Cours d’agriculture (Rozier)/VIN

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Libairie d’éducation et des sciences et des arts (Tome dixièmep. 284-377).
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Article VIN.


Chap. Ier. Du vin considéré dans ses rapports avec le sol, le climat, l’exposition, les saisons, la culture.
Art. Ier. Du vin considéré dans ses rapports avec le climat.
Art. II. Du vin considéré dans ses rapports avec le sol.
Art. III. Du vin considéré dans ses rapports avec l’exposition.
Art. IV. Du vin considéré dans ses rapports avec les saisons.
Art. V. Du vin considéré dans ses rapports avec la culture.
Chap. II. Du moment le plus favorable pour la vendange, et des moyens d’y procéder.
Chap. III. Des moyens de disposer le raisin à la fermentation.
Chap. IV. De la fermentation.
Art. Ier. Des causes qui influent sur la fermentation
Art. II. Phénomènes et produis de la fermentation.
Art. III. Préceptes généraux sur l’art de gouverner la fermentation.
Art. IV. Étiologie de la fermentation.
Chap. V. Du tems et des moyens de décuver.
Chap. VI. De la manière de gouverner les vins dans les tonneaux.
Chap. VII. Maladies du vin et moyens de les prévenir et de les corriger.
Chap. VIII. Usages et vertus du vin.
Chap. IX. Analyse du vin.


Vues générales.

Il est peu de productions naturelles que l’homme se soit appropriées comme aliment, sans les altérer ou les modifier par des préparations qui les éloignent de leur état primitif : les farines, la viande, les fruits, tout reçoit, par ses soins, un commencement de fermentation avant de servir de nourriture ; et il n’est pas, jusqu’aux objets de luxe, de caprice ou de fantaisie, tels que le tabac, les parfums, auxquels l’art ne donne des qualités particulières.

Mais c’est sur-tout dans la fabrication des boissons, que l’homme a montré le plus de sagacité : à l’exception de l’eau et du lait, toutes sont son ouvrage. La nature ne forma jamais de liqueurs spiritueuses : elle pourrit le raisin sur le cep, tandis que l’art en convertit le suc en une liqueur agréable, tonique et nourrissante qu’on appelle vin.

Il est difficile d’assigner l’époque précise où les hommes ont commencé à fabriquer le vin. Cette précieuse découverte paroît se perdre dans la nuit des tems ; et l’origine du vin a ses fables, comme celle de tous les objets qui sont devenus pour nous d’une utilité générale.

Athénée prétend qu’Oreste, fils de Deucalion, vint régner en Ethna et y planta la vigne. Les historiens s’accordent à regarder Nôé comme le premier qui a fait du vin dans l’Illyrie ; Saturne, dans la Crète ; Bacchus, dans l’Inde ; Osyris, dans l’Égypte, et le roi Gerion, en Espagne. Le poëte, qui assigne à tout une source divine, aime à croire qu’après le déluge Dieu accorda le vin à l’homme pour le consoler dans sa misère, et s’exprime ainsi sur son origine.


Omnia vastatis ergo cùm cernrret arvis
Desolata deus, nobis felicia vini
Dena dedit, tristes hominum quo munere fovit
Reliquias ; mundi solatu vite ruinem.

Præd. Rust.

Il n’est pas jusqu’à l’étymologie du mot vin sur laquelle les auteurs n’aient produit des opinions différentes : mais, à travers cette longue suite de fables dont les poètes, presque toujours mauvais historiens, ont obscurci l’origine du vin, il nous est permis de saisir quelques vérités précieuses ; et, dans ce nombre, nous pouvons placer, sans crainte, les faits suivans :

Non seulement les premiers écrivains attestent que l’art de fabriquer le vin leur étoit connu, mais ils avoient déjà des idées saines sur ses diverses qualités, ses vertus, ses préparations, etc. : les dieux de la fable sont abreuvés avec le nectar de l’ambroisie. Dioscoride parle du cœcubum dulce, du surrentinum austerum, etc.. Pline décrit deux qualités de vin d’Albe ; l’un doux, et l’autre acerbe. Le fameux Salerne étoit aussi de deux sortes, au rapport d’Athénée. Il n’est pas jusqu’aux vins mousseux dont les anciens avoient connoissance : il suffit du passage suivant, de Virgile, pour s’en convaincre.

…………ille impiger hausit
Spumantem paterum……………

En lisant ce que les historiens nous ont laissé sur l’origine des vins que possédoient les anciens Romains, il paroitra douteux que leurs successeurs aient ajouté aux connoissances qu’ils avoient en ce genre. Ils tiroient leurs meilleurs vins de la Campanie, (aujourd’hui Terre de Labour) dans le royaume de Naples. Le Salerne et le Massique étoient le produit de vignobles plantés sur des collines tout au tour de Mondragon au pied duquel coule le Garigliano, anciennement nommé Iris. Les vins d’Amiela et de Fondise récoltoient près de Gaëte ; le raisin de Suessa croissoit près de la mer, etc. Mais, malgré la grande variété de vin que produisent le sol d’Italie, le luxe porta bientôt les Romains à rechercher ceux d’Asie ; et les vins précieux de Chio, de Lesbos, d’Éphèse, de Cos et de Clazomène ne tardèrent pas à surcharger leurs tables.

Les premiers historiens, dans lesquels nous pouvons puiser quelques faits positifs sur la fabrication des vins, ne nous permettent pas de douter que les Grecs n’eussent singulièrement avancé l’art de faire, de travailler et de conserver les vins : ils les distinguoient déjà en protopon et deuterion, suivant qu’ils provenoient du suc qui s’écoule du raisin avant qu’il ait été foulé, ou du suc qu’on extrait par le foulage lui-même. Les Romains ont ensuite désigné ces deux qualités sous les dénominations de vinum primarium et vinum secundarium.

Lorsqu’on lit avec attention tout ce qu’Aristote et Galien nous ont transmis de connoissances sur la préparation et les vertus des vins les plus renommés de leur tems ; il est difficile de se défendre de l’idée que les anciens possédoient l’art d’épaissir et de dessécher certains vins pour les conserver très-long-tems : Aristote nous dit expressément que les vins d’Arcadie se desséchoient tellement dans les outres, qu’il falloit les racler et les délayer dans l’eau, pour les disposer à servir de boisson : ita exsiccatur in utribus, ut derasum bibatur. Pline parle de vins gardés pendant cent ans, qui s’étoient épaissis, comme du miel, et qu’on ne pouvoit boire qu’en les délayant dans l’eau chaude, et les coulant à travers un linge : c’est ce qu’on appelloit saccatio vinorum. Martial conseille de filtrer le Cœcube.

Turbida sollicite trans ittere Cœcuba sacco.

Galien parle de quelques vins d’Asie, qui, mis dans de grandes bouteilles qu’on suspendoit au coin des cheminées, acquéroient, par l’évaporation, la dureté du sel. C’étoit-là l’opération qu’on appelloit sumarium.

C’étoit sans doute des vins de cette nature, que les anciens conservoient au plus haut des maisons, et dans des expositions au midi : ces lieux étoient désignés par les mots horreum vinarium, apotheca vinaria.

Mais tous ces faits ne peuvent appartenir qu’à des vins doux, épais, peu fermentés, ou à des sucs non altérés et rapprochés ; ce sont des extraits plutôt que des liqueurs ; et, peut-être, n’étoit-ce qu’un résiné très-analogue à celui que nous formons aujourd’hui par l’épaississement et la concentration du suc du raisin.

Les anciens connoissoient encore des vins légers qu’ils buvoient de suite : quale in Italiâ quod Gauranum vocant el Albanum, et quœm in Sabinis et in Tuscis nascuntur.

Ils regardoient le vin récent comme chaud au premier degré ; le plus vieux passoit pour le plus chaud.

Chaque espèce de vin avoit une époque connue et déterminée, avant laquelle on ne l’employoit point pour la boisson : Dioscoride détermine la septième année comme un terme moyen pour boire le vin. Au rapport de Galien et d’Athénée le Falerne ne se buvoit, en général, ni avant qu’il eût atteint l’âge de dix ans, ni après celui de vingt. Les vins d’Albe exigeoient vingt ans d’ancienneté ; le surrentinum, vingt-cinq, etc. Macrobe rapporte que Cicéron étant à souper chez Damasippe, on lui servit du Falerne de quarante ans, dont le convive fit l’éloge en disant qu’il portoit bien son âge : benè inquit, œtatem sert. Pline parle d’un vin servi sur la table de Caligula qui avoit plus de cent soixante ans. Horace a chanté un vin de cent feuilles, etc.

Depuis les historiens Grecs et Romains, on n’a pas cessé de publier des écrits sur les vins ; et si nous considérons que cette boisson est une des branches de commerce les plus considérables dé l’Europe, en même temps qu’elle fait la principale source de la richesse de plusieurs nations situées sous divers climats, nous serons moins étonnés du grand nombre d’écrits publiés sur ce sujet, que de la foiblesse avec laquelle on a traité une matière si intéressante. J’avoue que j’ai été frappé moi-même de cet excès de médiocrité ; et j’ai cru en trouver la cause dans la fureur qu’ont eu presque tous les auteurs de ne voir jamais qu’un pays, qu’un climat, qu’une culture ; et de prétendre convertir en principe général ce qui n’est souvent qu’un procédé essentiellement dépendant d’une localité.

D’un autre côté, la science qui devoit perfectionner les arts, en les éclairant, n’existoit pas encore ; la théorie de la fermentation, l’analyse des vins, l’influence des climats n’étoient pas rigoureusement calculés ; et c’est néanmoins à ces connoissances que nous devons les principes invariables qui doivent assurer les pas de l’agriculteur dans les procédés de la vinification ; c’est à elles seules que nous devons cette langue scientifique à l’aide de laquelle tous les hommes, tous les pays communiquent entr’eux.

Il me paroît que dans l’art de fabriquer le vin, comme dans tous ceux qui doivent être éclairés par les vérités fondamentales de la physique, on doit commencer par connoître parfaitement la nature de la matière même qui fait la base de l’opération, et calculer ensuite avec précision l’influence qu’exercent sur elle les divers agens qui sont successivement employés.

Alors on se fait des principes généraux qui dérivent de la nature bien approfondie du sujet : et l’action variée du sol, du climat, des saisons, de la culture, les variétés apportées dans les procédés des manipulations, l’influence marquée des températures, etc., tout vient s’établir sur ces bases. Ainsi je n’irai pas proposer aux agriculteurs du Midi les procédés de culture et les méthodes de vinification pratiquées dans le Nord ; mais je déduirai de la différence des climats, la cause de la différence que présentent les raisins sur ces divers points ; et la nature bien connue des raisins de chaque pays me fera sentir la nécessité d’en varier la fermentation.


CHAPITRE Ier.

Du Vin considéré dans ses rapports avec le sol, le climat, l’exposition, les saisons } la culture, etc.

Ce n’est pas assez de savoir que la nature du vin varie sous les différens climats, et que la même espèce de vigne ne produit pas par-tout indistinctement la même qualité de raisin. Il faut encore connoître la cause de ces différences pour pouvoir se faire des principes, et savoir non-seulement ce qui est, mais prévoir et annoncer ce qui doit être.

Ces causes sont toutes dans la différence des climats, dans la nature et l’exposition du sol, dans le caractère des saisons et les procédés de culture. Nous dirons successivement ce qui est dû à chacun de ces divers agens ; et nous en déduirons des conséquences naturelles tant sur la nature de la terre que réclame la vigne, que sur le genre de culture qui paroit lui convenir le mieux.

Les principes généraux que nous allons établir en parlant de chacune de ces causes en particulier, reçoivent beaucoup d’exceptions : on le sentira facilement si l’on réfléchit que l’action de l’une de ces causes peut être contrariée par la réunion de tous les autres agens qui masquent ou détruisent son effet naturel. Ainsi la bonté du sol, la convenance du climat, la qualité, de la vigne peuvent contrebalancer l’effet de l’exposition, et présenter du bon vin là où, d’après l’exposition considérée isolément, on le jugeroit devoir être de mauvaise qualité. Mais nos principes n’en sont pas moins rigoureux ; et la seule conséquence qu’on peut tirer de ces contradictions apparentes, c’est que pour avoir le vrai résultat, il faut tenir compte de l’action de toutes les causes influentes et les considérer comme les élemens nécessaires du calcul,


Article Ier.

Du vin considéré dans ses rapports avec le climat.

Tous les climats ne sont pas propres à la culture de la vigne : si cette plante croit et paroît végéter avec force dans les climats du Nord, il n’en est pas moins vrai que son fruit ne sauroit y parvenir à un degré de maturité suffisant ; et il est une vérité constante, c’est qu’au-delà du 50e. degré de latitude le suc du raisin ne peut pas éprouver une fermentation qui le convertisse en une boisson agréable.

Il en est de la vigne par rapport au climat, comme de toutes les autres productions végétales. Nous trouvons vers le Nord une végétation vigoureuse, des plantes bien nourries et très-succulentes, tandis que le Midi ne nous offre que des productions chargées d’arome, de résine et d’huile volatile : ici tout se convertit en esprit ; là tout est employé pour la force. Ces caractères très-marqués dans la végétation se répètent jusques dans les phénomènes de l’animalisation, où l’esprit, la sensibilité paroissoit être l’apanage des climats du Midi, tandis que la force paroît être l’attribut de l’habitant du Nord.

Les voyageurs anglois ont observé que quelques végétaux insipides du Groenland acquéroient du goût et de l’odeur dans les jardins de Londres. Reynier a va que le mélilot qui a une odeur pénétrante dans les pays chauds n’en conservoit aucune en Hollande. Tout le monde sait que le venin très-exalté de certaines plantes et de plusieurs animaux s’éteint et s’émousse progressivement dans les individus qui se nourrissent dans des climats plus voisins du Nord.

Le sucre lui-même paroît ne se développer d’une manière complette dans quelques végétaux que dans les pays chauds ; la canne à sucre cultivée dans nos jardins ne fournit presque plus de principe sucré ; et le raisin est lui-même aigre, âpre ou insipide au-delà du 50e. degré de latitude.

L’arome ou le parfum du raisin, ainsi que le principe sucré, sont donc le produit d’un soleil pur et constant. Le suc aigre ou acerbe qui se développe dans le raisin dès les premiers momens de sa formation, ne sauroit être convenablement élaboré dans le Nord : ce caractère primitif de verdeur existe encore lorsque le retour des frimats vient glacer les organes de la maturation.

Ainsi, dans le nord, le raisin, riche en principes de putréfaction, ne contient presqu’aucune élément de fermentation spiritueuse ; et le suc exprimé de ce fruit, venant à éprouver les phénomènes de la fermentation, produit une liqueur aigre dans laquelle il n’existe que la proportion rigoureusement nécessaire d’alkool, pour interrompre les mouvemens d’une fermentation putride.

La vigne, ainsi que toutes les autres productions de la nature, a des climats qui lui sont affectés : c’est entre le 40 et le 50e. degré de latitude, qu’on peut se promettre une culture avantageuse de cette production végétale. C’est aussi entre ces deux termes que se trouvent les vignobles les plus renommés et les pays les plus riches en vins, tels que l’Espagne, le Portugal, la France, l’Italie, l’Autriche, la Styrie, la Carinthie, la Hongrie, la Transylvanie et une partie de la Grèce.

Mais, de tous les pays, celui, sans doute, qui présente la situation la plus heureuse, c’est la France : nul autre n’offre une aussi grande étendue de vignobles, ni des expositions plus variées ; nul ne présente une aussi étonnante variété de température. On diroit que la nature a voulu verser sur le même sol toutes les richesses territoriales, toutes les facultés, tous les caractères, tous les tempéramens ; comme pour nous présenter dans le même tableau toutes ses productions. Depuis la rive du Rhin jusqu’au pied des Pyrénées, presque par-tout on cultive la vigne ; et nous trouvons, sur cette vaste étendue, les vins les plus agréables comme les plus spiritueux de l’Europe. Nous les y trouvons avec une telle profusion, que la population de la France ne sauroit suffire à leur consommation ; ce qui fournit des ressources infinies à notre commerce, et établit parmi nous un genre d’industrie très-précieux, la distillation et le commerce des eaux-de-vie.

D’un autre côté, l’énorme variété de vins que possède la France, établit, dans l’intérieur et au dehors, une circulation d’autant plus active, qu’il est plus facile au luxe et à l’aisance d’en réunir toutes les qualités.

Mais, quoique le climat frappe ses productions d’un caractère général et indélébile, il est des circonstances qui modifient et brident son action ; et ce n’est qu’en écartant avec soin ce qu’apporte chacune d’elles, qu’on peut parvenir à retrouver l’effet du climat dans toute sa pureté. C’est ainsi que, quelquefois, nous verrons, sous le même climat, se réunir les diverses qualités de vin, parce que le terrein, l’exposition, la culture modifient et masquent l’action immédiate de ce grand agent.

D’un autre côté, il est des plants de vigne qui ne laissent pas le choix de les cultiver indistinctement sous telle ou telle latitude. Le sol, le climat, l’exposition, la culture, tout doit être approprié à leur nature inflexible ; et la moindre interversion apportée dans ce caractère naturel, en altère essentiellement le produit. C’est ainsi que les vignes de la Grèce, transportées en Italie, n’ont plus donné le même vin ; et que les vignes de Falerne, cultivées au pied du Vésuve, ont changé de nature. L’expérience nous confirme, chaque jour, que les plants de Bourgogne, transportés dans le midi, n’y fournissent plus un vin aussi délicat et aussi agréable.

Il est donc prouvé que les qualités qui caractérisent certains vins ne peuvent pas se reproduire sur plusieurs points : il faudroit pour cela l’influence constante des mêmes causes ; et, comme il est impossible de les réunir toutes, il doit nécessairement s’en suivre des changemens et des modifications. Concluons de ce qui précède, que les climats chauds, en favorisant la formation du principe sucré, doivent produire des vins très-spiritueux ; attendu que le sucre est nécessaire à sa formation. Mais il faut que la fermentation soit conduite de manière à décomposer tout le sucre du raisin ; sans cela, on n’auroit que des vins liquoreux et très-doux, ainsi qu’on l’observe dans quelques climats du midi, et dans tous les cas où le suc sucré du raisin se trouve trop rapproché pour éprouver une décomposition complète.

Les climats plus froids ne peuvent donner naissance qu’à des vins foibles, très-aqueux, quelquefois agréablement parfumés ; le raisin dans lequel il n’existe presque pas de principe sucré, ne sauroit fournir à la formation de l’alkool qui fait toute la force des vins. Mais comme d’un autre côté, la chaleur produite par la fermentation de ces raisins, est très-modérée, le principe aromatique se conserve dans toute sa force, et contribue à rendre ces boissons très-agréables, quoique foibles.


Article II.

Du vin considéré, dans ses rapports avec le sol.

La vigne croît par tout : et, si l’on pouvoit juger de la qualité du vin par la vigueur de la végétation, ce seroit aux terrains gras, humides, et bien fumés, qu’on en confieroit la culture. Mais l’expérience nous a appris que presque jamais la bonté du vin n’est en rapport avec la force de la vigne ; l’on diroit que la nature, jalouse de répartir et d’affecter à chaque qualité de terre, un genre particulier de production, a réservé les terrains secs et légers pour la vigne, et a confié la culture des grains aux terres grasses et bien nourries.


Hic segetes, illic veninut feliciùs uvœ.

C’est par une suite de cette admirable distribution, que l’agriculture couvre de produits variés la surface de notre planète ; et il ne s’agit que de ne pas intervertir l’ordre naturel, et d’appliquer à chaque lieu la culture qui lui convient pour obtenir presque par-tout des récoltes, fécondes et variées.

Nec vero terrøæ ferre omnes omnia possunt ;
Nascuntur steriles saxosis montibus orni ;
Littora myrthétis lœtissima : denique apertos
Bacchus amat Colles…

Les terres fortes et argileuses ne sont pas du tout propres à la culture de la vigne : non-seulement les racines ne peuvent pas s’étendre et se ramifier convenablement dans ce sol gras et serré, mais la facilité avec laquelle ces couches se pénètrent d’eau, l’opiniâtreté avec laquelle elles la retiennent, nourrissent un état permanent d’humidité qui pourrit la racine, et donne à tous les individus de la vigne, des symptômes de souffrance qui en assurent bientôt la destruction.

Il est des terres fortes qui ne partagent pas les qualités nuisibles qui appartiennent aux terrains argileux dont nous venons de parler. Ici la vigne croît et végète librement ; mais cette force même de la végétation nuit encore essentiellement à la bonne qualité du raisin, qui parvient difficilement à maturité, et fournit un vin qui n’a ni esprit, ni parfum. Néanmoins ces sortes de terrains sont quelquefois consacrés à la vigne, parce que l’abondance supplée à la qualité, et que très-souvent il est plus avantageux à l’agriculteur de cultiver en vigne que de semer des grains. D’ailleurs, ces vins foibles, mais abondans, fournissent une boisson convenable aux travailleurs de toutes les classes, et présentent de l’avantage pour la distillation, attendu qu’ils exigent peu de culture, et que la quantité supplée essentiellement à la qualité.

Il est encore connu de tous les agriculteurs, que les terrains humides ne sont pas propres à la culture de la vigne. Si le sol, sans cesse humecté, est de nature grasse, la plante y languit, se pourrit, et meurt, si au contraire le terrain est ouvert, léger, et calcaire, la végétation peut y être belle et vigoureuse, mais le vin qui en proviendra ne peut manquer d’être aqueux, foible, et sans parfum.

Le terrain calcaire est, en général, propre à la vigne : aride, sec et léger, il présente un support convenable à la plante ; l’eau, dont il s’imprègne par intervalles, circule et pénètre librement dans toute la couche ; les nombreuses ramifications des racines la pompent par tous les pores ; et, sous tous ces rapports, le sol calcaire est très-favorable à la vigne. En général, les vins récoltés sur le calcaire sont spiritueux, et la culture y est d’autant plus facile, que la terre y est légère et peu liée. D’ailleurs, il est à observer que ces terrains arides paroissent exclusivement destinés pour la vigne ; le manque d’eau, de terre végétale, et d’engrais, repousse jusqu’à l’idée de toute autre culture.

Mais il est des terrains plus favorables encore à la vigne : ce sont ceux qui sont à la fois légers et caillouteux ; la racine se glisse aisément dans un sol que le mélange d’une terre légère, et d’un caillou arrondi, rend très-perméable ; la couche de galets qui couvre la surface de la terre la défend de l’ardeur desséchante du soleil ; et, tandis que la tige et le raisin reçoivent la bénigne influence de cet astre, la racine, convenablement abreuvée, fournit les sucs nécessaires au travail de la végétation. Ce sont des terrains de cette nature qu’on appelle, dans divers pays, terrains caillouteux, pays de grès, vignobles pierreux, sablonneux, etc.

Les terres volcanisées nourrissent encore des vins délicieux. J’ai eu occasion d’observer que, dans plusieurs points du midi de la France, les vignes les plus vigoureuses, les vins les plus capiteux, étoient le produit des débris des volcans. Ces terres vierges, longtemps travaillées dans le sein du globe par des feux souterrains, nous présentent un mélange intime de presque tous les principes terreux ; leur tissu, à demi vitrifié, décomposé par l’action combinée de l’air et du feu, fournit tous les élémens d’une bonne végétation ; et le feu, dont ces terres ont été imprégnées, paroît passer successivement dans toutes les plantes qui leur sont confiées. Les vins de Tockai, et les meilleurs vins d’Italie, se récoltent dans des terrains volcaniques ; le dernier évêque d’Agde a défriché et planté en vignes le vieux volcan de la montagne au pied de laquelle cette ville antique est située. Ces plantations forment, en ce moment, un des plus riches vignobles du canton.

Il est des points, sur la surface très-variée de notre globe, où le granit ne présente pas cette dureté, cette inaltérabilité qui font en général le caractère de cette roche primitive ; il y est pulvérulent, et n’offre à l’œil qu’un sable sec plus ou moins grossier : c’est dans ces débris que, sur plusieurs points de la France, on cultive la vigne : et, lorsqu’une exposition favorable concourt à en aider l’accroissement, le vin y est de qualité supérieure. Le fameux vin de l’Hermitage se récolte dans de semblables débris. Il est aisé de juger, d’après les principes que nous avons posés, qu’un sol, tel que celui qui nous occupe en ce moment, ne peut qu’être favorable à la formation d’un bon vin : ici nous trouvons à la fois cette légèreté de terrain qui permet aux racines de s’étendre, à l’eau de s’infiltrer, à l’air de pénétrer ; cette croûte caillouteuse qui modère et arrête les feux du soleil ; ce mélange précieux d’élémens terreux dont la composition paroît si avantageuse à toute espèce de végétation.

Ainsi l’agriculteur, plus jaloux d’obtenir une bonne qualité qu’une grande abondance de vin, établira son vignoble dans des terrains légers et caillouteux, et il ne se déterminera pour un sol gras et fécond, que dans l’intention de sacrifier la bonté à la quantité[1].


Art. III.

Du vin considéré par rapport à l’exposition.

Même climat, même culture, même nature de sol fournissent souvent des vins de qualités très différentes : nous voyons, chaque jour, le sommet d’une montagne dont la surface est toute recouverte de vignes, offrir, dans ses divers aspects, des variétés étonnantes dans le vin qui en est le produit. À juger des lieux par la comparaison de la nature de leurs productions, on croiroit souvent que tous les climats, toutes les espèces de terre, ont concouru à fournir des produits qui, par le fait, ne sont que le fruit naturel de terreins contigus et différemment exposés.

Cette différence dans les produits provenant de la seule exposition, se laisse appercevoir dans tous les effets qui dépendent de la végétation : les bois coupés dans la partie d’une forêt qui regarde le Nord, sont infiniment moins combustibles que ceux de même espèce élevés sur les côtés du Midi. Les plantes odorantes et savoureuses perdent leur parfum et leur saveur dès qu’elles sont nourries dans des terres grasses exposées au Nord. Pline avoit déjà observé que les bois du Midi de l’Apennin étoient de meilleure qualité que ceux des autres aspects ; et personne n’ignore ce que peut l’exposition sur les légumes et sur les fruits.

Ces phénomènes sensibles pour tous les produits de la végétation, le sont sur-tout pour les raisins : une vigne tournée vers le Midi produit des fruits très-différens de ceux que porte celle qui regarde le Nord. La surface plus ou moins inclinée du sol d’une vigne, quoique dans la même exposition, présente encore des modifications infinies. Le sommet, le milieu, le pied d’une colline donnent des produits très-différents : le sommet découvert reçoit, à chaque instant, l’impression de tous les changemens, de tous les mouvemens qui surviennent dans l’atmosphère ; les vents fatiguent la vigne dans tous les sens ; les brouillards y portent une impression plus constante et plus directe ; la température y est plus variable et plus froide ; toutes ces causes réunies font que le raisin y est, en général, moins abondant, qu’il parvient plus péniblement et incomplètement à maturité, et que le vin qui en provient a des qualités inférieures à celui que fournit le flanc de la colline, dont la position écarte l’effet funeste de la plupart de ces causes. La base de la colline offre, à son tour, de très-graves inconvéniens : sans doute la fraîcheur constante du sol y nourrit une vigne vigoureuse ; mais le raisin n’est jamais ni aussi sucré, ni aussi agréablement parfumé que vers la région moyenne ; l’air qui y est constamment chargé d’humidité, la terre sans cesse imbibée d’eau, grossissent le raisin, et forcent la végétation au détriment de la qualité.

L’exposition la plus favorable à la vigne est entre le levant et le midi ;

Opportunus ager teridos qui vergit ad œstus.

Les collines situées au-dessus d’une plaine dans laquelle coule une rivière d’eau vive, donnent le meilleur vin ; mais il convient qu’elles ne soient pas trop resserrées :

…………apertos
Bacchus amat Celles…………

L’exposition du nord a été regardée de tout temps comme la plus funeste : les vents froids et humides ne favorisent point la maturation du raisin : il reste constamment aigre, acerbe, point sucré, et le vin ne peut que participer de ces mauvaises qualités.

L’exposition du couchant est encore assez peu favorable : la terre, desséchée par la chaleur du jour, ne présente plus vers le soir aux rayons obliques du soleil, devenus presque parallèles à l’horizon, qu’un sol aride et dépourvu de toute humidité : alors le soleil qui, par sa position, pénètre sous la vigne, et darde ses feux sur un raisin qui n’est plus défendu, le dessèche, l’échauffé, le mûrit prématurément, et arrête la végétation avant que le terme de l’accroissement et l’époque de la maturité soient survenus.

Rien n’est plus propre à faire juger de l’effet de l’exposition, que de voir par soi-même ce qui se passe dans une vigne dont le terrain inégal est semé çà et là de quelques arbres : ici toutes les expositions paroissent réunies sur un même point ; aussi tous les effets qui en dépendent s’y présentent-ils à l’observateur. Les ceps abrités par les arbres poussent des tiges longues et minces, qui portent peu de fruit, et le mènent à une maturité tardive et imparfaite. La portion la plus tardive de la vigne est, en général, plus dégarnie ; la végétation y est moins robuste ; mais le raisin y est de meilleure qualité que dans les bas fonds. C’est toujours sur la partie la plus exposée au Midi qu’on rencontre le meilleur raisin[2].


Art. IV.

Du vin considéré par rapport aux saisons.

Il est de fait que la nature du vin varie selon le caractère que présente la saison ; et ses effets se déduisent déjà naturellement des principes que nous avons établis en parlant de l’influence de climat, du sol et de l’exposition, puis que nous avons appris à connoître ce que peuvent l’humidité, le froid et la chaleur sur la formation et les qualités du raisin. En effet, une saison froide et pluvieuse, dans un pays naturellement chaud et sec, produira sur le raisin le même effet que le climat du Nord ; cette interversion dans la température, en rapprochant ces climats, en assimile et identifie toutes les productions.

La vigne aime la chaleur, et le raisin ne parvient à son degré de perfection que dans des terres sèches et frappées d’un soleil ardent : lorsqu’une année pluvieuse entretiendra le sol dans une humidité constante et maintiendra dans l’atmosphère une température humide et froide, le raisin n’acquerra ni sucre ni parfum, et le vin qui en proviendra sera nécessairement foible, insipide, abondant.

