Cours d’agriculture (Rozier)/LUNE

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Hôtel Serpente (Tome sixièmep. 325-329).
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LUNE. (physique Rurale) Il n’entre certainement point dans le plan de cet ouvrage, de parler astronomie & haute physique ; mais nous nous sommes imposés la loi de ne rien omettre de ce qui pourroit servir à l’instruction des cultivateurs. Non-seulement le peuple, le simple habitant de la campagne a de fausses idées sur la lune, & abandonne son esprit à une foule de préjugés sur cet astre. Mais, combien de gens encore, qui, d’après leur fortune, ou leur naissance, devroient être instruits, le sont peu a cet égard ? L’influence extraordinaire que l’on attribue à la lune sur presque toutes les opérations rurales, entraîne souvent dans de fausses opérations ; mais cette influence n’en est pas moins réelle dans certaines circonstances, & la même loi qui soulève périodiquement les flots de la mer, doit nécessairement agir sur notre atmosphère, & l’on sait combien presque toutes ces opérations dépendent de l’état naturel de l’atmosphère. On peut voir au mot Almanach, que les points lunaires ont une très-grande influence sur les changemens de temps. Cette influence sera encore plus sensible lorsque nous aurons fait une plus grande suite d’observations météorologiques, & que nous les aurons comparées avec les différens mouvemens de la lune. Il est donc très-intéressant d’avoir une idée, au moins générale, de cet astre. Nous allons tâcher de la donner d’une manière claire & précise.

La lune est une planète secondaire, qui fait sa révolution autour de la terre comme son centre. Les astronomes ont donné le nom de satellites aux corps planétaires, dont la révolution se fait autour d’une autre planète. Il est de tous les corps célestes celui qui est le plus proche de la terre, & il fait sa révolution dans l’espace de vingt-sept jours sept heures & quarante trois minutes. La route que la lune parcourt, ou son orbite, est incliné au plan de l’écliptique d’environ cinq degrés ; ce qui est cause qu’elle le coupe nécessairement en deux points opposés qu’on appelle nœuds, & comme cet astre passe sur un de ces points toutes les fois qu’il va de la partie méridionale de son orbite à la partie septentrionale, on a nommé ce nœud ascendant, l’autre descendant, lorsqu’il retourne de la partie septentrionale à la méridionale.

Dans la révolution sur le plan de l’écliptique, la lune s’approche de la terre, tantôt plus, tantôt moins ; mais la distance moyenne est de soixante demi-diamètres de la terre ; & comme le diamètre de la terre a environ trois mille lieues, & par conséquent le demi-diamètre mille cinq cens, la distance moyenne de la lune à la terre est de quatre-vingt-dix mille lieues.

La lune est beaucoup plus petite que la terre, & on regarde communément son volume comme cinquante fois plus petit. Les astronomes croyent que sa densité est beaucoup plus grande, mais ils ne sont pas d’accord sur la proportion de cette différence.

La lune, en qualité de planète, ne jouit que d’une lumière empruntée ; elle la reçoit du soleil & nous la renvoie. On sent bien que si la lune n’est éclairée que comme la terre, il n’y en a qu’une partie d’éclairée à-la-fois, celle qui se trouve en face du soleil ; mais comme elle a un mouvement propre sur son axe en parcourant son orbe, elle doit nous offrir des variétés d’apparences relatives à sa position, par rapport à la terre & au soleil. Ce sont ces apparences que l’on a nommé phases ; elles seront très-intelligibles si l’on jette les yeux sur la sg. 16, Pl. VII, page 284. S représente le soleil, T la terre qui tourne autour de lui, L L L l’orbe de la lune autour de la terre. Si la lune se trouve en C entre le soleil & la terre, un spectateur, placé sur la terre, s’appercevra que la partie obscure de la lune, & ne verra rien de la partie éclairée D. La lune dans cette position est en conjonction, parce qu’elle est sur la même ligne que le soleil, & on lui a donne le nom de nouvelle lune. La lune commençant son cours, & avançant de C en E par son double mouvement autour de la terre & sur son axe, parvient en E ; alors on commence à appercevoir un quart de sa partie illuminée G F ; est-elle arrivée au point H, qui est la quadrature ou la fin de son premier quartier, alors on distingue la moitié de sa surface éclairée I K ; au point M on en voit les trois quarts, & parvenue au point N, qui est celui de l’opposition au soleil, elle nous offre alors toute sa partie éclairée, & on a ce qu’on appelle pleine lune. En remontant au point C par les points O P Q, la partie éclairée pour nous diminue dans la même proportion, & nous n’en voyons qu’une partie jusqu’à ce qu’elle soit totalement cachée pour nous, quand elle est revenue au point de conjonction. Ces portions éclairées de la lune nous paroissent sous la forme de croissant ou de cornes plus ou moins longues, suivant les jours de la lune, qui regardent l’orient lorsque la lune va de la conjonction à l’opposition par la ligne C H N, & au contraire elles regardent l’occident, lorsqu’elle remonte par la ligne O Q. Telle est l’explication très-simple des phases de la lune.

