Cours d’agriculture (Rozier)/HERBIER, HERBORISATION

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Hôtel Serpente (Tome cinquièmep. 457-468).


HERBIER, HERBORISATION, Botanique. Étudier le règne végétal, au milieu des campagnes, dans les plaines fertiles, au sein des forêts, ou sur la pointe des rochers ; suivre les plantes tandis qu’elles jouissent de la vie & qu’elles peuvent offrir à nos yeux curieux les phénomènes étonnans qui se succèdent depuis le moment de leur germination, jusqu’à l’instant de la maturité du fruit, c’est certainement le moyen le plus sûr de les bien connoître ; mais elles n’ont qu’une saison ; mais elles croissent dans diverses contrées éloignées ; elles végètent sur des sols & sous des climats différens ; leur nombre infini s’oppose même à leur parfaite connoissance. La prodigalité de la nature est une espèce d’obstacle à la jouissance complette de tous ses trésors ! en vain l’homme emploieroit-il tout le cours de sa vie à parcourir la surface immense de la terre, & à étudier les individus qu’il rencontrera à chaque pas, le terme de ses voyages est limité : trente à quarante ans de courses ne feront passer sous ses yeux qu’un certain nombre de plantes ; heureux, si une santé vigoureuse, animée par un esprit actif, lui permet d’affronter & de surmonter les fatigues, les peines, les obstacles de toute espèce qui renaissent à chaque instant ! heureux encore, si une mémoire facile, sure & fidelle, conserve longtemps les traits caractéristiques de chaque individu de ce peuple immense ! De retour, il pourra retrouver dans sa tête la suite des connoissances qu’il aura acquises ; il jouira de ces nouvelles richesses ; mais il jouira seul, & le fruit de son travail sera perdu en partie, parce qu’il ne pourra qu’indiquer tout ce qu’il aura vu. Pour un hpmme à qui la nature a prodigué ces précieux dons, combien y en a-t-il à qui elle a refusé cette mémoire heureuse ! C’est à l’art à suppléer à la nature, à la remplacer même. Les botanistes, pour cet effet, ont imaginé les herbiers, dans lesquels on conserve avec soin les plantes que l’on ne peut avoir toujours sous les yeux. Là, comme dans un jardin perpétuel, toutes les plantes se trouvent rangées dans un ordre choisi, avec leur tige, leurs feuilles, leurs fleurs, leurs fruits même : elles ne vivent plus ; mais on peut dire qu’elles ne sont pas mortes ; l’art a prolongé leur existence, il conserve leur port, & presque toute la vivacité des couleurs qui les avoient embellies : il surpasse en quelque sorte la nature, en pouvant offrir dans le même moment les époques successives par lesquelles elles ont rempli leur destinée : mais combien de soins, minutieux même, ne faut-il pas apporter pour réussir à tirer tout le parti d’une plante. Certainement les amateurs du règne végétal ne seront pas fâchés de trouver ici quelques détails sur la manière la plus avantageuse de faire des herbiers ; ils indiqueront la façon de récolter les plantes, leur dessiccation, & la formation de l’herbier.


De la Récolte des Plantes.


La nature, pour varier ses richesses, piquer nos désirs & multiplier nos jouissances, en même temps qu’elle a consulté ce qui convenoit le mieux à chaque plante pour qu’elle eût les vertus & les propriétés qui font son essence, ne les a pas entassées dans un seul endroit : elles les a distribuées au contraire, loin les unes des autres : tantôt dans les plaines fertiles, tantôt sur des rochers que les siècles ont dépouillés de toute parure ; celles-ci aiment la retraite & l’obscurité des bois, tandis que les autres se plaisent, pour ainsi dire, à contempler leur port & l’émail de leurs couleurs, dans le cristal d’une fontaine, dans l’eau languissante des marécages, ou dans les flots rapides des ruisseaux & des torrens. Toutes semblent fuir l’homme pour jouir de la liberté qui, seule, leur permet d’être ce qu’elles doivent être. Il faut donc les aller conquérir, pour ainsi dire, dans leur pays, & les courses, entreprises pour cet effet, sont connues sous le nom d’herborisations. L’herborisation peut se faire pendant toute l’année ; car il n’y a pas de saison où la nature ne nous offre des richesses ; l’hiver même présente encore quelques plantes qui, affrontant la rigueur des frimats, semblent survivre à toute la nature & la remplacer.