Ces sortes de vins se conservent difficilement : la petite quantité d’alkool qu’ils contiennent ne peut pas les préserver de la décomposition ; et la forte proportion d’extractif qui y existe, y détermine des mouvemens qui tendent sans cesse à les dénaturer. Ces vins tournent au gras, quelquefois à l’aigre ; mais le peu d’alkool qu’ils renferment ne leur permet même pas de former de bons vinaigres : ils contiennent tous beaucoup d’acide malique, ainsi que nous le prouverons par la suite ; c’est cet acide qui leur donne un goût particulier, une aigreur qui n’est point acéteuse et qui fait un caractère plus dominant dans les vins, à mesure qu’ils sont moins spiritueux.

L’influence des saisons sur la vignes est tellement connue dans tous les pays de vignoble que, son long-tems avant la vendange, on prédit qu’elle sera la nature du vin. En général, lorsque la saison est froide, le vin est rude et de mauvais goût ; lorsqu’elle est pluvieuse, il est foible, peu spiritueux, abondant, et on le destine d’avance (au moins dans le midi) à la distillation, parce qu’il seroit à la fois difficile à conserver et désagréable à boire.

Les pluies qui surviennent à l’époque ou aux approches de la vendange, sont toujours les plus dangereuses ; alors le raisin n’a plus assez de temps ni assez de force pour en élaborer les sucs ; ils se remplit et ne présente plus à la fermentation qu’un fluide très liquide qui tient en dissolution une trop petite quantité de sucre, pour que le produit de la décomposition soit fort et spiritueux.

Les pluies qui tombent dans les premiers momens de l’accroissement du raisin lui sont très-favorables : elles fournissent à l’organisation du végétal l’aliment principal de la nutrition ; et si une chaleur soutenue vient ensuite en faciliter l’élaboration, la qualité du raisin ne peut qu’être parfaite.

Les vents sont constamment préjudiciables à la vigne ; ils dessèchent les tiges, les raisins et le sol ; ils produisent, sur-tout dans les terres fortes, une couche dure et compacte qui s’oppose au passage libre de l’air et de l’eau, et entretiennent par ce moyen, autour de la racine, une humidité putride qui tend à la corrompre. Aussi les agriculteurs évitent-ils avec soin de planter la vigne dans des terrains exposés aux vents ; ils préfèrent des lieux tranquilles, bien abrités, où la plante ne reçoive que l’influence bénigne de l’astre vers lequel on la tourne.

Les brouillards sont encore très dangereux pour la vigne ; ils sont mortels pour la fleur, et nuisent essentiellement au raisin. Outre des miasmes putrides que les météores déposent trop souvent sur les productions des champs, ils ont toujours l’inconvénient d’humecter les surfaces, et d’y former une couche d’eau d’autant plus aisément évaporable, que l’intérieur de la plante et la terre ne sont pas humectés dans la même proportion ; de manière que les rayons du soleil, tombant sur cette couche légère d’humidité, évaporent en un instant ; et au sentiment de fraîcheur déterminé par cet acte de l’évaporation, succède une chaleur d’autant plus nuisible que le passage a été brusque. Il arrive encore assez souvent que des nuages suspendus dans les airs, en concentrant les rayons du soleil, les dirigent vers des points de la vigne qui en sont brûlés. On voit encore dans les climats brùlans du midi, que quelquefois la chaleur naturelle du soleil, fortifiée par l’effet de la réverbération de certaines roches ou terrains blanchâtres, dessèche les raisins qui y sont exposés.

Quoique la chaleur soit nécessaire pour mûrir, sucrer et parfumer le raisin, ce seroit une erreur de croire que, par sa seule action, elle peut produire tous les effets désirables. On ne peut la considérer que comme un mode nécessaire d’élaboration, ce qui suppose que la terre est suffisamment pourvue des sucs qui doivent fournir à son travail. Il faut de la chaleur, mais il ne faut pas que cette chaleur s’exerce sur une terre desséchée, car dans ce cas, elle brûle plutôt qu’elle ne vivifie. Le bon état d’une vigne, la bonne qualité du raisin dépendent donc d’une juste proportion, d’un équilibre parfait entre l’eau qui doit fournir l’aliment à la plante et la chaleur qui seule peut en faciliter l’élaboration.


Art. V.

Du vin considéré par rapport à la culture.

Dans la Floride, en Amérique et dans presque toutes les parties du Pérou, la vigne croît naturellement. Dans le Midi même de la France, les haies sont presque toutes garnies de vignes sauvages ; le raisin en est toujours plus petit ; et quoiqu’il parvienne à maturité, il n’a jamais le goût exquis que possède le raisin cultivé. La vigne est donc l’ouvrage de la nature, mais l’art en a dénaturé le produit en en perfectionnant la culture.

La différence qui existe aujourd’hui entre la vigne cultivée et la vigne sauvage est la même que celle que l’art a établie entre les légumes de nos jardins et quelques uns de ces mêmes légumes croissant au hasard dans les champs.

Cependant la culture de la vigne a ses règles comme elle a ses bornes. Le terrein où elle croît demande beaucoup de soin ; il veut être souvent remué, mais il refuse des engrais nécessaires à d’autres plantations. Il est à noter que toutes les causes qui concourent puissamment à activer la végétation de la vigne, altèrent la qualité du raisin ; et ici, comme dans d’autres cas, assez rares, la culture doit être dirigée de telle manière que la plante reçoive une nourriture très-maigre si l’on désire un raisin de bonne qualité. Le célèbre Olivier de Serres, nous dit à ce sujet que par décret public, le fumier est défendu à Gaillac, de peur de ravaller la réputation de leurs vins blancs, desquels ils fournissent leurs voisins de Tolose, de Montauban, de Castres et autres ; et par ce moyen, se priver de bons deniers qu’ils en tirent, où consiste le plus liquide de leur revenu.

Il est cependant des particuliers qui, pour avoir une plus abondante récolte, fument leurs vignes : ceux-ci sacrifient la qualité à la quantité. Tous ces calculs d’intérêt ou de spéculation appartiennent aux seuls propriétaires. Les élémens du calcul dérivent presque tous de circonstances, de conditions, de particularités, de positions inconnues à l’historien ; et, par conséquent, il lui est impossible, il seroit au moins téméraire de juger ses résultats. Il nous a suffi de connoître le principe ; c’est à l’agriculteur à faire entrer ces données dans sa conduite.

Le fumier qui paroît le plus favorable à l’engrais de la vigne, est celui de pigeon ou de volaille : on rejette avec soin les fumiers puants et trop pourris, attendu que l’observation a prouvé que le vin en contractoit souvent un goût fort désagréable.

Dans les îles d’Oléron et de Ré, on fume la vigne avec le varec : le vin en est de mauvaise qualité et conserve l’odeur particulière à cette plante. Le citoyen Chassiron a observé que cette même plante décomposée en terreau, fume la vigne avec avantage, et augmente la quantité de vin, sans nuire à la qualité. L’expérience lui a appris encore que la cendre du varec fait un excellent engrais pour la vigne. Cet habile agriculteur croit que les engrais végétaux ne présentent pas le même inconvénient que ceux des animaux ; mais il pense avec raison que ces premiers ne servent avantageusement, que lorsqu’on les emploie à l’état de terreau.

La méthode de cultiver la vigne en échalas, est moins une mode qu’un besoin commandé par le climat. L’échalas appartient aux pays froids, où la vigne a besoin de toute la chaleur d’un soleil naturellement foible. Ainsi, en l’élevant sur des bâtons perpendiculaires au terrain, la terre découverte reçoit toute l’activité des rayons ; et la surface entière du cep en est complètement frappée. Un autre avantage que présente la culture en échalas, c’est de permettre que les ceps soient plus rapprochés, et de multiplier le produit sur la même sur face de terrain. Mais, dans les climats plus chauds, la terre demande à être garantie de l’ardeur dévorante du soleil ; le raisin a besoin lui-même d’être soustrait à ses feux et pour atteindre ce but, on laisse ramper la vigne sur le sol : alors elle forme presque par-tout une couche assez touffue, pour dérober la terre et une grande partie des raisins à l’action directe du soleil. Seulement, lorsque l’accroissement du raisin est à son terme, et qu’il n’est plus question que de le mûrir, on ramasse en faisceau les diverses branches du cep ; on met à nu les grappes de raisin ; et, par ce moyen, on en facilite la maturation. Dans ce cas, on produit véritablement l’effet que produisent les échalas ; mais on n’a recours à cette méthode, que lorsque la saison a été pluvieuse, lorsque les raisins sont trop abondans, ou bien lorsque la vigne existe dans un terrain gras et humide. Il est des pays où l’on effeuille la vigne, ce qui produit à peu près le même effet ; il en est d’autres où l’on tord le pédoncule du raisin pour en déterminer la maturité, en arrêtant la végétation. Les anciens, au rapport de Pline ; préparoient ainsi leurs vins doux : ut dulcia prœtereà fierent, asservabant uvas diutiùs in vite, pediculo intorto.

La manière de tailler la vigne influe encore essentiellement sur la nature du vin. Plus on laisse de tiges à un cep, plus les raisins sont abondans ; mais aussi moindre en est la qualité du vin.

L’art de travailler la vigne, la manière de la planter, tout cela influe puissamment sur la qualité et la quantité du vin. Mais ce point de doctrine a été savamment discuté dans l’article vigne de cet ouvrage, par mon collaborateur le citoyen Dussieux, et je me fais un devoir d’y renvoyer le lecteur.

Pour bien sentir tout l’effet de la lecture sur le vin, il me suffiroit d’observer ce qui se passe dans une vigne abandonnée à elle-même : on y verra que le sol bientôt recouvert de plantes étrangères, acquiert de la fermeté et n’est plus que très-imparfaitement accessible à l’air et à l’eau. Le cep n’étant plus taillé pousse de foibles rejettons, et fournit des raisins qui diminuent en grosseur, d’année en année, et parviennent péniblement à maturité.

Ce n’est plus cette plante vigoureuse, dont la végétation annuelle couvroit le sol à une grande distance. Ce ne sont plus ces grappes de raisin bien nourries, qui nous présentoient un aliment sain et sucré. C’est un individu rabougri, dont les fruits, aussi foibles que mauvais, attestent l’état de langueur et de dépérissement où il se trouve ; qui a produit tous ces changemens ? le manque de culture.

Nous pouvons donc regarder la bonne qualité de terrein comme l’ouvrage de la nature : tout l’art consiste à le remuer, à le tourner à plusieurs reprises et à des époques favorables. Par ce moyen, on le nétoye de toutes les plantes nuisibles, on le dispose à mieux recevoir l’eau et à la transmettre plus aisément à la plante ; on fait pénétrer l’air avec plus d’aisance ; et, sous tous ces rapports, ou réunit toutes les conditions nécessaires pour une végétation convenable. Mais lorsque, par des spéculations particulières, on a intérêt à obtenir un vin abondant, et qu’à cette considération, on peut sacrifier la qualité, alors on peut fumer la vigne, donner au cep plus de rejettons, et réunir toutes les causes qui peuvent multiplier le raisin.


CHAPITRE II.

Du moment le plus favorable pour la vendange, et des moyens d’y procéder.

Olivier de Serres observe, avec beaucoup de raison, que si la vigne, au cours de son maniement, requiert beaucoup de science et d’intelligence, c’est en ce point de la vendange où ces choses sont nécessaires, pour, en perfection de bonté et d’abondance, tirer les fruits que dieu par-là nous distribue. Ce célèbre agronome ajoute que les récoltes de tous les autres fruits peuvent se faire par procureur, où autre intérêt ne peut advenir qu’en la quantité, demeurant toujours la qualité semblable à elle-même ; mais que la récolte du vin demande l’œil et la présence du propriétaire. C’est à la nécessité bien sentie de diriger et de surveiller toutes les opérations de la vendange, qu’il rapporte l’habitude où l’on est d’abandonner les villes pour se porter dans les campagnes, à l’époque de la récolte des vins.

Les tems ne sont pas éloignés, où nous avons vu que, dans presque tous les pays de vignobles, l’époque des vendanges étoit annoncée par des fêtes publiques, célébrées avec solennité. Les magistrats, accompagnés d’agriculteurs intelligens et expérimentés, se transportoient dans les divers cantons de vignobles pour juger de la maturité du raisin ; et nul n’avoit le droit de le couper, que lorsque la permission en étoit solemnelleraent proclamée. Ces usages antiques étoient consacrés dans les pays renommés par leurs vins : leur réputation étoit regardée comme une propriété commune.

Et malgré qu’un tel usage entraînât quelque inconvénient, c’est peut-être à sa religieuse observation que nous devons d’avoir conservé, dans toute son intégrité, la réputation des vins de Bordeaux, de Bourgogne et autres pays de la France. On appellera, si l’on veut, un tel règlement servitude ; on invoquera, pour le proscrire, le droit sacré de propriété, de liberté, etc. ; on fera reposer la garantie de l’intérêt général sur l’intérêt du propriétaire : Je n’entreprendrai pas de discuter, en ce moment, une question aussi sérieuse ; mais j’observerai seulement que l’établissement de tels usages en paroît démontrer la nécessité, parce qu’il suppose des causes qui l’ont rendu nécessaire. J’ajouterai que leur abolition a mis la fortune publique à la merci de quelques particuliers ; que l’individu qui coupe prématurément ses raisins, force ses voisins à l’alternative d’une vendange précoce ou d’une spoliation assurée ; que l’étranger n’ayant plus de garantie pour ses achats, retire ses ordres parce qu’il ne sait plus où reposer sa confiance. L’individu ne voit jamais que le moment ; il appartient à la société de prévoir l’avenir. Elle seule peut conserver et perpétuer cette confiance, sans laquelle le commerce n’est qu’une lutte pénible entre le fabricant et le consommateur.

Tout le monde convient que le moment le plus favorable à la vendange, est celui de la maturité du raisin ; mais cette maturité ne peut être connue que par la réunion des signes suivans.

1°. la queue verte de la grappe devient brune.

2°. La grappe devient pendante.

3°. Le grain de raisin a perdu sa dureté ; la pellicule en est devenue mince et translucide, comme l’observe Olivier de Serres.

4°. La grappe et les grains de raisin se détachent aisément.

5°. Le jus du raisin est savoureux, doux, épais et gluant.

6°. Les pépins des grains sont vuides de substance glutineuse, d’après l’observation d’Olivier de Serres.

La chute des feuilles annonce plutôt le retour de l’hiver que la maturité du raisin : aussi regardons-nous ce signe comme très-fautif, de même que la pourriture que mille causes peuvent décider, sans qu’aucune nous permette d’en déduire une preuve de la maturité. Cependant lorsque les gelées forcent les feuilles à tomber, il n’est plus permis de différer la vendange, parce que le raisin n’est plus susceptible de mûrir. Un plus long séjour sur le cep ne pourroit qu’en décider la putréfaction.

En 1769, les raisins encore verts, dit Rozier, ont été surpris par les gelées des 7, 8 et 9 octobre. Ils n’ont plus rien gagné à rester sur le cep, jusqu’à la fin du mois, et le vin a été acide et mal coloré.

Il est des qualités de vin qu’on ne peut obtenir qu’en laissant dessécher, sur le cep, les raisins qui doivent le fournir. C’est ainsi qu’à Rivesaltes, dans les îles de Candie et de Chypre, on laisse faner le raisin avant de le couper. On dessèche le raisin qui fournit le Tockay. Ou procède de même pour quelques autres vins liquoreux d’Italie. Les vins d’Arbois et de Château-Châlons, en Franche-Comté, proviennent de raisins qu’on ne vendange que vers les premiers jours de nivôse. À Condrieu, où le vin blanc est renommé, on ne vendange que vers le milieu de brumaire. En Touraine, et ailleurs, on fait le vin de paille, en cueillant les raisins par un tems sec et un soleil ardent ; on les étend sur des claies, sans qu’ils se touchent ; on expose ces claies au soleil et on les enferme lorsqu’il est passé ; on enlève avec soin les grains qui pourrissent ; et, lorsque le raisin est bien fané, on le presse et on le fait fermenter.

Olivier de Serres nous dit expressément que l’expérience a prouvé que le point de la lune pour vendanger est toujours le meilleur en sa descente qu’en sa montée, pour la garde du vin. Néanmoins il convient qu’il vaut mieux consulter le tems que la lune lorsque le raisin est mûr ; et nous sommes parfaitement de son avis.

Mais il est des climats où le raisin ne parvient jamais à maturité : tels sont presque tous les pays du nord de la France ; et alors on est forcé de vendanger un raisin vert pour ne pas l’exposer à pourrir sur le cep : l’automne humide et pluvieux ne pourroit qu’ajouter à la mauvaise qualité du suc. Tous les vignobles des environs de Paris sont dans ce cas : aussi les vendanges y sont-elles plus avancées que dans le midi, où le raisin ne discontinue pas de mûrir quoique la chaleur du soleil aille toujours en décroissant.

Lorsqu’on a reconnu et constaté la nécessité de commencer la vendange, il y a encore bien des précautions à prendre avant d’y procéder. En général, il ne faut en risquer le travail que lorsque le sol et les raisins sont secs ; et que, d’un autre côté, le tems paroît assez assuré pour que les travaux ne soient pas interrompus.

Olivier de Serres recommande de ne vendanger que lorsque le soleil a dissipé la rosée que la fraîcheur des nuits dépose sur le raisin : ce précepte, quoique généralement vrai, n’est pas d’une application générale ; car en Champagne on vendange avant le lever du soleil et on suspend les travaux vers les neuf heures du matin, à moins que le brouillard n’entretienne l’humidité toute la journée : ce n’est que par ces soins qu’on y obtient des vins blancs et mousseux. Il est connu, en Champagne, qu’on obtient vingt-cinq tonneaux de vin au lieu de vingt-quatre, lorsqu’on vendange avec la rosée, et vingt-six avec le brouillard. Ce procédé est généralement utile partout où l’on désire des vins très-blancs et bien mousseux.

À l’exception des cas ci-dessus, on ne doit couper le raisin que lorsque le soleil a dissipé toute l’humidité de dessus la surface.

Mais, s’il est des précautions à prendre pour s’assurer du moment le plus convenable à la vendange, il en est encore d’indispensables pour pouvoir y procéder. Un agriculteur intelligent ne livre point à des mercenaires peu exercés ou mal-adroits la coupe du raisin : et comme cette partie du travail de la vendange n’est pas la moins importante, nous nous permettrons quelques réflexions à ce sujet.

1°. Il convient de prendre un nombre suffisant de vendangeurs pour terminer la cuvée dans le jour ; c’est le seul moyen d’obtenir une fermentation bien égale.

2°. Il faut préférer les femmes de l’endroit même et n’employer que celles qui ont déjà contracté l’habitude de ce travail. Les élèves qu’on fait en ce genre doivent être peu nombreux.

3°. Les travaux doivent être dirigés et surveillés par un homme sévère et intelligent.

4°. Il doit être défendu de manger dans la vigne, tant pour éviter que des débris de pain et autres alimens ne se mêlent à la vendange, que pour conserver à la cuve les raisins les plus murs et les plus sucrés.

5°. Il convient de couper très-court les queues des raisins, et c’est avec de bons ciseaux qu’il faut faire cette opération : dans le pays de Vaud on détache la grappe avec l’ongle du pouce droit ; en Champagne on se sert d’une serpette ; mais ces deux derniers moyens ont l’inconvénient d’ébranler la souche.

6°. Il ne faut couper que les raisins sains et mûrs : tout ce qui est pourri doit être rejette avec soin, et ceux qui sont encore verts doivent être abandonnés sur la souche.

On vendange en deux ou trois reprises dans tous les lieux ou l’on est jaloux de soigner la qualité des vins. En général la première cuvée est toujours la meilleure. Il est néanmoins des pays ou l’on recueille presque tous les raisins indistinctement et en un seul tems ; on exprime le tout sans trier, et l’on a des vins très-inférieurs à ce qu’ils pourroient être, si de plus grandes précautions étoient apportées dans l’opération de la vendange. Le Languedoc et la Provence nous offrent partout des exemples de cette négligence ; et je ne vois d’autre cause de cette conduite que la trop grande quantité de vin, qui repousse des soins minutieux, lesquels deviendroient au reste inutiles pour la très-grande partie des vins qu’on destine à la distillation. On doit aux agriculteurs de ces climats la justice de convenir que les vins destinés à la boisson sont traités avec bien plus de précautions. Il est même des cantons ou l’on vendange en plusieurs reprises, sur-tout lorsqu’il est question de fabriquer des vins blancs. Cette méthode se pratique dans plusieurs vignobles des environs d’Agde et de Béziers. Ces réflexions nous confirment encore dans l’idée que chaque localité doit avoir des procédés propres, qu’il est toujours dangereux d’ériger en principes généraux.

Mourgues a consigné une observation dans les journaux de physique, qui établit la nécessité, dans plusieurs cas, de vendanger en deux tems : en 1773, les vins furent très-verts en Languedoc, parce qu’un vent d’est très-violent et très-humide qui souffla les 12, 13 et 14 juin fit couler la vigne qui étoit en fleur ; les brouillards qui survinrent les 16 et 17, et la chaleur qui leur succédoit, dès les sept heures du matin, finirent par des sécher et brûler la fleur fatiguée ou rompue. Les vents chauds qui régnèrent à la fin de juin firent sortir une infinité de nouveaux raisins : la vendange fut faite du 8 au 15 octobre ; la fermentation fut prompte et vive, mais de courte durée ; le vin fut vert et peu abondant. Le volume ne rendoit pas. Ou eut obvié à cette mauvaise récolte en triant le raisin et vendangeant en deux reprises.

Lorsqu’il est question de trier les raisins mûrs, on peut généralement se conduire d’après les principes suivans : ne couper que les raisins les mieux exposés, ceux dont les grains sont également gros et colorés ; rejetter tout ce qui est abrité et près de la terre ; préférer les raisins mûris à la base des sarmens, etc.

Dans les vignobles qui fournissent les diverses qualités de vins de Bordeaux, on trie les raisins avec soin ; mais la manière de trier les raisins rouges diffère de celle qu’on suit pour trier les raisins blancs : dans les tris des rouges on ne ramasse les grains ni pourris ni verts : dans celles des blancs, on ramasse le pourri et le plus mûr ; et les tris ne se recommencent que quand il y a beaucoup de grains pourris. Cette opération est tellement minutieuse dans certains cantons, tels que Sainte-Croix, Loupiac, etc., que les vendanges y durent jusqu’à deux mois. Dans le Médoc on fait deux tris pour les vins rouges ; à Langon, on en fait trois ou quatre pour le raisin blanc ; à Sainte-Croix, cinq à six ; à Langoirau, deux à trois, et deux dans tous les Graves. C’est ce qui résulte des renseignemens qui m’ont été fournis par le citoyen, Labadie.

Dans quelques pays on redoute une vendange composée de raisins parfaitement mûrs. On craint alors que le vin ne soit trop doux ; et on y remédie en y mêlant de gros raisins moins mûrs. En général le vin n’est mousseux et piquant que lorsqu’on travaille des raisins qui n’ont pas acquis une maturité entière ; c’est ce qu’on pratique dans la Champagne et ailleurs.

Il est encore des pays ou le raisin ne parvenant jamais à une maturité absolue, et ne pouvant par conséquent développer cette portion de principe sucré, nécessaire à la formation de l’alkool, on procède à la vendange avant même l’apparition des frimats, parce que le raisin jouit encore d’un principe acerbe qui donne une qualité toute particulière au vin. On a observé, dans tous ces endroits, qu’un degré de plus vers la maturité produit un vin de qualité très-inférieure.

7°. Lorsque le raisin est coupé, on doit le mettre dans des paniers et avoir l’attention de ne pas les employer d’une trop grande capacité pour éviter que les raisins ne se tassent et que le suc ne coule à pure perte. Néanmoins, comme il est bien difficile que le raisin soit transporté de la vigne dans la cuve, sans l’altérer par la pression, et conséquemment sans l’exprimer plus ou moins, on ne doit se servir du panier que pour recevoir les raisins à mesure qu’on les coupe ; et dès qu’il est plein, on doit le vider dans un baquet ou une hotte, pour en effectuer commodément le transport jusqu’à la cuve. Ce transport se fait sur charrette, à dos d’homme, ou à dos de mulet : les localités décident de l’emploi de l’un ou l’autre de ces trois moyens. La charrette, plus économique sans doute, a l’inconvénient de fouler les raisins par une suite nécessaire des secousses qu’elle éprouve ; le mouvement du cheval est plus doux, plus régulier et ne fatigue pas sensiblement la vendange ; la hotte est employée dans tous les pays où le raisin est peu mûr, et ne risque pas de s’écraser.


CHAPITRE III.

Des moyens de disposer le raisin à la fermentation.

Le < raisin mûr pourrit sur le cep ; et nous pouvons regarder, comme un pur effet de l’art, la faculté de convertir le suc doux et sucré de ce fruit en une liqueur spiritueuse : c’est par la fermentation de ce suc exprimé que s’opère ce changement. La manière de disposer les raisins à la fermentation varie dans les divers pays : mais, comme les différences apportées dans une opération aussi essentielle, reposent sur des principes, j’ai cru convenable de les faire connoître.

Pline (de bieo vino apud grœcos clarissimo) nous apprend qu’on cueilloit le raisin un peu avant la maturité ; qu’on le séchoit à un soleil ardent, pendant trois jours, eu le retournant trois fois par jour, et que le quatrième on l’exprimoit.

En Espagne, sur-tout dans les environs de Saint-Lucar, on laisse les raisins exposés pendant deux jours à toute l’ardeur du soleil.

En Lorraine, dans une partie de l’Italie, dans la Calabre, et l’île de Chypre, on sèche les raisins avant de les presser. C’est, sur-tout, lorsqu’on se propose de fabriquer des vins blancs, liquoreux, qu’on dessèche le raisin pour en épaissir le suc et modérer par là la fermentation.

Il paroît que les anciens connoissoient non seulement l’art de dessécher les raisins au soleil, mais qu’ils n’ignoroient pas le procédé employé pour cuire et rapprocher le moût : ce qui leur avoit fait distinguer trois sortes de vins cuits, passion, defrutum, et sapa. Le premier se faisoit avec des raisins desséchés au soleil ; le second s’obtenoit en réduisant le moût par moitié, à l’aide du feu ; et le troisième provenoit d’un moût tellement rapproché, qu’il n’en restoit plus que le tiers ou le quart. On peut consulter, dans Pline et Dioscoride, des détails très-intéressans sur toutes ces opérations. Ces méthodes sont encore usitées de nos jours ; et nous verrons, en parlant de la fermentation, qu’on peut la diriger et la gouverner d’une manière avantageuse en épaississant une portion du moût, qu’on mélange ensuite avec le reste de la masse : nous verrons encore que ce moyen est infaillible pour donner à tous les vins un degré de force que la plupart ne sauroient acquérir sans cela.

Une grande question a long-tems divisé, les agriculteurs : savoir s’il est avantageux d’égrapper ou de ne pas égrapper les raisins. L’une et l’autre des deux méthodes ont des partisans ; et chacune des deux peut citer des écrivains de mérite en sa faveur. Je pense qu’ici, comme dans beaucoup d’autres cas, on a été peut-être trop exclusif ; et, en ramenant la question à son véritable point de vue, il nous sera facile de terminer le différend.

Il est de fait que la grappe est âpre et austère ; et l’on ne peut pas nier que les vins qui proviennent de raisins non égrappés, ne participent de cette qualité ; mais il est des vins foibles et presqu’insipides, tels que la plupart de ceux qu’on récolte dans les pays humides, où la saveur légèrement âpre de la grappe relève la saveur naturelle de cette boisson : c’est ainsi que dans l’Orléanois, après avoir commencé à égrapper le raisin, on a été forcé d’abandonner cette méthode, parce qu’on a observé que les raisins qu’on faisoit égrapper fournissoient des vins qui tournoient plus aisément au gras. Il résulte encore des expériences de D. Gentil, que la fermentation marche avec plus de force et de régularité dans du moût mêlé avec la grappe, que dans celui qui en a été dépouillé ; de manière que, sous ce rapport, la grappe peut être considérée comme un ferment avantageux, dans tous les cas où l’on pourroit craindre que la fermentation ne fût lente et retardée.

Dans les environs de Bordeaux, on égrappe avec soin tous les raisins rouges, lorsqu’on se propose d’avoir du bon vin ; mais on modifie encore cette opération d’après le degré de maturité du raisin : on égrappe beaucoup lorsque la vendange est peu mûre, ou lorsqu’elle a été gelée avant la cueillette ; mais lorsque le raisin est très-mûr, on égrappe avec moins de soin. Labadie. observe, dans les renseignemens qu’il m’a fournis, qu’il faut même laisser de la grappe pour faciliter la fermentation.

On n’égrappe point les raisins blancs ; et l’expérience a prouvé que les raisins égrappés fournissoient des vins moins spiritueux, et plus faciles à graisser.

Sans doute la grappe n’ajoute ni au principe sucré ni à l’arome ; et, sous ce double point de vue, elle ne sauroit contribuer par ses principes, ni à la spiritualité ni au parfum du vin, mais sa légère âpreté peut avantageusement corriger la foiblesse de quelques vins : en outre, en facilitant la fermentation, elle concourt à opérer une décomposition plus complette du moût et à produire tout l’alkool dont il est susceptible.

Sans nous écarter du sujet qui nous occupe, nous pouvons encore considérer les vins sous deux points de vue, d’après leurs usages : ils sont tous employés ou à la boisson ou à la distillation. On exige, dans les premiers, des qualités qui seroient inutiles aux seconds. Le goût, qui fait presque tout le mérite des uns, n’ajoute nullement aux qualités des autres. Ainsi, lorsqu’on destine un vin à être brûlé, on ne doit s’occuper que des moyens d’y développer beaucoup d’alkool ; peu importe que la liqueur soit âpre ou non ; dans ce cas ce seroit peine perdue que d’égrapper le raisin. Mais, si le vin est préparé pour la boisson, il faut alors tâcher de lui concilier une saveur agréable avec un parfum exquis ; et, à cet effet, on évitera, on écartera avec soin tout ce qui pourroit altérer ces précieuses qualités. D’après cela, il est nécessaire de soustraire la grappe à la fermentation, de trier le raisin, de le nettoyer avec précaution.

