Cours d’agriculture (Rozier)/HYGROMÈTRE

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Hôtel Serpente (Tome cinquièmep. 608-612).


HYGROMÈTRE[1]. Les Physiciens jouissent enfin de cet instrument qu’ils ont si long-temps désiré. M. de Luc, citoyen de Genève, en doit être regardé comme le premier inventeur. Il a consigné sa découverte dans un mémoire présenté à la Société Royale de Londres, en 1773. Ce mémoire se trouve dans le Journal de Physique, année 1777, mois de mai & de juin.

L’hygromètre de M. de Luc consiste essentiellement dans un tuyau mince, ou cylindre creux d’ivoire, de 2 pouces 8 lignes de long, & de lignes de diamètre, auquel il adapte un tube de verre semblable à ceux des thermomètres. Ce tube a lignes de diamètre intérieur, & 14 pouces de long. Il faut voir les détails de la construction de cet instrument, dans le mémoire même de M. de Luc.

Le plus grand inconvénient de cet hygromètre, c’est que la fabrication en exige beaucoup de dextérité, ce qui le rend d’un usage moins commun. M. de Luc a pourvu lui-même à cet inconvénient, en indiquant de substituer des tuyaux de plumes à écrire au cylindre d’ivoire.

Plusieurs, physiciens sont partis de ce principe, & ont construit des hygromètres dont le corps, ou la partie principale & agissante, est formé d’un tuyau de plume. Nous allons donner un précis de la fabrication & de l’usage de l’hygromètre à plume, proposé par M. l’abbé Copinau, dans le Journal de Physique, mai 1780.

On choisit chez un marchand de plumes en gros, dans les paquets d’un sol, des plumes d’oie à écrire ; On prend celles qui paroissent les plus saines & les plus égales, tant pour la hauteur que pour le diamètre du tuyau. Les plumes de cette espèce ont communément 34 ou 36 lignes de haut, & environ 3 lignes de diamètre moyen : elles pèsent de 8 à 10 grains.

On coupe le tuyau de la plume à son origine supérieure ; on le vide bien, & on en racle, avec un fragment de verre, toute la surface extérieure, à l’exception de 3 ou 4 lignes par en haut. On enlève ainsi au moins un grain du poids de la plume. Cette opération a pour but d’amincir un peu le tuyau de la plume, & de lui ôter le poli de sa surface, ce qui le rend plus sensible.

Quoiqu’on ait l’attention de choisir des plumes bien fermées par le petit bout e, (Pl. XXIV, Fig. 1) pour plus grande sûreté, on fait couler sur ce petit bout, de la cire d’Espagne fondue & bouillante, afin que l’air ne puisse s’introduire par cette voie, dans l’intérieur de la plume.

Quand le tuyau de plume P e est ainsi préparé, on y adapte un tube de verre ST, bien calibré, semblable à ceux des thermomètres. Ce tube est un peu évasé par le bas, dans son épaisseur. Il doit entrer assez juste dans la plume, & y être inséré de 4 à 5 lignes ; avant de l’y introduire, on en enduit les bords extérieurs avec le mastic des marbriers, auquel on mêle un dixième de cire vierge, & un peu de térébenthine. Outre la couche de mastic dont on enduit les bords du tube, après l’avoir fait chauffer sur des charbons, on en met encore une espèce de petit bourlet de ligne d’épaisseur & de 3 ou 4 lignes de hauteur, à l’endroit où le tube de verre entre dans la plume.

Ce tube de verre ST peut avoir 10 à 12 pouces de longueur, & depuis un quart jusqu’à un tiers de ligne de diamètre intérieur. Si le diamètre du tube étoit moindre, le mercure s’attacheroit par petits globules aux parois du verre, & la colonne de mercure ne seroit pas continue ; s’il étoit beaucoup plus grand, la marche de l’instrument pourroit ne pas paroître assez sensible.

L’extrémité supérieure du tube est terminée par un petit renflement ou olive S.

L’instrument étant ainsi disposé, on le remplit de mercure bien purifié, jusqu’à moitié à peu près du tube.

On a grand soin de faire sortir les bulles d’air qui pourroient se trouver dans l’intérieur de l’instrument. Pour y parvenir, on le tourne circulairement avec rapidité ; & on le tient verticalement d’une main, pendant qu’on frappe à coups pressés le bras avec l’autre, ou sur le genou. On frappe ainsi, jusqu’à ce qu’on n’aperçoive plus de bulles d’air à la surface intérieure de la plume. On introduit, comme pour les thermomètres à mercure, un crin de cheval dans le tube, pour faciliter la descente du mercure.