La récolte des plantes peut avoir deux objets, ou simplement la curiosité & le désir de former un herbier complet ; ou la nécessité de ramasser des plantes pour l’usage de la pharmacie. Dans le premier cas, il faut plus de soin, parce qu’il s’agit de conserver la plante dans l’état le plus voisin de son état naturel ; dans le second, il en faut beaucoup moins ; il suffit d’amasser des plantes, mais il faut observer de les cueillir dans le moment où elles ont le plus d’énergie ; ce qui exige des connoissances dont nous parlerons plus bas,


§. I. De la Récolte des Plantes pour un Herbier.


Le botaniste qui entreprend quelque course que ce soit, dans l’intention de ramasser des plantes, doit se munir d’une boîte de fer-blanc plus ou moins grande, dont le couvercle est à charnière & s’ouvre sur la largeur : au fond de la boîte on peut mettre une éponge imbibée d’eau sur laquelle reposeront les plantes que l’on y renfermera, l’humidité qu’elle entretiendra dans la boîte empêchera les plantes de se faner, & de se dessécher, sur-tout si l’on herborise dans les ardeurs du soleil, comme souvent on est obligé de le faire. C’est dans cette boîte qu’il met les plantes à mesure qu’il les ramasse, avant que de les arranger dans son porte-feuille. Comme il est intéressant au botaniste de cueillir la plante dans son état de perfection, il faut qu’il ait soin de la prendre en fleur, autant qu’il le pourra. Parmi les tiges portant fleurs, on choisit celles dont les couleurs sont plus belles & le port mieux conservé : si la plante est petite, on la prend toute entière, sinon, on prend de préférence la tige qui contient branches, feuilles, boutons & fleurs. Pour compléter son histoire, on y joint la racine quand elle est de nature à être conservée dans un herbier : à mesure que la récolte se fait, on l’arrange dans la boîte, de façon cependant, que les diverses branches ne se brisent pas, & ne plient point. L’humidité de l’éponge prolongera leur vie au moins jusqu’au soir. Il faut avoir soin cependant d’éviter que les feuilles & les fleurs touchent cette éponge, parce qu’elles noirciraient insensiblement ; il n’y a que l’extrémité de la tige qui doit reposer dessus. Par la même raison, on ne doit cueillir les plantes, autant que cela se peut, que par un temps sec, & lorsque le soleil a enlevé toute l’humidité de la rosée ; lorsque les fleurs sont bien épanouies & les feuilles bien étendues. On doit prendre deux ou trois pieds de chaque plante, afin de pouvoir les comparer, & s’assurer par-là, que l’individu que l’on cueille n’est pas une variété de l’espèce. Par rapport aux arbres & aux arbustes, on est forcé de se restreindre aux feuilles, aux parties de la fructification, ou tout au moins, à ne cueillir que l’extrémité des jeunes pousses. L’usage & l’expérience en apprendront encore plus que les préceptes que nous venons de donner.


§. II. Récolte du Pharmacien.


Les détails que l’on lit sur cet objet, ainsi que sur la dessiccation des plantes, dans les Démonstrations élémentaires de botanique à l’usage de l’École Royale Vétérinaire de Lyon, concernant exactement tout ce que le pharmacien doit faire, nous allons les donner tels qu’ils se trouvent dans cet ouvrage.

« Le choix de la saison est très important pour la récolte des plantes & des parties qui les composent : il en est qui sont dans leur état de vigueur au printemps, d’autres en automne, d’autres en été ; quelques-unes demandent à être cueillies en hiver. Chaque partie de la plante a pareillement ses temps différens ; les racines peuvent être cueillies en toute saison, pourvu qu’elles soient charnues. Dans les plantes herbacées, quelques racines deviennent ligneuses à mesure que leur tige monte ; elles perdent alors leurs vertus, & l’on doit les ramasser avant l’entier développement de la tige ».

» Quelques auteurs conseillent de prendre les racines au printemps ; ils prétendent que l’hiver, laissant les parties de la plante dans un état de repos, les sucs se conservent dans la racine, qui en pompe encore quelques-uns malgré la rigueur du froid : ils en concluent qu’elles ont alors plus de parenchyme & moins de parties ligneuses ; au lieu qu’en automne elles sont privées des sucs qu’elles ont fournis pour le développement de la plante, qui ne sauroit exister de nouveau ».

