Cours d’agriculture (Rozier)/VOITURE

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Libairie d’éducation et des sciences et des arts (Tome dixièmep. 423-443).


VOITURES. Les occupations, les travaux du cultivateur ne se bornent pas au labour des terres, à la culture des plantes, à la récolte des fruits ; il faut encore engranger ceux-ci, les transporter à la maison, et souvent de là au marché. Ces divers transports se font par le moyen de voitures attelées, soit de bœufs, soit de chevaux, soit de mulets.

Avant tout, le lecteur doit être prévenu que nous n’entreprenons point ici de décrire l’art du charron ; ainsi nous ne donnerons point ici la description des différentes parties dont sont composées les voitures, ni les dimensions de chacune des pièces dont ces mêmes parties sont formées, parce que nous présumons qu’un cultivateur soigneux de ses intérêts ne donne sa confiance qu’à un ouvrier instruit au moins des principes de son art ; mais nous tâcherons de mettre le premier à portée de juger par lui-même de la solidité dans la construction, et de la forme des voitures les plus propres à remplir ses vues. Nous ne nous écarterons de ce plan général, que pour faire connoître dans le plus grand détail, 1°. le camion prismatique, parce qu’il est d’invention moderne, et presque ignoré dans les campagnes, où il seroit très-avantageux d’en étendre l’usage ; 2°. le dynamomètre du citoyen Regnier, qui n’est encore connu que des savans, et qui devroit l’être, non seulement des cultivateurs, mais de toutes les personnes qui ont quelque intérêt au roulage.

Il est aisé de concevoir que la voiture la plus avantageuse est celle qui, par sa forme et l’exactitude de ses proportions, étant susceptible de recevoir la charge la plus considérable, peut être mue par la moindre force ; car moins on peut employer de bestiaux à la tirer, sans les fatiguer, sans courir les risques des accidens, et plus il y a de bénéfice : cette proposition n’a pas besoin d’être démontrée. Ainsi, la solidité et la facilité à être mues sont les attributs des meilleures voitures.

Les mêmes formes de voitures ne conviennent pas également dans tous les pays, à toutes les localités, ni indistinctement aux différentes espèces de bestiaux qu’on peut employer au trait. Par exemple, les voitures les plus communes dans les plaines, sur les chemins larges, droits et unis de la Flandre, tirées par de grands et vigoureux chevaux de Frise, communément attelés plusieurs de front, ne pourroient être d’aucun usage dans les régions montagneuses, sur les chemins étroits, rocailleux et escarpés des Vosges, des Ardennes, du Cantal, de la Haute-Vienne, de la Creuse, de la Corrèze, de la Dordogne, etc. où les bœufs exécutent presque tous les travaux de la culture. Souvent même on doit trouver dans une ferme suffisamment pourvue des instrumens et des meubles nécessaires à l’exploitation, différentes sortes de voitures, parce que les unes sont plus propres que les autres au transport de telle ou telle espèce de récolte, de tel ou tel genre d’engrais, et que la facilité de charger et de transporter produit une grande économie de tems, bien inappréciable en agriculture, Cependant il faut se garder de multiplier ces sortes de meubles au de-là du besoin. Un sage économe se prête aux dépenses nécessaires, mais ne les excède pas.

Les voitures les plus employées dans l’agriculture sont le char ou chariot, les charrettes, les tomber aux et les haquets. Les chariots sont ordinairement montés sur quatre roues, et les chevaux ou les mulets qui les traînent sont attelés à un timon ; deux roues seulement portent les autres voitures.

Quand ces dernières sont tirées par des bœufs, on attèle ces animaux à un timon ; quand elles doivent recevoir un attelage de chevaux ou de mulets, l’un d’eux est placé dans des limons ou dans une limonière ; et le surplus de l’attelage le précède, les chevaux on mulets étant placés de file, à la queue l’un de l’autre.

