Cours d’agriculture (Rozier)/HERMAPHRODITE

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Hôtel Serpente (Tome cinquièmep. 468-470).


HERMAPHRODITE. Celui que l’on dit réunir les deux sexes. Ce n’est pas le cas d’examiner ici s’il existe de vrais hermaphrodites dans l’espèce humaine ; ce seroit nous écarter de notre but ; mais il est plus que probable que ce qu’on appelle hermaphrodisme humain, tient à la monstruosité ou au déplacement de quelques-unes des parties qui concourent à la formation des organes de la génération. La nature trop attentive à la propagation de l’espèce, ne se dérange ni ne s’écarte jamais de ses loix essentielles. Je laisse aux physiciens & aux anatomistes a prononcer sur ce fait.

Il n’en est pas ainsi pour un très-grand nombre d’insectes qui sont réellement hermaphrodites, c’est-à-dire, dont les parties mâles & femelles de la génération sont très-distinctes, parfaitement caractérisées ; en un mot, ces insectes s’accouplent & comme mâles & comme femelles tout-à-la-fois ; le colimaçon en est un exemple frappant ; mais leur reproduction exige l’accouplement de deux individus. Plusieurs naturalistes ont avancé que beaucoup d’autres insectes n’avoient pas besoin d’accouplement, & qu’ils se reproduisoient d’eux-mêmes sans le secours d’un compagnon ou d’une compagne. Pour avoir des idées plus étendues sur ce point merveilleux de la reproduction, on peut consulter les ouvrages du patient, profond & célèbre M. Bonnet de Genève, sur les pucerons. L’hermaphrodisme des fleurs de la majeure partie des plantes est démontré jusqu’à l’évidence, & le sceptique le plus opiniâtre, pour peu qu’il soit de bonne foi, est obligé de se rendre.

Les fleurs de toutes les plantes, en général, peuvent être classées sous trois points de vues différens. Le premier comprendra toutes celles dont les parties sexuelles, mâles & femelles, sont renfermées dans la même fleur, c’est-à-dire, l’étamine, organe mâle, & le pistil, organe femelle. La tulipe, la rose, la giroflée, le choux, la rave, &c. &c., sont des exemples. Le second comprend les fleurs à étamines, séparées des fleurs à pistil, mais sur le même pied ; les courges, les melons, les concombres, &c., sont dans ce cas ; enfin, pour le troisième, les fleurs à étamines portées sur des pieds différens de ceux des fleurs à pistil. Cette séparation des organes reproducteurs est très-caractérisée dans le chanvre, le pistachier, &c. Il existeroit un quatrième ordre de plantes, dont les parties sexuelles sont d’une si grande exiguité qu’elles échappent à la vue de l’homme, même aidée par une loupe. On a appelé ces plantes cryptogames, ou dont les noces sont cachées. Cependant M. Necker, dans une savante Dissertation sur les mousses, couronnée par l’Académie des Sciences de St. Pétersbourg, a démontré leur hermaphrodisme. Il n’y a donc que les seules plantes à fleurs mâles séparées des fleurs femelles, ou sur le même pied, ou sur des pieds différens, qui ne soient pas de vrais hermaphrodites ; mais dans tous les cas il n’y aura point de véritable fécondation sans les transports ou union des étamines ou poussière fécondante sur le pistil. Les anciens avoient parfaitement reconnu la distinction des deux sexes dans plusieurs plantes, par exemple, le chanvre, & par une dénomination mal appliquée, ils appeloient chanvre mâle celui qui porte la graine, & femelle celui qui porte la poussière fécondante. Nos paysans, en général, ont conservé la même dénomination. La découverte des fleurs proprement dites hermaphrodites, étoit réservée au célèbre von-Linné, & c’est d’après la distinction des sexes, qu’il a établi son ingénieux & savant système de botanique, qui est aujourd’hui presque le seul suivi en Europe. Dans l’article de la putréfaction des plantes, ce grand homme ne vit que celui de la génération, & il l’appela les noces du règne végétal. La corolle[1] forme le palais où se célèbrent les noces ; le calice est le lit conjugal ; les pétales sont les nymphes ; les filets des étamines sont les vaisseaux spermatiques ; leurs sommets ou anthères, sont les testicules ; la poussière des sommets ou étamine, est la liqueur séminale ; le sommet du pistil ou stigmate devient la vulve ; son style est le vagin ou la trompe ; le germe est l’ovaire ; le péricarpe est l’ovaire fécondé ; la graine est l’œuf ; & le concours des mâles & femelles est nécessaire à la fécondation.

Si on a suivi, avec quelque attention, ce qui a été dit jusqu’à ce moment sur l’organisation des végétaux, aux mots anatomie, fécondation des plantes, &c., on doit reconnoître une analogie frappante, entre l’organisation de l’homme & celle du végétal, quoique modifiée en certains cas. Les noces des plantes sont une preuve des plus frappantes de cette analogie, quoiqu’elles ne concluent rien, pour la possibilité de l’hermaphrodisme complet & humain, ni pour la production du puceron, sans le secours de l’accouplement. Dans les plantes à fleurs hermaphrodites, les maris ou étamines, sont depuis un jusqu’à douze ; & ces douze divisions forment autant de classes séparées. Le jasmin, par exemple, n’a que deux étamines, tandis que la fleur du marronnier d’Inde en a neuf ; les œillets, dix ; l’aigremoine, douze ; & on ne connoît point de fleurs à onze étamines. La rose, par exemple, a plus de vingt étamines attachées au calice, tandis que le pavot en a un très-grand nombre qui ne tiennent pas au calice ; la position, l’endroit de l’insertion des étamines, la longueur régulière de quelques unes, par-dessus les voisines, forment d’autres classes : ces détails seront mieux développés au mot Systême de Botanique, & seroient ici déplacés. Je rapporte seulement ces exemples, afin que chaque lecteur soit en état de connoître une fleur hermaphrodite, & de distinguer une fleur toute mâle, d’avec une fleur toute femelle. Quel mortel peut étudier & suivre les progrès & la marche de la végétation, sans admirer la main qui traça ses loix !


  1. Comme je suis obligé d’employer ici beaucoup de mots techniques, dont les définitions sont données dans le cours de cet Ouvrage, il convient de consulter les mots dont on ne connoit pas la signification.