» L’expérience enseigne au contraire, que la plupart des racines souffrent considérablement pendant l’hiver, & ne se conservent qu’au moyen des sucs dont elles sont pourvues pendant l’automne. La plus grande vigueur des racines vivaces paroit être quelques mois après la maturité de leurs graines, & celles des bisannuelles après le développement des feuilles. De même la plus grande force de la plante est pendant l’été ; elle pousse la tige, développe ses fleurs, ses fruits, ses semences ; l’automne survient, bientôt la végétation cesse dans la tige ; les racines épuisées sucent des nouveaux sucs, & ne sont plus contraintes d’en fournir aux feuilles & aux fruits, qui prêts à tomber, ne demandent plus aucune nourriture. Toute la végétation se concentre donc alors dans les racines ; elles se remplissent des meilleurs sucs, bien différens de ceux dont elles sont pourvues au printemps. Ces sucs aqueux, mal élaborés, se corrompent facilement, & par une suite nécessaire, les racines cueillies en ce temps, pourrissent avec une grande facilité. La racine d’angélique tirée de la terre, au printemps, ne peut être gardée qu’une année : elle perd beaucoup à la dessiccation, les vers s’y mettent bientôt ; tandis qu’on garde celles qu’on ramasse l’automne, trois ou quatre ans, sans avoir rien à craindre de ces animaux ».

» Quelques personnes rejettent indistinctement toute racine rongée par les vers : on doit savoir que les parties de plusieurs plantes ne sont purgatives qu’à raison de la résine qui abonde dans leur tissu ; & qu’il en est qui ne doivent leurs effets & leurs vertus qu’à la résine. Si l’on y laisse les parties ligneuses, ce n’est que par l’impossibilité où l’on est de les séparer. Les vers font ce travail : ils rongent le bois, & ne touchent point à la résine. Les racines résineuses, piquées de vers, n’ont donc rien perdu de leurs qualités ».

» Les bois peuvent être ramassés en tout temps ; il faut seulement observer de ne les tirer que des arbres qui ne sont ni trop jeunes ni trop vieux. Les écorces doivent toujours être prises sur les jeunes bois, & dans l’automne, à l’exception des écorces des arbres résineux, qu’il faut recueillir avant que la sève soit en mouvement. Les vieilles écorces sont sans vertus, ce ne sont plus que des squelettes terreux, privés de la végétation ; leurs vaisseaux obstrués ne reçoivent plus les sucs nutritifs ; c’est pourquoi l’on voit plusieurs écorces se détacher & tomber d’elles mêmes ; l’orme, le cerisier, la quinte-feuille en arbre, en fournissent des exemples ».

» Le temps de cueillir les feuilles est celui où le bouton des fleurs commence à se montrer ; celui de cueillir les fleurs qu’on ne doit jamais séparer des calices, est marqué par le moment de leur épanouissement ; leur vertu est alors plus considérable qu’elle ne le seroit, si on ne les eût ramassées avant ce temps : les roses de Provins, épanouies, sont un purgatif ; avant leur épanouissement elles ne sont que styptiques : après l’entier développement, la vertu de la plante se dissipe. Il est des exceptions à ce principe ; les plantes aromatiques n’acquièrent leur efficacité qu’après la chute de la fleur, & lors de la parfaite maturité de la semence ».

» Le corps ou l’amande de la semence, n’est pas odorant en lui-même ; il n’est qu’émulsif ; la partie odorante aromatique, réside dans ses membranes intérieures logées dans une infinité de petites vésicules. La partie odorante des labiées, est enfermée dans le calice & dans la partie intérieure de l’écorce ; le pétale n’en a point, ou très-peu : si l’on sépare les pétales du romarin pour les faire sécher, on n’en obtiendra qu’une huile essentielle ; l’esprit recteur ou aromatique qui leur restera, sera en petite quantité & se dissipera très-promptement. Il est donc essentiel, dans ces sortes de plantes, de cueillir les calices avec les pétales ».