C’est probablement d’après la connoissance de ces effets que l’expérience remet chaque jour sous les yeux de l’agriculteur, plutôt que par une suite du caprice ou de l’habitude, qu’on égrappe les raisins dans certains pays et qu’on n’égrappe pas dans d’autres ; vouloir tout réduire à une seule méthode, c’est méconnoître à-la-fois l’effet de la grappe dans la fermentation et la différence qui existe dans les diverses qualités de raisins. Dans le Midi où le vin est naturellement généreux, la grappe ne pourroit qu’ajouter une âpreté désagréable à une boisson déjà trop forte par sa nature ; aussi tous les raisins destinés à former des vins pour la boisson sont-ils égrappés, tandis que ceux qui sont réservés pour la distillation fermentent avec leur grappe. Mais ce qui pourra paroître bien étonnant, c’est que dans le même canton, sur divers points de la France, nous voyons des agronomes qui égrappent et se louent de leur méthode, lorsqu’à côté, des agriculteurs également habiles repoussent cet usage et cherchent comme les autres à appuyer leurs procédés par le résultat de leurs expériences. L’un fait un vin plus délicat, l’autre l’obtient plus fort, tous deux trouvent des partisans de leur boisson : c’est ici une affaire de goût qui ne contredit point les principes que nous avons posés.

En général, pour égrapper le raisin, on se sert d’une fourche à trois becs que l’ouvrier tourne et agite circulairement dans la cuve où sont déposés les raisins : par ce mouvement rapide, il détache les grains de la grappe et ramène celle-ci à la surface, d’où m’enlève avec la main.

On peut égrapper encore avec un crible ordinaire, formé de brins d’osier, séparés l’un de l’autre d’environ un centimètre et demi, et surmonté d’un bourrelet d’osier serré, haut environ d’un décimètre.

Mais qu’on égrappe ou qu’on n’égrappe pas, il est indispensable de fouler le vin pour en faciliter la fermentation ; et on y procède généralement à mesure que la vendange arrive de la vigne. Le procédé est à-peu-près le même partout : cette opération s’exécute le plus communément dans une caisse quarrée, ouverte par le haut et d’environ un mètre et demi de largeur. Tous les côtés sont formés de liteaux de bois qui laissent entre eux un assez petit intervalle pour que le grain de raisin ne puisse pas y passer. Cette caisse est placée sur la cuve, et elle est soutenue par deux poutres qui reposent sur le bord de la cuve elle-même. On verse la vendange dans la capacité de la caisse, à mesure qu’elle arrive ; et de suite un ouvrier la foule fortement et également par le moyen de gros sabots ou de forts souliers dont ses pieds sont armés. Il exécute cette opération en s’appuyant des deux mains sur les bords de la caisse, et piétinant avec rapidité sur la couche de la vendange. Le suc qu’il en exprime coule dans la cuve à travers les interstices que laissent entre eux les liteaux ; la seule pellicule du raisin reste dans la cage ; et du moment que l’ouvrier reconnoît que tous les grains sont exprimés, il soulève une planche qui forme une partie d’un des côtés de la caisse, et pousse le marc avec le pied dans la cuve. Cette porte glisse dans deux coulisses formées par deux liteaux appliqués perpendiculairement sur une des surfaces latérales. À peine l’ouvrier a-t-il nettoyé la caisse de ce premier produit, qu’il introduit de nouveaux raisins pour les fouler de la même manière ; et il opère de la sorte jusqu’à ce que la cuve soit pleine ou que la vendange soit terminée.

Il est des pays où l’on foule le raisin dans des baquets. Cette méthode est peut-être meilleure quant à l’effet que la première, mais elle est plus lente et ne paroît pas pouvoir être employée dans des pays de vignobles considérables.

Il est encore des pays où l’on verse la vendange dans la cuve à mesure qu’elle arrive de la vigne ; et dès que la fermentation commence à s’y établir, on enlève avec soin le moût qui surnage pour le porter dans des tonneaux où s’en opère la fermentation. Le résidu est ensuite exprimé sous le pressoir pour former un vin généralement plus coloré et moins parfumé.

En général, quelque méthode qu’on adopte pour le foulage du raisin, nous pouvons réduire aux principes suivans ce qui concerne cette opération importante.

Le raisin ne sauroit éprouver la fermentation spiritueuse si, par une pression convenable, on n’en extrait pas le suc pour le soumettre à l’action des causes qui déterminent le mouvement de fermentation.

Il suit de cette vérité fondamentale que non-seulement l’on doit employer les moyens convenables pour fouler les raisins, mais que l’opération ne sera parfaite qu’autant que tous les grains le seront également ; sans cela la fermentation ne sauroit marcher d’une manière uniforme : le suc exprimé termineroit sa période de décomposition avant même que les grains qui ont échappé au foulage eussent commencé la leur ; ce qui dès lors présenteroit un tout dont les élémens ne seroient plus en rapport. Cependant si on examine le produit du foulage déposé dans une cuve, on se convaincra facilement que la compression a été toujours inégale et imparfaite, et il suffit de réfléchir un instant sur les procédés grossiers employés pour fouler le raisin, pour ne plus s’étonner de l’imperfection même des résultats.

Il paroît donc que pour donner à cette portion très intéressante du travail de la vendange le degré de perfectionnement convenable, il faudroit soumettre à l’action du pressoir tous les raisins à mesure qu’on les transporte de la vigne. Le suc en seroit reçu dans une cuve, et là on l’abandonneroit à la fermentation spontanée. Par ce seul moyen, le mouvement de décomposition s’exerceroit sur toute la masse d’une manière égale ; la fermentation seroit uniforme et simultanée pour toutes les parties, et les signes qui l’annoncent, l’accompagnent ou la suivent ne seroient plus troublés ni obscurcis par des mouvemens particuliers.

Sans doute le moût débarrassé de son marc et de la grappe, produiroit un vin moins coloré, plus délicat et d’une conservation plus difficile mais si les inconvéniens surpassoient les avantages de cette méthode, il seroit aisé de les prévenir en mêlant le marc exprimé avec le moût.

C’est par une suite des principes que nous venons de développer, que l’on doit avoir l’attention de remplir la cuve dans vingt heures. En Bourgogne, les vendanges se terminent dans quatre ou cinq jours. Un tems trop long entraîne le grave inconvénient d’une suite de fermentations successives, qui, par cela seul, sont toutes imparfaites : une portion de la masse a déjà fermenté que la fermentation commence à peine dans une autre portion. Le vin qui en résulte est donc un vrai mélange de plusieurs vins plus ou moins fermentés. L’agriculteur intelligent et jaloux de ses produits doit donc déterminer le nombre des vendangeurs, d’après la capacité connue de sa cuve ; et lorsqu’une pluie inattendue vient suspendre les travaux de sa récolte, il doit laisser fermenter séparément ce qui se trouve déjà ramassé et déposé dans la cuve, plutôt que de s’exposer quelques jours après à en troubler les mouvemens et à en altérer la nature par l’addition d’un moût aqueux et frais.


CHAPITRE IV.

De la fermentation.

Le moût n’est pas encore dans la cave qu’il commence à fermenter ; celui qui s’écoule du raisin par la pression ou les secousses qu’il reçoit dans le transport travaille et bout avant qu’il soit parvenu dans la cuve : c’est un phénomène dont on peut aisément se rendre témoin en suivant les vendangeurs dans les climats chauds, et examinant avec attention le moût qui sort du raisin et reste confondu avec lui dans le vase qui sert à le transporter.

Les anciens séparoient avec soin le premier suc qui ne peut provenir que des raisins les plus mûrs, et coule naturellement par l’effet de la plus légère pression exercée sur eux. Ils le faisoient fermenter séparément et en obtenoient une boisson délicieuse qu’ils appelloient Protopon. Mustum spontè defluens, antequam calceniur uvœ. Baccius nous a décrit un procédé semblable pratiqué par les Italiens : qui primus liquor, non cal calcatis uvis defluit, vinum efficit virgineum, non inquinatum sœcibus, lacrymam vacant Itali, cito potui idoneum fit et valdè utile. Mais cette liqueur-vierge ne forme qu’une partie du suc que le raisin peut fournir, et il n’est permis de le traiter séparément que lorsqu’on veut obtenir un vin peu coloré et très-délicat. En général, on mêle cette première liqueur avec le reste du produit du foulage, et on livre le tout à la fermentation.

La fermentation vineuse s’exécute constamment dans des cuves de pierre ou de bois. Leur capacité est, en général, proportionnée à la quantité de raisins qu’on récolte dans un vignoble. Celles qui sont construites en maçonnerie sont, pour l’ordinaire, fabriquées avec de la bonne pierre de taille ; et les parois à intérieures en sont souvent revêtues d’un contre-mur bâti en briques liées et assemblées par un ciment de pouzzolane ou de terre-d’eau-forte. Les cuves en bois demandent plus d’entretien, reçoivent les variations de température avec plus de facilité et exposent à plus d’accidens.

Avant de déposer la vendange dans une cuve, ou doit avoir l’attention de la nettoyer avec le plus grand soin : ainsi on lave la cuve avec de l’eau tiède, on la frotte fortement et on en enduit les parois avec de la chaux à deux ou trois couches. Cet enduit a l’avantage de saturer une partie de l’acide malique qui existe abondamment dans le moût, ainsi que nous le verrons par la suite.

Comme tout le travail de la vinification se fait dans la fermentation, puisque c’est par elle seule que le moût passe à l’état de vin, nous croyons devoir envisager cette question importante, sous plusieurs points de vue. Nous nous occuperons d’abord des causes qui contribuent à produire la fermentation ; nous examinerons ensuite ses effets ou son produit, et nous terminerons par déduire de nos connoissances actuelles, quelques principes généraux qui pourront diriger l’agriculteur dans l’art de la gouverner.


Art. Ier.

Des causes qui influent sur la fermentation.

Il est reconnu que, pour que la fermentation s’établisse et suive ses périodes d’une manière régulière, il faut des conditions que l’observation nous a appris à connoître. Un certain degré de chaleur, le contact de l’air, l’existence d’un principe doux et sucré dans le moût, telles sont, à peu près, les conditions jugées nécessaires. Nous tâcherons de faire connoître ce qui est dû à chacune d’elles.


I°. Influence de la température de l’atmosphère, sur la fermentation.

On regarde assez généralement le dixième degré du thermomètre de Réaumur comme celui qui indique la température la plus favorable à la fermentation spiritueuse : elle languit au-dessous de ce degré, et elle devient trop tumultueuse au-dessus. Elle n’a même pas lieu à une température trop froide ou trop chaude. Plutarque avoit observé que le froid pouvoit empêcher la fermentation, et que celle du moût étoit toujours proportionnée à la température de l’atmosphère (quest. nat. 27). Le chancelier Bacon conseille de plonger les vases contenant le vin, dans la mer, pour en prévenir la décomposition ; et Boile rapporte (dans son traité du froid) qu’un français, pour garder son vin à l’état de moût, et lui conserver cette douceur qui plaît à certaines personnes, le mettoit dans des tonneaux, au sortir du pressoir, fermoit hermétiquement le tonneau, et le plongeoit dans un puits ou une rivière. Dans tous ces cas, non-seulement on tenoit la liqueur dans une température peu favorable à la fermentation ; mais on la garantissoit du contact de l’air ; ce qui éteint ou au moins modère et ralentit la fermentation.

Un phénomène extraordinaire, mais qui paroît constaté par un assez grand nombre d’observations, pour mériter toute croyance, c’est que la fermentation est d’autant plus lente que la température est plus froide, au moment où se font les vendanges. Rozier a vu, en 1769, que du raisin cueilli les 7, 8 et 9 octobre, est resté dans la cuve jusqu’au 19, sans qu’il parût le moindre signe de fermentation ; le thermomètre avoit été le matin à un degré et demi au dessous de zéro, et s’étoit maintenu à +2. La fermentation n’a été complette que le 25, tandis que de semblables raisins, récoltés le 16, à une température beaucoup moins froide, ont terminé leur fermentation les 21 ou 22. Le même fait a été observé en 1740.

C’est d’après tous ces principes qu’on conseille de placer les cuves dans des lieux couverts ; de les éloigner des endroits humides et froids ; de les recouvrir pour tempérer la fraîcheur de l’atmosphère ; de réchauffer la masse en y introduisant du moût bouillant ; de faire choix d’un jour chaud pour cueillir les raisins, ou de les exposer au soleil, etc.


II°. Influence de l’air dans la fermentation.

Nous avons vu dans l’article précédent qu’on peut modérer et retarder la fermentation en soustraisant le moût à l’action directe de l’air, et en le tenant exposé à une température froide. Quelques chimistes, d’après ces faits, ont regardé la fermentation comme ne pouvant avoir lieu que par l’action de l’air atmosphérique ; mais un examen plus attentif de tous les phénomènes qu’elle présente dans ses divers états, nous permettra d’accorder une juste valeur à toutes les opinions qui ont été émises à ce sujet.

Sans doute l’air est favorable à la fermentation : cette vérité nous est acquise par la réunion et l’accord de tous les faits connus. Car sans lui, sans son contact, le moût se conserve long-tems sans changement, sans altération. Mais il est également prouvé que, malgré que le moût, enfermé dans des vases bien clos, y subisse très-lentement ses phénomènes de fermentation, elle ne se termine pas moins à la longue ; et que le vin qui en est le produit n’en est que plus généreux. C’est là ce qui résulte des expériences de D. Gentil.

Si l’on délaye un peu de levure de bierre et de mêlasse dans l’eau, qu’on introduise ce mélange dans un flacon à bec recourbé, et qu’on fasse ouvrir le bec du flacon sous une cloche pleine d’eau et renversée sur la planchette de la cuve hydropneumatique, à la température de 12 à 15 degrés du thermomètre, j’ai constamment vu paroître les premiers phénomènes de la fermentation, quelques minutes après que l’appareil a été placé ; le vuide du flacon ne tarde pas à se remplir de bulles et d’écume ; il passe beaucoup d’acide carbonique sous la cloche, et ce mouvement ne s’apaise que lorsque la liqueur est devenue spiritueuse. Dans aucun cas je n’ai vu qu’il y eut absorption d’air atmosphérique.

Si, au lieu de donner une libre issue aux matières gazeuzes qui s’échappent par le travail de la fermentation, on s’oppose à leur dégagement en tenant la masse fermentante dans des vaisseaux clos, alors le mouvement se ralentit, et la fermentation ne se termine que péniblement et par un tems très-long.

Dans toutes les expériences que j’ai tentées sur la fermentation, je n’ai jamais vu que l’air fut absorbé. Il n’entre ni comme principe dans le produit, ni comme élément dans la décomposition il est chassé au-dehors des vaisseaux avec l’acide carbonique qui est le premier résultat de la fermentation.

L’air atmosphérique n’est donc pas nécessaire à la fermentation ; et, s’il paroît utile d’établir une libre communication entre le moût et l’atmosphère, c’est parce que les substances gazeuzes qui se forment dans la fermentation, peuvent alors s’échapper aisément en se mêlant ou se dissolvant dans l’air ambiant. Il suit encore de ce principe que, lorsque le moût sera disposé dans des vases fermés, l’acide carbonique trouvera des obstacles insurmontables à la volatilisation ; il sera contraint de rester interposé dans le liquide ; il s’y dissoudra en partie ; et, faisant effort continuellement contre le liquide et chacune des parties qui le composent, il ralentira et éteindra presque complètement l’acte de la fermentation.

Ainsi, pour que sa fermentation s’établisse et parcoure ses périodes d’une manière prompte et régulière, il faut une libre communication entre la masse fermentante et l’air atmosphérique ; alors les principes qui se dégagent par le travail de la fermentation, se versent commodément dans l’atmosphère qui leur sert de véhicule ; et la masse fermentante peut, dès ce moment, éprouver sans obstacle les mouvemens de dilatation et d’affaissement.

Si le vin fermenté dans des vases fermés, est plus généreux et plus agréable au goût, la raison en est qu’il a retenu l’arôme et l’alkool qui se perdent en partie dans une fermentation qui se fait à l’air libre ; car, outre que la chaleur les dissipe, l’acide carbonique les entraîne dans un état de dissolution absolue, ainsi que nous le verrons par la suite.

Le libre contact de l’air atmosphérique précipite la fermentation et occasionne une grande déperdition de principes en alkool et arome, tandis que d’un autre côté la soustraction à ce contact ralentit le mouvement, menace d’explosion et de rupture, et la fermentation n’est complette qu’à la longue. Il est donc des avantages et des inconvéniens de part et d’autre : peut-être seroit-il possible de combiner assez heureusement ces deux méthodes pour en écarter tout ce qu’elles ont de vicieux.

Ce seroit là, sans contredit, le complément de la vinification. Nous verrons par la suite que quelques procédés pratiqués dans divers pays, soit pour fabriquer des vins mousseux, soit pour conserver à certains vins un parfum agréable, nous permettent d’espérer les plus heureux résultats des travaux qui pourroient être entrepris à ce sujet par des mains habiles.


III°.Influence du volume de la masse ferment ante sur la fermentation.

Malgré que le jus du raisin fermente en très-petite masse puisque je lui ai fait parcourir toutes ses périodes de décomposition dans des verres placés sur des tables, il n’en est pas moins vrai que les phénomènes de la fermentation sont puissamment modifiés par la différence des volumes.

En général, la fermentation est d’autant plus rapide, plus prompte, plus tumultueuse, plus complette que la masse est plus considérable.

J’ai vu du moût déposé dans un tonneau ne terminer sa fermentation que le onzième jour, tandis qu’une cuve qui étoit remplie du même et en contenoit douze fois ce volume avoit fini le quatrième jour ; la chaleur ne s’éleva dans le tonneau qu’à 17 degrés, elle parvint au 26e. dans la cuve.

C’est un principe incontestable que l’activité de la fermentation est proportionnée à la masse : mais il ne faut pas en conclure qu’il soit constamment avantageux de faire fermenter en grand volume, ni que le vin provenant de la fermentation établie dans de plus grandes cuves ait des qualités supérieures ; il est un terme à tout, et des extrêmes également dangereux, qu’il faut éviter. Pour avoir une fermentation complète, il faut craindre de l’obtenir trop précipitée. Il est impossible de déterminer quel est le volume le plus favorable à la fermentation : il paroît même qu’il doit varier selon la nature du vin et le but qu’on se propose. S’il est question de conserver l’arôme, elle doit s’opérer en plus petite masse que s’il s’agit de développer toute la partie spiritueuse, pour fabriquer des vins propres à la distillation. J’ai vu monter le thermomètre à 27 degrés dans une cuve qui contenoit trente muids de vendange (mesure du Languedoc). À la vérité, dans ce cas, tout le principe sucré est décomposé ; mais il y a déperdition d’une portion d’alkool par la chaleur et le mouvement rapide que produit la fermentation.

En général, on doit encore varier la capacité des cuves selon la nature du raisin : lorsqu’il est très-mûr, doux, sucré, et presque desséché, le moût est épais, pâteux, etc. la fermentation s’y établit difficilement ; et il faut une grande masse de liquide pour décomposer pleinement le suc sirupeux : sans cela, le vin reste liquoreux, douceâtre, et nauséabond ; ce n’est qu’après un long séjour dans le tonneau que cette liqueur arrive au degré de perfection qu’elle peut atteindre.

La température de l’air, l’état de l’atmosphère, le temps qui a régné pendant la vendange, toutes ces causes et leurs effets doivent toujours être présens à l’esprit de l’agriculteur, pour qu’il en déduise des règles de conduite capables de les guider.


IV°. Influence des principes constituons du moût sur la fermentation.

Le principe doux et sucré, l’eau et le tartre, sont les trois élémens du raisin qui paroissent influer le plus puissamment sur la fermentation ; c’est non seulement à leur existence qu’est due la première cause de cette sublime opération, mais c’est encore aux proportions très-variables entre ces divers principes constituans qu’il faut rapporter les principales différences que nous présente la fermentation.

1°. Il paroît prouvé, par la nature comparée de toutes les substances qui subissent la fermentation spiritueuse, qu’il n’y a que celles qui contiennent un principe doux et sucré qui en soient susceptibles ; et il est hors de doute que c’est sur-tout aux dépens de ce principe que se forme l’alkool.

Par une conséquence qui découle naturellement de cette vérité fondamentale, les corps, dans lesquels le principe sucré est le plus abondant, doivent fournir la liqueur la plus spiritueuse : c’est au reste ce qui est encore confirmé par l’expérience. Mais on ne sauroit trop insister sur la nécessité de bien distinguer le sucre proprement dit, d’avec le principe doux. Sans doute le sucre existe dans le raisin ; et c’est surtout à lui qu’est dû l’alkool qui résulte de sa décomposition par la fermentation ; mais ce sucre est constamment mêlé avec un corps doux plus ou moins abondant, et très-propre à la fermentation ; c’est un vrai levain qui accompagne le sucre presque par-tout ; mais qui par lui-même ne sauroit produire de l’alkool. De là vient que lorsqu’on veut faire fermenter le sucre pour obtenir du taffia, on l’emploie à l’état de sirop dit de vezou, parce que alors il contient le principe doux qui en facilite la fermentation.

La distinction entre le principe doux et sucré et le sucre proprement dit a été très-bien établie par Dey eux, dans le journal des pharmaciens.

Ce principe doux est presque inséparable du principe sucré dans les produits de la végétation : et ces deux principes sont si bien combinés dans quelques cas, qu’on ne peut les désunir complètement qu’avec peine : c’est ce qui s’opposera, peut être encore long temps, à ce qu’on extraie pour le commerce le sucre de plusieurs végétaux, qui en contiennent. La canne à sucre paroît être celui de tous les végétaux où cette séparation, est le plus facile. Bien des faits nous portent à croire que ce principe doux est voisin par sa nature du principe sucré ; qu’il peut même, avec des circonstances favorables, se changer en sucre ; mais ce n’est pas ici le moment de discuter ce point intéressant de doctrine

Un raisin peut donc être très-doux, très-agréable à la bouche, et produire néanmoins un assez mauvais vin, parce que le sucre peut bien n’exister qu’en très-petite quantité dans un raisin en apparence très sucré : c’est la raison pour laquelle les raisins les plus doux au goût ne fournissent pas toujours les vins les plus spiritueux. Au reste, il suffit d’un peu d’habitude pour distinguer la saveur vraiment sucrée d’avec le goût doux que présentent quelques raisins. C’est ainsi que la bouche habituée à savourer le raisin très-sucré du midi, ne confondra pas avec lui le chasselas, quoique très-doux, de Fontainebleau.

Nous devons donc considérer le sucre comme le principe qui donne lieu à la formation de l’alkool par sa décomposition, et le corps doux et sucré, comme le vrai levain de la fermentation spiritueuse. Il faut donc, pour que le moût soit propre à subir une bonne fermentation, qu’il contienne ces deux principes dans de bonnes proportions : le sucre seul ne fermente point, ou du moins la fermentation en est très-lente et incomplète. Le mucilage pur ne fournit point d’alkool : ce n’est qu’à la réunion de ces deux substances qu’on devra une bonne Fermentation spiritueuse[3].

2°. Le moût très-aqueux éprouve de la difficulté à fermenter, comme le moût trop épais. Il faut donc un degré de fluidité convenable, pour obtenir une bonne fermentation, et c’est celui que présente le suc exprimé du raisin parvenu à une maturité parfaite.

Lorsque le moût est très-aqueux, la fermentation est tardive, difficile, et le vin qui en provient est foible et très-susceptible de décomposition. Dans ce cas, les anciens connoissoient l’usage de cuire le moût : ils faisoient évaporer par ce moyen l’eau surabondante, et ramenoient la liqueur au degré d’épaississement convenable. Ce procédé, constamment avantageux dans les pays du nord, et généralement partout où la saison a été pluvieuse, est encore pratiqué de nos jours. Maupin a même contribué à faire accorder plus de faveur à cette méthode, en prouvant, par des expériences nombreuses, qu’on pouvoit s’en servir avec avantage dans presque tous les pays de vignobles. Néanmoins ce procédé paraît inutile dans les climats chauds ; il n’y est tout au plus applicable, que dans les cas où la saison pluvieuse n’a pas permis au raisin de parvenir à un degré de maturité convenable, ou bien lorsque la vendange se fait par un temps de brouillard et de pluie.

Il est des pays où l’on mêle du plâtre cuit à la vendange pour absorber l’humidité excédante qu’elle peut contenir. L’usage établi dans d’autres endroits, de dessécher le raisin avant de le faire fermenter, est fondé sur le même principe. Tous ces procédés tendent essentiellement à enlever l’humidité dont les raisins peuvent être imprégnés, et à présenter un suc plus épais à la fermentation.

3°. Le jus du raisin mûr contient du tartre qu’on peut y démontrer par le simple rapprochement, de cette liqueur, ainsi que nous l’avons observé ; mais le verjus en fournit encore une plus grande quantité, et il est généralement vrai que le raisin donne d’autant moins de tartre, qu’il contient plus de sucre.

Le (marquis) de Bullion a retiré d’un litre de moût, environ un décagramme et demi (4 gros) de sucre et deux grammes de tartre (demi-gros). Il paroît, d’après les expériences de ce même chimiste, que le tartre concourt, ainsi que le sucre, à faciliter la formation de l’alkool. Il suffit d’augmenter la proportion du tartre et dû sucre dans le moût, pour parvenir à obtenir trois fois plus d’esprit ardent.

Ce même chimiste a encore éprouvé que le moût privé de son tartre ne fermente pas, mais qu’on peut lui redonner la propriété de fermenter en lui restituant ce principe.

Environ cent vingt litres d’eau (120 pintes), trois kilogrammes de sucre (100 onces), sept hectogrammes crème de tartre (une livre et demie), ont resté trois mois sans fermenter ; on y a ajouté environ huit kilogrammes (16 livres) de feuilles de vigne pilées, et le mélange a fermenté avec force pendant quinze jours. La même quantité d’eau et les feuilles de vigne mises à fermenter sans sucre et sans tartre, il n’en est résulté qu’une liqueur acidulée.

Sur cinq cents litres de moût (500 pintes) cinq kilogrammes de cassonade (10 livres) et deux kilogrammes de crème de tartre, la fermentation s’est bien établie et a duré quarante-huit heures de plus que dans les cuvées qui ne contenoient que le moût simple ; le vin provenant de la première fermentation a fourni une pièce et demie eau-de-vie, à 20 degrés, aréomètre de Baumé, sur sept pièces, sur lesquelles la distillation avoit été établie ; tandis que le vin qui étoit fait sans addition de sucre ni de tartre n’a produit qu’un douzième eau-de-vie au même degré.

Les raisins sucrés demandent sur-tout qu’on y ajoute du tartre ; il suffit à cet effet de le faire bouillir dans un chaudron avec le moût pour l’y dissoudre. Mais, lorsque les moûts contiennent du tartre en excès, on peut les disposer à fournir beaucoup d’esprit ardent en y ajoutant du sucre.

Il paroît donc, d’après ces expériences, que le tartre facilite la fermentation et concourt à rendre la décomposition du sucre plus complette.


Art. II.

Phénomènes et produits de la fermentation.

Avant de nous occuper avec détail des principaux phénomènes que nous offre la fermentation, nous croyons convenable de tracer d’une manière rapide la marche qu’elle suit dans ses périodes.

La fermentation s’annonce d’abord par de petites bulles qui paroissent sur la surface du moût ; peu-à-peu on en voit qui s’élèvent du centre même de la masse en fermentation et viennent crever à la surface : leur passage à travers les couches de liquide en agite tous les principes, en déplace toutes les molécules ; et bientôt il en résulte un sifflement semblable à celui qui est produit par une douce ébullition.

On voit alors très-sensiblement s’élever, à plusieurs pouces au-dessus de la surface du liquide, de petites gouttes qui retombent de suite. Dans cet état, la liqueur est trouble, tout est mêlé, confondu, agité, etc. des filamens, des pellicules, des flocons, des grappes, des pépins nagent isolément, sont poussés, chassés, précipités, élevés, jusqu’à ce qu’enfin ils se fixent à la surface ou se déposent au fond de la cuve. C’est de cette manière, et par une sorte de ce mouvement intestin, que se forme à la surface de la liqueur, une croûte plus ou moins épaisse qu’on appelle le chapeau de la vendange.

Ce mouvement rapide et le dégagement continuel de ces bulles aériformes augmentent considérablement le volume de la masse. La liqueur s’élève dans la cuve au-dessus de son niveau primitif ; les bulles qui éprouvent quelque résistance à leur volatilisation par l’épaisseur et la ténacité du chapeau, se font jour par des points déterminés, et produisent une écume abondante.

La chaleur augmentant en proportion de l’énergie de la fermentation dégage une odeur d’esprit de-vin qui se répand dans tout le voisinage de la cuve ; la liqueur se fonce en couleur de plus en plus ; et après plusieurs jours, quelquefois seulement après plusieurs heures d’une fermentation tumultueuse, les symptômes diminuent, la masse retombe à son premier volume, la liqueur s’éclaircit et la fermentation est presque terminée.

Parmi les phénomènes les plus frappans et les effets les plus sensibles de la fermentation, il en est quatre principaux qui demandent une attention particulière : la production de chaleur, le dégagement de gaz, la formation de l’alkool et la coloration de la liqueur.

Je dirai sur chacun de ces phénomènes ce que l’observation nous a présenté jusqu’ici de plus positif.


1°. Production de chaleur.

Il arrive quelquefois dans les pays froids, mais surtout lorsque la température est au-dessous du 10e. degré, que la vendange déposée dans la cuve n’éprouve aucune fermentation, si par des moyens quelconques on ne parvient à en réchauffer la masse ; ce qui se pratique en y introduisant du moût chaud, en brassant fortement la liqueur, en échauffant l’atmosphère, en recouvrant la cuve avec des étoffes quelconques.

Mais, du moment que la fermentation commence, la chaleur prend de l’intensité ; quelquefois il suffit de quelques heures de fermentation pour la porter au plus haut degré. En général, elle est en rapport avec le gonflement de la vendange, elle croit et décroît comme lui, comme on peut s’en convaincre par des expériences que je joindrai à cet article.