Les chariots et les charrettes ne diffèrent guère entre eux que par le nombre des roues ; leur construction est très-simple : ces voitures sont formées de deux maîtres brins, appelés limons, unis l’un à l’autre par quatre, six ou huit épars qui servent à soutenir les planches qui deviennent le fond ou le plancher de la voiture. Cette première partie posée et fixée sur un ou deux essieux est le bâtis, la charge ou la cage de la voiture. La partie des limons qui excéde la charge forme le brancard dans lequel on fait entrer le cheval ou le mulet qui doit remplir les fonctions de limonier. Quand la voiture est destinée à être traînée par des animaux attelés de front, deux à deux, les limons ne dépassent pas la charge, mais il part du milieu de l’espace qui les sépare, une pièce appelée timon ou aiguille, laquelle étant assujettie dans une traverse, se prolonge de deux mètres au moins entre deux bêtes de trait et sert à les attacher. Ce point de l’attache est le principal point de la résistance. Toutes les pièces qui concourent à former l’ensemble du chariot ou de la charette sont assujetties et fixées les unes aux autres de manière à ne pouvoir recevoir aucune direction particulière : le mouvement que l’on voudroit imprimer à l’une se communique à toutes les autres et dans le même sens. Il n’en est pas de même du tombereau ; celui-ci est composé de deux parties très distinctes et susceptibles d’être mues en sens différent ; 1°. la voiture proprement dite qui est une grosse caisse sans couvercle, faite de planches enfermées dans des gisans. En tirant du devant une traverse à coulisse, par laquelle elle est assujettie, toute la charge fait la bascule en arrière ; 2°. le brancard qui ne tient à la voiture que par deux boulons, autour desquels se meuvent librement, mais de bas en haut seulement, les deux pièces qui forment le brancard, de manière que quand le tombereau fait la bascule, le cheval et le brancard dans lequel il est attelé n’éprouvent ni secousse ni déplacement.

La limonière ou le brancard du baquet diffère peu de celui du tombereau ; mais le haquet étant spécialement destiné à transporter des fûts qu’on place sur sa charge longitudinalement, c’est-à-dire, fond contre fond, est à proportion plus long et moins large que les autres voitures. Outre qu’il est susceptible de faire la bascule comme le tombereau, il est pourvu d’un moulinet placé entre le brancard et la charge, par le moyen duquel un seul homme peut avec un câble charger et décharger les plus lourds fardeaux. Il est fâcheux que cette espèce de voiture très-commode, très-ingénieuse, et dont l’invention est due à l’un des plus beaux génies qu’ait produit la France, Pascal, ne soit guère connu que dans nos grandes villes commerçantes. Combien de services elle rendroit dans les campagnes, et sur-tout dans les pays à vin et à cidre ? Les chars, chariots et charrettes servent au transport de toutes les espèces de grains en gerbes ou en sacs, à celui des pailles, des fourages, des bois et des fumiers à demi-consommés. Les tombereaux conviennent davantage pour transporter les racines, les tubercules, les fruits à cidre, la terre, le sable, la marne, la chaux, les gravois et les engrais les plus précieux, tels que la colombine et la poulnée.

Nous avons dit que la solidité et la facilité à être mues étoient les qualités essentielles des voitures.

