des abreuvoirs pour les bestiaux, afin qu’ils ne fassent pas ébouler les levées ;

À ne planter sur les digues aucuns arbres, dont la tige ne soit coupée à deux mètres de haut au plus. (Voyez Culture des dessèchemens ci-après.)

Enfin, à ne rien faire contre l’intérêt général reconnu par la délibération des sociétés.

Les règlemens doivent encore porter le nombre des bois, claies, sacs, pièces de bois, qui seront toujours en magasin pour prévenir les événemens.

Les règlemens doivent rappeler que la loi veut que les maires et préfets soient toujours prévenus du jour, de l’heure des assemblées, et de leur motif.

Que si l’État est intéressé, le directeur des domaines doit être prévenu, et peut envoyer un commissaire qui a voix délibérative.

Si des communes sont intéressées, les maires les représentent.

Tels sont les articles généraux qui doivent se trouver dans les règlemens.

Il en est de particuliers à chaque marais, suivant son étendue, son importance..

Ils doivent déterminer le mode d’administration, ordinairement composée d’un directeur-général ou syndic, d’un sous-directeur toujours résidant sur le marais, (il peut y être fermier) d’un ou de plusieurs commis ou maîtres des digues pour conduire les travaux, d’après les ordres des directeurs ou syndics, donnés par écrit, d’un caissier qui doit rendre ses comptes annuels.

Tous les associés ou fermiers doivent se soumettre à payer les contributions des marais, comme les contributions publiques, et dans les même formes.

Les maires doivent prendre les mêmes engagemens pour leurs communes.

Il faut encore déterminer la durée des fonctions de ces différens agens, leur salaire, afin de ne pas les renouveler tous en même temps.

Les sujets des délibérations doivent être présentés, chaque année, par les directeurs ou sous-directeurs, ou caissiers, qui se suppléent l’un l’autre en cas de maladie ou absence.

Les voix doivent être prises à la majorité des membres convoqués, et comptées alternativement par la gauche et par la droite de celui qui tient l’assemblée ; le nom de tous les membres présens doit être inscrit en tête de toute délibération. S’il n’y avoit pas le tiers au moins des intéressés, les agens de la société se retirent devant le préfet, qui convoque d’office une seconde assemblée.

Si, à cette seconde convocation, il n’y avoit pas encore le tiers des intéressés, les agens présentent au préfet l’état des demandes et contributions nécessaires pour les travaux. Le préfet, sur l’avis du sous-préfet et d’un ingénieur, (s’il le croit nécessaire) prend un arrêté d’exécution.

À défaut de convocations annuelles des agens, trois sociétaires intéressés peuvent les requérir des préfets et sous-préfets, et ceux-ci les convoquer d’office ; et à défaut de réunion, statuer sur les propositions et demandes faites par un ou plusieurs intéressés, ordonner des contributions, nommer d’office des syndics, caissiers et autres agens.

Tous ces actes doivent être portés sur un registre, et enregistrés sans autres frais qu’un droit fixe. Copie en forme des délibérations doit toujours rester déposée à la préfecture.

Les délibérations ne sont exécutoires qu’après l’homologation du préfet.

Les directeurs, syndics ou caissiers, doivent être dépositaires de tous les titres, actes, statuts, règlemens, délibérations de la société, et en donner un récépissé, par écrit, déposé ès-mains du caissier. La société, indépendamment de ses agens ordinaires, peut nommer des commissaires ou surveillans qui examinent les comptes et les travaux faits et à faire, et en rendent compte aux assemblées générales ; mais ils n’ont aucun droit de direction sur les travaux et sur les agens de la société, et ne sont jamais utiles que comme conseils de la société. L’usage est de les nommer parmi les anciens agens, les plus recommandables par leurs talens ; ils doivent prêter serment devant les juges de paix, et leur témoignage faire foi en justice comme ceux des gardes champêtres.

De toutes les clauses à insérer dans les statuts des sociétés qui n’ont pas d’acte d’association, et dans lesquelles (par une fausse spéculation) chaque associé est resté propriétaire du terrain, des digues et canaux, de leurs jets et francs bords, c’est que nul ne pourra les aliéner qu’en faveur de la société, Qu’après un délai de trois mois après les offres faites ; si elles sont acceptées, le terrain sera estimé par des experts respectivement nommés, et payé comptant un tiers en sus de l’estimation.

Telles sont les clauses les plus ordinaires que doivent porter les règlemens. Ils ne doivent jamais être changés ou modifiés que sur l’avis des trois quarts des votans convoqués extraordinairement dans une assemblée dont l’objet est indiqué ; sans quoi il n’y a plus aucune règle, aucun système dans la conduite des travaux de l’administration.

Qu’on ne pense pas que ses règlemens tiennent à la seule administration publique. Certes, elle y a un grand intérêt ; mais chacun doit bien connoître, en entrant dans une société, les droits qu’il s’assure, les engagemens qu’il contracte vis-à-vis de ses co-associés, et ceux-ci vis-à-vis lui. Sans cela, il est impossible de faire marcher ces sortes d’administrations plus compliquées qu’on ne pense ; tout finit par des contestations, par l’abandon des travaux, la perte des ouvrages et des capitaux.