La chaleur n’est pas toujours égale dans toute la masse : souvent elle est plus intense vers le milieu, sur-tout dans les cas où la fermentation n’est pas assez tumultueuse pour confondre et mêler, par des mouvemens violens, toutes les parties de la masse : alors on foule de nouveau la vendange ; on l’agite de la circonférence au centre, et on établit sur tous les points une température égale.

Nous pouvons établir comme vérités incontestables, 1°. qu’à température égale, plus la masse de la vendange sera grande, plus il y aura d’effervescence, de mouvement et de chaleur. 2°. Que l’effervescence, le mouvement, la chaleur sont plus grands dans la vendange où le suc du raisin est accompagné de pellicules, de pépins, de rafles, etc., que dans le suc du raisin ou dans le moût séparé de toutes ces matières. 3°. Que la fermentation peut produire depuis 12 jusqu’à 28 degrés de chaleur, (du moins je l’ai vue en activité entre ces deux extrêmes).


2°. Dégagement de Gaz.

Le gaz acide carbonique qui se dégage de la vendange, et ses effets nuisibles à la respiration sont connus depuis que la fermentation est connue elle-même. Ce gaz s’échappe en bulles de tous les points de la vendange, s’élève dans la masse et vient crever à la surface. Il déplace l’air atmosphérique qui repose sur la vendange, occupe partout le vuide de la cuve, et déverse ensuite par les bords en se précipitant dans les lieux les plus bas à raison de sa pesanteur. C’est à la formation de ce gaz qui enlève une portion d’oxigène et de carbone aux principes constituans du moût, que nous rapporterons par la suite les principaux changemens qui surviennent dans la fermentation.

Ce gaz, retenu dans la liqueur, par tous les moyens qu’on peut opposer à son évaporation, contribue à lui conserver l’arome et une portion d’alkool qui s’exhale avec lui. Les anciens connoissoient ces moyens, et ils distinguoient avec soin le produit d’une fermentation libre ou clause, c’est-à-dire faite dans des vaisseaux ouverts ou dans des vaisseaux fermés. Les vins mousseux ne doivent la propriété de mousser qu’à ce qu’ils ont été enfermés dans le verre avant qu’ils aient completté leur fermentation. Alors ce gaz lentement développé dans la liqueur, y reste comprimé jusqu’au moment où, l’effort de la compression venant à cesser par l’ouverture des vaisseaux, il peut s’échapper avec force.

Ce gaz acide donne à toutes les liqueurs qui en sont imprégnées une saveur aigrelette : les eaux minérales, appelées eaux gazeuzes, lui doivent leur principale vertu. Mais ce seroit avoir une idée peu exacte de son véritable état dans le vin que de comparer ses effets à ceux qu’il produit par sa libre dissolution dans l’eau.

L’acide carbonique qui se dégage des vins tient en dissolution une portion assez considérable d’alkool. Je crois avoir été le premier à faire connoître cette vérité, lorsque j’ai enseigné qu’en exposant de l’eau pure dans des vases placés immédiatement au-dessus du chapeau de la vendange, au bout de deux à trois jours, cette eau étoit imprégnée d’acide carbonique ; et qu’il suffisoit de l’enfermer dans des bouteilles débouchées, et de l’abandonner à elle-même pendant un mois pour obtenir un assez bon vinaigre. En même tems que le vinaigre se forme, il se précipite dans la liqueur des flocons abondans qui sont d’une nature très-analogue à la fibre. Lorsque, au lieu de se servir d’eau pure, on emploie de l’eau qui contient des sulfates terreux, telle que l’eau de puits, on voit se développer, au moment de l’acétification, une odeur de gaz hydrogène sulfuré qui provient de la décomposition de l’acide sulfurique lui-même. Cette expérience prouve suffisamment que le gaz acide carbonique entraîne avec lui de l’alkool et un peu de principe extractif ; et que ces deux principes nécessaires à la formation de l’acide acéteux, en se décomposant ensuite par le contact de l’air atmosphérique, produisent l’acide acéteux.

Mais l’alkool est-il dissout dans le gaz ou se volatilise-t-il par le seul fait de la chaleur ? On ne peut décider cette question que par des expériences directes. D. Gentil avoit observé, en 1779, que, si on renversoit une cloche de verre sur le chapeau de la vendange en fermentation, les parois intérieures se remplissoient de gouttes d’un liquide qui avoit l’odeur et les propriétés du premier phlegme qui passe lorsqu’on distille l’eau-de-vie. Humboldt a prouvé que, si l’on reçoit la mousse de Champagne sous des cloches dans l’appareil des gaz, et qu’on les entoure de glace, il se précipite de l’alkool sur les parois par la seule impression du froid. Il paroit donc que l’alkool est dissous dans le gaz acide carbonique ; et c’est cette substance qui communique au gaz vineux une portion des propriétés qu’il a. Il n’est personne qui ne sente, par l’impression même que fait sur nos organes la mousse du vin de Champagne, combien cette matière gazeuze est modifiée et diffère de l’acide carbonique pur.

Ce n’est pas le moût le plus sucré qui fournit le plus d’acide gazeux ; et ce n’est pas lui non plus qu’on emploie pour fabriquer ordinairement des vins mousseux. Si l’on suffoquoit la fermentation de cette espèce de raisins en l’enfermant dans des tonneaux on bouteilles pour lui conserver le gaz qui se dégage, le principe sucré qui y abonde, ne seroit pas décomposé, et le vin en seroit doux, liquoreux, pâteux, désagréable. Il est des vins dont presque tout l’alkool est dissout dans le principe gazeux : celui de Champagne nous en fournit une preuve.

Il est difficile d’obtenir du vin à-la-fois rouge et mousseux, attendu que, pour pouvoir le colorer, il faut le laisser fermenter sur le marc, et que, par cela même, le gaz acide se dissipe.

Il est des vins dont la fermentation lente se continue pendant plusieurs mois : ceux-ci mis à propos dans des bouteilles deviennent mousseux. Il n’est même à la rigueur que cette nature de vins qui puisse acquérir cette propriété : ceux dont la fermentation est naturellement tumultueuse terminent trop promptement leur travail, et briseroient les vases dans lesquels on essayeroit de les renfermer.

Ce gaz acide est dangereux à respirer : tous les animaux qui s’exposent imprudemment dans son atmosphère y sont suffoqués. Ces tristes événemens sont à craindre, lorsqu’on fait fermenter la vendange dans des lieux bas et où l’air n’est pas renouvellé. Ce fluide gazeux déplace l’air atmosphérique, et finit par occuper tout l’intérieur du cellier. Il est d’autant plus dangereux, qu’il est invisible comme l’air ; et l’on ne sauroit trop se précautionner contre ses funestes effets. Pour s’assurer qu’on ne court aucun risque en pénétrant dans le lieu où fermente la vendange, il faut avoir l’attention de porter une bougie allumée en avant de sa personne : il n’y a pas de danger tant que la bougie brûle ; mais, lorsqu’on la voit s’affoiblir ou s’éteindre, il faut s’éloigner avec prudence.

On peut prévenir ce danger, en saturant le gaz à mesure qu’il se précipite sur le sol de l’atelier, en disposant sur plusieurs points du lait de chaux ou de la chaux vive. On peut parvenir à désinfecter un lieu vicié par cette mortelle moffète, en projetant sur le sol et contre les murs de la chaux vive délayée et fusée dans l’eau. Une lessive alkaline caustique, telle que la lessive des savonniers, l’ammoniaque, produiroient de semblables effets ; dans tous ces cas, l’acide gazeux se combine instantanément avec ces matières, et l’air extérieur se précipite pour en occuper la place.


3°. formation de l’alkool.

Le principe sucré existe dans le moût, et en fait un des principaux caractères : il disparoît par la fermentation, et est remplacé par l’alkool qui caractérise essentiellement le vin.

Nous dirons, par la suite, de quelle manière on peut concevoir ce phénomène, ou cette suite intéressante de décompositions et de productions. Il ne nous appartient dans ce moment que d’indiquer les principaux faits qui accompagnent la formation de l’alkool.

Comme le but, et l’effet de la fermentation spiritueuse, se réduisent à produire de l’alkool, en décomposant le principe sucré, il s’en suit que la formation de l’un est toujours en proportion de la destruction de l’autre, et que l’alkool sera d’autant plus abondant que le principe sucré l’aura été lui-même ; c’est pour cela qu’on augmente à volonté la quantité d’alkool, en ajoutant du sucre au moût qui paroît en manquer.

Il suit toujours de ces mêmes principes, que la nature de la vendange en fermentation se modifie et change à chaque instant : l’odeur, le goût, et tous les autres caractères varient d’un moment à l’autre. Mais, comme il y a dans le travail de la fermentation une marche très-constante, on peut suivre tous ces changemens, et les présenter comme des signes invariables des divers états par lesquels passe la vendange.

1°. Le moût a une odeur douceâtre qui lui est particulière ; 2°. la saveur en est plus ou moins sucrée ; 3°. Il est épais et sa consistance varie, selon que le raisin est plus ou moins mûr, plus ou moins sucré. J’en ai éprouvé qui a marqué 75 degrés à l’aréomètre, et j’en ai vu d’autre qui ne donnoit que 40 à 42. Il est très-soluble dans l’eau.

À peine la fermentation est elle décidée, que tous les caractères changent ; l’odeur commence à devenir piquante par le dégagement de l’acide carbonique ; la saveur encore très douce est néanmoins déjà mêlée d’un peu de piquant ; la consistance diminue ; la liqueur qui, jusques-là n’avoit présenté qu’un tout uniforme, laisse paroître des flocons qui deviennent de plus en plus insolubles.

Peu à peu la saveur sucrée s’affoiblit et la vineuse se fortifie ; la liqueur diminue sensiblement de consistance ; les flocons détachés de la masse sont plus complettement isolés. L’odeur d’alkool se fait sentir même à une assez grande distance.

Enfin arrive un moment où le principe sucré n’est plus sensible ; la saveur et l’odeur n’indiquent plus que de l’alkool ; cependant tout le principe sucré n’est pas détruit ; il en reste encore une portion dont l’existence n’est que masquée par celle de l’alkool qui prédomine, comme il conste par les expériences très-rigoureuses de Gentil. La décomposition ultérieure de cette substance se fait à l’aide de la fermentation tranquille qui se continue dans les tonneaux.

Lorsque la fermentation a parcouru et terminé toutes ses périodes, il n’existe plus de sucre ; la liqueur a acquis de la fluidité, et ne présente que de l’alkool mêlé avec un peu d’extrait et le principe colorant.

4°. Coloration de la liqueur vineuse.

Le moût qui découle du raisin qu’on transporte de la vigne à la cuve avant qu’on l’ait foulé, fermente seul, donne le vin vierge, le protopon des anciens qui n’est pas coloré.

Les raisins rouges, dont on exprime le suc par le simple foulage, fournissent du vin blanc toutes les fois qu’on ne fait pas fermenter sur le marc.

Le vin se colore d’autant plus que la vendange reste plus long-tems en fermentation.

Le vin est d’autant moins coloré que le soulage a été moins fort, et qu’on s’est abstenu avec plus de soin de faire fermenter sur le marc.

Le vin est d’autant plus coloré que le raisin est plus mûr et moins aqueux.

La liqueur que fournit le marc qu’on soumet au pressoir est plus colorée.

Les vins méridionaux, et, en général, ceux qu’on récolte dans les lieux bien exposés au midi, sont plus colorés que les vins du Nord.

Tels sont les axiomes pratiques qu’une longue expérience a sanctionnés. Il en résulte deux vérités fondamentales : la première, c’est que le principe colorant du vin existe dans la pellicule du raisin ; la seconde, c’est que ce principe ne se détache et ne se dissout complettement dans la vendange, que lorsque l’alkool y est développé.

Nous nous occuperons en tems et lieu de la nature de ce principe colorant ; et nous ferons voir que, malgré qu’il se rapproche des résines par quelques propiétés, il en diffère néanmoins essentiellement.

Il n’est personne qui, d’après ce court exposé, ne puisse se rendre raison de tous les procédés usités pour obtenir des vins plus eu moins colorés, et qui ne sente déjà qu’il est au pouvoir de l’agriculteur de porter dans ses vins la teinte de couleur qu’il désire.


Art. III.

Préceptes généraux sur l’art de gouverner la fermentation.

La fermentation n’a besoin ni de secours ni de remèdes, lorsque le raisin a obtenu son degré de maturité convenable, que l’atmosphère n’est pas trop froide, et que la masse de la vendange est du volume requis. Mais ces conditions, sans lesquelles on ne sauroit obtenir de bons résultats, ne se réunissent pas toujours ; et c’est à l’art qu’il appartient de rapprocher toutes les circonstances favorables, et d’éloigner tout ce qui peut nuire pour obtenir une bonne fermentation.

Les vices de la fermentation se déduisent naturellement de la nature du raisin qui en est le sujet, et de la température de l’air qui eut être considéré comme un bien puissant auxiliaire.

Le raisin peut ne pas contenir assez de sucre pour donner lieu à une formation suffisante d’alkool : et ce vice peut provenir ou de ce que le raisin n’est pas parvenu à maturité, ou de ce que le sucre y est délayé dans une quantité trop considérable d’eau, ou bien encore de ce que, par la nature même du climat, le sucre ne peut pas suffisamment s’y développer. Dans tous ces cas, il est deux moyens de corriger le vice qui existe dans la nature même du raisin : le premier consiste à porter dans le moût le principe qui lui manque : une addition convenable de sucre présente à la fermentation les matériaux nécessaires à la formation de l’alkool ; et on supplée par l’art au défaut de la nature. Il paroît que les anciens connoissoient ce procédé, puisqu’ils mêloient du miel au moût qu’ils faisoient fermenter. Mais, de nos jours, on a fait des expériences très-directes à ce sujet, et je me bornerai à transcrire ici les résultats de celles qui ont été faites par Macquer.

« Au mois d’octobre 1776, je me suis procuré assez de raisins blancs, pineau et mélier, d’un jardin de Paris, pour faire vingt-cinq à trente pintes de vin. C’étoit du raisin de rebut ; je l’avois choisi exprès dans un si mauvais état de maturité, qu’on ne pouvoit espérer d’en faire un vin potable ; il y en avoit près de la moitié dont une partie des grains et des grappes entières étoient si verts qu’on n’en pouvoit supporter l’aigreur. Sans autre précaution que celle de faire séparer tout ce qu’il y avoit de pourri ; j’ai fait écraser le reste avec les rafles, et exprimer le jus à la main ; le moût qui en est sorti étoit très-trouble, d’une couleur verte, sale, d’une saveur aigre douce, où l’acide dominoit tellement qu’il faisoit faire la grimace à ceux qui en gouttaient. J’ai fait dissoudre dans ce moût assez de sucre brut, pour lui donner la saveur d’un vin doux assez bon ; et, sans chaudière, sans entonnoir, sans fourneau, je l’ai mis dans un tonneau, dans une salle au fond d’un jardin, où il a été abandonné. La fermentation s’y est établie dans la troisième journée et s’y est soutenue, pendant huit jours, d’une manière assez sensible, mais pourtant fort modérée. Elle s’est appaisée d’elle-même après ce tems.

» Le vin qui en a résulté étant tout nouvellement fait et encore trouble, avoit une odeur vineuse assez vive et assez piquante ; la saveur avoit quelque chose d’un peu revêche, attendu que celle du sucre avoit disparu aussi complettement que s’il n’y en avoit jamais eu. Je l’ai laissé passer l’hiver dans son tonneau, et l’ayant examiné, au mois de mars, j’ai trouvé que, sans avoir été soutiré ni coulé, il étoit devenu clair ; sa saveur quoique encore assez vive et assez piquante, étoit pourtant beaucoup plus agréable qu’immédiatement après la fermentation sensible ; elle avoit quelque chose de plus doux et de plus moelleux, et n’étoit mêlée néanmoins de rien qui s’approchât du sucre. J’ai fait mettre alors ce vin en bouteille ; et l’ayant examiné au mois d’octobre 1777, j’ai trouvé qu’il étoit clair, fin, très-brillant, agréable au goût, généreux et chaud, et en un mot, tel qu’un bon vin blanc de pur raisin, qui n’a rien de liquoreux, et provenant d’un bon vignoble, dans une bonne année. Plusieurs connoisseurs, auxquels j’en ai fait goûter, en ont porté le même jugement, et ne pouvoient croire qu’il provenoit de raisins verds dont on eût corrigé le goût avec du sucre.

» Ce succès qui avoit passé mes espérances, m’a engagé à faire une nouvelle expérience du même genre, et encore plus décisive par l’extrême verdeur et la mauvaise qualité du raisin que j’ai employé,

» Le 6 novembre de l’année 1777, j’ai fait cueillir de dessus un berceau, dans un jardin de Paris, de l’espèce de gros raisins qui ne mûrit jamais bien dans ce climat-ci, et que nous ne connoissons que sous le nom de verjus, parce qu’on n’en fait guère d’autre usage que d’en exprimer le jus avant qu’il soit tourné, pour l’employer à la cuisine en qualité d’assaisonnement acide ; celui dont il s’agit commençoit à peine à tourner, quoique la saison fût fort avancée ; et il avoit été abandonné dans son berceau comme sans espérance qu’il pût acquérir assez de maturité pour être mangeable. Il étoit encore si dur, que j’ai pris le parti de le faire crever sur le feu pour pouvoir en tirer plus de jus : il m’en a fourni huit à neuf pintes. Ce jus avoit une saveur très-acide dans laquelle on distinguoit à peine une très-légère saveur sucrée. J’y ai fait dissoudre de la cassonade la plus commune, jusqu’à ce qu’il me parut bien sucré ; il m’en a fallu beaucoup plus que pour le vin de l’expérience précédente, parce que l’acidité de ce dernier moût étoit beaucoup plus forte. Après la dissolution de ce sucre, la saveur de la liqueur quoique très-sucrée n’avoit rien de flatteur, parce que le doux et l’aigre s’y faisoient sentir assez vivement et séparément d’une manière désagréable.

» J’ai mis cette espèce de moût dans une cruche qui n’en étoit pas entièrement pleine, couverte d’un simple linge ; et la saison étant déjà très-froide, je l’ai placé dans une salle où la chaleur étoit presque toujours de 12 à 13 degrés, par le moyen d’un poêle.

» Quatre jours après, la fermentation n’étoit pas encore bien sensible ; la liqueur me paroissoit tout aussi sucrée et tout aussi acide ; mais ces deux saveurs commençant à être mieux combinées, il en résultait un tout plus agréable au goût.

» Le 14 novembre la fermentation étoit dans sa force ; une bougie allumée introduite dans le vuide de la cruche, s’y éteignoit aussitôt.

» Le 30, la fermentation sensible étoit entièrement cessée, la bougie ne s’éteignoit plus dans l’intérieur de la cruche ; le vin qui en avoit résulté étoit néanmoins très-trouble et blanchâtre ; sa saveur n’avoit presque plus rien de sucré ; elle étoit vive, piquante, assez agréable, comme celle d’un vin généreux et chaud, mais un peu gazeux et un peu verd.

» J’ai bouché la cruche et l’ai mise dans un lieu frais pour que le vin achevât de s’y perfectionner par la fermentation insensible pendant tout l’hiver.

» Enfin, le 17 mars dernier 1778, ayant examiné ce vin, je l’ai trouvé presque totalement éclairci ; son reste de saveur sucrée avoit disparu ainsi que son acide. C’étoit celle d’un vin de pur raisin assez fort, ne manquant point d’agrément mais sans aucun parfum ni bouquet, parce que le raisin que nous nommons verjus n’a point du tout de principe odorant ou d’esprit recteur ; à cela près, ce vin qui est tout nouveau, et qui a encore à gagner par la fermentation que je nomme insensible, promet de devenir généreux, moelleux et agréable ».

Ces expériences me paroissent prouver avec évidence que le meilleur moyen de remédier au défaut de maturité des raisins, est de suivre ce que la nature nous indique, c’est-à-dire, d’introduire dans leur moût la quantité de principe sucré nécessaire qu’elle n’a pu leur donner. Ce moyen est d’autant plus pratiquable que non-seulement le sucre, mais encore le miel, la mélasse et toute autre matière saccharine d’un moindre prix, peuvent produire le même effet, pourvu qu’ils n’ayent point de saveur accessoire désagréable qui ne puisse être détruite par une bonne fermentation.

Bullion faisoit fermenter le jus des treilles de son parc de Bellejames en y ajoutant quinze à vingt livres de sucre par muid ; le vin qui en provenoit étoit de bonne qualité.

Rozier a proposé depuis long-tems de faciliter la fermentation du moût, et d’améliorer les vins par l’addition du miel dans la proportion d’une livre sur deux cents de moût. Tous ces procédés reposent sur le même principe ; savoir, qu’il ne se produit pas d’alkool, là où il n’y pas de sucre ; et que la formation de l’alkool, et conséquemment la générosité du vin est constamment proportionnée à la quantité de sucre existant dans le moût ; d’après cela, il est évident qu’on peut porter son vin au degré de spiritualité qu’on désire, quelle que soit la qualité primitive du moût, en y ajoutant plus ou moins de sucre.

Rozier a prouyé (et l’on peut parvenir au même résultat en calculant les expériences de Bullion) que la valeur du produit de la fermentation est très-supérieure au prix des matières employées ; de sorte qu’on peut présenter ces procédés comme objets d’économie, et comme matière à spéculation.

Il est encore possible de corriger la qualité du raisin par d’autres moyens qui sont journellement pratiqués. On fait bouillir une portion du moût dans une chaudière, on le rapproche à moitié, et on le verse ensuite dans la cuve : par ce procédé, la partie aqueuse se dissipe en partie, et la portion de sucre se trouvant alors moins délayée, la fermentation marche avec plus de régularité, et le produit en est plus généreux : ce procédé, presque toujours utile dans le nord, ne peut être employé dans le midi, que lorsque la saison a été très-pluvieuse, ou que le raisin n’y est pas assez mûr.

On peut parvenir au même but en faisant dessécher le raisin au soleil, ou l’exposant, à cet effet, dans des étuves, ainsi que cela se pratique dans quelques pays de vignobles.

C’est peut-être encore par la même raison, toujours dans l’intention d’absorber l’humidité, qu’on met quelquefois du plâtre dans la cuve, ainsi que le pratiquoient les anciens.

Il arrive quelquefois que le moût est à la fois trop épais et trop sucré : dans ce cas, la fermentation est toujours lente et imparfaite ; les vins sont doux, liquoreux et pâteux, et ce n’est qu’après un long séjour dans les bouteilles, que le vin s’éclaircit, perd le pâteux désagréable, et ne présente plus que de très-bonnes qualités. La plupart des vins blancs d’Espagne sont dans ce cas-là. Cette qualité de vin a néanmoins ses partisans, et il est des pays où, à cet effet, l’on rapproche le moût par la cuisson ; il en est d’autres où l’on dessèche le raisin par le soleil ou dans les étuves, jusqu’à lui donner presque la consistance d’un extrait.

Il seroit aisé dans tous les cas de provoquer la fermentation, soit en délayant, à l’aide de l’eau, un moût trop épais, soit en agitant la vendange à mesure qu’elle fermente : mais tout cela doit être subordonné au but qu’on se propose d’obtenir ; et l’agriculteur intelligent variera ses procédés selon l’effet qu’il se proposera d’obtenir. On ne doit jamais perdre de vue que la fermentation doit être gouvernée d’après la nature du raisin, et conformément à la qualité de vin qu’on désire obtenir. Le raisin de Bourgogne ne peut pas être traité comme celui de Languedoc ; le mérite de l’un est dans un bouquet qui se dissiperoit par une fermentation vive et prolongée ; le mérite de l’autre est dans la grande quantité d’alkool qu’on peut y développer ; et ici, la fermentation dans la cuve doit être longue et complète. En Champagne, on cueille le raisin destiné pour le vin blanc mousseux dès le matin, avant que le soleil en ait évaporé toute l’humidité ; et, dans le même pays, on ne coupe le raisin destiné à la fabrication du vin rouge, que lorsque le soleil l’a fortement frappé et bien séché. Ici, il faut de la chaleur artificielle pour provoquer la fermentation ; là, la nature du moût est telle, que la fermentation demanderoit à être modérée. Les vins foibles doivent fermenter dans les tonneaux ; les vins forts doivent travailler dans la cuve. Chaque pays a donc des procédés qui lui sont prescrits par la nature même de ses raisins ; et il est extraordinairement ridicule de vouloir tout soumettre à la même règle. Il importe de connoître bien la nature de son raisin et les principes de la fermentation : à l’aide de ces connoissances, on se fera un système de conduite qui ne peut qu’être très-avantageux, parce qu’il est fondé, non sur des hypothèses, mais sur la nature même des choses.

Dans les pays froids où le raisin est peu sucré et très aqueux, il fermente difficilement ; on provoque la fermentation par deux ou trois moyens principaux ; 1o . À l’aide d’un entonnoir en fer-blanc, qui descend par un bec très-large à quatre pouces du fond de la cuve, on introduit du moût bouillant dans la cuve. On peut en verser deux seaux sur trois cents bouteilles de moût. Ce procédé, proposé par Maupin, a produit de bons effets.

2o . On remue et agite la vendange de temps en temps : ce mouvement a l’avantage de rétablir la fermentation, quand elle a cessé ou qu’elle s’est ralentie, et de la rendre égale sur tous les points.

3o . On recouvre la vendange avec des couvertures, de même que la cuve.

4o . On échauffe l’atmosphère du lieu dans lequel la cuve a été placée.

Il arrive souvent que le mouvement de la vendange se ralentit, ou que la chaleur est inégale dans les divers points : c’est pour obvier à ces inconvéniens, sur-tout dans les pays froids où ils sont plus fréquens, qu’on foule la vendange de temps en temps. D. Gentil a fait deux cuvées de dix-huit pièces chacune avec des raisins provenant de la même vigne, et cueillis en même temps ; le grain fut égrappé et écrasé ; égalité de suc de part et d’autre ; la vendange mise dans des cuves égales ; les jours, mais sur-tout les nuits et les matinées, étoient très-froides.

Au bout de quelques jours, la fermentation commença : on s’aperçut que le centre des cuves étoit très chaud et les bords très froids ; les cuves se touchoient, et toutes deux éprouvoient la même température. On en fit fouler une avec un rabot à long manche ; on poussa vers le centre, qui étoit le foyer de la chaleur, la vendange des bords qui étoit froide ; on foula à plusieurs reprises, et on entretint par ce moyen la même chaleur dans toute la masse. La fermentation fut terminée, dans la cuve foulée, douze à quinze heures plus tôt que dans l’autre. Le vin en fut incomparablement meilleur ; il étoit plus délicat, avoit une saveur plus fine, étoit plus coloré, plus franc. On n’eût point dit qu’il provenoit de raisin de même nature.

Les anciens mêloient des aromates à la vendange en fermentation pour donner à leurs vins des qualités particulières. Pline raconte qu’en Italie il étoit reçu de répandre de la poix et de la résine dans la vendange, ut odor vino contingeret, et saporis acumen. Nous trouvons, dans tous les écrits de ce temps là, des recettes nombreuses pour parfumer les vins. Ces divers procédés ne sont plus usités. J’ai cependant de la peine à croire qu’on n’en tirât pas un grand avantage. Cette partie très-intéressante de l’œnologie mérite une attention particulière de la part de l’agriculteur. Nous pouvons même en présager d’heureux effets, d’après l’usage pratiqué dans quelques pays de parfumer les vins avec la framboise, la fleur sèche de la vigne, etc.

Darcet m’a communiqué les faits suivans, que je m’empresse de publier ici, comme pouvant donner lieu à des expériences propres à avancer l’art de la vinification :

« J’ai pris, dit-il, un demi-tonneau qu’on nomme un demi-muid, je l’ai d’abord rempli de suc de raisin non foulé et tel qu’il a coulé de lui-même du raisin porté de la vigne dans le pressoir ; aussi n’a-t-il que très-peu de couleur.

» Ce tonneau contenoit environ cent cinquante pintes ; j’en ai pris environ trente pintes qu’on a évaporées et concentrées à peu-près à un huitième du volume de la liqueur ; on y a ajouté quatre livres de sucre commun et une livre de raisins de carême, qu’on a eu la précaution de déchirer ; ensuite on a reversé le tout encore un peu chaud, dans le tonneau, qu’on a achevé de remplir avec du même moût, qu’on avoit gardé à part. On a ajouté dans le tonneau un bouquet d’une demi-once de petite absinthe sèche et bien conservée ; on a légèrement couvert le tonneau de sa bonde renversée : la fermentation n’a pas tardé à s’y établir, et s’est faite d’une manière franche et vive.

» Outre cette pièce de moût, j’ai aussi fait fermenter une dame-jeanne du même, d’environ vingt-cinq à 30 pintes, avec environ demi-once de sucre par pinte : ce vin a très-bien fermenté dans cette cruche, et il m’a servi pour remplir pendant la fermentation et après le premier soutirage, qui a été fait dans le temps ordinaire, et répété un an après ; ensuite il a été mis en bouteilles, après l’année révolue, ou dans l’hiver suivant.

» Ce vin a été fait en septembre 1788, par un beau temps et une assez bonne année.

» Ce vin s’est très-bien conservé, même en vidange dans une bouteille, il ne s’est ni aigri ni troublé au bout de plusieurs jours. J’en ai encore deux ou trois bouteilles ; il commence à passer ».


Art. IV.

Éthiologie de la fermentation.

Les phénomènes et les résultats de la fermentation sont d’un intérêt si puissant aux yeux du chimiste et de l’agriculteur, qu’après les avoir envisagés sous le point de vue de la pure pratique, il ne nous est pas permis de ne pas les considérer sous le rapport de la science.

Les deux phénomènes qui paroissent mériter le plus d’attention de la part du chimiste sont la disparation du principe sucré et la formation de l’alkool.

Comme dans la fermentation il n’y a pas absorption d’air, ni addition d’aucune matière étrangère, il est évident que tous les changemens qui se font dans cette opération ne peuvent être rapportés qu’à la soustraction des substances qui se volatilisent ou qui se précipitent.