» Quant aux liliacées elles n’ont point de calice ; toute leur odeur réside dans les pétales, & leurs parties aromatiques fixées dans la poussière fécondante, sont si volatiles qu’on ne peut les retenir, & qu’on ne les apperçoit qu’en certain temps. Ces plantes perdent bientôt leur odeur, & ne l’acquièrent qu’au temps de leur fécondité ; avant l’épanouissement des pétales, elles n’en ont point ; quand elles défleurissent elles n’en ont plus. C’est ainsi que dans le temps destiné à la fécondation, il se fait chez les animaux une émanation de corpuscules odorans, par le moyen desquels le mâle est averti & sent que la femelle est en chaleur. Il est donc inutile de travailler à dessécher les plantes liliacées ; si l’on veut en tirer les parties actives, il faut les cueillir dans le moment de la fécondation, & l’on ne peut fixer leurs parties aromatiques qu’en les enchaînant dans des huiles essentielles ».

» Plusieurs plantes ont des fleurs très-petites ; on ne peut conserver leurs vertus sans prendre en même temps les feuilles & souvent les tiges, sinon on donneroit lieu à une trop grande dissipation des parties actives. Les petites plantes s’emploient tout entières, & ne doivent être cueillies que lorsqu’elles sont en vigueur ; c’est-à-dire, lors de la floraison ».

» Il faut attendre la parfaite maturité des semences pour les ramasser ; celles qui sont renfermées dans des fruits charnus, en doivent être séparées, autrement elles se gâteroient ; d’autres demandent à être conservées dans leurs capsules, tels sont la plupart des aromatiques. Les fruits doivent être choisis mûrs ou non mûrs, selon leur destination. Si l’on veut en tirer un acide, il faut prévenir la maturité ; l’attendre, si on désire un fruit agréable & sain ».

» On fait usage en médecine, des plantes fraîches ou des plantes desséchées ; celles-ci suppléent aux premières qu’on ne peut avoir dans toutes les saisons ».

» Les plantes fraîches doivent être cueillies un peu après le lever du soleil, & dans un beau jour, soit pour en faire une décoction, soit pour en faire une distillation ».

» Celles que l’on se propose de dessécher, doivent être déchargées de l’humidité qui n’entre point dans leur composition. On les cueillera après que le soleil l’aura fortement enlevée, sur le midi dans un jour beau & serein, autrement ces plantes se gâteroient & se corromproient ».

» On doit enfin avoir égard à l’âge des plantes : l’enfance, l’adolescence, la maturité, la vieillesse, sont pour elles des états très-différens, d’où résultent souvent des propriétés opposées ».

» Les feuilles de mauve & de guimauve étant jeunes, sont d’excellens émolliens, & sont mucilagineuses ; dans la vieillesse elles deviennent astringentes, & donnent un acide remarquable par sa septicité. Cette considération est importante, parce qu’en croyant donner un lavement émollient avec de pareilles plantes, on peut augmenter la douleur au lieu de l’appaiser. Leur septicité dans la vieillesse, provient d’un acide développé, qui pendant la jeunesse étoit absorbé dans une grande quantité d’eau. On observe la même chose dans les tiges & dans toutes les parties de plusieurs plantes. Les tiges d’apocin, qu’on mange en Amérique, sont agréables, nourrissantes & saines dans leur fraîcheur ; elles deviennent un vrai poison en vieillissant ».


Dessication des Plantes.


1. Dessiccation des plantes pour l’herbier. Lorsqu’on est de retour de l’herborisation, l’on retire de la boîte de fer blanc les plantes avec précaution, afin de ne point déchirer les feuilles & effeuiller les fleurs.

On pose sur une table trois ou quatre feuilles de papier gris, sans colle, & épais ; on place sur ces feuilles la plante que l’on veut dessécher ; on l’arrange de façon que toutes ses parties soient bien développées & bien apparentes : si quelques-unes en recouvrent d’autres, on les détache, & l’on coupe toutes celles qui sont gâtées & endommagées. Les parties de la fleur sur-tout demandent le plus d’attention ; elles doivent être disposées de manière que la fructification soit bien à découvert, & que la dessiccation ne la déforme pas ». Si la plante est plus haute que la feuille de papier, on peut couper sa tige, & placer la racine à côté d’elle, ou sur d’autres papiers. On aplatit avec le pouce les tiges herbacées qui sont trop grosses, & qui empêcheroient la compression d’agir sur les autres parties de la plante. Si les calices ont trop d’épaisseur, comme dans la famille des composées, on les coupe verticalement par le milieu, de manière qu’il y reste des fleurons & des semences. On peut aussi couper longitudinalement les tiges trop épaisses & trop dures, & même les fruits parmi lesquels un grand nombre peuvent entrer dans l’herbier, lorsqu’ils ont acquis leur accroissement.