I. La solidité dépend 1°. de la bonté du bois qu’on emploie à leur construction, de sa parfaite siccité et de l’application de certaines espèces de bois à la confection de certaines parties de la voiture. Pur exemple, l’expérience a appris que l’orme est le meilleur de tous les bois pour faire les moyeux et les jantes des roues, le chêne pour les rayons et les épars ou les traverses, le frêne pour les limons et les brancards, et le cormier pour l’essieu, quand on croit pouvoir se dispenser de l’avoir en fer. On fait aussi de très-bonnes jantes avec de l’érable ; 2o. dans la juste proportion de toutes les pièces, dans la précision des assemblages, dans l’exemption de toute espèce de nœuds. Quand l’ouvrier rend son ouvrage examinez-en attentivement toutes les parties. Si vous y remarquez des fentes, des disjointures, des nœuds, des irrégularités dans les distances qui séparent les rayons de roues, ne l’acceptez pas ; les cavités de quelque espèce qu’elles soient, sont autant de réservoirs où l’eau séjourne et travaille incessamment à la destruction du bois. Quant aux nœuds, le charron ne manquera pas de vous observer qu’ils sont une qualité dans les moyeux, parce qu’ils les rendent plus durs et plus propres à résister au frottement continuel de l’essieu. Cette raison est bonne quelquefois, mais le plus souvent elle n’est que spécieuse. Sur cent moyeux formés de bois très noueux, les quatre cinquièmes ne valent rien, parce qu’il est rare que plusieurs nœuds existent, sans que quelques uns ne recèlent des principes où même un commencement de dissolution. 3o. Enfin, dans la pureté, la douceur, la ductilité du fer employé à former l’essieu de la voiture ou les bandages des roues. Il n’est guère qu’une manière de s’assurer de la bonté du fer, c’est de connoître la forge où le maréchal s’approvisionne ; comme la bonté de ce métal dépend presque autant de la qualité de la mine, que du travail des ouvriers, les forges pourvues de bonnes marchandises sont connues. La réputation de celle où l’on fabrique le fer de votre maréchal est-elle équivoque ? ne balancez pas à lui retirer votre pratique. Vous paierez peut-être un peu plus cher à un autre ; mais vous en serez bientôt dédommagé. Un essieu qui se brise sous une charge en mouvement, peut entraîner une perte immense, parce qu’il est rare que les bêtes de trait n’éprouvent quelque atteinte funeste d’un choc aussi violent. N’adoptez pas les bandages d’une seule pièce ; cette forme expose à trop d’inconvéniens ; si la bande se casse sur un point, il faut plus de temps et de travail pour la réparer que pour la placer à neuf ; au contraire, le bandage étant divisé en six, si la brisure a lieu sur l’une des parties, le travail, pour la réparer, est trois ou quatre fois moindre. Exigez que chaque partie du bandage soit coupée à fausse équerre ; la surface des jantes en est mieux garantie de toute espèce de frottement.

II. Une voiture est mue d’autant plus facilement, que les différentes pièces dont elle est composée sont entre elles dans une proportion exacte, et que le bois dont elles sont formées, a la force et la grosseur suffisantes pour soutenir la charge, sans qu’il reste un excédent de poids qui formeroit surcharge. Il faut convenir que les ouvriers en charronnage se trompent rarement en moins dans l’épaisseur ou dans la circonférence qu’ils laissent au bois dans la construction des voitures. Nous avons même observé, dans les provinces du sud-ouest de la France, qu’ils commettent beaucoup d’erreurs dans le sens opposé. De combien de myriagrarnmes les charrettes de ces pays pourroient être déchargées, sans nuire à leur solidité ! Elles sont massives et grossièrement faites ; on laisse les timons et les limons équarris, quand, de la suppression de l’équarrissage, il résulteroit allégement dans le poids de la voilure, et facilité d’écoulement à l’eau, dans les tems humides. 2°. Le nombre des roues, leur hauteur et le diamètre des jantes influent aussi beaucoup sur le roulage. On verra, par les expériences rapportées à la fin de cet article, que sur un plan horizontal, quatre roues ne facilitent pas plus le tirage que deux ; que s’il en résulte quelqu’avantage pour descendre une côte, parce que la charge portant sur plus de surface, il en résulte plus de facilité au limonier ou aux timoniers, pour en soutenir le poids ; mais, par cela même, cet avantage disparaît quand il s’agit de monter sur un plan incliné ; parce que les obstacles se multiplient en raison de l’étendue de la surface à vaincre. D’ailleurs, deux essieux ou quatre roues produiroient de très-grands embarras dans la plupart de nos chemins vicinaux, presque toujours étroits, tortueux et coupés par des embranchemens, dans lesquels les voitures, même à deux roues, ne tournent qu’avec peine. Les chariots ne conviennent que pour le roulage proprement dit, que sur les grandes routes ou dans les chemins droits et soigneusement entretenus.

