Cours d’agriculture (Rozier)/LUPIN

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Hôtel Serpente (Tome sixièmep. 329-335).
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LUPIN. (Voyez Planche VIII, page 193) Nommé par Von Linné lupinus albus, & classé dans la diadelphie décandrie. Tournefort le place dans la seconde section de la dixième classe composée des herbes à fleurs de plusieurs pièces irrégulières, & en papillon dont le pistil devient une gousse légumineuse.

Fleur. Papillonnée, blanche, légèrement purpurine, composée d’un étendard B, des ailes C, réunies à leurs extrémités ; de la carène D, divisée à sa base en deux onglets qui s’attachent au fond du calice E ; ce calice, d’une seule pièce, est partagé en deux lèvres ; les parties sexuelles sont enveloppées par la carène & les ailes ; le faisceau des dix étamines, réunies à leur base par une membrane, représenté ouvert en F, & le pistil fécondé en G ; une des étamines est séparée des autres à sa base.

Fruit. Le pistil devient par sa maturité un légume oblong pointu, applati, coriace, à une seule loge, composée de deux valvules qui s’ouvrent longitudinalement, comme on le voit en H ; ces valvules renferment plusieurs graines I, presque rondes & aplaties.

Feuilles. Velues en-dessous, cotonneuses en-dessus, divisées en sept segmens étroits & oblongs.

Racine. A Rameuse, ligneuse ; fibreuse.

Port. Tige branchue, haute de deux pieds environ, droite, cylindrique, un peu velue, communément à trois rameaux. Les fleurs naissent au sommet, alternativement placées sur les tiges ainsi que les feuilles ; les folioles se replient sur elles-mêmes au coucher du soleil. (Voyez Sommeil des plantes) Cette propriété lui est commune avec presque toutes les plantes légumineuses, & avec beaucoup d’autres plantes.

Lieu. On ignore son pays natal ; dans plusieurs pays on le seme dans les champs.

Culture. Avant de parler de son utilité, il convient de faire connoître les autres espèces qui peuvent entrer dans la décoration des jardins. Von Linné en compte six, outre celle qui vient d’être décrite ; savoir le lupin vivace, lupinus perennis, originaire de Virginie. Ses feuilles sont composées de huit folioles très longues, en forme de fer de lance & lisses ; ses fleurs sont rassemblées en grappes, & leur couleur est bleue ; la racine est traçante : on peut le cultiver dans les jardins, mais sa racine s’empare bientôt d’un très-grand espace. On doit semer cette plante à demeure ; elle souffre difficilement la transplantation, à cause de la longueur de sa racine pivotante ; une fois endommagée, la reprise est très difficile.

Le lupin à semence panachée. Lupinus varius. Lin. Est annuel, & on le sème au printemps. On le distingue des précédens par son calice à deux lèvres, la supérieure partagée en deux lobes, l’inférieure fendue en trois avec des appendices de chaque côté ; sa fleur est pourpre, sa semence est ronde & panachée.

Le lupin hérissé. Lupinus hirsutus. Lin. Originaire d’Arabie, d’Espagne, & de l’Archipel. Fleurs bleues, grandes, leur calice verticillé & avec des appendices ; les lèvres supérieures & inférieures sont très-entières ; il demande dans le nord d’être semé ou sur couche, ou contre un bon abri, de le garantir des matinées froides du printemps. On peut le semer en automne, & le fermer dans l’orangerie pendant l’hiver ; il suffit au midi de la France de le semer en mars ou en avril.

Le lupin poileux. Lupinus pilosus. Lin. Toute la plante est couverte de poils ; ses fleurs sont blanches & de couleur incarnat, leur étendard est rouge. Les feuilles sont en forme de fer de lance, mais un peu obtuses par le bout ; il ressemble assez au précédent ; mais ce qui le distingue particulièrement, c’est d’avoir la lèvre supérieure du calice divisée en deux parties, & l’inférieure très-entière. Plusieurs auteurs le confondent avec le lupin hérissé. Il est très-parant dans un jardin, & demande les mêmes soins que le précédent.

Le lupin à feuilles étroites. Lupinus angusti folius. Lin. Ses fleurs sont bleues, & son principal caractère est d’avoir les feuilles étroites & linéaires. Il est originaire d’Espagne & de l’Italie méridionale. La culture lui donne une certaine consistance.