« Lorsque la plante est bien étendue, on la couvre de trois ou quatre feuilles de papier, sur lesquelles on dispose de la même manière une nouvelle plante ; lorsque celle-ci est disposée, on la recouvre à son tour, on en place une troisième, & successivement toutes celles qu’on a rapportées de l’herborisation. Cette opération faite, on recouvre la plante d’un carton fort, ou d’une planche que l’on charge de quelque corps pesant ; il est encore mieux de la placer sous une presse dont on ménage la force à volonté. Dans le cas où le tas de papier & le nombre des plantes paroitroient trop considérables, il est à propos de le diviser en deux, ou du moins de placer dans le milieu un carton ou une planche qui arrêté la communication de l’humidité, & qui fasse agir la pression avec égalité dans le centre du tas & aux extrémités ».

» Les plantes ne doivent rester en presse que douze ou quinze heures au plus, ce temps passé il faut les tirer de leurs papiers qui se sont chargés d’une grande quantité de parties aqueuses ; si on les y laissoit plus long-temps, elles commenceroient à noircir & ne se dessécheroient pas assez promptement ; on ne doit se flatter de conserver le verd des feuilles & les couleurs des pétales, qu’en accélérant la dessiccation. On découvre donc les plantes successivement, & on les place comme ci-devant, sur des paquets de nouvelles feuilles bien sèches. C’est le moment où l’on achève de ranger les feuilles des plantes, & les autres parties qui conservent encore leur flexibilité ; avec la tête d’une grosse épingle, on étend celles qui sont froissées ou repliées ; on sépare celles qui se recouvrent, &c. ; on dispose chaque espèce dans la situation qu’on veut lui conserver, & on remet le tas sous la presse ».

» On peut laisser dans cet état les plantes, deux fois vingt-quatre heures, sans changer leurs papiers, si sur-tout on a interposé un grand nombre de feuilles ; on les renouvelle ensuite une troisième, une quatrième fois, &c. ; à chaque changement on n’emploie que des papiers bien desséchés ; si on en manque, avant de s’en servir on fait dissiper toute leur humidité devant le feu ou dans le four ; on ne doit cesser d’en donner de nouveaux aux plantes que lorsqu’on s’aperçoit qu’elles commencent à acquérir assez de solidité pour se soutenir dans toutes leurs parties, lorsqu’on les soulève par leurs tiges ; alors il n’est plus nécessaire de les tenir aussi fortement comprimées ; ce qui leur reste d’humidité s’évapore avec d’autant plus de facilité que la pression est moins forte. Il ne faut cependant pas les laisser totalement libres, plusieurs feuilles se crisperaient. (Quelques botanistes suivent un usage différent dans les commencemens ; ils chargent très-peu leur plantes, & ils en augmentent successivement la compression. L’une & l’autre méthodes peuvent être bonnes, tout l’art consiste à accélérer la dessiccation.) On ne renouvelle plus les papiers ; la dessiccation s’achève au bout de quelques mois ; on peut alors ranger les plantes dans l’herbier, & si l’on juge qu’elles conservent encore quelqu’humidité interne, on les fera mettre une heure ou deux dans un four dent la chaleur soit telle que la main la supporte sans peine ; mais on doit craindre, dans cette opération, que les plantes ne deviennent trop cassantes, & ne perdent leurs couleurs ».

» On ne sauroit assez recommander de ne pas écraser les plantes en trop grand nombre, soit dans le temps où on renouvelle les papiers, soit dans celui où on ne les change plus. Si la pile est trop forte, il s’élève dans le centre une fermentation qui bientôt est suivie de corruption, de moisissure, & de la perte des plantes. Il convient donc, en renouvelant les papiers, de séparer en différens tas les plantes qui se dessèchent plus ou moins vite. Les mousses, les plantes graminées, les feuilles de plusieurs arbres, n’ont besoin d’être changées que deux ou trois fois ; mais les plantes grosses & aqueuses conservent long-temps leur humidité, & demandent plus de soins ; il faut écraser leurs tiges, & souvent, pour empêcher que les feuilles ne s’en détachent, on est obligé de précipiter la dessiccation, au moyen d’un fer chaud qu’on passe à différentes reprises sur les papiers qui les recouvrent ; on les expose ensuite quelque temps à l’air, après quoi on les replace sous la presse dans de nouvelles feuilles de papier sec ».