Il n’est pas douteux que les roues hautes ne favorisent beaucoup la puissance qui tire ; mais cette hauteur est relative ; car il paroit qu’elle doit être proportionnée à la taille des bêtes de trait. Aussi, pensons-nous qu’on doit se déterminer à cet égard d’après le principe suivant. Où se trouve, dans une voiture, le centre de la force d’inertie ? À l’essieu. Où est placé le centre de la puissance qui agit ? Sur le poitrail du cheval ou sur le front du bœuf. Ainsi, en plaçant l’essieu à la hauteur du poitrail de l’un ou du front de l’autre, pouvant tirer une ligne horisontale, qui aboutisse à ces deux points, on aura une correspondance parfaite entre la puissance qui tire et la force qui résiste. Nous avons constamment observé que les bœufs, avant d’être attelés ou de tirer, ont le haut de la tête presque de niveau avec le haut des épaules ; mais pour mettre la force d’inertie en mouvement, pour charroyer, ils baissent la tête jusqu’à ce que leur front soit au niveau de l’essieu ; ainsi, plus les roues sont basses, plus l’essieu avoisine la terre, et plus ils sont obligés de baisser la tête ; quelquefois même, c’est au point qu’en montant un plan incliné, leur bouche effleure, pour ainsi-dire, la surface du terrein. On conçoit combien une pareille position doit leur être pénible. Donc, s’il devoit y avoir obliquité dans la ligue correspondante dont nous venons de parler, il seroit indispensable de faire partir du centre de la force d’inertie, le point le plus élevé de cette ligne pour aller aboutir, en descendant, à celui de la puissance agissante. Il est hors de toute raison de lui donner une direction en sens contraire. D’après ce principe, que nous croyons sûr, il appartient au cultivateur seul de prescrire la hauteur de ses roues, puisque leur diamètre doit être relatif à la taille des animaux et de l’espèce d’animaux qu’il emploie au trait.

De l’épaisseur des jantes, Il y a vingt-cinq ou trente ans que le gouvernement françois, voulant introduire, pour la conservation des chemins, l’usage des roues à larges jantes, qui, en effet, à poids de charge égale, coupent moins la terre, font des ornières moins profondes, parce qu’elles couvrent une plus grande surface que les roues à bandes étroites, invita non-seulement les rouliers, mais les cultivateurs à adopter cette nouvelle forme. Il promit des primes, des récompenses, à ceux qui, les premiers, en donneroient l’exemple ; mais il n’eut pas la prévoyance de désigner aux cultivateurs les cas, les circonstances où leur intérêt vouloit qu’ils s’en tinssent à l’ancienne méthode ; de manière que plusieurs d’entr’eux furent dupes de leur zèle, de leur obéissance, sans que le gouvernement y trouvât le plus léger avantage. L’exemple des anglois, leurs lois de police, qu’on cita, la réputation de leur culture, qu’on mit en avant, excitèrent une émulation générale, non-seulement sur tous les forts rouliers, mais un très-grand nombre de cultivateurs s’empressèrent de se conformer au vœu de l’administration. La plupart des derniers ne tardèrent pas à reconnoître leur erreur. Cependant la dépense étoit faite ; il a fallu attendre que la nécessité de renouveler les roues les mît dans le cas de renoncer à la méthode angloise. Voici les proportions qui sont admises, en Angleterre, entre la largeur des jantes des charrettes et le poids dont on peut les charger.

Jantes. Poids.
Charettes à 2 roues 5 pouces. lignes. 3300 Été.
2400 Hiver.
À 4 roues. 5 7300 Été.
6700 Hiver.
À 2 roues. 5 8 5800 Été.
4600 Hiver.
À 4 roues. 5 8 11200 Été.
8900 Hiver.