Nous avons dit plus haut que le mouvement périodique de la lune autour de la terre s’achevoit en vingt sept jours, sept heures & quarante trois minutes ; cependant comme la terre continue de se mouvoir autour du soleil pendant ce temps, & qu’elle parcourt près d’un des douze signes, la lune ne peut se retrouver exactement en conjonction ou nouvelle, que lorsqu’elle a parcouru le signe que la terre a parcouru, & il lui faut, pour achever cette révolution, deux jours, cinq heures & une minute, ce qui fait que l’on compte vingt neuf jours, douze heures & quarante quatre minutes d’une nouvelle lune à l’autre. On a distingué ces deux espèces de mois en astronomie, & on a nommé le premier mois lunaire périodique & le second mois lunaire synodique.

Quand on jette les yeux sur la lune dans son plein, on y apperçoit des points brillans & des taches obscures & il est vraisemblable, que ce sont différens endroits qui réfléchissent ou absorbent les rayons lumineux. Parmi les taches obscures, on en a remarqué de changeantes, relativement à la position du soleil, qui étoient projetées du côté de l’orient, lorsque le soleil est occidental par rapport à l’hémisphère éclairé de la lune, & qu’elles devenoient occidentales lorsque le soleil se trouvoit à l’orient, ce qui indiqueroit assez de grandes ombres, produites par des corps élevés comme des montagnes.

Non-seulement la lune a un mouvement périodique autour de la terre dans l’espace de près d’un mois, mais elle met un certain espace de temps pour achever toutes ses revolutions, tant périodiques, par rapport au point du zodiaque d’où elle est partie, qu’anomalistes, par rapport à son apogée, & que draconitique, par rapport aux nœuds ; de façon qu’au bout de ce temps la lune se retrouve au même endroit, & qu’elle recommence une nouvelle révolution complette. Ce temps embrasse le cours de deux cens vingt trois lunaisons, & ramène les éclipses de lune assez également ; les deux cens vingt-trois lunaisons forment l’intervalle de six mille cinq cent quatre-vingt-cinq jours & un tiers, ou bien dix-huit années, (quatorze communes & quatre bissextiles) onze jours, sept heures, quarante-trois à quarante-quatre minutes. Cette période ou ce retour exact a été nommé saros, & les astronomes Chaldéens en faisoient un très-grand usage pour la prédiction des éclipses ; les modernes en tirent aussi un très-grand parti.

Mais rien ne prouve mieux l’influence de la lune sur notre atmosphère, & par conséquent sur la terre, que la belle application que M. l’abbé Toaldo a fait de cette période de dix-huit ans à la météorologie : il a découvert, en comparant les observations météorologiques, faites durant l’espace de trois saros, que le retour des saisons & de leurs météores étoient presque les mêmes, & qu’on peut presque annoncer leurs révolutions, c’est-à-dire la température, le changement de temps, les pluies, l’abondance ou la stérilité, &c. &c., en comparant les années ensemble de dix-huit en dix-huit ans. Cette observation ingénieuse peut être d’un grand secours pour la campagne, lorsqu’après une longue suite d’années elle aura été confirmée. (Voyez Météorologie) M. M.

Aux observations générales de M. Mongez, il convient d’en ajouter quelques-unes plus particulières, ou plutôt de rapporter quelques erreurs, afin d’en rappeler la fausseté.