» En prenant les précautions indiquées, on conserve la couleur des feuilles, & celle même de plusieurs pétales ; mais s’ils sont épais, aqueux, & sur-tout rouges, violets ou bleus, ils la perdent à la longue, quelque soin qu’on y donne. On parvient cependant à la conserver au plus grand nombre, par une nouvelle pratique : après avoir aplati, écrasé & rangé toutes les parties de la plante de la manière qu’on vient de décrire, on change les feuilles de papier qui, sous la presse, se sont chargées de la première humidité, & l’on couvre la plante d’une ou deux autres feuilles sur lesquelles on étend du sablon fin, de l’épaisseur d’un pouce. On l’expose ainsi à la chaleur du soleil pendant plusieurs jours ; on la retire avant la rosée ; l’humidité s’échappe au travers des interstices que laissent les grains de sable, & la dessiccation devenant plus prompte, les couleurs se conservent plus sûrement ».

» Les plantes étant ainsi bien desséchées & bien préparées, on l’attache sur une feuille de papier détachée. On doit bien se garder de la coller, parce que la colle attire les mites & les autres insectes destructeurs. On peut se servir, pour les fixer, de cire d’Espagne, & mieux encore les coudre sur le papier. On écrit ensuite, si l’on veut, le nom de la plante & sa phrase, & on les classe dans le porte-feuille suivant le système que l’on a adopté. Une suite de ces porte-feuilles forme l’herbier proprement dit ; il doit être tenu dans un endroit sec, renfermé, garanti de l’air extérieur, & sur-tout on doit le visiter de temps en temps pour détruire les mites, &£ les larves d’insectes qui s’y introduisent ».


II. Dessiccation pour le pharmacien.


« Plus les plantes sont promptement desséchées, & mieux elles se conservent : il faut, s’il est possible, qu’elles ne perdent ni leur couleur ni leur odeur. Il n’y a que la dessiccation précipitée qui remplisse cet objet, ainsi que pour les plantes qui n’ont que peu de principes résineux, telles que la mélisse, la bourrache, la véronique, &c. Dans une dessiccation lente elles sont exposées à souffrir un degré de fermentation proportionné à la nature & à la quantité des sucs fermentescibles qu’elles contiennent. Les plantes qui ont ces principes moins abondans, & moins de sucs aqueux, comme la sauge, romarin, perdent moins en séchant lentement, & leur vertu diminue beaucoup lorsqu’on les expose au soleil, ou dans une étuve pour les faire sécher rapidement ».

» Les plantes inodores demandent de la célérité, & les mêmes précautions dans la dessiccation. On doit les exposer dans un lieu bien aéré, autrement l’humidité qui doit s’en séparer, ne s’évapore pas assez vite, il s’y fait de nouvelles combinaisons ; la plante devient noire & pourrit ».

» Les plantes odorantes, desséchées avec promptitude, gardent leur couleur verte, & durent longtemps ; il faut s’attacher sur-tout à conserver leurs parties odorantes ; c’est dans elles que résident les propriétés des végétaux. Doit-on donc les dessécher à l’ombre, dans du papier, & dans un endroit exposé au vent du nord, ou faut-il, pour en obtenir la dessiccation, les exposer au soleil ? Les partisans de la première opinion prétendent que ce dernier procédé prive les plantes de leurs parties actives & odorantes, puisqu’il est établi par plusieurs analyses qu’un degré de feu très-médiocre suffit pour les enlever. Les sectateurs du système opposé répondent que les plantes renfermées dans l’alambic, sont soumises à une chaleur qui agit avec bien plus de force que le soleil auquel on les expose a l’air libre ; mais le premier sentiment paroît préférable à l’autre : il est autorisé par une multitude de faits auxquels il n’est pas possible de résister ».

» Il est des plantes aromatiques qui gardent leur odeur si opiniâtrement, comme l’absynthe, qu’on ne risque pas de les faire sécher à l’air libre ; mais il convient d’envelopper de papier celles dont l’odeur est volatile & foible. Quelques plantes doivent être desséchées avec les fleurs & les feuilles tout ensemble, telles que les menthes, le millepertuis, la germandrée, &c. ; on doit envelopper leurs sommités dans des cornets de papier, en faire de petits paquets ; les lier & les suspendre à l’air. Ces précautions conviennent à toutes les plantes dont les fleurs peuvent conserver leur couleur, comme la petite centaurée ; le rouge se change en jaune, s’il reste exposé à l’air. On peut garder ces herbes bien desséchées près de trois ans sans qu’elles perdent leurs propriétés ».