Le lupin jaune. Lupinus luteus. Lin. Sa fleur a une odeur agréable, & sa couleur est jaune. La lèvre supérieure du calice est divisée en deux, & l’inférieure est à trois dentelures ; la semence est applatie, & quelques fois bigarée dans sa couleur ; les feuilles florales sont ovales, & les fleurs presque adhérentes aux tiges. On peut le semer depuis les premiers jours du printemps, & successivement jusqu’au milieu de l’été, pour jouir de ses fleurs. Tous les lupins, excepté celui qu’on appelle vivace, sont annuels.

Je ne sçais si la semence de toutes les espèces de lupins peut servir de nourriture à l’homme ; mais celle du lupin blanc devient une ressource dans le besoin. Dans certains cantons du Piémont, & en Corse, son usage est fréquent. Dans cette isle on fait macérer la semence dans l’eau de mer que l’on change deux ou trois fois ; on réduit ensuite cette semence en pâte, à laquelle on ajoute un peu d’huile, & on fait cuire le tout dans un four comme un gâteau. Si l’huile avoit été moins puante, j’aurois trouvé cette préparation assez bonne. L’eau douce produiroit le même effet sans doute, & enleveroit l’amertume de l’écorce de la graine, si on avoit la précaution de la faire macérer dans une eau alkaline, par exemple, dans une lessive faite avec des cendres, & aiguisée par un peu de chaux, à peu-près de la même manière qu’on enlève l’amertume de l’olive. En sortant ces graines de la lessive, on doit les laver à grande eau courante. Toute l’amertume réside dans l’écorce. Les Corses cherchent moins de façon, & les Piémontois se contentent de faire macérer la graine dans l’eau commune qu’ils changent plusieurs fois.

Cet aliment étoit connu des anciens, & Pline rapporte que Protogene n’avoit vécu que de lupins, pendant qu’il étoit occupé à peindre un célèbre tableau.

Columelle, en parlant des légumes, dit : le lupin est celui qui mérite la première attention, parce qu’il consomme le moins de journées, qu’il coûte très-peu, & que de toutes les semences, c’est celle qui est la plus utile pour la terre ; car le lupin fournit un excellent fumier pour les vignes maigres, pour les terres labourables, outre qu’il vient dans les terreins épuisés, & que lorsqu’il est serré dans un grenier, il dure éternellement. On donne le grain à manger aux bestiaux pendant l’hiver, cuit & détrempé, & il leur est très bon. Il peut être semé au sortir de l’aire, & il est le seul de tous les légumes qui n’ait pas besoin d’avoir été gardé préalablement dans le grenier. On peut le semer, ou dans le mois de septembre, avant l’équinoxe, ou incontinent après les calendes d’octobre, dans les terres qu’on laisse reposer, sans les labourer ; & de telle façon qu’on le seme, la négligence du colon ne lui fait jamais tort. Cependant les chaleurs modérées de l’automne lui sont nécessaires, afin qu’il prenne promptement de la force ; car lorsqu’il n’a pas pris de consistance avant l’hiver, les froids lui sont préjudiciables. Le mieux est d’étendre le lupin qu’on a de reste après qu’on l’a semé, sur un plancher dont la fumée puisse approcher, parce que si l’humidité le gagnoit, il seroit piqué des vers[1], & que dès que ces insectes en auroient rongé les germes, les restes ne pourroient plus pousser. Il se plaît, comme je l’ai dit, dans une terre maigre, & surtout dans la terre rouge. Il craint l’argille, & ne vient pas dans un terrein limoneux. Col. Liv. II. Chap. X. Les Romains, pendant leur séjour dans les Gaules, y ont laissé plusieurs procédés utiles. L’art de bâtir en pisai (Voyez ce mot) de construire les caves & les citernes en béton (Voyez ce mot) la culture du lupin, &c. Columelle voyoit bien, & il laisse peu à dire après lui. Je regarde le lupin comme une des plantes précieuses pour les pays dont le sol est pauvre, maigre, caillouteux ou sablonneux. Il ne s’agit pas de considérer la récolte de son grain comme d’une grande utilité, sa qualité essentielle est d’être d’une grande ressource pour enrichir ces terreins, & leur fournir par sa décomposition cette terre végétale, cet humus qui sert à former la charpente des plantes. (Voyez le mot Amendement, & le dernier chapitre du mot Culture.)

Le lupin s’élève depuis dix huit pouces jusqu’à deux pieds, & se charge d’un grand nombre de feuilles. Il absorbe de l’atmosphère la plus grande partie de sa nourriture, & rend par conséquent à la terre qui l’a produit, beaucoup plus de principes qu’il n’en a reçu : dès-lors il devient un excellent engrais. Il est surprenant, qu’à l’exemple du Dauphiné, du Lyonnois, & de quelques autres provinces, sa culture ne se soit pas plus étendue.