Ainsi, en étudiant la nature de ces substances, et connoissant leurs principes constituans, il nous sera aisé de juger des changemens qui ont dû être apportés dans la nature des premiers matériaux de la fermentation.

Les matériaux de la fermentation sont le principe doux et sucré délayé dans l’eau. Ce principe est formé de sucre et d’extractif.

Les substances qui se volatilisent sont le gaz acide carbonique ; et celles qui se précipitent sont une matière analogue à la fibre ligneuse mêlée de potasse.

Le principal produit de la fermentation est l’alkool.

Il est évident que le passage du principe sucré à l’alkool ne pourra être conçu qu’en calculant la différence que doit apporter dans le principe sucré la soustraction des principes qui forment le gaz acide carbonique qui se volatilise et le dépôt qui se précipite.

Ces principes sont sur-tout le carbone et l’oxigène : voilà donc déjà du carbone et de l’oxigène enlevés au principe sucré par les progrès de la fermentation ; mais à mesure que le principe sucré perd de son oxigène et de son carbone, l’hydrogène qui en forme le troisième principe constituant, restant le même, les caractères de cet élément doivent prédominer et la masse fermentante doit parvenir au point où elle ne présentera plus qu’un fluide inflammable.

À mesure que l’alkool se développe, le liquide change de nature ; il n’a plus les mêmes affinités ni conséquemment la même vertu dissolvante. Le peu de principe extractif qui reste, après avoir échappé à la décomposition, se précipite avec le carbonate de potasse ; la liqueur s’éclaircit et le vin est fait.

La fermentation vinaire n’est donc d’abord qu’une soustraction continue de charbon et d’oxigène, ce qui produit d’un côté l’acide carbonique, et de l’autre, l’alkool. Le célèbre Lavoisier a soumis au calcul tous les phénomènes et résultats de la fermentation vineuse, en comparant les produits de la décomposition avec ses élémens. Il a pris pour base de ses calculs les données que lui a fourni l’analyse, tant sur la nature que sur les proportions des principes constituais avant et après l’opération : nous transcrirons ici les résultats qu’a obtenus ce grand homme.


MATÉRIAUX

De la fermentation pour un quintal de sucre.
livres. onces. gros. grain.
Eau 400 " " "
Sucre 100 " " "
Levure de bierre en pâte,
composée de :
Eau 7 3 6 44
Levure sèche 2 12 1 28
Total 510 " " "

Détail des principes constituans des matériaux de la fermentation.
Livres. onces. gros. grains. Livres. onces. gros. grains.
407 3 6 4 d’eau composé de :
hydrogène 61 1 2 71,40
oxigène 346 2 3 44,60
100 " " " Levure composé de :
hydrogène 8 " " "
oxigène 64 " " "
carbone 28 " " "
100 " " " Sucre composé de :
hydrogène 8 " " "
oxigène 64 " " "
carbone 28 " " "
2 12 1 28 Levure sèche composée de :
carbone " 12 4 59,00
azote " " 5 2,94
hydrogène " 4 5 9,30
carbone 1 10 2 28,76
Total 510 " " "


RÉCAPITULATION

Des principes constituants des matériaux de la fermentation.
liv. onc. gros. grains
Oxigène de l’eau 340 " " " liv.
411
onc.
12
gros
6
grains
1,36
de l’eau de la levure 6 2 3 44,60
du sucre 64 " " "
de la levure sèche 1 10 2 28,76
Hydrogène de l’eau 60 " " " 69 6 11 8,70
de l’eau de la levure 1 1 2 71,40
du sucre 8 " " "
de la levure sèche " 4 5 9,30
Carbone du sucre 28 " " " 28 12 4 59,00
de la levure " 12 4 59,10
Azote de la levure " " " " " " 5 2,94
Total 510 " " "


TABLEAU

Des résultats obtenus par la fermentation.
liv. onc. gros. grains.
35 5 4 19 liv. onc. gros. grains.
d’acide carbonique composé d’oxigène 25 7 1 34
de carbone 9 14 2 57
408 15 4 14
d’eau composé d’oxigène 347 10 1 59
d’hydrogène 61 5 4 27
57 11 1 58
d’alkool sec, composé d’oxigène combiné, avec l’hydrogène 31 6 1 64
d’hydrogène combiné, avec l’oxigène 5 8 5 3
d’hydrogène combiné, avec le cabone 4 " 5 "
de carbone 16 11 5 63
2 8 " "
d’acide acéteux, sec, composé d’hydrogène " 2 4 "
d’oxigène 1 11 4 "
de carbone " 10 " "
4 1 4 3
de résidu sucré, composé d’hydrogène " 5 1 67
d’oxigène 2 9 7 27
de carbone 1 2 2 53
6 6 " 50
de levure sèche composé d’hydrogène " 2 2 41
d’oxigène " 13 1 14
de carbone " 6 2 30
d’azote " " 2 37
510 " " " 510 " " "


RÉCAPITULATION

Des résultats obtenus par la fermentation.
liv. onc. gros. grains. liv. onc. gros. grains
409 10 " 54
d’oxigène de l’eau 347 10 " 59
de l’acide carbonique 25 7 1 34
de l’alkool 31 6 1 64
de l’acide acéteux 1 11 4 1
du résidu sucré 2 9 7 27
de la levure 13 1 14
28 12 5 59
de l’acide carbonique 9 14 2 57
de l’alkool 16 11 5 63
de l’acide acéteux " 10 " "
du résidu sucré 1 2 2 53
de la levure " 6 2 30
71 8 6 66
d’hydrogène de l’eau 61 5 4 27
de l’eau de l’alkool 5 8 5 3
combiné avec le carbone, dans l’alkool 4 " 5 "
de l’acide acéteux " 2 4 "
du résidu sucré " 5 1 67
de la levure " 2 2 41
d’azote " " 2 37
510 " " " 510 " " "


En réfléchissant sur les résultats que présentent les tableaux ci-dessus, il est aisé de voir clairement ce qui se passe dans la fermentation vineuse : on remarque d’abord que sur les cent livres de sucre qu’on a employées, il y en a 4 livres 1 once 4 gros 3 grains qui sont restées dans l’état de sucre non décomposé, en sorte qu’on n’a réellement opéré que sur les 95 livres 14 onces 3 gros 69 grains de sucre, c’est-à-dire, sur 61 livres 6 onces 45 grains d’oxigène, sur 7 livres 10 onces 6 gros 6 grains d’hydrogène, et sur 26 livres 13 onces 5 gros 19 grains de carbone. Or, en comparant les quantités on verra qu’elles sont suffisantes pour former tout l’esprit-de-vin, tout l’acide carbonique et tout l’acide acéteux qui ont été produits par la fermentation.

Les effets de la fermentation vineuse se réduisent donc à séparer en deux portions le sucre qui est un oxide, à oxigéner l’une aux dépends de l’autre pour en former de l’acide carbonique ; à désoxygéner l’autre en faveur de la première, pour en former une substance combustible qui est l’alkool. En sorte que s’il étoit possible de combiner ces deux substances l’alkool et l’acide carbonique, ou reformeroit du sucre. Il est à remarquer au surplus, que l’hydrogène et le carbone ne sont pas à l’état d’huile dans l’alkool ; il sont combinés avec une portion d’oxigène qui les rend miscibles à l’eau ; les trois principes, l’oxigène, l’hydrogène et le carbone sont donc encore ici dans une espèce d’état d’équilibre ; et, en effet, en les faisant passer à travers un tube de verre ou de porcelaine rougi ou feu, on les recombine deux à deux, et on retrouve de l’eau, de l’hydrogène, de l’acide carbonique et du carbone.

Nous croyons devoir présenter ici pour terminer l’article fermentation, le résultat de quelques expériences, faites avec soin, en Languedoc, par Poitevin, et, en Bourgogne, par D. Gentil. Elles m’ont paru précieuses en ce qu’elles offrent à l’œil, non-seulement tous les résultats de la fermentation, mais même le résultat de l’influence de la température, de la masse, de la nature du raisin sur la fermentation elle-même.


Expériences


Sur la Fermentation vineuse, par Poitevin.


C’est en 1772, et aux environs de Montpellier que ces expériences ont été faites ; deux cuves ont servi à ces opérations. La première contenant environ 6 kilo litres, et la seconde environ 20 kilo litres.

La première, cotée A, fut remplie avec des raisins provenant de vignes de différens âges, la plupart situées sur des coteaux exposés au Midi. Les vignes qui ont fourni à la seconde B, étoient situées dans la plaine.

Les cuves étoient bâties en pierre de taille, et leur enduit étoit formé de chaux et de pouzzolane ; elles étoient exposées au Midi : le cellier étoit ouvert en plusieurs endroits et bien aéré. Les raisins ont été égrappés avec beaucoup de soin.

L’été avoit été très-chaud et très-sec, ce qui a avancé la maturité du raisin ; des pluies considérables survenues en septembre, et qui ont duré, par intervalles, jusqu’au 5 octobre ; des brouillards fréquens, des tems couverts, des vents presque toujours au Sud ou Sud-Est, toutes ces causes réunies ont détruit une partie des raisins. Les espèces qui ont la peau la plus fine ont subi une fermentation putride ; ou a rejette les raisins qui étoient pourris.


OBSERVATIONS MÉTÉOROLOGIQUES.

Octobre 1772.

JOURS
du mois
VENTS THERMOMÈTRE EXPOSÉ AU NORD.
Matin. Soir. à 8 heures
du matin
à midi. à 8 heures
du soir.
ÉTAT DU CIEL
10 E. foible. S. Nuages.
11 E. foible S. Beau tems.
12 N. O. N. O. Beau avec nuages.
13 N. O. N. O. Nuages.
14 N. O. N. O. Nuages et vent frais.
15 N. O. S. Beau tems, vent frais.
16 N. S. Beau tems.
17 S. O. N. Beau tems.
18 S. O. N.
13
Couvert le matin, beau le soir.
19 N. S. O. Idem.
20 N. S. O. Beau tems.
21 N. S. O. Nuages le matin, beau le soir.
22 S. E. S. E. Pluie le matin, orage avec tonnerre le soir ; nuages le soir.
23 S. E. S. E. Pluie et quelques tonnerre.
24 S. E. S. E. Pluie et tonnerre le matin, couvert et vent fort le soir.
25 S. E. S. E. Couvert, vent et un peu de pluie.
26 N. S. E. Beau tems.
27 N. S. E. Beau avec nuages, couvert, grand vent, pluie pendant la nuit.
28 N. O. N. O. Beau tems.


OBSERVATIONS SUR LA CUVE A,

Octobre 1772.

On a cessé de porter dans cette cuve le 6, l’effervescence étoit déjà forte ce jour-là ; l’observation n’a pu être commencée que le 11.


Jours du mois. Heures de l’observation. Temps
que le thermomètre a resté dans la cuve.
Chaleur de la cuve. Température du cellier Remarques.
11 9 du matin 25 minutes 14° très-forte effervescence.
11 midi 25 minutes 14
11 soir 5 heures. 14
12 matin fixe depuis la veille Moindre
12 soir fixe 24
13 soir fixe L’effervescence paroit détruite, le marc est affaissé, le vin est assez coloré.
14 soir fixe 14
15 soir. 2 heures. 22

Cette cuve a été vuidée le 16 au matin. Le thermomètre a marquée dans un tonneau qu’on venoit de remplir, et 14 dans le cellier. L’effervescence étoit très-sensible dans le tonneau.


OBSERVATIONS SUR LA CUVE B,

Octobre 1772.

Jours du Mois Heures de l’observation. Tems que le thermomètre reste dans la cuve. Chaleur de la cuve température du cellier
15 matin. 2 heures.
15 midi. 30 minutes.
15 soir. 50 minutes.
16 matin. 2 heures.
16 midi. 30 minutes.
16 soir. 50 minutes.
17 midi. fixe
17 7 h. 1/2 du soir. fixe
18 matin. Id.
19 matin. Id.
19 soir. Id.
20 matin. Id.
21 Id. Id.
22 Id. Id.
23 Id. Id.
24 Id. Id.
25 Id. Id.
29 Id. Id.

Le 27 au soir la cuve a été vuidée ; la température du vin dans un tonneau qu’on venoit de remplir, étoit de  ; celle du cellier était de 13. Le thermomètre ne marquoit plus que 20 degrés, le lendemain matin. L’effervescence étoit sensible dans les tonneaux.


EXPÉRIENCES.

Sur le fermentation vineuse,

Par D. Gentil.

Expérience 1. Trois muids remplis du moût tiré d’une cuve dont les raisins noirs et blancs avoient été écrasés. Ce moût étoit destiun à faire du vin paillet.

(Nota. Le thermomètre a toujours été celui de Réaumur.)

Octobre 1779.

jours du mois. heures. température réflexions et conséquences.
du lieu de la liqueur
2

— Le maximum de la chaleur a été de 13 degrés, elle a diminué dès le troisième jour de la fermentation, puisqu’à 9 heures du soir, elle n’étoit qu’à 12 degrés.

— Le 6, l’effervescence n’a plus été sensible, la liqueur étoit encore sucré.

— Ce vin a été tiré au clair en janvier, et au mois de mai, le thermomètre étant à 10 degrés, l’aéromètre y marquoit 11.

3
4
5
6


Expérience II. Trois muids remplis du moût tiré d’une cuve dont les raisins noirs et blancs avoient été écrasés. Ce moût étoit destiun à faire du vin paillet.

Nota. La jauge étoit graduée d’un pouce et demi pouce. Le degré étoit d’un pouce.

Octobre 1779.

jours du mois. heures. température Jauge réflexions et conséquences.
du lieu de la
liqueur
2

— Le marc s’est élevé depuis le n°. 5 de la jauge jusqu’à 10, où il s’est maintenu pendant 87 heures, malgré que la chaleur ait diminué.

— La saveur sucrée n’a disparu que 2 heures avant le tirage, c’est-à-dire que cette saveur a resté depuis le maximum de la fermentation, pendant 85 heures.

— le marc a donné sous le pressoir une liqueur sensiblement douce et sucrée. Le vin étoit très-foncé en couleur.

— Les bords de la cuve étoient plus froids que le centre. Si on eût foulé, l’opération eût été plus prompte et plus exacte.

3
4
4 soir
5
6
6
7 soir
8


Expérience III. Une cuve renfermant trois muids raisins égrappés, dont 1/4 noirs et mûrs, le reste blanc, mais mûrs, les 2/3 foulés et écrasés, la vendange sortant de la vigne, et faites en tems couvert.

Octobre 1779.

jours du mois. heures. température réflexions et conséquences.
du lieu de la
liqueur
9 5 soir
10
11
12 — La vendange a été foulé.
— La vendange froide près des bords a été foulé.
13 5 soir — La lumière s’éteint.
14 — Saveur douce, sucrée, odeur vineuse.
— Douce, sucrée, odeur vineuse, lumière à peine trouble.
15 — Lumière éteinte, peu sucré, vineux ; on a foulé.
15 Idem.
16 — Vineux. Lumière ne s’éteint pas.
— Sans sucre, un peu dur, odeur d’alkool.
— Sans sucre, un peu dur, odeur d’alkool, lumière ne s’éteint pas.
17 Idem.
Idem.
18 — Plus dur, grossier, la lumière point éteinte.
Idem.
19 Idem, mais acerbe.
Idem.
20 Idem.
Idem.
22 Toujours plus acerbe.
Idem.
22 dur, acerbe, sans force ou plat.
Idem.
23
— Plus désagréable et grossier : le vin a été tiré de la cuve, transvasé et mis à la cave.


Expérience IV. Un muid rempli aux trois quarts de grains de raisins entier, avec leurs grappes ; un quart a été égrappé ; moitié de cette vendange sortoit de la vigne et l’autre de la cuve, où elle étoit restée 36 heures, sans avoir éprouvé de fermentation sensible.

Octobre 1779.

jours du mois. heures. température réflexions et conséquences.
du lieu de la
liqueur
9 4 soir
10
11 — Sifflement, bouillonnement, lumière trouble.
— Lumière trouble.
12 Idem foulé ensuite, froid entre la vendange et les borsd du muid.
Id. et foulé ensuite.
13 Id. Enlevé le quart du marc qui formoit la croute, pour y placer des instrumens de physique.
— Bords froids, odeur vineuse, lumière trouble.
— Sucré, mais effervescent, odeur vineuse, lumière trouble.
— Plus de sucre, effervescent, odeur vineuse.
— Sans sucre, saveur dure, odeur vineuse.
15 Idem.
— Âpre et dur.
17 Idem.
Idem.
18 — Dur, austère.
— Plus dur, plus grossier.
19 Idem.
Idem.
20 Idem.
Idem.
21 Idem.
Idem.
22 Idem.
Idem.
23 — Très dur, très acerbe, plat.
— Le vin a été tiré du muid, transvasé et mis en cave.


Expérience V. Cette expérience a été faite sur un muid rempli de moût, tiré d’une cuve dont la vendange n’avoit pas été foulé exprès, et qui n’avoit pas éprouvé la plus légère fermentation. Ce moût, sorti naturellement du raisin, provenoit de 2/3 de noirs, bien mûrs, et 1/3 blancs moins mûrs. C’étoit donc la première donc la première goutte du raisin ou mère-goutte.

Octobre 1779.

jours du mois. heures. température réflexions et conséquences.
du lieu de la
liqueur
9 6
10 10
4 — Surface couverte de petites bulles et d’écume.
11 10 — Bulles et écume.
5 — Bulles plus grosse, écume augmentée.
12 10 Idem, mais encore plus sucré.
5 — Plus sucré vers le bas, effervescence peu sensible, lumière trouble.
13 9
14 6 — Sucré dans le haut, effervescence, odeur vineuse.
6 Idem.
15 9 Idem.
7 Idem.
16 9 Idem.
7 Id. Sucré dans le haut
17 10 Idem.
7 Idem.
18 9 Idem.
6 — Sucré dans le haut, un peu dans le milieu, peu dans le fond.
19 8 Idem.
7 — Sucré dans le haut, peu dans le milieu, point dans le fond.
20 8 Idem.
7 — Point de sucre dans le milieu ni dans le fond.
21 11 Idem.
7 — Un peu de sucre dans le haut, plus d’effervescence, très-vineux.
22 9 Idem.
6
23 11 Idem.
7 — Le vin a été tiré, transvasé, mis en cave.


Expérience VI. Expérience VI. Expérience faite à Morveaux, sur un muid de raisins blancs, nommés Albane et Framenteau, espèces dont le vin est considéré dans le pays. Les raisins étoient très-mûrs et cueillis par un tems sec et chaud. Les trois quarts et demi furent égrappés, et moitié de la totalité fut écrasée.

Octobre 1779.

jours du mois. heures. température réflexions et conséquences.
du lieu de la
liqueur
24 4 soir
4
4 soir — La liqueur ne fermentoit pas ; on l’a porté à la cuisine près du feu, elle a été remuée et agitée pour la troisième fois.
10
26 4 — La vendange a été foulé pour la quatrième fois.
7 — Effervescence sensible : élévation des grains.
10 — Effervescence plus forte ; croute élevé de 4 pouces.
11 — Croute élevé de 5 puces, sifflement, bouillonnement, épanchement de la liqueur par le haut.
— Lumière trouble.
Idem, mais la vendange foulé, la lumière n’a pas souffert.
6 — Lumière souffrante.
5 — Lumière souffrante, foulée, lumière encore souffrante.
11 Idem.
27 4 Idem.
7 Idem.
9 — Bougie éteinte entre les bords et la vendange, non au centre ; après avoir foulé, la bougie ne s’est éteinte nulle part.
Idem.
1 Bougie éteinte partout, foulé, bougie éteinte, ajouté un seau de vendange qu’on avoit tiré par le haut lorsqu’elle reversoit.
37 minut. — La bougie s’est éteinte sur toute la surface. Les vapeurs rassemblés en petites gouttes dans une cloche de verre, renversée sur la vendange depuis 1 heure jusqu’à 3 heures 7 minutes, s’élevoient à 5 pouces contre les parois. Le haut de la cloche étoit sec. Les gouttelettes rassemblées étoient diaphanes, claire comme l’eau, douces et sucrées, après quoi on a foulé.
— La bougie s’est éteinte sur toute la surface, à la distance de 2 pouces de hauteur : la surface étoit unie, les gouttelettes ont paru à près de 6 pouces de hauteur dans l’intérieur de la cloche ; elles étoient douces et miellées, on a foulé la vendange qui ensuite a éteint pourtant la chandelle a plus de 2 pouces de hauteur ; la liqueur du bas du muid étoit sucrée, trouble et vineuse.
Idem.
— On a foulé, après quoi la bougie s’est éteinte.


CHAPITRE V.

Du tems et des moyens de décuver.

De tout tems les agriculteurs ont mis un très-grand intérêt à pouvoir reconnoître, à des signes certains, le moment le plus favorable pour décuver. Mais ici, comme ailleurs, on est tombé dans le très-grand inconvénient des méthodes générales. Ce moment doit varier selon le climat, la saison, la qualité des raisins, la nature du vin qu’on se propose d’obtenir et autres circonstances qu’il ne faut jamais perdre de vue.

Il nous convient donc de poser des principes plutôt que d’assigner des méthodes : c’est, je crois, le seul moyen de maîtriser les opérations et de mener de front cet ensemble de phénomènes dont la connoissance et la comparaison deviennent nécessaires pour motiver une décision.

Il est des agriculteurs qui ont osé déterminer une durée fixe à la fermentation, comme si le terme ne devoit pas varier selon la température de l’air, la nature du raisin, la qualité du vin, etc.

Il en est d’autres qui ont pris pour signe de décuvage l’affaissement de la vendange, ignorant sans doute que la presque totalité des vins du Nord auroit perdu ses propriétés les plus précieuses, si l’on tardoit à décuver jusqu’à l’apparition de ce signe.

Nous voyons des pays où l’on juge que la fermentation est faite lorsqu’après avoir reçu le vin dans un verre, on n’aperçoit plus ni mousse à la surface ni bulles sur les parois du vase. Ailleurs, ou se contente d’agiter le vin dans une bouteille ou de le transvaser à plusieurs reprises dans des verres pour s’assurer s’il existe encore de la mousse. Mais, outre qu’il n’y a pas de vins nouveaux qui ne donnent plus ou moins d’écume, il en est beaucoup dans lesquels on doit conserver ce reste d’effervescence, pour ne pas perdre une de leurs principales propriétés.

Il est des pays où l’on enfonce un bâton dans la cuve ; on le retire promptement, et on laisse couler le vin dans un verre où l’on examine s’il fait un cercle d’écume, s’il fait la roue.

D’autres enfoncent la main dans le marc, la portent au nez, et jugent, à l’odeur, de l’état de la cuve : si l’odeur est douce, on laissé fermenter ; si elle est forte, on décuve.

Nous trouvons encore des agriculteurs qui ne consultent que la couleur pour se régler sur le moment du décuvage ; ils laissent fermenter jusqu’à ce que la couleur soit suffisamment foncée. Mais la coloration dépend de la nature du raisin ; et le moût, sous le même climat et dans le même sol, ne présente pas toujours la même disposition à se colorer ; ce qui rend ce signe peu constant et très-insuffisant.

Il s’ensuit que tous ces signes pris isolément, ne sauroient offrir des résultats invariables, et qu’il faut en revenir aux principes si l’on veut s’appuyer sur des bases fixes.

Le but de la fermentation est de décomposer le principe sucré ; il faut donc qu’elle soit d’autant plus vive, ou d’autant plus longue que ce principe est plus abondant.

Un des effets inséparables de la fermentation, c’est de produire de la chaleur et du gaz acide carbonique. Le premier de ces résultats tend à volatiliser et à faire dissiper le parfum ou bouquet qui fait un des principaux caractères de certains vins. Le second entraîne au-dehors et fait perdre dans les airs un fluide qui, retenu dans la boisson, peut la rendre plus agréable et plus piquante. Il suit de ces principes que les vins foibles, mais agréablement parfumés, exigent peu de fermentation, et que les vins blancs dont la principale propriété est d’être mousseux ne doivent presque pas séjourner dans la cuve.

Le produit le plus immédiat de la fermentation, c’est la formation de l’alkool ; il résulte immédiatement de la décomposition du sucre : ainsi, lorsqu’on opère sur des raisins très-sucrés, tels que ceux du Midi, la fermentation doit être vive et prolongée parce que ces vins, destinés pour 1# distillation, doivent produire de suite tout l’alkool qui peut résulter de la decomposition de tout le principe sucré, à la fermentation est lente et foible, les vins restent liquoreux et ne deviennent secs et agréables qu’après le long travail des tonneaux.

En général, les raisins riches en principe sucré doivent fermenter long-tems. Dans le Bordelais, on laisse se terminer la fermentation : on ne décuve que lorsque la chaleur est tombée.

D’après ces principes et autres qui découlent de la théorie précédemment établie, nous pouvons tirer les conséquences suivantes :

1°. Le moût doit cuver d’autant moins de temps, qu’il est moins sucré. Les vins légers appelés vins de primeur, en Bourgogne, ne peuvent supporter la cuve que 6 à 13 heures,

2°. Le moût doit cuver d’autant moins de temps qu’on se propose de retenir le gaz acide, et de former des vins mousseux : dans ce cas, on se contente de fouler le raisin et d’en déposer le suc dans des tonneaux, après l’avoir laissé dans la cuve, quelquefois 24 heures, et souvent sans l’y laisser séjourner. Alors, d’un côté, la fermentation est moins tumultueuse ; et, de l’autre, il y a moins de facilité pour la volatilisation du gaz ; ce qui contribue à retenir cette substance très volatile, et à en faire un des principes de la boisson.

3°. Le moût doit d’autant moins cuver qu’on se propose d’obtenir un vin moins coloré. Cette condition est sur-tout d’une grande considération pour les vins blancs dont une des qualités les plus précieuses est la blancheur.

4°. Le moût doit cuver d’autant moins de temps que la température est plus chaude, et la masse plus volumineuse, etc. : dans ce cas la vivacité de la fermentation supplée à sa longueur.

5°. Le moût doit cuver d’autant moins de temps, qu’on se propose d’obtenir un vin plus agréablement parfumé.

6°. La fermentation sera, au contraire, d’autant plus longue que le principe sucré sera plus abondant et le moût plus épais.

7°. Elle sera d’autant plus longue, qu’ayant pour but de fabriquer des vins pour la distillation, on doit tout sacrifier à la formation de l’alkool.

8°. La fermentation sera d’autant plus longue que la température u été plus froide lorsqu’on a cueilli le raisin.

9°. La fermentation sera d’autant plus longue, qu’on désire un vin plus coloré.

C’est en partant de tous ces principes, qu’on pourra concevoir pourquoi, dans un pays, la fermentation dans la cuve se termine en vingt-quatre heures, tandis que dans d’autres elle se continue douze ou quinze jours ; pourquoi une méthode ne peut pas recevoir une application générale ; pourquoi les procédés particuliers exposent à des erreurs, etc.

D. Gentil admet comme signe invariable de la nécessité de décuver la disparition au goût du principe doux et sucré. Cette disparition, ainsi qu’il l’observe, n’est qu’apparente, et le peu qui reste, dont la saveur est masquée par celle de l’alkool qui prédomine, termine sa décomposition dans les tonneaux. Il est encore évident que ce signe qui n’est pas du tout applicable au vin blanc ne peut pas servir non plus pour les vins qui doivent rester liquoreux.

Les signes déduits de l’affaissement du chapeau, de la coloration des vins nous offrent semblables inconvéniens ; et il faut en revenir aux principes de doctrine que nous avons établis ci-dessus. Il n’est que ce moyen de ne pas errer.

Presque toujours un agriculteur prévoyant prépare ses tonneaux aux approches de la vendange, de manière qu’ils soient toujours disposés à recevoir le vin sortant de la cuve. Les préparations qu’on leur donne se réduisent aux suivantes :

Si les tonneaux sont neufs, le bois qui les compose conserve une astriction et une amertume qui peuvent se transmettre au vin, et l’on corrige ces défauts en y passant de l’eau chaude et de l’eau-sel à plusieurs reprises : on y agite ces liqueurs avec soin, et on les y laisse séjourner assez longtems pour qu’elles en pénètrent le tissu et en extraient le principe nuisible. Si le tonneau est vieux et qu’il ait servi, on le défonce ; on enlève avec un instrument tranchant la couche de tartre qui en tapisse les parois, et on y passe de l’eau chaude ou du vin.

En général, les méthodes les plus usitées pour préparer les tonneaux se bornent à ce qui suit :

1°. Lavez le tonneau avec de l’eau froide ; puis mettez-y une pinte d’eau salée et bouillante ; bouchez-le et agitez-le en tout sens. Vuidez-le et laissez bien couler l’eau ; dès que l’eau aura coulé, ayez une ou deux pintes du moût qui fermente, faites-le bouillir, écumez-le, et jettez ce liquide bouillant dans le tonneau ; bouchez, agitez et faites couler.

2°. On peut substituer du vin chaud aux préparations ci-dessus.

3°. On peut encore employer une infusion de fleurs et feuilles de pêcher, etc. etc.

Lorsque les tonneaux ont contracté quelque mauvaise qualité, telle que moisissure, goût de punaise… il faut les brûler : il est possible de masquer ces vices, mais il seroit à craindre qu’ils ne reparussent.

Les anciens Romains mettoient du plâtre, de la myrrhe et différens aromates dans les tonneaux où ils déposoient leurs vins en les tirant de la cuve. C’étoit ce qu’ils appelloient conditura vinorum. Les grecs y ajoutoient un peu de myrrhe pilée ou de l’argile. Ces diverses substances avoient le double avantage de parfumer le vin et de le clarifier promptement.

Les tonneaux convenablement préparés sont assujettis sur la banquette qui doit les supporter : on a l’attention de les élever de quelques centimètres au-dessus du sol, tant pour prévenir l’action d’une humidité putride, que pour faciliter l’extraction du vin qu’ils doivent contenir. On les dispose par rangs parallèles dans le cellier, ayant soin de laisser un intervalle suffisant pour pouvoir commodément circuler, et s’assurer qu’aucun d’eux ne perde et ne transpire.