» Le caillelait à fleurs jaunes doit être exactement desséché en douze heures ; il abonde en miel ; si la dessiccation n’est pas prompte, le miel fermente & devient acide : tous les sucs en sont bientôt altérés ; c’est pour cette raison qu’il fait cailler le lait. Les fleurs du sureau sont à peu près dans le même cas : il faut les faire sécher d’abord après la récolte, si on veut les avoir telles, & l’on ne doit pas attendre qu’elles quittent leurs pédoncules, cette chute ne pouvant être attribuée qu’à la fermentation qu’elles ont déjà éprouvée ».

» Lorsque les fleurs ont peu de consistance, comme dans la matricaire, le scordium, on les dessèche sans les séparer des tiges, & lentement, parce qu’elles ont peu d’eau. En général, les fleurs des plantes ligneuses, comme la mélisse, la bétoine, & toutes celles d’une consistance solide, peuvent être séparées des tiges. On fait aussi sécher séparément les feuilles & les fleurs de la camomille romaine ; on peut encore détacher les fleurs de la mauve avec le calice, & les faire sécher seules très-promptement au soleil, ainsi que celles du mélilot ; quoique petites, elles ont de la consistance ; ses tiges sont grandes & embarrasseroient. À l’égard des roses de Provins, il faut couper les boutons, & leur ôter l’onglet ».

» Avant de faire sécher les plantes, ou quelques-unes de leurs parties, on en sépare les herbes étrangères & toutes les feuilles mortes ou fanées. On les expose à l’ardeur du soleil, ou dans un endroit chaud ; on a soin de les étendre sur des toiles garnies d’un châssis de bois, que l’on suspend pour donner à l’air une libre circulation. On les remue plusieurs fois le jour ; on les laisse exposées jusqu’à une parfaite dessiccation, ayant soin qu’elles ne soient point amoncelées les unes sur les autres ; l’humidité s’arrête dans les endroits épais ; elle altère les couleurs. »

» Les écorces & les bois veulent être desséchés promptement, sur tout quand ils sont humides ; mais ils n’exigent aucune préparation ».

» Les racines que l’on tient dans des caves, y végètent, perdent leurs sucs, deviennent filamenteuses, &, au lieu de conserver ce qui en fait l’efficacité, elles se chargent d’une eau insipide qui n’a aucune vertu, & qui souvent acquiert une mauvaise qualité. Elles doivent être desséchées après qu’on les a tirées de la terre, dans leur vigueur. Si elles sont dures, petites & un peu aqueuses, on les enfile & on les suspend dans un lieu bien aéré, après les avoir mondés, c’est-à-dire, en avoir détaché tous les filamens, & les avoir essuyées avec un linge rude qui enlève l’épiderme & la terre qui peut y adhérer. »

» On ne doit jamais les laver, ou du moins très-légèrement ; l’eau qui sert à cet usage, se charge des parties salines & extractives qu’il importe de conserver dans ces racines. On a soin de fendre celles qui contiennent un cœur ligneux ; on coupe par tranches très-minces celles qui sont charnues, comme les racines de la bryone & du nénuphar, après quoi on les enfile ».

» Quelques racines, telles que celles de l’enula-campana, ne se dessèchent bien ni à l’air ni au soleil ; on est obligé de les exposer à l’entrée du four, pour les faire sécher tout à-coup, & les mettre en poudre dans le besoin. Il est bon d’observer qu’on ne doit en agir ainsi que pour les racines destinées à être pulvérisées, & la chaleur d’un soleil ardent peut servir à cet effet ».

» La plupart des racines, après la dessiccation, attirent puissamment l’humidité de l’air, se ramollissent, se moisissent & se gâtent à leur surface au bout d’un certain temps ; ainsi, il faut les tenir exactement renfermées dans un lieu sec à l’abri de l’air, sur-tout celles qui sont pulvérisées ».

» Les bulbes ou oignons, pour être exactement desséchées, doivent être effeuillées & exposées à la chaleur du bain-marie ».