Quant aux délibérations particulières à prendre dans chaque société pour les travaux et leur entretien, on sent qu’il est impossible d’où tracer ici des modèles ; ils dépendent des travaux mêmes dont on a parle à l’article Dessèchement. (Voyez Grands Dessèchmens.)

Je n’ignore pas que beaucoup de lecteurs trouveront extraordinaire de voir des statuts, des règlemens proposes dans un Cours d’Agriculture. Je leur répéterai encore que les dessèchemens faits et à faire représentent, en étendue, un de nos plus grands départemens, que, sans un système d’administration particulier à ces sortes d’entreprises, jamais aucunes ne pourront être conservées, jamais des entreprises nouvelles ne pourront réussir. Ne seroit-ce donc pas tendre un piège dangereux à des cultivateurs, que de leur dire : Mettez dehors de grands capitaux pour une entreprise, que l’anarchie détruira, et ces capitaux seront bientôt absorbés par des procès sans cesse renaissans. (Chassiron.)

DESSÈCHEMENS. (culture des) Lorsque tous les travaux d’un grand dessèchement sont faits, les chaussées élevées, les canaux creusés, les écluses construites, il faut cultiver le sol de la manière la plus utile.

Il faut choisir entre trois sortes de cultures :

Les prairies,

Les céréales,

Et les bois, sur-tout les bois blancs.

Il faut considérer :

Quelle est, dans la contrée, la culture la plus avantageuse pour les produits et le débit.

Il faut examiner qu’elle est la nature du sol qui cependant se prête ordinairement à toutes ces cultures. Les couches inférieures sont connues par les fouilles multipliées qu’on a dû faire pour creuser les canaux, élever les digues, etc.

Il est des fonds tellement argileux, que les céréales y réussissent peu ; il faut les convertir eu prairies naturelles.

Culture en bois. Il en est d’autres qu’on peut dessécher en partie, mais non assécher totalement, à raison des sources trop près de la superficie du terrain, toujours alors mélangé de sables. Il faut couper le terrain en petites chaussées parallèles. On élève une première levée de quatre, six, huit mètres de largeur, entre deux fossés, qui suffisent pour fournir la terre. On coupe ainsi tout le terrain alternativement, par des fossés et des levées ; on y plante des bois blancs, qui y viennent avec une inconcevable rapidité, mais il ne faut pas les tenir en futaies ; cet immense levier, agité par les vents, ébranleroit les levées, et les arbres seroient renversés ; il faut les couper à quatre ou six pieds (deux mètres de hauteur.) Ils donnent alors, en fagots, des produits étonnans. Les arbres à préférer sont :


Arbres et arbustes propres aux terrains marécageux, utiles dans les arts, et dont le feuillage peut servir à la nourriture des bestiaux.


Frêne ordinaire Fraxinus excelsior L.
Saule hélix, ou à feuilles opposées Salix hélix L. pour la vannerie
Osier rouge Salix rubens
Osier jaune Salix vitellina,
Saule blanc Salix alba,
Peuplier blanc Populus alba L.
Peuplier tremble Populus tremula L.
Peuplier noir Populus nigra L,
Aune commun belida alnus L.
Grands arbres propres à utiliser les terres marécageuses, et dont le bois est utile aux arts.


Tupelo aquatique Nyssa aquatica L.
Tulipier de Virginie… Lyriodendrum tulipifera L.
Peuplier du Canada, Populus monilifera Hort. Kew.
Cirier de Pensylvanie Myrica Pensylvanica Musæum Par. (arbust.)
Cirier gale, ou piment royal Myrica gale L. (arbust.)
Platane d’Occident Platanus Occidentalis L.
Cyprès chauve, ou distique Cupressus disticha L.

On vante l’acacia (pseudo-acacia vulgaris Tournefort, Robinia pseudoacacia Lin.) pour ses produits. Je ne l’ai pas éprouvé. Il se multiplie et trace beaucoup.

Les autres arbres réussiroient également ; mais, débités en fagots, ils ne donneront jamais les mêmes produits.

Culture en prairies. Si le bois est commun, peu cher dans le pays, que le terrain se refuse à la culture du blé, qu’il soit trop humide, trop compacte, il faut le convertir en prairies desséchées, ou au moins demi-desséchées.

Pour y parvenir, il faut d’abord assoler le terrain.

Les fonds marécageux, tourbeux, sont toujours difficiles à manier les premières années. La terre est tremblante, il est dangereux d’y marcher ; le sol s’affaisse en s’asséchant. Pour l’affermir, il faut d’abord brûler les choins, massettes, roseaux, et, pour cela, tenir le marais le plus à sec possible, et choisir la fin de l’automne, où les plantes sont sèches, sinon un temps sec et de gelée. Souvent le sol brûle pendant plusieurs mois ; mais on peut toujours arrêter le feu, puisqu’on a l’eau à volonté. Ensuite, on fait battre le terrain par les bêtes à cornes, dès qu’elles peuvent y tenir pied.