L’hygromètre ainsi chargé, se met dans de la glace pilée & fondante : on l’y plonge jusqu’au mastic T, avec la précaution d’insérer les plumes dans de petits tuyaux de fer blanc A C, Figure 2. Ces tuyaux ont 30 à 32 lignes de haut, & environ 6 de diamètre. Leur fond C est fermé, & l’on soude en dedans, sur la pièce qui le forme, un petit cercle de fer blanc destiné à recevoir le bout e de la plume. L’orifice supérieur du tuyau se ferme par le rapprochement de deux petites pièces de fer blanc mobiles BB, au centre desquelles la plume se trouve engagée par le haut. Ces tuyaux sont percés latéralement de petits trous t t t qui laissent entrer l’eau, mais non les glaçons, lesquels, en s’appliquant sur la plume, la mouilleroient moins que l’eau même.

Le vase où l’on met la glace pilée, doit avoir dans son fond un robinet par lequel on fait écouler une partie de l’eau, quand on veut renouveler la glace. On pourroit souder au fond du même vase, plusieurs tuyaux semblables à ceux que nous venons de décrire.

On marque sur le tube de l’hygromètre, avec un fil gommé, ou un petit cran, le point le plus bas où se fixe le mercure. Il est bon que ce point tombe à 15 ou 18 lignes de l’insertion du tube dans la plume. On ôte où l’on ajoute du mercure, jusqu’à ce qu’il soit à peu près parvenu a cette hauteur.

Il faut être attentif à saisir le point de la plus basse descente du mercure, laquelle se manifeste communément au bout de 15 à 18 heures : car, passé ce temps, le mercure remonte à cause de l’eau qui s’introduit dans l’intérieur de la plume, & qui repousse le mercure. Ainsi donc, quand le mercure commence à remonter au dessus du point qu’on a marqué comme le maximum de la descente, on retire les hygromètres de la glace.

On abrège beaucoup l’opération dont nous venons de parler, en tenant deux ou trois jours les hygromètres à la cave, ou en les plongeant cinq ou six heures dans l’eau, avant de les mettre à la glace.

Le point de la glace fondante étant déterminé, il ne s’agit plus que de trouver un autre point fixe, pour en faire le supremum de l’échelle, comme la glace fondante en a déterminé l’infimum. M. de Luc n’a point indiqué de point semblable, & l’on peut dire que c’est à peu près la seule découverte importante qu’il ait laissé à faire.

L’Auteur, dont nous analysons le mémoire, prend pour le point sur suprême de son échelle, l’effet de la poule couvante sur l’hygromètre.

Selon sa méthode, après que l’hygromètre a été retiré de la glace, & qu’il est revenu à son état naturel, on le passe horizontalement par une fente du panier ou l’on a mis couver la poule. Il faut que la plume de l’instrument soit au centre du nid, & couverte exactement par le corps de la poule. Au bout de vingt-quatre heures environ, on assujettit un fil ciré à la hauteur du mercure dans le tube. On réitère trois ou quatre fois l’observation, & jusqu’à ce qu’on se soit bien assuré du maximum de l’ascension du mercure ; alors on retire l’hygromètre, on l’observe verticalement, & sans perdre un instant, on fixe le fil, ou même on fait un petit cran sur le tube avec une pierre à fusil, au point où l’on voit le mercure.

Quand on a déterminé ces deux points, on place l’hygromètre sur la monture qui est des plus simples ; ce n’est autre chose qu’une petite planche de sapin évidée à jour selon toute la hauteur de la plume P e & qui a une petite rainure c c, où se loge le tube.

On pose sur la planchette le terme o, au point de la plus basse descente du mercure, à la glace fondante, & l’on divise en 33 parties égales, ou degrés, l’espace compris entre ce terme & celui de la poule couvante, en sorte que ce dernier terme réponde au 33e degré sur l’échelle, qu’on prolonge à volonté au-dessus & au-dessous de ces deux termes fondamentaux.

On met le terme supérieur de l’échelle à 33 degrés, parce que l’observation prouve que ce degré est aussi celui où la poule couvante fait monter le thermomètre de Réaumur, quoique l’usage soit de placer ce degré au  ; par-là les échelles des deux instrumens deviennent comparatives & proportionnelles, comme on va le voir dans un instant.

On place, à côté de l’hygromètre & sur la même planchette, un thermomètre de Réaumur, par la raison que ces deux instrumens doivent presque toujours être observés conjointement & se corriger l’un par l’autre : voici comment se fait la correction ou réduction de l’hygromètre.