» Les semences farineuses n’exigent qu’une exposition dans un endroit sec & médiocrement chaud ; elles contiennent moins d’humidité que les autres parties des plantes. Les semences émulsives, celles qui sont renfermées dans les fruits charnus, telles que les semences froides de concombre, de melon, de courges, de citrouilles, doivent être mondées de leur écorce, mais seulement à mesure qu’on s’en sert, afin que l’huile essentielle qu’elles contiennent n’acquière pas une mauvaise qualité. Les semences odorantes doivent être conduites à une parfaite dessiccation ».

» Les fruits veulent être desséchés promptement, d’abord au feu jusqu’à un certain point de dessiccation, ensuite au soleil. On doit donner à ceux que l’on soupçonnera contenir des œufs d’insectes, un degré de chaleur de 40 degrés qui les fait périr. On enferme les fruits dans un lieu sec, & ils se conservent assez longtemps ».

» Il est enfin des plantes qui ne peuvent être desséchées, parce que leur vertu réside dans leur humidité. L’oseille est de ce nombre, ainsi que le pourpier, la joubarbe, les sedum, les cucurbitacées, les crucifères, qui par la dessiccation perdroient leurs parties volatiles. On dessèche cependant la coloquinte, mais il faut y employer beaucoup de soin ; on la dépouille de son écorce, afin que l’air pénètre le parenchyme, & prévienne la fermentation qui conduit à la putréfaction ».

» On ne doit pas exposer aux injures de l’air les plantes desséchées ; la vicissitude de cet élément cause, selon Becker, la destruction des corps. Dans un temps humide, les plantes redeviennent humides, & ces altérations leur font perdre tous leurs principes actifs. Les aromatiques sont celles qui exigent le plus d’attention ; on doit les enfermer soigneusement dans des boîtes vernies en dehors pour empêcher que l’air ne pénètre dans l’intérieur. On peut encore les conserver dans des vaisseaux de verre ou de terre bien cuite & bien vernissée ».

Avant d’enfermer les plantes pour les conserver, il convient de les remuer & de les secouer sur un tamis de crin, afin d’en séparer le sable, les œufs d’insectes & les petits insectes vivans dont elles sont ordinairement remplies ; ils mangent & altèrent les plantes jusqu’à leur mort ; les œufs qu’ils laissent éclosent bientôt, & le mal se renouvelle ».

» Il est des plantes sèches qu’on ne peut garder que très-peu de temps, quelque soin qu’on y donne. Les unes ne durent que quelques mois ; il faut renouveler les autres tous les ans ; d’autres se maintiennent quelques années. Les fleurs de violettes, qu’il faut nécessairement tenir dans des vaisseaux de verre bien clos, n’ont après un mois qu’une odeur d’herbe ; la partie odorante est la seule qui donne la couleur ; elle s’évapore bientôt. On n’obvie à ces inconvéniens, qu’en réduisant le suc des violettes à la consistance de sirop. Les fleurs de bourrache & de buglose desséchées, n’ont plus de vertu. Celles de mauve & de bouillon blanc, doivent être gardées dans des vaisseaux de terre, parce qu’elles contiennent une matière mucilagineuse qui, comme l’hydromel, attire l’humidité ; elles n’ont leur vertu que pendant l’espace d’une année ; elles la perdent ensuite de même que les fleurs de mélilot ; la camomille peut être gardée plus long-temps ».

» Les plantes aromatiques bien desséchées & bien conditionnées, durent plusieurs années. Le thym, la marjolaine, l’hysope conservent très-long-temps leur odeur ; mais la matricaire & quelques autres, après une année sont sans force. »

» Les écorces & les bois restent bien plus long-temps doués de toutes leurs vertus. Les racines, comme celles de gingembre, d’angélique, de souchet, du calamus aromaticus, sont cinq ou six années en vigueur. Celles dont la substance est compacte & résineuse, comme dans le jalap, le turnips, &c., durent plus que les ligneuses & les fibreuses ».

» En général, il est à propos de renouveler le plus souvent qu’il est possible, toutes les productions végétales desséchées ; elles s’affoiblissent continuellement par l’évaporation ; l’humidité y introduit la putréfaction ; plusieurs insectes les attaquent & nuisent à leur efficacité ».

Tels sont les principes généraux indiqués dans les Démonstrations élémentaires de botanique ; on ne peut y ajouter que ce que les circonstances locales indiqueront. C’est au botaniste & au pharmacien à les prévoir naturellement ; une pratique journalière achèvera de les instruire. M. M.