Enfin, on laisse reposer le terrain, et, pour peu qu’il y ait des prairies voisines, le sol est bientôt couvert d’herbes naturelles.

Je terminerai cet article par la nomenclature des plantes à fourrages, ou utiles aux arts économiques ; des arbres, arbustes propres aux arts, dont le feuillage peut servir à la nourriture des bestiaux ; des grands arbres dont le bois est utile aux arts, et qui peuvent réussir dans les dessèchemens ou dans les terrains d’eau desséchés, suivant que le fond est bourbeux, argileux ou graveleux, dest-à-dire mêlé de sables noirs et gras.


Plantes à fourrages propres aux terrains marécageux.


** Manne de Pologne G. Festuca fluitans L.
** Avoine fromentale G. Avena èlador L.

∙ ∙
Selinum des marais, ou persil laiteux G. Selinum palustre L.

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Pigamon des marais, ou rue des prés G. Tàlicirum flavum L.
Oseille des prés G. Rumex acetosa L.
Stachys des marais G. 'Stachys palus iris L.
Lolier corniculé G. Jiotus torniculotus L.
Astragale des marais G. Astragalus utiginostu L.,
Aulnée britannique G. Inula britannica L.
*
* *
Fléau des près T. Phleum pratense L. Thymothy Grass.
** Poa aquatique Pon aquatica L.
** Mélilot blanc de Sibérie T. Melilotus alba Musaeum Par.
* Laiteron des marais T. Sonchus palus iris L.
* Quenouille des prés T. Cnicus oteraceus

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Séneçon des marais T. Senecio paludosus L.

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Peucedanum officinal, ou fenouil de porc. T. Peucedanum officinale L.

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Epilobium à grappes, ou osier fleuri T. Epilobium spicatum Lamarck, Dictionnaire, nommé faussement, par Cretté, Epilobiuim angusti folium. L’espèce qui porte ce nom ne croît que dans les Alpes.

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Epilobium velouté T. Epilobium hirsutupi Wildemow.

∙ ∙
Epilobium des marais T. Epilobium palustre L.

∙ ∙
Spiraea ulmaire, ou reine des prés T. Spirœa ulmaria L.
Véronique beccabunga T. Veronica beccabunha L.
Gesse des prés T. Lathjrus prétendis L.,

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Salicaire commune. G. T. Lythrum salicaria L.
Eupatoire à feuilles de chanvre G. T. Eupaiorium cannabinum L.
Cresson des marais G. T. Sisyrmbrium palustre L.
Les * * indiquent les plantes d’une qualité supérieure. T. Terrains tourbeux.
Les * celles de deuxième qualité. G. Sols graveleux.

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Troisième mérite.
Le ∙ celles de dernière qualité.


Plantes, propres aux arts économiques, qui peuvent croître dans le même terrain.


Prêle d’hiver Equisetum hremale L. (pour les arts de menuiserie, du tour et de l’ébénisterie.)
Acorus aromatique Acorus cattimus L (médicinale.)
Menthe poivrée Mentha piperitah. (médicinale, économique.)
Hibiscus des marais Hibiscus palustres L. (pour la filature.)
AUliée officinale, ou guimauve Althœa officinalis L. (de médecine et de filature.)
Ortie dioïque, ou vivace Urtica dioica L. (filature.)
Houblon, mâle et femelle Humu’ui tupulus L. (pour la’bière.)

Parmi ces plantes, la salicaire commune, lythrum salicaria ; la rue des prés, talhictrum flavum ; le fenouil de porc, peucedanum officinale ; la reine des prés, spirœa ulmaria ; l’épilobium, ou osier fleuri, epilobium spicatum de Lam., réussissent, même plongées dans l’eau, pourvu que leurs tiges n’en soient pas couvertes. Ces plantes conviennent aux terrains qui assèchent rarement.

Au contraire, la luzerne, medicago sativa, ne peut supporter le séjour même momentané, des eaux ; mais nulle plante ne réussit mieux dans les terrains graveleux, les argiles mêlées de sable ;elle y dure long-temps, y donne des coupes abondantes. Les terrains purement argileux ne lui conviennent pas ; mais quand on peut les diviser, les amender avec des sables, elle dédommage amplement de la dépense.

Cultures en blé. La première année, on n’a à craindre que l’excès de la fécondité du sol.

Les blés fromens deviennent trop forts en tuyaux, et ne grènent pas.


Les orges primes ou tardives, et les avoines, viennent a deux mètres de hauteur, et grènent bien.

Dans les terrains sablonneux, toutes les racines réussissent,

Les lins, les chanvres, viennent bien, sont doux à filer, et ont du nerf,

Ce sont des terrains précieux, et l’on goûte enfin le fruit de son travail.

(De Chassiron.)


  1. On peut chasser des pilotis, des pieux qui soutiennent les sacs, les claies, les bois de travers, etc.