C’est dans les tonneaux ainsi préparés qu’on dépose la vendange, dès qu’on juge qu’elle a suffisamment cuvé : à cet effet, on ouvre la cannelle de la cuve qui est placée à quelques pouces au dessus du sol, et on fait couler le vin dans un réservoir pratiqué ordinairement par-dessous, ou dans un vaisseau qu’on y adapte à dessein de le recevoir ; le vin est de suite puisé dans le premier réservoir, et porté dans le tonneau où on l’introduit à l’aide d’un entonnoir.

La liqueur qui surnage le dépôt de la cuve, se nomme surmoût en Bourgogne. On soutire le surmoût avec soin, on le met dans des tonneaux de cent vingt pots, ou dans des demi-tonneaux de soixante. Ce surmoût donne le vin le plus léger, le plus délicat et le moins coloré.

Lorsqu’on a fait écouler tout le vin que peut fournir la cuve, il n’y reste que le chapeau qui s’est affaissé presque sur le dépôt. Ce marc est encore imprégné de vin, et en retient une quantité assez considérable qu’on en extrait en le soumettant au pressoir. Mais, comme le chapeau qui a été en contact avec l’air atmosphérique a assez constamment contracté un peu d’acidité, sur-tout lorsque la vendange a cuvé long-temps ; on a grand soin d’enlever et de séparer le chapeau pour l’exprimer séparément, ce qui donne un vinaigre de très bonne qualité.

On se borne donc à porter le dépôt de la cuve sous le pressoir, et on met le vin qui en découle avec celui qui est déjà dans les tonneaux ; après quoi on ouvre le pressoir, et, avec une pelle tranchante, on coupe le marc à trois ou quatre doigts d’épaisseur tout autour ; on jette au milieu ce qui est coupé, et on presse derechef ; on coupe encore, et on pressure pour la troisième fois.

Le vin qui provient de la première taille ou coupe est le plus fort, celui qui provient de la troisième est le plus dur, le plus âpre, le plus vert, le plus coloré.

Quelquefois on se borne à une première taille, sur-tout lorsqu’on veut employer le marc à la fermentation acéteuse ; souvent on mêle le produit de ces diverses coupes dans des tonneaux séparés pour avoir un vin coloré et assez durable ; ailleurs, on le mêle avec le vin non pressuré, lorsqu’on désire de donner à celui-ci de la couleur, de la force et une légère striction.

En Champagne, on mêle le vin de l’abaissement qui est celui du premier pressurage, avec ceux qui proviennent des tailles suivantes.

Le vin de presse est d’autant moins coloré, qu’on a pressé plus foiblement, plus promptement. On nomme ces vins-là en Champagne vins gris. On appelle œil de perdrix le vin qui provient de la première et de la seconde taille, et on donne le nom de vin de taille au produit de la troisième et quatrième : celui-ci est plus coloré, mais il ne laisse pas que d’être agréable.

Le marc, fortement exprimé, prend quelquefois la dureté de la pierre. Ce marc a divers usages dans le commerce.

1°. Dans certains pays, on le distille pour en extraire une eau-de-vie qui porte le nom d’eau-de-vie de marc. Elle est connue en Champagne, sous le nom d’eau-de-vie d’Aixne ; elle a mauvais goût.

Cette distillation est avantageuse sur-tout dans les pays où le vin est très-généreux, et où les pressoirs serrent peu.

2°. Aux environs de Montpellier, on met le marc dans des tonneaux, où on le foule avec soin, et on le conserve pour la fabrication du verd-de-gris (Voyez mon mémoire à ce sujet, Annales de chimie, et Mém. de l’Institut)

3°. Ailleurs, on le fait aigrir, en l’aérant avec soin, et on extrait ensuite le vinaigre par une pression vigoureuse. On peut même en faciliter l’expression en l’humectant avec de l’eau.

4°. Dans plusieurs cantons, on nourrit les bestiaux avec le marc : à mesure qu’on le tire du pressoir, on le passe entre les mains pour diviser les pelotons, on le jette dans des tonneaux défoncés, et on l’humecte avec de l’eau pour le détremper, on recouvre le tout avec de la terre forte mêlée de paille ; on donne, à cette couche d’enduit environ deux décimètres d’épaisseur.

Lorsque la mauvaise saison ne permet pas aux bestiaux d’aller aux champs, on détrempe environ trois kilogrammes de ce marc, dans de l’eau tiède, avec du son, de la paille, des navets, des pommes de terre, des feuilles de chêne ou de vigne qu’on a conservées exprès dans l’eau : on peut ajouter un peu de sel à ce mélange dont les animaux mangent deux fois par jour. On leur en fait le matin et le soir dans un baquet ; les chevaux et les vaches aiment cette nourriture, mais il faut en donner modérément à ces dernières, parce que le lait tourneroit. Le marc des raisins blancs est préféré parce qu’il n’a pas fermenté.

5°. Les pépins contenus dans le raisin servent encore à nourrir la volaille ; on peut aussi en extraire de l’huile.

6°. Le marc peut être brûlé, pour en obtenir l’alkali : quatre milliers de marc fournissent cinq cents livres de cendres qui donnent cent dix livres alkali sec.


CHAPITRE VI.

De la manière de gouverner les vins dans les tonneaux.

Le vin déposé dans le tonneau n’a pas atteint son dernier degré d’élaboration. Il est trouble et fermente encore : mais, comme le mouvement en est moins tumultueux, on a appelle cette période de fermentation, fermentation insensible.

Dans les premiers momens que le vin a été mis dans les tonneaux, on entend un léger sifflement qui provient du dégagement continu des bulles de gaz acide carbonique qui s’échappent de tous les points de la liqueur ; il se forme une écume à la surface qui déverse par le bondon, et on a l’attention de tenir le tonneau toujours plein pour que l’écume sorte et que le vin se dégorge. Il suffit dans les premiers instans d’assujettir une feuille sur le bondon, ou d’y mettre une tuile.

À mesure que la fermentation diminue, la masse du liquide s’affaisse ; et on surveille cet affaissement avec soin pour verser du nouveau vin et tenir le tonneau toujours plein ; c’est cette opération qu’on appelle ouiller. Il est des pays où l’on ouille tous les jours, pendant le premier mois ; tous les quatre jours, pendant le deuxième ; et tous les huit jusqu’au soutirage. C’est ainsi qu’on le pratique pour les vins délicieux de l’Hermitage.

En Champagne, on laisse fermenter les vins gris dans les tonneaux, dix à douze jours ; et, dès qu’ils ont cessé de bouillir, on ferme les tonneaux par le bondon, en y laissant un soupirail à côté qu’on appelle broqueleur. On le ferme huit ou dix jours après, avec une cheville de bois qu’on peut ôter à volonté ; dès qu’on les a bondonnés, on doit ouiller, tous les huit jours, par le soupirail, pendant vingt-cinq jours ; après cela, de quinze en quinze jours pendant un ou deux mois ; ensuite tous les deux mois, aussi long-tems que le vin reste dans la cave. Lorsque les vins n’ont pas assez de corps, et sont trop verds, ce qui arrive dans les années humides et froides ; ou lorsqu’ils ont trop de liqueur, ce qui arrive dans les années trop chaudes et sèches, 25 jours après qu’ils ont été faits, on roule les tonneaux cinq ou six tours pour bien mêler la lie ; on répète cette manœuvre tous les huit jours pendant un mois ; le vin s’améliore par ce moyen.

La fermentation des vins de Champagne qu’on destine à être mousseux est très-longue ; on croit qu’il peut mousser constamment, pourvu qu’on le mette eu bouteilles, depuis la vendange jusqu’en mai (prairial), et que, plus on est près de la vendange, mieux il mousse. On assure encore qu’il mousse toujours si on le met en bouteilles depuis le dix jusqu’au quatorze mars. Le vin ne commence à mousser qu’un mois et demi après qu’il a été mis en bouteilles. Le vin de la montagne mousse mieux que celui de la rivière ; lorsqu’on met le vin en flacons, en juin et juillet, (messidor et thermidor), il mousse peu ; et pas du tout si c’est en octobre et novembre, (brumaire et frimaire), après la récolte.

En Bourgogne, dès que la fermentation s’est ralentie dans le tonneau, on le bouche et on perce un petit trou, près du bondon, qu’on ferme avec une cheville de bois qu’on appelle faucet. On le débouche de tems en tems pour laisser évaporer le reste du gaz.

Dans les environs de Bordeaux, on commence à ouiller, huit à dix jours après avoir déposé les vins dans les tonneaux. Un mois après on les bonde et on ouille tous les huit jours ; dans le principe, on bonde sans effort, et peu à peu on assujettit la bonde, sans courir aucun risque.

On y tire les vins blancs à la fin de frimaire et on les souffre ; ils demandent plus de soin que les rouges, parce que contenant plus de lie, ils sont plus disposés à graisser.

On ne tire au clair les vins rouges qu’à la fin de ventôse ou de germinal. Ceux-ci tournent plus aisément à l’aigre que les blancs ; ce qui force de les conserver dans des celliers plus frais pendant les chaleurs.

Il est des particuliers qui, après le second tirage, font tourner les barriques, la bonde de côté, et conservent ainsi le vin hermétiquement fermé, sans avoir besoin de fouiller, attendu qu’il n’y a pas déperdition. Ils ne tirent alors le vin au clair que tous les ans, à la même époque, jusqu’à ce qu’ils trouvent avantageux de le boire. Par-tout les procédés usités sont à peu près les mêmes ; et nous nous garderons bien de multiplier des détails qui ne seroient que des répétitions.

Lorsque la fermentation s’est appaisée, et que la masse du liquide jouit d’un repos absolu, le vin est fait. Mais il acquiert de nouvelles qualités par la clarification : on le préserve par cette opération du danger de tourner.

Cette clarification s’opère d’elle-même par le tems et le repos : il se forme peu-à-peu un dépôt dans le fond du tonneau et sur les parois, qui dépouille le vin de tout ce qui n’y est pas dans une dissolution absolue, ou de ce qui y est en excès. C’est ce dépôt qu’on appelle lie, fœces, mélange confus de tartre, de principes très-analogues à la fibre, et de matière colorante.

Mais ces matières, quoique déposées dans le tonneau et précipitées du vin, sont susceptibles de s’y mêler encore par l’agitation, le changement de température, etc. : et alors, outre qu’elles nuisent à la qualité du vin qu’elles rendent trouble, elles peuvent lui imprimer un mouvement de fermentation qui le fait dégénérer en vinaigre.

C’est pour obvier à cet inconvénient qu’on transvase le vin à diverses époques ; qu’on en sépare avec soin toute la lie qui s’est précipitée ; et qu’on dégage même de son sein, par des procédés simples que nous allons décrire, tout ce qui peut y être dans un état de dissolution incomplette. À l’aide de ces opérations on le purge, on le purifie, on le prive de toutes les matières qui pourroient déterminer l’acidification.

Nous pouvons réduire au souffrage et à la clarification tout ce qui tient à l’art de conserver les vins.


Souffrage des vins.

1°. Souffrer ou muter les vins, c’est les imprégner d’une vapeur sulfureuse qu’on obtient par la combustion des mêches souffrées.

La manière de composer les mèches souffrées varie sensiblement dans les divers ateliers : les uns mêlent avec le souffre des aromates, tels que les poudres de géroffle, de cannelle, de gingembre, d’iris de Florence, de fleurs de thym, de lavande, de marjolaine, etc. et fondent ce mélange dans une terrine sur un feu modéré. C’est dans ce mélange fondu qu’on plonge des bandes de toile et de coton, pour les brûler dans le tonneau. D’autres n’emploient que le souffre qu’ils fondent au feu et dont ils imprègnent des lanières semblables.

La manière de souffrer les tonneaux nous offre les mêmes variétés : on se borne quelquefois à suspendre une mèche souffrée au bout d’un fil de fer ; on l’enflamme et on la plonge dans le tonneau qu’on veut remplir, on bouche et on laisse brûler : l’air intérieur se dilate et est chassé avec sifflement par le gaz sulfureux ; on en brûle deux, trois, plus ou moins, selon l’idée ou le besoin. Lorsque la combustion est terminée, les parois du tonneau sont à peine acides ; alors on y verse le vin. Dans d’autres pays on prend un bon tonneau, on y verse deux à trois seaux de vin, on y brûle une mèche souffrée, on bouche le tonneau après la combustion, et l’on agite en tout sens. On laisse reposer une ou deux heures, on débouche, on ajoute du vin ou mute et on réitère l’opération jusqu’à ce que le tonneau soit plein ; ce procédé est usité à Bordeaux.

On fait à Marseillan, près la commune de Cette en Languedoc, avec du raisin blanc, un vin qu’on appelle muet et qui sert à souffrer les autres.

On presse et foule la vendange, et on la coule de suite sans lui donner le temps de fermenter ; on la met dans des tonneaux qu’on remplit au quart ; on brûle plusieurs mèches dessus, on ferme le bouchon, et on agite fortement le tonneau jusqu’à ce qu’il ne s’échappe plus de gaz par le bondon lorsqu’on l’ouvre. On met alors une nouvelle quantité de vin, on y brûle dessus et on agite avec les mêmes précautions ; on réitère cette manœuvre jusqu’à ce que le tonneau soit plein. Ce vin ne fermente jamais, et c’est par cette raison qu’on l’appelle vin muet. Il a une saveur douceâtre, une forte odeur de souffre, et il est employé à être mêlé avec l’autre vin blanc : on en met deux ou trois bouteilles par tonneau : ce mélange équivaut au souffrage.

Le souffrage rend d’abord le vin trouble et sa couleur vilaine ; mais la couleur se rétablit en peu de temps et le vin s’éclaircit. Cette opération décolore un peu le vin rouge. Le soufflage a le très précieux avantage de prévenir la dégénération acéteuse. Quoique l’explication de cet effet soit difficile, il me paroît qu’on ne peut le concevoir qu’en le considérant sous deux points de vue.

1°. À l’aide du gaz sulfureux on déplace l’air atmosphérique, qui sans cela se mêleroit avec le vin, et en détermineroit la fermentation acide.

2°. On produit quelques atomes d’un acide violent qui suffoque, maîtrise et s’oppose au développement d’un acide plus foible.

Les anciens composoient un mastic avec la poix, un cinquantième de cire, un peu de sel et de l’encens qu’ils brûloient dans les tonneaux. Cette opération étoit désignée par les mots picare dolia. Et les vins ainsi préparés étoient connus sous les noms de vina picata. Plutarque et Hypocrate parlent de ces vins.

C’est peut-être d’après cet usage que les anciens avoient consacré le sapin à Bacchus : on donne encore aujourd’hui au vin rouge affaibli un parfum agréable, en le faisant séjourner sur une couche de copeaux de bois de sapin. Baccius prétend qu’il faut résiner les tonneaux, picare rasa au moment de la canicule.


Clarification des Vins.

2°. Outre l’opération du souffrage des vins, il en est une tout aussi essentielle qu’on appelle clarification. Elle consiste d’abord à tirer le vin de dessus la lie, ce qui demande des précautions, dont nous nous occuperons dans le moment, et à le dégager ensuite de tous les principes suspendus ou foiblement dissous, pour ne lui conserver que les seuls principes spiritueux et incorruptibles. Ces opérations s’exécutent même avant le souffrage qui n’en est qu’une suite.

La première de ces opérations s’appelle soutirer, transvaser, déféquer le vin. Aristote conseille de répéter souvent cette manipulation, quoniam superreniente œstatis calore soient fœces subverti, ac ità vina acescere.

Dans les divers pays de vignobles on a des temps marqués dans l’année pour soutirer les vins ; ces usages sont sans doute établis sur l’observation constante et respectable des siècles. À l’Hermitage on soutire en mars et septembre (fructidor et ventôse) ; en Champagne le 13 octobre (24 vendémiaire), vers le 15 février (27 pluviôse), et vers la fin de mars (10 germinal).

On choisit toujours un temps sec et froid pour exécuter cette opération. Il est de fait que ce n’est qu’alors que le vin est bien disposé. Les temps humides, les vents du sud les rendent troubles, et il faut se garder de soutirer quand ils régnent.

Baccius nous a laissé d’excellens préceptes sur les temps les plus favorables pour transvaser les vins. Il conseille de soutirer les vins foibles, c’est à dire ceux qui proviennent de terrains gras et couverts au solstice d’hiver ; les vins médiocres, au printemps ; et les plus généreux, pendant l’été. Il donne comme précepte général de ne jamais transvaser que lorsque le vent du nord souffle ; il ajoute que le vin soutiré en pleine lune se convertit en vinaigre.

La manière de soutirer les vins ne pourra paroître indifférente qu’à ceux qui ne savent pas quel est l’effet de l’air atmosphérique sur ce liquide : en ouvrant la cannelle, ou plaçant un robinet à quatre doigts du fond du tonneau, le vin qui s’écoule s’aère, et détermine des mouvemens dans la lie, de sorte que, sous ce double rapport, le vin acquiert de la disposition à s’aigrir. On a obvié à une partie de ces inconvéniens, en soutirant le vin à l’aide d’un siphon ; le mouvement en est plus doux, et on pénètre par ce moyen à la profondeur qu’on veut, sans jamais agiter la lie. Mais toutes ces méthodes présentent des vices auxquels on a parfaitement remédié, à l’aide d’une pompe dont l’usage s’est établi en Champagne et dans d’autres pays de vignobles.

On a un tuyau de cuir en forme de boyau long d’un à deux mètres (quatre à six pieds d’environ deux pouces de diamètre). On adapte aux extrémités des tuyaux de bois longs d’environ trois décimètres (neuf à dix pouces), qui vont en diminuant de diamètre vers la pointe ; on les assujettit fortement au cuir à l’aide de gros fil ; on ôte le tampon de la futaille qu’on veut remplir, et l’on y enchâsse solidement une des extrémités du tuyau ; on place un bon robinet à deux ou trois pouces (un décimètre) du fond de la futaille qu’on veut vider, et on y adapte l’autre extrémité du tuyau.

Far ce seul mécanisme, la moitié du tonneau se vide dans l’autre ; il suffit pour cela d’ouvrir le robinet, et on y fait passer le restant par un procédé simple. On a des soufflets d’environ deux pieds de longs (deux tiers de mètre) compris le manche, et dix pouces de largeur (trois décimètres). Le soufflet pousse l’air par un trou placé à la partie antérieure du petit bout ; une petite soupape de cuir s’applique contre le petit trou, et s’y adapte fortement pour empêcher que l’air n’y reflue lorsqu’on ouvre le soufflet ; c’est encore à cette extrémité du soufflet qu’on adapte un tuyau de bois perpendiculaire pour conduire l’air en bas ; on adapte ce tuyau au bondon, de manière que lorsqu’on souffle et pousse l’air on exerce une pression sur le vin qui l’oblige à sortir du tonneau pour monter dans l’autre. Lorsqu’on entend un sifflement à la cannelle, on la ferme promptement : c’est une preuve que tout le vin a passé.

On emploie aussi des entonnoirs de fer-blanc, dont le bec a au moins un pied et demi de long, (demi-mètre) pour qu’il prolonge dans le liquide et n’y cause aucune agitation.

Le soutirage du vin sépare bien une partie des impuretés, et éloigne par conséquent quelques unes des causes qui peuvent en altérer la qualité ; mais il en reste encore de suspendues dans ce fluide, dont on ne peut s’emparer que par les opérations suivantes qu’on appelle collage des vins ou clarification. C’est presque toujours la colle de poisson qui sert à cet usage, et on l’emploie comme il suit : on la déroule avec soin, on la coupe par petits morceaux, on la fait tremper dans un peu de vin ; elle se gonfle, se ramollit, forme une masse gluante qu’on verse sur le vin. On se contente alors de l’agiter fortement, après quoi on laisse reposer. Il est des personnes qui fouettent le vin dans lequel on a dissous la colle, avec quelques brins de tige de balais, et forment une écume considérable qu’on enlève avec soin ; dans tous les cas, une portion de la colle se précipite avec les principes qu’elle a enveloppés, et on soutire la liqueur dès que ce dépôt est formé.

Dans les climats chauds, on craint l’usage de la colle, et pendant l’été on y supplée par des blancs d’œufs : dix à douze suffisent pour un demi muid. Ou commence par les fouetter avec un peu de vin, on les mêle ensuite avec la liqueur qu’on veut clarifier et on fouette avec le même soin. Il est possible de substituer la gomme arabique à la colle. Deux onces (six à sept décagrammes) suffisent pour quatre cents pots de vin. On la verse sur le liquide en poudre fine et on agite.

Il faut ne transvaser les vins que lorsqu’ils sont bien faits : si le vin est verd et dur, il faut lui laisser passer sur la lie la seconde fermentation, et ne le soutirer que vers le milieu de mai (25 floréal). On pourra même le laisser jusques vers la fin de juin (10 messidor), s’il continue à être verd. Il arrive même quelquefois qu’on est forcé de repasser des vins sur la lie et de les mêler fortement avec elle pour leur redonner un mouvement de fermentation qui doit les perfectionner.

Lorsque les vins d’Espagne sont troublés par la lie, Miller nous apprend qu’on les clarifie par le procédé suivant :

On prend des blancs d’œufs, du sel gris et de l’eau salée, on met tout cela dans un vase commode, on enlève l’écume qui se forme à la surface, et l’on verse cette composition dans un tonneau de vin dont on a tiré une partie : au bout de deux à trois jours la liqueur s’éclaircit et devient agréable au goût ; on laisse reposer pendant huit jours et on soutire.

Pour remettre un vin clairet, gâté par une lie volante, on prend deux livres (un kilogramme) de cailloux calcinés et broyés, dix à 12 blancs d’œufs, une bonne poignée de sel, on bat le tout avec huit pintes de vin (environ sept litres) qu’on verse ensuite dans le tonneau : deux à trois jours après on soutire.

Ces compositions varient à l’infini : quelquefois on y fait entrer l’amidon, le riz, le lait et autres substances plus ou moins capables d’envelopper les principes qui troublent le vin.

On clarifie encore les vins et on corrige souvent un mauvais goût, en le faisant digérer sur des copeaux de hêtre, précédemment écorcés, bouillis dans l’eau et sèches au soleil ou dans un four : un quart de boisseau de ces copeaux suffit pour un muid de vin. Ils produisent dans la liqueur un léger mouvement de fermentation qui l’éclaircit dans vingt-quatre heures.

L’art de couper les vins, de les corriger l’un par l’autre, de donner du corps à ceux qui sont foibles, de la couleur à ceux qui en manquent, un parfum agréable à ceux qui n’en ont aucun ou qui en ont un mauvais, ne sauroit être décrit C’est toujours le goût, l’œil et l’odorat qu’il faut consulter. C’est la nature très-variable des substances qu’on doit employer, qu’il faut étudier ; et il nous suffira d’observer que dans toute cette partie de la science de multiplier les vins, tout se réduit 1°. À adoucir et sucrer les vins par l’addition du moût cuit et rapproché, du miel, du sucre, ou d’un autre vin, très liquoreux ; 2°. À colorer le vin par l’infusion des pains de tournesol, le suc des baies de sureau, le bois de campèche, le mélange d’un vin noir et généralement grossier ; 3°. À parfumer le vin par le sirop de framboise, l’infusion des fleurs de la vigne qu’on suspend dans le tonneau enfermées dans un nouet, ainsi que cela se pratique en Égypte, d’après le rapport d’Asselquist.

On fabrique encore dans l’Orléanois et ailleurs des vins qu’on appelle vins râpés, et qu’on fait ou avec des raisins égrappés qu’on foule avec du vin ; ou en chargeant le pressoir d’un lit de sarmens et d’un lit de raisins alternativement ou en faisant infuser des sarmens dans le vin. On les laisse fortement bouillir et on se sert de ces vins pour donner de la force et de la couleur aux petits vins décolorés des pays froids et humides.

Quoique les vins puissent travailler en tout temps, il est néanmoins des époques dans l’année auxquelles la fermentation paroît se renouveler d’une manière spéciale, et c’est sur-tout lorsque la vigne commence à pousser, lors qu’elle est en fleur, et lorsque le raisin se colore. C’est dans ces momens critiques qu’il faut surveiller les vins d’une manière particulière, et l’on pourra prévenir tout mouvement de fermentation en les soutirant et les souffrant ainsi que nous l’avons indiqué.

1 Lorsque les vins sont complètement clarifiés, on les conserve dans des tonneaux ou dans du verre. Les vases les plus amples et les mieux fermés sont les meilleurs. Tout le monde a entendu parler de l’énorme capacité des foudres d’Heidelberg dans lesquels le vin se conserve des siècles entiers sans cesser de s’améliorer ; et il est reconnu que le vin se fait mieux dans les futailles très-volumineuses que dans les petites.

Le choix du local dans lequel les vases contenant les vins doivent être déposés, n’est pas indifférent : nous trouvons, à ce sujet, chez les anciens, des usages et des préceptes qui s’écartent pour la plupart de nos méthodes ordinaires, mais dont quelques-uns méritent notre attention. Les Romains soutiroient le vin des tonneaux pour l’enfermer dans de grands vases de terre vernissés en dedans ; c’est ce qu’ils appelloient diffusio vinorum. Il paroît qu’ils avoient deux sortes de vaisseaux pour contenir les vins, qu’ils appelloient amphore et code. L’amphore, de forme carrée ou cubique, avoit deux anses et contenoit quatre-vingt pintes de liqueur. Ce vaisseau se terminoit par un col étroit qu’on bouchoit avec de la poix et du plâtre pour empêcher le vin de s’éventer. C’est ce que Pétrone nous apprend par ces mois :

Amphorce vitrece diligenter gypsatœ allatœ sunt, quarum in cervicibus pittacia erant affixa cùm hoc titulo : Falernum opimianum annorum centum.

Le cade avoit la figure d’une pomme de pin ; il contenoit moitié plus que l’amphore.

On exposoit les vins les plus généreux en plein air dans ces vases bien bouchés : les plus foibles étaient sagement mis à couvert. Fortius vinum sub dio locandum, tenuia vero sub tecto reponenda, cavendaque à commotione ac strepitu viarum. (Baccius). Galien nous observe que tout le vin étoit mis en bouteilles, qu’après cela on l’exposoit une forte chaleur dans des chambres closes, et qu’on le mettait au soleil pendant l’été sur les toits des maisons pour le mûrir plutôt et le disposer à la boisson. Omne viuum in lagenas transfundi, posteà in clausa cubicula mûlta subjecta flammâ repon, et in tecta œdium œstate insolari, undè citiùs maturescant ac potui idonea evadant.

Pour qu’un vin se conserve et s’améliore il faut le déposer dans des vases et dans des lieux dont le choix n’est pas indifférent à déterminer. Les vases de verre sont les plus favorables parce qu’outre qu’ils se présentent aucun principe soluble dans le vin, ils le mettent à l’abri du contact de l’air, de l’humidité et des principales variations de l’atmosphère. Il faut avoir l’attention de boucher exactement ces vases avec du liège fin, et de coucher les bouteilles pour que le bouchon ne puisse pas se dessécher et faciliter l’accès de l’air. On peut pour plus de sûreté, couler de la cire sur le bouchon, l’y appliquer avec un pinceau, ou tremper le goulot dans un mélange fondu de cire, de résine et de poix. Il est des particuliers qui recouvrent le vin d’une couche d’huile : ce procédé est recommandé par Baccius. On recouvre ensuite le goulot avec des verres renversés, des creusets, des vases de fer-blanc, ou toute autre matière capable d’empêcher que les insectes ou les souris ne se précipitent dans le vin.

Les tonneaux sont les vases les plus employés ; ils sont, pour l’ordinaire, construits avec du bois de chêne. Leur capacité varie beaucoup, et ils reçoivent le nom de barriques, tonneaux ou foudres, selon qu’elle est plus ou moins forte. Le grand inconvénient des tonneaux, c’est non-seulement de présenter au vin des substances qui y sont solubles, mais encore de se tourmenter par les variations de l’atmosphère et de prêter des issues faciles tant à l’air qui veut s’échapper, qu’à celui qui veut pénétrer.

Les vases de terre vernissés auroient l’avantage de conserver une température plus égale, mais ils sont plus ou moins poreux ; et, à la longue, le vin doit s’y dessécher. On a trouvé dans les ruines d’Herculanum, des vaisseaux dans lesquels le vin étoit desséché. Rozier parle d’une urne semblable découverte dans une vigne du territoire de Vienne, en Dauphinê, sur le lieu même où étoit bâti le palais de Pompée. Les Romains remédiaient à la porosité des vases de terre en passant de la cire au dedans et de la poix au dehors ; ils en recouvroient toute la surface avec des linges cirés qu’ils y appliquoient avec soin.

Pline condamne l’usage de la cire parce que, selon lui, elle faisoit aigrir les vins : nàm ceram accipientibus vasis, compertum est vina acescere.

Quelle que soit la nature des vaisseaux destinés à contenir le vin, il faut faire choix d’une cave qui soit à l’abri de tous les accidens qui peuvent la rendre peu propre à ces usages.

1o. L’exposition d’une cave doit être au nord : sa température est alors moins variable, que lorsque les ouvertures sont tournées vers le midi.

2o. Elle doit être assez profonde pour que la température y soit constamment la même. In cellis quæ non salis profundæ sunt diurni coloris participes fiunt ; vina non diù subsistunt integra. Hoffmann.

3o. L’humidité doit y être constante sans y être trop forte ; l’excès détermine la moisissure des papiers, bouchons, tonneaux, etc. La sécheresse dessèche les futailles, les tourmente, et fait transsuder le vin.

4o. La lumière doit y être très modérée : une lumière vive dessèche ; une obscurité presque absolue pourrit.

5o. La cave doit être à l’abri des secousses. Les brusques agitations, ou ces légers trémoussemens déterminés par le passage rapide d’une voiture sur un pavé, remuent la lie, la mêlent avec le vin, l’y retiennent en suspension et provoquent l’acidification. Le tonnerre et tous les mouvemens produits par des secousses, déterminent le même effet.

6o. Il faut éloigner d’une cave les bois verts, les vinaigres et toutes les matières qui sont susceptibles de fermentation.

7o. Il faut encore éviter la réverbération du soleil qui, variant nécessairement la température d’une cave, doit en altérer les propriétés.