L’opinion que tel quantième de la lune influe beaucoup sur la qualité du bois que l’on doit couper, de la forêt que l’on se propose d’abattre, est assez généralement répandue ; mais, malheureusement pour les partisans de cette opinion, ils ne sont pas d’accord entr’eux sur un quantième décidé ; les uns prétendent qu’on doit abattre en nouvelle lune, les autres lorsqu’elle est dans son plein, & quelques-uns tiennent pour le dernier quartier. Cette diversité prouve seule combien peu sont décisives les prétendues expériences que certains observateurs disent avoir faites pendant trente ou quarante ans. Tous affirmeront que le bois coupé à telle ou telle époque ne chironne jamais, c’est-à-dire qu’il n’est pas attaqué par les vers. Ce qu’il y a de certain, c’est que les bois plantés au nord, & ceux qui n’ont qu’assez tard le soleil de l’après-midi ou du soir, sont & seront toujours plus sujets à être chironnés, que les autres plantés au levant ou au midi, quel que soit le quantième auquel on les abatte. Choisissez, autant que vous le pourrez, un temps sec, un vent du nord qui ait régné depuis quelque temps, & qui ait resserré la fibre du bois, je réponds que, toutes circonstances égales, il chironnera moins que tel autre bois coupé en nouvelle, pleine ou vielle lune, si le temps est mou, humide ou pluvieux.

Je ne répéterai pas ce que j’ai dit au mot Giroflée sur le quantième de la lune, qui, dit-on, procure les plantes à fleurs doubles ou simples : ce n’est pas une opinion, mais une erreur.

Toujours dans le même esprit, le vin devoit être soumis au despotisme de la lune, & l’idée généralement adoptée dans tous les pays de vignobles, est qu’on doit le soutirer dans la pleine lune de mars. Je pourrois, à la rigueur, admettre pour un instant la possibilité, ou même, si l’on veut, l’avantage de cette pratique, si tous les vignobles du royaume étoient situés dans le même climat, en un mot, si la chaleur de l’atmosphère ou sa température étoit égale partout ; mais quelle différence énorme ne se trouve-t-il pas entre le climat du Vexin françois & de la Picardie près de Beauvais, avec celui de Bayonne, de Perpignan, de Montpellier & de Toulon ! Que de nuances intermédiaires entre les deux extrêmes des vignobles de France. S’il y a des nuances, des disparités frappantes, le même point lunaire ne peut donc pas être un signe, une époque certaine pour des climats si disparates par la disproportion de chaleur. Comme on appelle lune de mars celle qui fixe la fête de pâques, qui est toujours le premier dimanche après la pleine lune & après l’équinoxe, la même règle ne peut donc pas être utile en même-temps aux extrêmes & à tous les points qui les divisent.

Si cette pleine lune, en crédit & en vénération, étoit chaque année à la même époque, l’illusion seroit plus réelle, mais en 1598 pâques se trouva le 22 mars, & le 15 avril en 1734, & en 1796 il se trouvera le 22 avril. Voilà dans ces exemples, dont j’ai pris les premiers qui se sont présentés, une différence de trente-trois jours. Je demande actuellement à un homme sensé, si dans ces trente-trois jours de printemps il ne doit pas y avoir une très-grande différence entre la chaleur d’un climat à un autre, & entre la chaleur du même climat, depuis le 22 mars jusqu’au 22 avril ? Dès qu’on admettra cette graduation de chaleur, on verra donc clairement combien il est absurde de choisir, puisque le vin, renfermé dans le tonneau, renouvelle sa fermentation aux premières chaleurs. Or, toutes les fois que le vin commence à travailler on détériore sa qualité si on le soutire. Son travail tient à de nouvelles combinaisons qui s’améliorent, & les combinaisons de ses principes ne peuvent avoir lieu sans le développement de son air de combinaison ou air fixe (Voyez ce mot) qui est le lien des corps, leur pacificateur & leur conservateur. (Voyez à ce sujet le mot Fermentation, afin d’éviter ici les répétitions) Soutirez les vins en hiver lorsque le vent du nord & le froid règnent, sans faire attention au quantième de la lune, & vous aurez une liqueur qui se conservera, & qui perdra très-peu de ses principes. (Consultez le mot Vin)

Il faudroit écrire des volumes entiers si on vouloit rapporter toutes les idées fausses ou les opérations que l’on soumet à la marche de la lune ; mais de tels détails m’écarteroient trop de mon sujet.