L’époque des semailles, indiquée par Columelle, pouvoit être bonne à Rome, & l’est de même pour nos provinces méridionales ; mais dans celles du centre & du nord du royaume, il est plus prudent de le semer lorsqu’on ne craint plus les gelées. Les froids de l’hiver font souvent périr le lupin semé en automne, & il faut le semer de nouveau au printemps.

Les auteurs qui ont écrit sur la culture du lupin, s’accordent presque tous à dire qu’il se contente de légers labours, & même n’en conseillent pas d’autres. Je ne suis point de leur avis, parce que l’on manque le vrai but que l’on désire : celui de produire un bon engrais. Il y a une différence très-marquée entre la vigueur de la végétation du lupin qui croît dans un champ profondément sillonné, & celui d’un champ simplement égratigné. Le premier double & triple le produit du second.

Je conseille de donner deux bons labours croisés avant l’hiver, 1° afin d’enterrer le chaume de la récolte précédente, & lui donner le temps de pourrir : 2°. afin que le sol soit à même de jouir des bienfaits de l’hiver ; d’ailleurs, on aura moins de peine à soulever la terre après l’hiver. En février ou en mars, suivant le climat, c’est le temps de sillonner profondément la terre, & de multiplier les labours coup sur coup, afin d’être prêt à semer dès que le moment sera venu. On sèmera toujours sur un labour frais, & le grain sera couvert avec la herse passée à plusieurs reprises. Lorsque toutes les plantes du champ sont en pleine fleur, c’est le moment de labourer avec la charrue à versoir, & de faire un fort sillon. Les sillons doivent être serrés & près les uns des autres. Mais, afin de mieux enterrer toutes les plantes que le soc déracine, que le versoir couche, il faut que deux charrues, à la suite l’une de l’autre, passent dans la même raie. Les plantes sont mieux enfouies, & le labour est plus profond ; deux avantages réunis par la même opération. Comme à cette époque la plante est très-herbacée, qu’elle n’a point encore acquis la qualité ligneuse, sa putréfaction est assez prompte, & elle est accélérée par la chaleur ordinaire de la saison.

Après les prairies artificielles, le lupin est la meilleure plante pour alterner les champs ; (Voyez le mot Alterner) parce que c’est la plante, qui occupant le moins longtemps la terre, permet de donner les labours convenables avant de semer les bleds, & sur-tout, parce qu’elle se charge d’une grande quantité de feuilles, de fleurs & de rameaux ; c’est par ces raisons, que le lupin est préférable, pour alterner, aux raves & aux navets.

Au lieu de laisser un champ en jachères, pourquoi ne pas l’alterner ? Pourquoi, au lieu d’écobuer les terres, ne pas les semer en lupins ? puisque l’écobuage ne produit que peu d’effets, qu’il laisse une cendre bientôt dépouillée de son sel, la chaleur du fourneau ayant dissipé les principes huileux, inflammables, & ayant fait évaporer l’air fixe que les plantes contenoient. Au lieu qu’en semant le lupin, & l’enterrant, tous les principes restent en dépôt dans la terre, & les bleds que l’on seme ensuite en profitent. Si le sol est si maigre, que, de deux années l’une, il ne puisse produire une récolte, ou de seigle, ou d’avoine, semez des lupins pendant deux & même trois années de suite. Il en coûtera moins que d’écobuer, & on aura une meilleure récolte. Peu-à-peu, & en alternant sans cesse, on enrichira son champ, & on parviendra enfin à le faite produire tous les deux ans.

Un des grands avantages du lupin est de détruire complettement les mauvaises herbes. Comme il croît très-serré par ses rameaux ; comme ses feuilles multipliées, occupent tout l’espace d’un pied à l’autre, l’herbe qui sort de terre en même temps, est gagnée de vitesse, elle s’étiole, (Voyez ce mot) pour aller chercher la lumière, (Voyez ce mot) languit & périt enfin, privée des bienfaits de l’air. On seme, sur six cents toises quarrées, environ cent cinquante livres pesant de graines. Si le sol est bon, il rend communément vingt pour un, & de dix à quinze dans un terrein plus maigre.

On doit mettre à part, dans un champ, les plantes qu’on destine à grainer ; lors de leur maturité, on les arrache comme les pois, les haricots, & on les bat de même. La tige desséchée fournit à la litière des animaux ; on la brûle, & on en chauffe le four dans les pays où le bois est rare. Cette récolte ne détourne point des autres. La graine se conserve très-bien sur pied dans sa gousse, Si elle attend, sans craindre les pluies ou les frimats, qu’on vienne la récolter. Cette culture ne détourne donc pas des travaux de la campagne, objet qui la rend encore plus recommandable. Il faut semer le lupin, herser sa graine : voilà le seul excédent de travail ; car on n’en auroit pas moins donné à la terre les labours ordinaires.