D’après cela ; une cave doit être creusée à quelques toises sous terre ; ses ouvertures doivent être dirigées vers le nord ; elle sera éloignée des rues, chemins, ateliers, égoûts, courans, latrines, bûchers, etc. ; elle sera recouverte par une voûte.


CHAPITRE VII.

Maladies

Du vin, et moyens de les prévenir ou de les corriger.

Il est des vins qui s’améliorent en vieillissant, et qu’on ne peut regarder comme parfaits que longtemps après qu’on les a fabriqués. Les vins liquoreux sont dans ce cas-là, ainsi que tous les vins très spiritueux ; mais les vins délicats tournent à l’aigre ou au gras avec une telle facilité, que ce n’est qu’avec les plus grandes précautions qu’on peut les conserver plusieurs années.

Le premier vin de primeur, connu en Bourgogne, est celui de Volney, à six kilomètres de Beaune. Ce vin si fin, si délicat, si agréable, ne peut soutenir la cuve que 12, 16 ou 18, et va à peine d’une vendange à l’autre.

Pomard fournit la deuxième qualité de vin de primeur en Bourgogne : il se soutient mieux que le premier ; mais, si on le garde plus d’une année, il devient gras, se gâte et prend la couleur pelure d’oignon.

Il n’est pas de canton dont le vin n’ait une durée fixe et connue ; et l’on sait par-tout que ce terme doit être rapproché ou éloigné selon la saison qui a régné, et les soins qu’on a apportés dans les travaux de la vinification. On n’ignore point que les vins cueillis avec la pluie, ou provenant de terrains gras, ne sont pas de garde.

Les anciens, ainsi que nous l’apprennent Galien et Athénée, avoient déterminé l’époque de vétusté, ou l’âge rigoureux auquel leurs divers vins dévoient être bus : Falernum ab annis decem ut pblui idoneum, et à quindecim usque ad viginti annos ; après ce terme, grave est capiti et nervos qffendit. Albani vero cùm duœ sint species, hoc dulce, illud acerbum, ambo à decimo quinto anno vigent. Surrentinum vigesimo quinto anno incipit esse utile, quia est pingue et vix digeritur, ac veterascens solùm sit potui idoneum. Triburtinum leve est, facile vaporat, viget ab annis decem. Lubicanum pingue et inter albanwn et salernum putatur usui ab annis decem idoneum. Gauranum rarum invenitur, at optimum est et robustum. Signimum, ab annis sex potui utile.

Les soins qu’on apporte à transvaser et à muter les vins, contribuent puissamment à leur conservation. Il en est peu qui passassent les mers sans cette précaution. Il importe donc, pour prévenir toutes leurs altérations, de répéter et multiplier ces opérations ; et c’est à cet usage précieux que l’on doit de pouvoir transporter les vins dans tous les climats, et de leur faire éprouver toutes les températures, sans crainte de décomposition.

Parmi les maladies auxquelles les vins sont le plus sujets, la graisse et l’acidité sont, à la fois, les plus fréquentes et les plus dangereuses.

La graisse est une altération que contractant souvent les vins : ils perdent leur fluidité naturelle, et filent comme de l’huile ; on appelle encore cette dégénération, tourner an gras, graisser, filer, etc.

Les vins les moins spiritueux, tournent au gras.

Les vins foibles, qui on très-peu fermenté, sont les plus disposés à cette maladie.

Les» vins foibles faits avec les raisins égrappés, y sont aussi sujets.

Le vin tourne au gras dans les bouteilles les mieux fermées. On n’en est que trop convaincu dans la Champagne, où toute la récolte mise dans le verre contracte quelquefois cette altération.

Les vins gras ne fournissent à la distillation qu’un peu d’eau-de-vie grasse, colorée, huileuse.

On corrige ce vice par plusieurs moyens :

1o . En exposant les bouteilles à l’air, et sur-tout dans un grenier bien aéré.

2o . En agitant la bouteille pendant un quart d’heure, et la débouchant ensuite, pour laisser s’échapper le gaz et l’écume.

3o . En collant les vins avec la colle de poisson, et les blancs d’œufs mêlés ensemble.

4o . En introduisant dans chaque bouteille une ou deux gouttes de jus de citron ou de tout autre acide.

Il est évident, d’après la nature des causes qui déterminent la graisse des vins, d’après les phénomènes que présente cette maladie, et les moyens qu’on emploie pour la guérir, que cette altération provient du principe extractif qui n’a pas été convenablement décomposé.

Nous voyons un effet semblable dans la bière, dans la décoction de la noix de galle, et dans plusieurs autres cas, où le principe extractif très-abondant se précipite de la liqueur qui le tenoit en dissolution, et acquiert les caractères de la fibre, à moins qu’une fermentation ne le brûle, ou qu’un acide ne le précipite,

L’acescence du vin est néanmoins la maladie la plus commune, on peut même dire la plus naturelle ; car elle est presque une suite de la fermentation spiritueuse. Mais, connoissant les causes qui la produisent, et les phénomènes qui l’accompagnent ou l’annoncent, on peut parvenir à la prévenir.

Les anciens admettoient trois causes principales de l’acidité des vins, 1o . L’humidité du vin ; 2o . l’inconstance ou les variations de l’air ; 3". les commotions.

Pour connoître exactement cette maladie, il faut rappeler quelques principes, qui seuls peuvent nous fournir des lumières à ce sujet.

1o . Les vins ne tournent jamais à l’aigre, tant que la fermentation spiritueuse n’est pas terminée, ou, en d’autres termes, tant que le principe sucré n’est pas pleinement décomposé. De-là l’avantage de mettre le vin en tonneaux, avant que tout le principe sucré ait disparu, parce qu’alors la fermentation spiritueuse se continue et se prolonge long-temps, et écarte tout ce qui pourroit préparer la décomposition acéteuse. De là, l’usage d’ajouter un peu de sucre dans la bouteille pour conserver le vin sans altération. De là enfin, la méthode très-générale de faire cuire une partie du moût à une chaleur lente et modérée, et d’en mêler dans les tonneaux qu’on veut embarquer. Dans quelques endroits d’Italie et d’Espagne, on fait cuire tout le moût ; et Bellon dit que les vins de Crète ne passeroient pas la mer, si on n’avoit pas la précaution de les faire bouillir.

2o . Les vins les moins spiritueux sont ceux qui aigrissent le plus vite. Nous savons par expérience que, lorsque la saison est pluvieuse, le raisin peu sucré, et l’alkool conséquemment peu abondant, les vins tournent très-aisément. Les petits vins du Nord aigrissent avec une extrême facilité, tandis que les gros vins généreux, spiritueux résistent avec opiniâtreté.

Il n’en est pas moins vrai pour cela que les vins les plus spiritueux fournissent le vinaigre le plus fort, malgré que leur acidification soit plus difficile, parce que l’alkool est nécessaire à la formation du vinaigre.

3°. Un vin, parfaitement dépouillé de tout principe extractif, ou par le dépôt qui se fait naturellement avec le tems, ou par la clarification, n’est plus susceptible de tourner à l’aigre. J’ai exposé des vins vieux, dans des bouteilles débouchées, à l’ardeur du soleil des mois d’août et juillet (thermidor et fructidor), pendant plus de quarante jours, sans que le vin ait perdu de sa qualité ; seulement le principe colorant s’est constamment précipité sous la forme d’une membrane qui tapissoit le fonds de la bouteille. Ce même vin, dans lequel j’ai fait infuser des feuilles de vigne a aigri en quelques jours. On sait que les vins vieux, bien dépouillés, ne tournent plus à l’aigre.

4°. Le vin ne s’acidifie ou ne s’aigrit que lorsqu’il a le contact de l’air : l’air atmosphérique mêlé dans le vin est un vrai levain acide. Lorsque le vin pousse, il laisse échapper ou exhaler le gaz qu’il renferme, et alors l’air extérieur se précipite pour prendre sa place. Rozier a proposé d’adapter une vessie à un tuyau qui aboutisse dans la capacité du tonneau, pour juger de l’absorption de l’air et du dégagement du gaz. Lorsqu’elle s’emplit, le vin tend à la pousse ; si elle se vuide, il tourne à l’aigre.

Lorsque le vin pousse, le tonneau laisse reverser le vin sur les parois ; et lorsqu’on fait un trou avec une vrille, le vin s’échappe avec sifflement et écume : lorsqu’au contraire, le vin tourne à l’aigre, les parois du tonneau, le bouchon et les luts sont secs, et l’air s’y précipite avec effort, dès qu’on débouche.

On peut conclure de ce principe que le vin enfermé dans des vases bien clos, n’est pas susceptible d’aigrir.

5°. Il est des tems dans l’année où le vin tourne à l’aigre plus aisément : ces époques sont le moment de la sève de la vigne, l’époque de sa floraison et le tems où le raisin prend une teinte rouge. C’est sur-tout dans ces momens qu’il faut le surveiller pour parer à la dégénération acide.

6°. Le changement dans la température provoque encore l’acescence du vin, sur-tout lorsque la chaleur s’élève à 20 ou 20 degrés. Alors la dégénération est rapide et presque inévitable.

Il est aisé de prévenir l’acidité du vin eu écartant toutes les causes que nous venons d’assigner à cette altération ; et, lorsqu’elle a commencé, on y remédie encore par des moyens plus ou moins exacts que nous allons assigner.

On dissout du moût cuit, du miel ou de la reglisse dans le vin où l’acidité se manifeste : par ce moyen on corrige le goût aigre, en le masquant par la saveur douceâtre de ces ingrédiens.

On s’empare du peu d’acide qui a pu se former, à l’aide des cendres, des alkalis, de la craie, de la chaux, et même de la litharge. Cette dernière substance qui forme un sel très-doux avec l’acide acéteux est d’un emploi très-dangereux. On peut aisément reconnoître cette sophistication criminelle, en versant de l’hydro-sulfure de potasse (foie de souffre) dans le vin. Il s’y forme de suite un précipité abondant et noir ; on peut encore faire passer du gaz hydrogène sulfuré à travers cette liqueur altérée, il s’y produira pareillement un précipité noirâtre qui n’est qu’un sulfure de plomb.

Les écrits des œnologues fourmillent de recettes plus ou moins bonnes, pour corriger l’acidité des vins.

Bidet prétend qu’un cinquantième de lait écrémé ajouté à du vin aigri le rétablit, et qu’on peut le transvaser en cinq jours. D’autres prennent quatre onces (six à sept décagrammes) de blé de la meilleure qualité, le font bouillir dans l’eau jusqu’à ce qu’il crève ; et lorsqu’il est refroidi, on le met dans un petit sac qu’on plonge dans le tonneau et l’on remue bien avec un bâton,

On conseille encore les semences de poireau, celles de fenouil, etc.

Pour sentir la futilité de la plupart de ces remèdes, il suffit d’observer qu’il est impossible de faire rétrograder la fermentation, qu’on peut tout au plus la suspendre, et alors, se saisir de tout l’acide déjà formé, ou en masquer l’existence par des principes doux et sucrés.

Indépendamment de ces altérations, il en est encore d’autres qui, quoique moins communes et moins dangereuses, méritent de nous occuper ; le vin contracte quelquefois ce qu’on appelle généralement goût de fût. Cette maladie peut provenir de deux causes : la première a lieu lorsque le vin est enfermé dans un tonneau dont le bois étoit vicié, vermoulu, pourri. La deuxième survient toutes les fois qu’on laisse sécher de la lie dans des futailles et qu’on y verse ensuite du vin, malgré qu’on ait alors la précaution de l’enlever. Willermoz a proposé l’eau de chaux, l’acide carbonique et le gaz acide-muriatique oxigéné, pour corriger le goût de fût qui appartient au tonneau. D’autres conseillent de coller et de soutirer le vin avec soin, et d’y faire infuser du froment grillé pendant deux ou trois jours.

Un phénomène qui a autant frappé qu’embarrassé les nombreux écrivains qui ont parlé des maladies du vin, c’est ce qu’on appelle lesfleurs du vin. Elles se forment dans les tonneaux, mais sur-tout dans les bouteilles dont elles occupent le goulot ; elles annoncent et précédent constamment la dégénération acide du vin. Elles se manifestent dans presque toutes les liqueurs fermentées, et toujours plus ou moins abondamment, selon la quantité d’extractif qui existe dans la liqueur. Je les ai vues se former en si grande abondance dans un mélange fermenté de mélasse et de levure de bière, qu’elles se précipitoient par pellicules ou couches nombreuses et successives dans la liqueur. J’en ai obtenu de cette manière une vingtaine de couches.

Ces fleurs, que j’ayois prises d’abord pour un précipité de tartre, ne sont plus à mes yeux qu’une végétation, un vrai byssus, qui appartient à cette substance fermentée. Il se réduit à presque rien par l’exsiccation, et n’offre à l’analyse qu’un peu d’hydrogène et beaucoup de carbone.

Tous ces rudimens ou ébauches de végétation qui se développent dans tous les cas où une matière organique se décompose, ne me paroissent pas devoir être assimilés à des plantes parfaites ; ils ne sont pas susceptibles de reproduction, et ce n’est qu’une excroissance ou un arrangement symétrique des molécules de la matière, qui paroît plutôt dirigée par les simples lois des affinités, que par celles de la vie. De semblables phénomènes s’observent dans toutes les décompositions des êtres organiques.

On a vu, en 1791 et 1792, tout le produit d’une vendange altéré dans les premiers temps par une odeur âcre, nauséabonde, qui disparut à la suite d’une fermentation très prolongée. Cet effet étoit dû à une énorme quantité de punaises de bois qui s’étoient jetées sur les raisins, et qu’on avoit écrasées dans le foulage.


CHAPITRE VIII.

Usages et vertus du vin.

Le vin est devenu la boisson la plus ordinaire de l’homme, et elle en est en même temps la plus variée. Sous tous les climats, l’on connoît le vin, et l’attrait pour cette liqueur est si puissant, qu’on voit enfreindre chaque jour la loi de prohibition que Mahomet en a faite à ses sectateurs.

Outre que cette liqueur est tonique, fortifiante, elle est encore plus ou moins nutritive ; sous tous ces rapports, elle ne peut qu’être salutaire. Les anciens lui attribuoient la faculté de fortifier l’entendement. Platon, Œschyle et Salomon s’accordent à lui reconnoître cette vertu. Mais nul écrivain n’a mieux fait connoître les justes propriétés du vin, que le célèbre Galien, qui a assigné à chaque sorte les usages qui lui sont propres, et la différence qu’y apportent l’âge, le climat, etc…

Les excès du vin ont excité, de tout temps, la censure des législateurs. L’usage, chez les Grecs, étoît de prévenir l’ivresse, en se frottant les tempes et le front avec des onguens précieux et toniques. Tout le monde connoît le trait fameux de ce législateur qui, pour réprimer l’intempérance du peuple, l’autorisa par une loi expresse ; et l’on sait que Licurgue offroit l’ivresse en spectacle à la jeunesse de Lacédémone, pour lui en inspirer l’horreur. Une loi de Carthage prohiboit l’usage du vin pendant la guerre. Platon l’interdit aux jeunes gens au dessous de vingt-deux ans ; Aristote, aux enfans et aux nourrices ; et Parmarius nous apprend que les lois de Rome ne permettoient aux prêtres ou sacrificateurs que trois petits verres de vin par repas.

Malgré la sagesse des lois, et surtout, malgré le tableau hideux de l’intempérance et ses suites toujours funestes, l’attrait pour le vin devient si puissant chez quelques hommes, qu’il dégénère en passion et en besoin. Nous voyons, chaque jour, des hommes, d’ailleurs, très-sages, contracter peu-à-peu l’habitude immodérée de cette boisson, et éteindre dans le vin leurs facultés morales et leurs forces physiques.

Narratur et prisci Catonîs
Sæpè mero incaluisse virtus.

L’histoire nous a conservé le trait de Venceslas, roi de Bohême et des Romains, qui, étant venu en France pour y négocier un traité avec Charles VI, se rendit à Rheims, au mois de mai 1397 : il s’enivroit chaque jour avec le vin de ce pays, et préféra consentir à tout, plutôt que de ne pas se livrer à ces excès. (Observations sur l’agriculture, tom. II, p. 191).

La vertu du vin diffère par rapport à l’âge ou vétusté. Le vin récent est flatueux, indigeste et purgatif : mustum flatuosum et concocta difficile. Unum in se bonum continet quod alvum emolliat. Vinum rarum infrigidat — mustum crassi succi est et frigidi.

Les anciens confondoient ces mots : mustum et novum vinum. Ovide nous dit : qui nova musta bibant. Undè virgo musta dicta est pro intactâ et novellâ.

Il n’y a que les vins légers qu’on puisse boire avant qu’ils ayent vieilli. Nous en avons donné la raison dans les chapitres précédents. Les Romains, ainsi que nous l’avons observé, pratiquoient cet usage, et ils buvoient de suite, vinum Gauranum et Albanum, et quæ in Sabinis et in Tuscis nascuntur, et Amineum quod circà Neapolim vicinis collibus gignitur.

Les vins nouveaux sont très-peu nourrissans, surtout ceux qui sont aqueux et point sucrés ; corpori alimentum subgerunt paucissimum, a dit Galien.

Ces mêmes vins déterminent aisément l’ivresse, ce qui tient à la quantité d’acide carbonique dont ils sont chargés. Cet acide, en se dégageant de cette boisson par la température de l’estomac, éteint l’irritabilité des organes, et jette dans la stupeur.

Les vins vieux sont en général toniques et très-sains ; ils conviennent aux estomacs débiles, aux vieillards, et dans tous les cas où il faut donner de la force. Ils nourrissent peu, parce qu’ils sont dépouillés de leurs principes vraiment nutritifs, et ne contiennent presque pas d’autres principes que de l’alkool.

C’est de ce vin que parle le poète, lorsqu’il dit :

……Generosum et tene requiro
Quod curas abigat quod cùm spe divite manet

In venas animumque meum, quod verbat inistret,
Quod me, Lucane, juvvenem commendet amicœ.

Les vins gras et épais sont les plus nutritifs. Pinguin sanguinem augent et nutriunt. Galien. Le même auteur recommande les vins de Therée et de Scibellie, comme très-nourrissans : quod crassum utrumque, nigrum et dulce.

Les vins diffèrent encore essentiellement par rapport à la couleur ; le rouge est en général plus spiritueux, plus léger, plus digestif ; le blanc fournit moins d’alkool ; il est plus diurétique et plus foible ; comme il a moins cuvé, il est presque toujours plus gras, plus nutritif, plus gazeux que le rouge.

Pline admet quatre nuances dans la couleur des vins : album, fulvum, sanguineum, nigrum ; mais il seroit aussi minutieux qu’inutile de multiplier les nuances, qui pourroient devenir infinies, en les étendant depuis le noir jusqu’au blanc.

Le climat, la culture, la variété dans les procédés de fermentation apportent encore des différences infinies dans les qualités et vertus du vin. Nous renverrons à ce que nous en avons déjà dit dans le premier chapitre de cet ouvrage, pour éviter des répétitions fatigantes.

L’art de tempérer le vin par l’addition d’une partie d’eau, étoit pratiqué chez les anciens : c’est ce qu’ils appelloient vinum dilutum. Pline, d’après Homère, parle d’un vin qui supportoit vingt parties d’eau. Le même historien nous apprend que de son tems, on connoissoit des vins tellement spiritueux, qu’on ne pouvoit pas les boire, nisi pervincerentur aquâ, et attenuentur aquâ calidâ.

Les anciens qui avoient sur la fabrication et la conservation des vins des idées saines et exactes, paraissent avoir ignoré l’art d’en extraire l’eau-de-vie, et c’est à Arnaud de Villeneuve professeur de médecine à Montpellier qu’on rapporte les premières notions exactes qu’on a eues de là distillation des vins.

La distillation dessus a donné une nouvelle valeur à cette production territoriale. Non-seulement elle a fourni une nouvelle boisson plus forte et incorruptible, mais elle a fait connoître aux arts le véritable dissolvant des résines et des principes aromatiques en même-tems qu’un moyen aussi simple que sûr de conserver et de préserver de toute décomposition putride les substances animales et végétales. C’est sur ces propriétés remarquables que se sont établis successivement l’art du vernisseur, celui du parfumeur, celui du liquoriste et autres fondés sur les mêmes bases,


CHAPITRE IX.

analyse du vin.

Nous avons déjà suivi l’analyse du vin dans les tonneaux, puis que nous avons vu qu’il s’en précipitoit successivement du tartre, de la lie et du principe colorant ; de manière qu’il n’y reste presque plus que de l’alkool, et un peu d’extractif dissous dans une portion d’eau plus ou moins abondante. Maïs cette analyse exacte qui nous montre séparément les principes du vin nous éclaire peu sur leur nature, et nous allons tâcher de suppléer par une méthode plus rigoureuse à ce qu’elle a d’imparfait.

Nous distinguerons dans tous les vins un acide, de l’alkool, du tartre, de l’extractif, de l’arôme et un principe colorant ; le tout délayé ou dissous dans une portion d’eau plus ou moins abondante.

1°. L’acide. L’acide existe dans sous les vins : je n’en ai trouvé aucun qui ne m’en ait présenté quelqu’indice. Les vins les plus doux, les plus liquoreux rougissent le papier bleu qu’on y laisse séjourner quelque tems ; mais tous ne sont pas acides au même degré. Il est des vins dont le caractère principal est une acidité naturelle : ceux qui proviennent de raisins peu mûris, ou qui naissent dans des climats humides sont de ce genre ; tandis que ceux qui sont le produit de la fermentation de raisins bien mûrs et sucrés offrent très-peu d’acide. L’acide paroît donc être en raison inverse du principe sucré et conséquemment de l’alkool qui est le résultat de la décomposition du sucre.

Cet acide existe abondamment dans le verjus, et se trouve dans le moût quoiqu’en plus petite quantité. Toutes les liqueurs fermentées telles que le cidre, le poiré, la bierre, ainsi que les farines fermentées, contiennent également cet acide, et je l’ai rencontré jusques dans la mélasse : c’est même pour le saturer complètement qu’on emploie la chaux, les cendres ou d’autres bases terreuses ou alcalines dans la purification du sucre. Sans cela l’existence de cet acide s’oppose à la cristallisation de ce sel.

Si l’on rapproche le vin par la distillation, l’extrait qui en résulte est en général d’une saveur aigre et piquante. Il suffit de passer de l’eau sur cet extrait ou même de l’alkool pour dissoudre et enlever l’acide. Cet acide a une saveur piquante, une odeur légèrement empyreumatique, un arrière goût acerbe, etc.

Cet acide bien filtré, abandonné dans un flacon laisse précipiter une quantité considérable d’extractif. Il se recouvre ensuite de moisissure et paroit se rapprocher alors de l’acide acéteux. Ou le purifie par la distillation d’une grande quantité d’extractif et il est pour lors moins sujet à se décomposer par la putréfaction.

Cet acide précipite l’acide carbonique de ses combinaisons. Il dissout avec facilité, la plupart des oxides métalliques : forme des sels insolubles avec le plomb, l’argent, le mercure, et enlève les métaux à toutes leurs dissolutions par des acides.

Cet acide forme pareillement un sel insoluble avec la chaux. Il suffit de mêler abondamment l’eau de chaux au vin pour en précipiter l’acide qui entraîne avec lui tout le principe colorant.

Cet acide est donc de la nature de l’acide malique. Il est toujours mêlé d’un peu d’acide citrique, car quand on le fait digérer sur l’oxide de plomb, outre le précipité insoluble qui se forme, il se produit un citrate qu’on peut y démontrer par les moyens connus.

Cet acide malique disparoît par l’acétification du vin : il n’existe plus dans le vinaigre bien fait que de l’acide acéteux. Cette transformation de l’acide malique en acide acéteux, explique naturellement pourquoi le vin qui commence à aigrir, ne peut pas servir à la fabrication de l’acétate de plomb : il se fait, dans ce cas, un précipité insoluble, dont la formation m’a singulièrement embarrassé jusqu’au moment où j’en ai connu la raison. Pendant long-temps le citoyen Berard mon ami, et associé dans ma fabrique de produits chimiques, a ajouté de l’acide nitrique au vin aigri, pour lui donner la propriété de former, avec le plomb, un sel soluble ; je pensois alors qu’on oxygénait par ce moyren l’acide du vin, tandis que l’on ne faisoit que hâter la décomposition, et la transformation de l’acide malique en vinaigre.

L’existence, à diverses proportions, de l’acide malique dans le vin, nous sert encore à concevoir un phénomène de la plus haute importance, relatif à la distillation des vins, et à la nature des eaux-de-vie qui en proviennent. Tout le monde sait que, non seulement tous les vins ne donnent pas la même quantité d’eau-de-vie, mais que les eaux-de-vie qui en proviennent, ne sont pas, à beaucoup près, de la même qualité. Personne n’ignore encore que la bière, le cidre, le poiré, les farines fermentées, donnent peu d’eau-de-vie, et toujours de mauvaise qualité. Les distillations soignées et répétées peuvent, à la vérité, corriger ces vices jusqu’à un certain point, mais jamais les détruire complètement. Ces résultats constans d’une longue expérience, ont été rapportés à la plus grande quantité d’extractif contenu dans ces foibles liqueurs spiritueuses : la combustion d’une partie de ce principe par la distillation a paru devoir en être un effet immédiat ; et le goût âcre et empyreumatique, une suite très naturelle. Mais, lorsque j’ai examiné de plus près ce phénomène, j’ai senti qu’outre les causes dépendantes de l’abondance de ce principe extractif, il falloit en reconnoître une autre, la présence de l’acide malique dans presque tous ces cas : en effet, ayant distillé avec beaucoup de soin ces diverses liqueurs spiritueuses, j’ai constamment obtenu des eaux-de-vie acidulés, dont le goût étoit altéré par celui qui appartient essentiellement à l’acide malique : ce n’est qu’en se bornant à retirer la liqueur la plus volatile qu’on parvient à séparer un peu d’alkool libre de toute altération : encore, conserve-t-il une odeur désagréable qui n’appartient point à l’eau-de-vie pure.

Les vins qui contiennent le plus d’acide malique fournissent les plus mauvaises qualités d’eau-de-vie. Il paroît même que la quantité d’alkool est d’autant moindre, que celle de l’acide est plus considérable. Si, par le moyen de l’eau de chaux, de la chaux, de la craie, ou d’un alkali fixe, on s’empare de cet acide, on ne pourra retirer que très-peu d’alkool par la distillation ; et, dans tous ces cas, l’eau-de-vie prend un goût de feu désagréable, ce qui ne contribue pas à en améliorer la qualité.

La différence des eaux-de-vie, provenant de la distillation des divers vins, dépend donc principalement de la différente proportion dans laquelle l’acide malique est contenu dans ces vins, et l’on n’a pas encore un moyen sûr de détruire le mauvais effet que produit cet acide par son mélange avec les eaux-de-vie.

Cet acide, que nous trouvons dans le raisin, a tous les périodes de son accroissement, et qui ne disparoît dans le vin que du moment qu’il a dégénéré completement en vinaigre, mériteroit de préférence la dénomination d’acide vineux ; néanmoins, pour ne pas innover, nous lui conserverons celle d’acide malique.

2°. L’alkool. L’alkool fait le vrai caractère du vin. Il est le produit de la décomposition du sucre ; et sa quantité est toujours en proportion de celle du sucre qui a été décomposé[4].

L’alkool est donc plus ou moins abondant dans les vins. Ceux des climats chauds en fournissent beaucoup ; ceux des climats froids n’en donnent presque pas. Les raisins mûrs et sucrés le produisent en abondance, tandis que les vins provenant de raisins verts, aqueux et peu sucrés, en présentent très-peu.

Il est des vins dans le midi qui fournissent un tiers d’eau-de-vie ; il en est plusieurs dans le nord qui n’en contiennent pas un quinzième.

C’est la proportion d’alkool qui rend les vins plus ou moins généreux ; c’est elle qui les dispose ou les préserve de la dégénération acide. Un vin tourne avec d’autant plus de facilité, qu’il renferme moins d’alkool ; la proportion du principe extractif étant supposée la même de part et d’autre.

Plus un vin est riche en esprit, moins il contient d’acide malique ; et c’est la raison pour laquelle les meilleurs vins fournissent en général les meilleures eaux-de-vie, parce qu’alors elles sont exemptes de la présence de cet acide qui leur donne un goût très-désagréable.

C’est par la distillation des vins qu’on en extrait tout l’alkool qu’ils contiennent.

La distillation des vins est connue depuis plusieurs siècles ; mais cette opération s’est successivement perfectionnée ; et, de nos jours, elle a reçu des degrés d’amélioration qui doivent profiter au commerce des eaux-de-vie, et s’appliquer avec avantage à tous les genres de distillation. Les alambics dans lesquels on a distillé, pendant longtemps, étoient des chaudières surmontées d’un long col cylindrique, étroit et coiffé d’une demi-sphère creuse, d’où partoit un tuyau peu large, pour porter la liqueur dans le serpentin. Arnauld de Villeneuve paroît être le premier qui nous ait donné des idées précises sur la distillation des vins, et c’est à lui que nous devons la première description de celle forme d’alambic à très-long col, dont nous retrouvons encore des modèles dans les ateliers de nos parfumeurs.

L’idée où l’on étoit que le produit de la distillation étoit d’autant plus délié, d’autant plus subtil, d’autant plus pur, qu’on l’élevoit plus haut, en le faisant passer à travers des tuyaux plus minces, a dirigé la construction de ces vaisseaux distillatrices. Mais on n’a pas tardé à se convaincre que c’étoit moins les obstacles opposés à l’ascension des vapeurs que l’art de graduer le feu avec intelligence qui rendoit le produit d’une distillation plus ou moins pur. On a vu que, dans le premier cas, la force du feu dénature les principes spiritueux en leur communiquant le goût d’empyreume, tandis que dans le second, ils s’élèvent vierges et passent dans le serpentin sans altération. D’un autre côté l’économie, ce puissant mobile des arts, a fait adopter tous les changemens qu’on a faits au procédé des anciens.