On prend sur le thermomètre la différence des degrés du thermomètre par rapport à ceux de l’hygromètre. Si la différence est en plus, on la retranche ; si elle est en moins, on l’ajoute aux degrés de l’hygromètre : par exemple, si le thermomètre est à 12 degrés pendant que l’hygromètre est à 10, on estime l’hygromètre à  ; mais si l’hygromètre étoit à 12 & le thermomètre à 10, on estimeroit le premier instrument à , & ainsi de tous les autres cas.

La boule du thermomètre, ainsi que la plume de l’hygromètre, doit être isolée, afin que l’air agisse librement sur toute sa surface.

Quand on laisse ouverte la petite olive S de l’hygromètre, on la bouche avec de la laine ou avec un petit morceau d’éponge. On peut aussi la sceller sans inconvénient, pourvu qu’on ait l’attention de ne le faire que quand le mercure est au point de la glace fondante, ou à peu près.

Après tous les détails où nous venons d’entrer, il sera facile à tous ceux qui auront besoin d’hygromètres, de s’en procurer par eux-mêmes. Si cependant on vouloit s’épargner la peine d’en construire, on trouvera de ces instrumens tout faits chez, le sieur Mossy, excellent constructeur d’instrumens de physique, Quai pelletier à Paris.

Quand on a un hygromètre bien réglé, il peut servir d’étalon pour en régler d’autres, en prenant sur l’instrument à régler deux points d’observation les plus éloignés qu’il sera possible, & qu’on aura vus assez long-temps stationnaires. Il sera cependant toujours plus sur de déterminer, par expérience, les deux points extrêmes de l’échelle, ainsi qu’il a été expliqué.

Pour que l’hygromètre ait tout l’effet qu’il peut recevoir de l’atmosphère, il faut l’exposer à l’air libre, en le mettant seulement à l’abri de la pluie & du soleil ; on pourroit le placer au nord dans une petite boîte ouverte par le bas, & qui auroit un vitrage sur le côté opposé à l’instrument. L’hygromètre en général, a peu d’effet dans une chambre close.

La marche ordinaire de l’instrument exposé à l’air libre, & indépendamment de toute correction ou réduction, se trouve renfermée entre le terme de la glace fondante & le 31 ou 32e degré, ou à peu près ; ainsi on pourroit prendre le 16e degré pour celui du temps moyen.

Des hygromètres mis dans les caves de l’Observatoire, sont descendus jusqu’à un degré au-dessous de la glace fondante. On a observé des différences de quatre ou cinq degrés en diverses autres caves selon leur profondeur & selon la saison.

La nature de l’hygromètre ne permet pas qu’on l’expose à un degré de chaleur beaucoup plus fort que celui de l’atmosphère, L’action d’une chaleur trop vive semble engourdir les ressorts de cet instrument. Il marche peu étant exposé à un grand feu : remis ensuite à l’air libre, il est assez long-temps sans donner des marques de sensibilité, il ne, descend presque point. Le meilleur moyen pour rétablir promptement le ressort de l’hygromètre dans ce cas-là, c’est de le tenir quelque temps à la cave.

Dans de l’eau tiède, à 22 ou 24 degrés, l’hygromètre descend à peu près au terme de la glace fondante.

Exposé convenablement pendant six ou sept heures à l’action de la transpiration insensible de la peau humaine, l’hygromètre s’est fixé à a degrés au-dessus du terme de la glace fondante, ce qui équivaut réellement à 28 degrés — 0, selon le principe de correction qui vient d’être établi ci-dessus ; car, tandis que l’action de la transpiration insensible abaisse le mercure de l’hygromètre à 2 + 0 degrés, la chaleur communiquée à un thermomètre de Réaumur, par la même expérience, l’auroit fait monter au 32e degré environ ; il faut donc retrancher l’excédent des degrés du thermomètre à la chaleur humaine, c’est-à dire, 30 degrés à peu près sur l’hygromètre, & l’estimer dans cette expérience, comme on vient de le dire, à 28 degrés d’abaissement au dessous de 0.

M. Retz, médecin d’Arras, qui, ainsi que M. Buissart, académicien de la même ville, a travaillé sur les hygromètres à plume, propose dans son Traité de l’hygromètre, page 48, de placer le corps de l’instrument sous une petite cloche de verre qui seroit propre à rassembler & arrêter pendant quelque temps les vapeurs & les émanations diverses qu’on voudroit connoître & comparer à l’aide de l’hygromètre. Ce procédé simple & ingénieux peut perfectionner l’usage de cet instrument & donner des facilités pour une foule d’observations météorologiques, physiques & économiques, des plus intéressantes.


  1. Ce Mémoire nous a été communiqué par M. l’Abbé Copinau.