Lorsqu’après une récolte de bled dans un bon fonds, on veut en avoir une de même qualité, ou de seigles dans l’année suivante, il convient de labourer fortement des que la première récolte est levée, de semer & herser aussitôt. Le lupin végétera passablement bien jusqu’en septembre, & alors on l’enterrera ; ensuite on sèmera à l’époque ordinaire. Il seroit à désirer que les climats permissent de suivre cette excellente méthode dans tout le royaume ; mais elle ne peut avoir lieu que dans les pays où la récolte des bleds est finie à la fin de juin ou au commencement de juillet ; elle est interdite dans les provinces méridionales, parce que la sécheresse de l’été, la difficulté de soulever les terres par le labour, sont des obstacles qu’on ne sauroit vaincre. Il y arriveroit souvent que la graine semée en juin, ne germeroit qu’en septembre, par le défaut d’humidité convenable à son développement. Dans les provinces du nord, le bled n’est souvent récolté que dans le mois d’août, & il ne vaudroit pas la peine de le semer. Chacun doit donc se régler d’après la connoissance de la constitution de l’atmosphère du pays qu’il habite ; mais par-tout on aura l’époque fixe de semer au premier printemps, dès que l’on ne craindra plus les gelées. Les cent-cinquante livres de lupin coûtent, sur les lieux, à-peu-près 6 livres.

Cette manière d’alterner est bien simple, bien commode, & nullement dispendieuse. Le lupin enterré, tient lieu d’engrais, & c’est un engrais végétal excellent. De quelle ressource ne sera donc pas cette plante dans tous les cantons où les engrais & les pailles sont rares, où le sol est maigre, sabloneux ou caillouteux ! mais les terreins tenaces, glaiseux, argilleux, plâtreux & craieux, n’en retireront aucun avantage.

Les bœufs, les chevaux ne mangent pas les feuilles, ni les tiges du lupin ; mais en revanche les moutons en sont très-avides, sur-tout lorsque la plante est jeune : il est essentiel de garantir le champ de la dent du troupeau.

La meilleure manière de donner la graine du lupin aux bœufs, aux chevaux, aux moutons, &c. est de la faire moudre, & de leur en donner une certaine quantité soir & matin. Cette nourriture les tient fermes en chair, & les engraisse promptement. Quelques cultivateurs font infuser les graines dans plusieurs eaux, les dessèchent ensuite au four, & les font moudre. Cette dernière méthode me paroît préférable à la première, parce que l’amertume de l’écorce doit beaucoup échauffer l’animal, donner trop de ton à son estomac &c. &c. Cependant, dans tous les cas de relâchement, la première est plus utile, puisqu’elle tient lieu, en même temps, & de nourriture & de médicament.

Si on étoit curieux de faire la comparaison de la somme nécessaire pour l’achat des engrais animaux, capables de fumer un champ, & de ce que coûte l’achat de la graine de lupin, & les petits frais de culture excédens de la culture ordinaire, on verroit du premier coup d’œil, que tout l’avantage est pour le lupin, puisqu’il coûte très-peu, & que l’engrais se trouve à sa place, sur le champ même, & distribué également. On objectera que l’engrais animal sera plus actif, & durera beaucoup plus. Soit ! Mais quel est le particulier assez riche en engrais, pour fumer tous ses champs, & sur-tout ceux qui sont éloignés de la métairie. Il n’en est pas moins vrai que l’engrais du lupin est excellent, qu’il détruit les mauvaises herbes, tandis que les fumiers les multiplient dans les champs. Je ne connois aucune plante dont la culture soit moins coûteuse, ni plus avantageuse dans les pays pauvres, & même dans les bons fonds, dès qu’on les laisse en jachères. Je prie ceux qui trouveront outrés les éloges que je donne aux lupins, de ne les blâmer qu’après avoir fait usage de cette plante pendant plusieurs années de suite.

Propriétés médicinales. La semence a une saveur amère & désagréable. Réduite en farine, c’est une des quatre appelées résolutives. On s’en sert en cataplasme pour faire mûrir les abcès. Plusieurs auteurs lui ont attribué beaucoup d’autres propriétés ; mais elles ne sont pas encore assez confirmées par l’expérience, pour y ajouter foi.


  1. Note du Rédacteur. Les lupins sont également piqués des insectes, quoique tenus dans des endroits trés-secs.