Ainsi, successivement la colonne perpendiculaire à la chaudière a été baissée ; le chapiteau, aggrandi ; là chaudière, évasée ; et l’on est parvenu par degrés à l’adoption générale des formes suivantes :

Les alambics sont aujourd’hui des espèces de chaudrons à cul plat dont les côtés sont élevés perpendiculairement au fond jusqu’à la hauteur d’environ six décimètres (22 pouces), À cette hauteur on pratique un étranglement qui en réduit l’ouverture à trois ou quatre décimètres (11 à 12 pouces). Cette ouverture est terminée par un col de quelques pouces de long, dans lequel s’adapte un petit couvercle appelé chapeau, chapiteau, lequel va en s’élargissant vers sa partie supérieure et a la forme d’un cône renversé et tronqué. C’est de l’angle de la base de ce chapeau que part un petit tuyau destiné à recevoir les vapeurs d’eau-de-vie, et à les transmettre dans le serpentin auquel il est adapté. Ce serpentin présente six à sept circonvolutions et est placé dans un tonneau qu’on a soin de tenir plein d’eau, pour faciliter la condensation des vapeurs : ces vapeurs condensées coulent à filet dans un baquet qui est destiné à les recevoir.

Les chaudières sont, pour l’ordinaire, enchâssées dans la maçonnerie jusqu’à leur étranglement : le cul seul est exposé à l’action immédiate du feu. La cheminée est placée vis-à-vis la porte du foyer ; et le cendrier, peu large, est séparé du foyer par une grille de fer.

On charge les chaudières de vingt-cinq à trente myriagrammes de vin (5 à 6 quintaux) ; la distillation s’en fait dans huit ou neuf heures, et on brûle à chaque chauffe ou opération environ trois myriagrammes de charbon de terre (60 livres).

Tel est le procédé usité en Languedoc depuis bien long-tems : mais, quoiqu’ancien et généralement adopté, il présente des imperfections qui ne peuvent que frapper un homme instruit dans les principes de la distillation.

1o. La forme de la chaudière établit une colonne de liquide très-haute et peu large, qui n’étant frappée par le feu qu’à sa base, est brûlée en cette partie, avant que le dessus soit chaud : alors il s’élève des bulles du fond qui, obligées de traverser une masse de liquide plus froide, se condensent et se dissolvent de nouveau dans la liqueur. Ce n’est que lorsque toute la masse a été échauffée de proche en proche, que la distillation s’établit.

2°. L’étranglement placé à la partie supérieure de la chaudière, et le bombement qu’elle présente dans cet endroit nuisent encore à la distillation : en effet, cette calotte n’étant pas revêtue de maçonnerie, est continuellement frappée par l’air qui y entretient une température plus fraîche que sur les autres points, de manière que les vapeurs qui s’élèvent, se condensent en partie contre la surface intérieure et retombent en gouttes ou coulent en stries dans le bain, ce qui est en pure perte pour la distillation. Il arrive, dans ce cas, ce que nous voyons survenir journellement dans les distillations au bain de sable : les vapeurs qui s’élèvent, venant à frapper contre la surface découverte et toujours plus froide de la cornue, s’y condensent et retombent en stries dans le fond, de manière que la même portion de matière s’élève, retombe, et distille plusieurs fois ; ce qui entraîne perte de temps, dépense de combustible, et nuit à la qualité du produit qui s’altère et se décompose dans quelques cas. On peut rendre ces phénomènes très sensibles en rafraîchissant la partie supérieure d’une cornue au bain de sable, au moment où la distillation est en pleine activité : les vapeurs deviennent de suite visibles dans l’intérieur, et il se condense des gouttes contre les parois, qui ne tardent pas à couler et à se rendre dans la liqueur contenue dans la cornue.

En outre, l’étranglement pratiqué à la partie supérieure de la chaudière forme une espèce d’éolipyle où les vapeurs ne peuvent passer qu’avec effort. Ce qui nécessite l’emploi d’une force d’ascension plus considérable. Ce fait a été convenablement développé par Baumé.

3°. Le chapiteau n’est pas construit d’une manière plus avantageuse : la calotte se met presque à la température des vapeurs, qui, fortement dilatées, pressent sur le liquide et en gênent l’ascension.

4°. La manière d’administrer le feu n’est pas moins vicieuse que la forme de l’appareil : par-tout on a un cendrier trop étroit, un foyer très-large, une porte mal fermée, etc. ; de manière que le courant d’air s’établit par la porte et se précipite dans la cheminée, en passant par dessus les charbons. Il faut par conséquent un feu violent pour chauffer médiocrement une chaudière. On engorge la grille d’une couche épaisse et tassée de combustible, de façon qu’elle devient à peu près inutile par le manque absolu d’aspiration.

À présent que nous connoissons les vices de construction dans l’appareil, voyons d’appliquer, pour la perfectionner, les connoissances que nous avons acquises sur la distillation et sur l’art de conduire le feu.

Il me paroît que tout l’art de la distillation se réduit aux trois principes suivans :

1o . Chauffer à-la-fois et également tous les points de la masse du liquide.

2o . Écarter tous les obstacles qui peuvent gêner l’ascension des vapeurs.

3o . En opérer la condensation la plus prompte.

Pour remplir la première de ces conditions, il faut d’abord que la masse liquide soit peu profonde ; ce qui exige déjà que le cul de la chaudière présente une très-grande surface pour que le feu s’applique à beaucoup de parties.

Le fond de la chaudière doit être légèrement bombé en dedans. Cette forme présente deux avantages : le premier, c’est que, par ce moyen, le combustible se trouve à une égale distance de tous les points, et que la chaleur est égale par-tout ; le second, c’est que, par cette construction, le fond de la chaudière présente plus de force, et que les matières qui peuvent se déposer dans le fond de la liqueur sont rejettées sur les angles qui reposent sur la maçonnerie, et, où, par conséquent, le dépôt est moins dangereux. Lorsque ces dépôts se forment dans les parties soumises immédiatement à l’action directe du feu, ils établissent une croûte qui empêche le liquide de mouiller le point de la chaudière qui en est recouvert, et alors le feu brûle le métal. Cet inconvénient n’est plus à craindre du moment que, par la forme bombée du fond de la chaudière, ce dépôt est rejetté sur les angles qui, reposant sur la maçonnerie, sont soustraits à l’action directe du feu.

Il faut faire circuler le feu autour de la chaudière au moyen d’une cheminée tournante ; alors toute la chaleur est mise à profit ; tout le liquide est enveloppé et également chauffé.

Pour que la colonne de vapeurs qui s’élève n’éprouve aucun obstacle dans son ascension, il faut que les parois de la chaudière montent perpendiculairement, et que les vapeurs soient maintenues dans le même degré d’expansion jusqu’à ce qu’elles soient parvenues au réfrigérant. Mais les vapeurs, librement élevées et condensées par leur contact contre les parois froides du chapiteau, retomberoient dans la chaudière de l’alambic, si ces parois, ne présentoient pas une inclinaison suffisante pour que les gouttes de liquide qui s’y appliquent coudent sur la parois pour se rendre dans la rigole qui les conduit dans le serpentin. J’ai calculé que cette inclinaison devoit être au moins de 75 degrés par rapport à l’horizon. Il est encore nécessaire que l’eau du réfrigérant soit souvent renouvelée, sans quoi elle prend bientôt la température de la vapeur et ne peut plus servir à la condenser.

Malgré que ces principes sur la distillation soient incontestables, il faut néanmoins y apporter quelques modifications, pour faciliter le service : en effet, en donnant à l’orifice de la chaudière tout le diamètre de la base, le chapiteau présente un évasement très-considérable ; il est par conséquent indispensable de lui donner une grande hauteur pour conserver aux surfaces l’inclinaison de 75 degrés. Cette construction entraîne deux inconvéniens majeurs : le premier, de rendre le chapiteau pesant, lourd et coûteux ; le second, de présenter de la difficulté pour donner aux bords supérieurs de la chaudière la force convenable pour résister à l’effort du chapiteau. Ce sont ces premières considérations qui m’ont forcé à porter quelque changement dans la construction ci-dessus, quelque conforme qu’elle parût aux principes. Ces changeraens sont tous dans la forme de la chaudière : j’en évase légèrement les côtés en les élevant ; et je les rapproche vers le haut, de manière que le diamètre de l’ouverture réponde à celui du fond. Cette forme remédie aux deux défauts que nous avons notés ci-dessus, et elle a l’avantage de présenter un rebord à la partie supérieure contre lequel les bouillons, provenant d’une ébullition trop forte, viennent se briser pour être rejetés contre le centre de la chaudière.

Indépendamment de ce changement de forme dans la chaudière, j’ai cru qu’on devoit supprimer le réfrigérant dont on revêtoit le chapiteau. Ce réfrigérant a l’inconvénient de rafraîchir les vapeurs, et d’établir un nuage dans l’intérieur qui contrarie leur ascension ultérieure.

On peut observer que, lorsqu’on distille à la cornue et au bain de sable, il suffit d’appliquer un corps froid sur la cornue, pour produire cet effet : on voit de suite se former des stries sur les parois, et la liqueur retomber dans le fond de la cornue elle-même.

Si, dans les temps, j’ai proposé moi-même de conserver le réfrigérant, c’est que je lui attribuois une portion des effets qui appartenoient et dérivoient d’une construction du fourneau bien entendue. Je me suis assuré par la suite qu’on obtenoit un plus grand effet encore en supprimant le réfrigérant. Il y a d’ailleurs plus d’économie et moins d’embarras dans le service.

D’après cela, j’ai pensé que le grand art de condenser les vapeurs se bornoit à agrandir le bec du chapiteau, et rafraîchir avec soin l’eau du serpentin. Par ce moyen, les vapeurs s’échappent de l’alambic avec d’autant plus de facilité qu’elles sont appelées dans le serpentin par la prompte condensation de celles qui les ont précédées.

Ces divers degrés de perfection ont commencé à être introduits dans le Languedoc, il y a douze à Quinze ans. Les frères Argand ont puissamment contribué à les faire adopter ; les premiers, ils ont formé des établissemens d’après ces principes, et on a obtenu une telle économie dans le temps et le combustible, qu’on l’évalue aux quatre-cinquièmes, d’après les résultats des expériences comparées qui ont été faites.

J’ai dirigé moi-même plusieurs établissemens du même genre, et d’après ces mêmes principes. Je crois qu’il est difficile de porter plus loin la perfection, et il est à désirer que ces méthodes de distillation deviennent générales.

Mais c’est encore moins à la forme de l’appareil qu’à la construction du foyer et à la sage conduite du feu qu’on doit ces effets extraordinaires. Le bord postérieur de la grille doit répondre au milieu du fond de la chaudière, pour que la flamme qui fuit frappe et chauffe également tout le cul. La distance de la chaudière à la grille doit être d’environ seize à dix-huit pouces, lorsqu’on chauffe avec le charbon de terre, et la cheminée doit être tournante.

Indépendamment de l’économie dans le temps, le combustible, la main-d’œuvre, etc., cette forme d’appareil influe sur la qualité des eaux-de-vie. Elles sont infiniment plus douces que les autres ; elles n’ont point le goût d’empyreume qui est presque un vice inséparable des eaux-de-vie du commerce ; cette dernière qualité qui les rend si supérieures aux autres, a failli devenir pour elles un motif d’exclusion, parce que les habitans du nord, qui en font leur principale boisson, les trouvoient trop douces. Il a donc fallu les mêler avec de l’eau-de-vie brûlée pour les accréditer. On peut aisément leur donner ce goût de feu, en soutenant et prolongeant la distillation au-delà du terme. La liqueur qui passe vers la fin sent très-décidément le brûlé.

Il est nécessaire, dans les arts, de se plier au goût, même au caprice du consommateur ; et ce qui, chez nous, est rejeté comme de mauvais goût, peut paroître exquis et friand à l’habitant du nord : dans le midi, une sensibilité extrême repousse des boissons brûlantes qui, dans des climats très-froids, pourront être foibles ; il faut écorcher un moscovite pour lui donner de la sensibilité, a dit très-ingénieusement MontesQuieu.

D’après des expériences comparatives, que j’ai été dans le cas de faire, je me suis convaincu qu’on obtenoit encore un peu plus d’eau-de-vie par ce procédé que par l’ancien. Ce qui provient de ce que l’eau-de-vie sort fraîche de l’appareil, et qu’elle n’éprouve aucune perte par l’évaporation. Aussi les ateliers, dans lesquels ces appareils perfectionnés sont établis, n’ont-ils pas sensiblement l’odeur de l’eau-de-vie.

Lorsqu’on distille des vins, on conduit la distillation jusqu’au moment où la liqueur qui passe n’est plus inflammable.

Les vins fournissent plus ou moins d’eau-de-vie, selon leur degré de supériorité. Un vin très généreux fournit jusqu’au tiers de son poids. Le terme moyen du produit de nos vins, dans le midi, est d’un quart de la totalité : il en est qui fournissent jusqu’à un tiers.

Les vins vieux donnent une meilleure eau-de-vie que les nouveaux ; mais ils en fournissent moins, sur-tout lorsque la décomposition du corps sucré a été terminée avant la distillation.

Ce qui reste dans la chaudière, après qu’on en a extrait l’eau-de-vie, est appelle vinasse : c’est le mélange confus du tartre, du principe colorant, de la lie, etc. On rejette ce résidu comme inutile ; néanmoins, en le faisant dessécher à l’air ou dans des étuves, on peut en extraire par la combustion un alkali assez pur.

Il y a des ateliers où l’on fait aigrir la vinasse pour la distiller et en extraire le peu de vinaigre qui s’y est formé.

L’eau-de-vie est d’autant plus spiritueuse qu’elle est mélangée avec une moins grande quantité d’eau ; et, comme il importe au commerce de pouvoir en connoître aisément les degrés de spiritualité, on s’est long-tems occupé des moyens de les constater.

Le bouilleur ou distillateur juge de la spiritualité de l’eau-de-vie par le nombre, la grosseur et la permanence des bulles qui se forment en agitant la liqueur : à cet effet, on la verse d’un vase dans un autre ; on la laisse tomber d’une certaine hauteur ; ou bien, ce qui est plus généralement usité, on l’enferme dans un flacon allongé qu’on en remplit aux deux tiers, et on l’agite fortement en en tenant l’orifice bouché avec le pouce ; ce dernier appareil est appelle la sonde.

L’épreuve par la combustion, de quelle manière qu’on la pratique, est très-vicieuse. Le règlement de 1729 prescrit de mettre de la poudre dans une cuiller, de la couvrir de liqueur et d’y mettre le feu : l’eau de-vie est réputée de première qualité si elle enflamme la poudre ; elle est mauvaise dans le cas contraire. Mais la même qualité de liqueur enflamme ou n’enflamme pas, suivant la proportion dans laquelle on l’emploie ; une petite quantité enflamme toujours, une grande n’enflamme jamais, parce que l’eau que laisse la liqueur suffit alors pour humecter la poudre, et la garantir de l’inflammation.

On a encore recours au sel de tartre (carbonate de potasse), pour éprouver l’eau-de-vie. Cet alkali se dissout dans l’eau et nullement dans l’alkool : de manière que celui-ci surnage la dissolution qui s’en fait.

Ces premiers procédés, plus ou moins défectueux, ont fait recourir à des moyens capables de déterminer la spirituosité par l’évaluation de la gravité spécifique.

Une goutte d’huile versée sur l’alkool se fixe à la surface, ou se précipite au fond, selon le degré de spirituosité de la liqueur. Ce procédé a été proposé et adopté par le gouvernement espagnol, en 1770 ; il a fait l’objet d’un règlement, mais il est sujet à erreur, puisque l’effet dépend de la hauteur de la chute, de la pesanteur de l’huile, du volume de la goutte, de la température de l’atmosphère, des dimensions des vases, etc.

En 1772, cet objet important fut repris par deux physiciens habiles, Borie et Poujet de Cette ; ils ont fait connoître et adopter, par le commerce de Languedoc, un pèse-liqueur auquel ils ont adapté un thermomètre, dont les divers degrés indiquent, à chaque instant, les corrections que doit apporter, dans la graduation du pèse-liqueur, la température très variable de l’atmosphère.

À l’aide de ce pèse-liqueur, non seulement on juge du degré de spirituosité, mais ou ramène l’eau-de-vie à tel degré qu’on peut désirer : à cet effet, on a des poids de diverse pesanteur : le plus pesant est marqué preuve de Hollande ; le plus léger, trois-sept : ainsi, si l’on visse à l’extrémité inférieure de la tige de l’aréomètre le poids preuve de Hollande, et qu’on plonge l’instrument dans une liqueur trois-sept, il s’enfonce beaucoup trop ; mais on le ramènera au niveau preuve de Hollande, en y ajoutant quatre septièmes d’eau.

Si on visse au contraire le poids trois-sept, et qu’on plonge l’aréomètre dans une liqueur preuve de Hollande, il s’élèvera dans la liqueur au dessus de ce dernier terme, et on le ramènera aisément à ce degré en y ajoutant de l’alkool plus spiritueux.

Lorsqu’on distille des eaux-de-vie pour en extraire l’alkool, on emploie communément le bain-marie ; alors la chaleur est plus douce, plus égale ; le produit de la distillation, de meilleure qualité ; c’est ce produit qu’on appelle esprit de vin dans le commerce.

3°. Le Tartre. Le tartre existe dans le verjus : il est encore dans le moût ; il concourt à faciliter la formation de l’alkool, ainsi que nous l’avons déjà observé d’après les expériences de Bullion. Il se dépose sur les parois des tonneaux par le repos, et y forme une croûte plus ou moins épaisse, hérissée de cristaux assez mal prononcés. Quelque temps avant les vendanges, lorsqu’on dispose les futailles à la recevoir, on défonce les tonneaux, et on détache le tartre pour l’employer dans le commerce à ses divers usages.

Le tartre n’est pas fourni par tous les vins dans la même proportion ; les rouges en donnent plus que les blancs ; les plus colorés, les plus grossiers en fournissent généralement le plus.

La couleur varie aussi beaucoup, et on l’appelle tartre rouge ou tartre blanc, selon qu’il provient de l’un ou l’autre de ces vins.

Ce sel est peu soluble dans l’eau froide : il l’est beaucoup plus dans l’eau bouillante. Il ne se dissout presque pas dans la bouche, et résiste à la pression de la dent.

On le débarrasse de son principe colorant par un procédé simple, et il porte alors le nom de crème de tartre. À cet effet, on le dissout dans l’eau bouillante ; et dès qu’elle en est saturée, on porte la dissolution dans les terrines pour la laisser refroidir : il se précipite, par le refroidissement, une couche de cristaux qui sont déjà presque décolorés. On dissout de nouveau ces cristaux dans l’eau bouillante ; ou mêle, on délaie, dans la dissolution quatre ou cinq pour cent d’une terre argileuse et sablonneuse de Murviel près de ; Montpellier, et on évapore ensuite jusqu’à pellicule ; par le refroidissement, il se précipite des cristaux blancs qui, exposés en plein air sur des toiles pendant quelques jours, acquièrent cette blancheur qui appartient à la crême de tartre ; les eaux-mères sont réservées pour servir à de nouvelles dissolutions. Telle est, à-peu-prés la méthode qu’on pratique à Montpellier et dans les environs où sont établies presque toutes les fabriques connues de crème de tartre.

Le tartre est encore employé comme fondant : il a le double avantage de fournir le carbone nécessaire à la désoxygénation des métaux, et l’alkali qui est un des meilleurs fondans connus.

On purifie encore le tartre par la calcination. On décompose et détruit son acide par ce premier moyen et il ne reste plus que l’alkali et le charbon : on dissout l’alkali dans l’eau, on filtre, on rapproche la dissolution et on obtient ce sel très connu dans les pharmacies sous le nom de sel de tartre, carbonate de potasse.

Le tartre ne fournit guère en alkali que le quart de son poids.

4°. L’Extractif. Le principe extractif abonde dans le moût : il y paroît dissous à l’aide du sucre : mais lorsque la fermentation dénature le principe sucré, l’extractif diminue sensiblement. Alors une portion presque ramenée à l’état de fibre se précipite : le dépôt en est d’autant plus sensible que la fermentation s’est plus ralentie et que l’alkool est plus abondant ; c’est sur tout ce qui constitue la lie. Cette lie est toujours mêlée d’une quantité assez considérable de tartre qu’elle enveloppe.

Il existe toujours dans le vin une portion d’extractif qui y est dans une dissolution exacte ; on peut l’en retirer par l’évaporation.

Il est plus abondant dans les vins nouveaux que dans les vieux. Ils en paroissent d’autant plus complètement débarrassés qu’ils ont plus vieilli.

Cette lie desséchée au soleil ou dans des étuves, après avoir été fortement exprimée, est ensuite brûlée pour en extraire cette sorte d’alkali appelé dans le commerce cendres gravelées. La combustion s’opère dans un fourneau dont on élève les parois à mesure qu’elle se fait ; le résidu est une masse poreuse, d’un gris verdâtre qui forme environ la trentième partie de la quantité de lie brûlée.

C’est cette lie dont on débarrasse les vins par le soutirage, lorsqu’on veut les préserver de la dégénération acide.

5°. L’Arôme. Tous les vins naturels ont une odeur plus ou moins agréable. Il en est même qui doivent une grande partie de leur réputation au parfum ou bouquet qu’ils exhalent. Le vin de Bourgogne est dans ce cas-là. Ce parfum se perd par une fermentation trop tumultueuse : il se renforce par la vétusté. Il n’existe que rarement dans les vins très-généreux, ou parce que l’odeur forte de l’alkool le masque, ou parce que la forte fermentation qui a été nécessaire pour développer l’esprit l’a éteint ou fait dissiper.

Cet arôme ne paroît pas susceptible d’être extrait pour être porté à volonté sur d’autres substances. Le feu même paroît le détruire ; car, à l’exception du premier liquide qui passe à la distillation, et qui conserve un peu de l’odeur particulière au vin, l’eau-de-vie qui vient ensuite n’a plus que les caractères qui lui appartiennent essentiellement.

6°. Le Principe colorant. Le principe colorant du vin existe dans la pellicule du raisin : lorsqu’on fait fermenter le moût sans le marc, le vin en est blanc. Ce principe colorant ne se dissout dans la vendange que lorsque l’alkool y est développé ; ce n’est qu’alors que le vin se colore ; et la couleur en est d’autant moins nourrie que la fermentation a été plus tumultueuse, ou qu’on a laissé cuver plus long-tems. Cependant la seule expression du raisin par un foulage fait avec soin peut mêler au moût une quantité suffisante de principe colorant pour faire prendre à la masse une couleur assez intense : et lorsqu’on a pour but d’obtenir du vin assez décoloré, on cueille le raisin à la rosée, et on foule le moins possible.

Le principe colorant se précipite en partie dans les tonneaux avec le tartre et la lie ; et, lorsque le vin est vieux il n’est pas rare de le voir se décolorer complettement : alors la couleur se dépose en pellicules sur les parois des vases on dans le fond : on voit comme des membranes nager dans le liquide et troubler la transparence de la liqueur.

Si l’on expose des bouteilles remplies de vin au soleil, quelques jours suffisent pour précipiter le principe colorant en larges pellicules.

Le vin ne perd ni son parfum ni ses qualités. J’ai fait souvent cette expérience sur des vins vieux très-colorés du Midi.

Il suffit de verser de l’eau de chaux en abondance sur le vin pour en précipiter le principe de la couleur. Dans ce cas, la chaux se combine avec l’acide malique et forme un sel qui paroît en flocons légers dans la liqueur. Ces flocons se déposent peu-à-peu et entraînent tout le principe colorant.

Le dépôt est noir ou blanc, selon la couleur du vin sur lequel on opère. Il arrive souvent que le vin est encore susceptible de précipiter malgré qu’il ait été complètement décoloré par un premier dépôt, ce qui prouve que le principe de la couleur a une très-forte affinité avec le malate de chaux. Le précipité coloré est insoluble dans l’eau froide et dans l’eau chaude. Ce liquide ne produit même aucun changement sur la couleur. L’alkool n’a presqu’aucune effet sur lui, seulement il y prend une légère teinte brune. L’acide nitrique dissout le principe colorant de ce précipité.

Lorsqu’on a réduit le vin à l’état d’extrait, l’alkool qu’on y passe dessus, se colore fortement de même que l’eau, quoique moins. Mais, outre le principe colorant qui se dissout alors, il y a encore un principe extractif sucré qui facilité la dissolution.

Le principe colorant ne paroît donc pas de la nature des résines ; il présente tous les caractères qui appartiennent à une classe très nombreuse de produits végétaux qui se rapprochent des fécules sans en avoir toutes les propriétés. Le plus grand nombre de principes colorans sont de ce genre : ils sont solubles à l’aide de l’extractif ; et lorsqu’on les dégage de cet intermède, ils se fixent d’une manière solide.

Par J. A. Chaptal, Conseiller d’État, Membre de l’Institut national, et des Sociétés d’Agriculture des départemens de la Seine, Morbihan, Hérault, etc.


  1. Quoique les principes que nous venons d’établir soient prouvés par presque toutes les observations connues, il ne faut pas cependant en conclure que les résultats soient sans exception ; Creusé Latouche a observé (Mémoire lu à la Société d’Agriculture de la Seine, le 26 germinal an 8,) que les vignobles précieux d’Aï, Epernai et Hautvillers sur la Marne, ont les mêmes expositions, le même sol que les terres à blé qui les environnent. Notre observateur pense bien qu’on a tenté de convertir en vigne les terres à blé, mais il est probable que les expériences n’ont pas été heureuses, et que, par conséquent, il y a là des raisons de différence que l’inspection seule ne peut pas juger.

    Au reste, comme l’observe le même agriculteur, la terre primitive dans les vignobles de premier rang en Champagne, se trouve recouverte d’une couche artificielle qu’on forme avec un mélange de gazon et de fumier consommé, de terres communes prises aux bas des coteaux, et quelquefois d’un sable noir et pourri. Ces terreaux se portent dans les vignes toute l’année, excepté le temps des vendanges.

  2. Les principes généraux que nous venons d’établir sur l’influence de l’exposition, reçoivent bien des exceptions : les fameux vignobles d’Epernai et de Versenai, dans la montagne de Rheims, sont exposés au plein nord, dans une latitude tellement septentrionale pour les vins, que c’est dans ces lieux même que se termine tout-à-coup le règne de la vigne sous ce méridien.

    Les vignobles de Nuits et de Beaune, ainsi que les meilleurs de Beaugenci et Blois, sont au levant ; ceux de la Loire et du Cher sont au nord et au midi indistinctement ; les bons coteaux de Saumur sont au nord, et parmi les meilleurs vins d’Angers, on en trouve à toutes les expositions. (Observations de Creuzé-Latouche, lues à la Société d’Agriculture de Paris).

  3. Il est des corps muqueux qui subissent la fermentation spiritueuse ; mais il est probable que ces corps muqueux contiennent du sucre qu’il est d’autant plus difficile d’en extraire, que sa proportion y est moindre.
  4. Je n’agiterai pas la question de savoir si l’alkool est tout formé dans le vin, ou s’il est le produit de la distillation, ou, en d’autres termes, s’il est le résultat de la fermentation, on celui de la distillation. Fabroni a adopté ce dernier sentiment, et s’est fondé sur ce que, ayant mêlé un centième d’alkool à du vin nouveau, il n’y a pu séparer, à l’aide de la potasse, que cette même quantité d’alkool. Mais cette expérience me paroîtroit prouver tout au plus que l’alkool étranger qu’on ajoute au vin, n’entre pas dans une combinaison aussi exacte que celui qui y existe naturellement ; il y reste dans un simple état de mélange. Nous observons un phénomène analogue, lorsque nous délayons l’alkool très-concentré par l’addition d’une quantité plus ou moins considérable d’eau ; car il est connu dans le commerce que cet alkool affoibli, n’a pas le même goût que l’alkool naturel, qui marque néanmoins le même degré de spirituosité. Je Considère donc l’alkool dans le vin, non point comme y existant isolément et dégagé de toute combinaison, mais comme combiné avec le principe colorant, le carbone, l’alkali, l’extractif et tous autres principes constituans du vin ; de manière que le vin est un tout sur-composé, dont tous les élémens peuvent être extraits par des moyens chimiques ; et lorsque, par l’application de la chaleur, on tend à séparer ces mêmes principes, les plus volatils s’élèvent les premiers, et l’on voit passer d’abord un composé très-léger formant l’alkool, ensuite l’eau, etc.

    La distillation, en extrayant successivement tous les principes du vin, d’après les lois invariables de leur pesanteur et de leurs affinités, rompt et détruit la combinaison primitive qui constitue le vin, et présente des produits qui, réunis, ne sauroient reproduire le corps primitif, parce que la chaleur a tout désuni, et séparé le composé en des principes qui peuvent exister isolément, et qui n’ont presque plus d’affinité entr’eux.

    Au reste, peu importe à l’art que l’alkool existe ou n’existe pas dans le vin, le distillateur n’en a pas moins des principes invariables tant sur la qualité que sur la quantité d’alkool que peut fournir chaque vin. Ainsi, que le feu combine les principes de l’alkool, ou qu’il les extraie simplement d’une masse où ils sont combinés, la manière d’opérer et les résultats de l’opération ne sauroient en recevoir aucune modification. Nous voyons la répétition des phénomènes que nous présente la distillation des vins, dans celle de toutes les matières végétales et de leurs produits.

    La distillation par le feu n’est pas le seul moyen d’extraire l’alkool du vin. 1°. Le gaz acide carbonique, qui se dégage par la fermentation, entraîne avec lui, et dans un état de dissolution, une quantité assez considérable d’alkool, ainsi que je l’ai déjà prouvé. 2°. Le gaz qui s’échappe du Champagne enlève presque tout l’alkool contenu dans ce vin. 3°. Les vins très-spiritueux agités dans les bouteilles, laissent échapper des bouffées d’alkool très-sensibles. 4°. Les vins qui fournissent le plus d’esprit sont jugés les plus spiritueux au goût. Tous ces faits ne sauroient se concilier dans l’hypothèse de la formation de l’alkool par la distillation, et paraissent prouver qu’il existe tout formé dans le vin.

    On peut encore consulter, dans les Annales de Chimie, l’opinion qu’a publié Fourcroyj sur cette imposante matière.