Charettes à 2 roues 8 pouces. 6 lignes. 6700 Été.
6000 Hiver.
À 4 roues. 8 6 14500 Été.
13500 Hiver.
À 2 roues. 15 17900 Été.
15600 Hiver.

Ces charges sont énormes ; la plupart des cultivateurs approvisionnent directement par eux-mêmes les villes les plus peuplées d’Angleterre ; par conséquent, cette classe est tenue, comme celle des rouliers, à se conformer aux lois du roulage ; mais le gouvernement français avoit oublié de dire aux agriculteurs de son pays, que les chemins vicinaux de l’Angleterre sont en général aussi solides, aussi bien entretenus que les grandes routes. Voici la règle qui nous paroît la plus sûre : sur les chemins tuffeux, caillouteux, et qui ont de la solidité, on peut donner aux jantes de quatre à cinq centimètres d’épaisseur, par cheval ; dans les pays de bonnes terres, et sur les terreins mous et fangeux, six centimètres, aussi par cheval, ou environ deux pouces, leur assurent une largeur convenable.

Nous dirons peu de chose sur la grandeur des voitures, parce qu’elles doivent être relatives à l’étendue de l’exploitation, au nombre et à la force des bêtes de trait qu’on entretient dans la ferme. On en emploie qui ont depuis un mètre sept décimètres, jusqu’à six mètres de longueur. La largeur du fond est, pour ainsi-dire, la même pour les petites et pour les grandes charrettes ; mais on élargit les unes et les autres par le moyen des ridelles, qui, placées verticalement, et un peu obliquement de chaque côté, augmentent, à huit décimètres de hauteur, la largeur de la voiture de quatre ou cinq décimètres. Cette capacité n’augmente pas dans la même proportion, jusqu’à une grande hauteur, parce que, si les ridelles étoient trop inclinées, elles se trouveroient en frottement avec les roues ; mais, par le moyen de deux bâtis, qu’on peut nommer guidages, placés, l’un sur le devant, l’autre, sur le derrière de lacharette, un habile chargeur, car c’est un talent que de bien charger, peut ranger jusqu’à trois cents myriagrammes ou six milliers pesant de fourage, sur une voiture de cinq mètres seulement de longueur.

Le célèbre Arthur Young a entrepris, en Angleterre, une sorte de révolution relativement à l’emploi des charrettes. Il est important de connoître ses principes et les essais d’après lesquelles il se croît fondé à les établir.

Des expériences nombreuses l’ont convaincu que la force des chevaux s’accroissoit à proportion qu’on en diminuoient le nombre dans les attelages, et qu’elle alloit toujours en augmentant, jusqu’à ce que l’on en vînt à n’en atteler qu’un seul à une charrette.

Pour le transport des grains, de la paille, du foin et du bois, les fermiers anglais se servent ordinairement d’une voiture tirée par quatre chevaux : pour conduire le fumier ou de la terre, ils font usage du tombereau ou d’un char traîné par trois ou quatre chevaux : les rouliers assez généralement n’emploient que des voitures à larges roues et attelées de huit chevaux.

Le roulage de France se fait communément, avec de grandes charrettes à deux roues, tirées par trois, quatre, cinq chevaux.

Pendant un temps, on ne connut, en Écosse, que les chariots ; on les remplaça par de grandes charettes, puis par des petites, traînées par un seul cheval.

En Irlande, on emploie généralement la charrette à petites roues et à un cheval ; quelques particuliers en ont fait construire d’une grandeur ordinaire : d’autres avoient introduit le chariot anglais, mais l’ayant reconnu moins avantageux, ils l’ont abandonné. Pendant son séjour dans cette île, Young a eu occasion de voir l’usage que l’on fait de cette charette, à petites roues, et il a été surpris qu’avec une machine qui, aux yeux d’un homme accoutumé aux chariots, n’est pas plus grosse qu’une brouette, ou transportât avec une promptitude singulière les récoltes de grains et de foin. L’avantage de celle ordinaire et à un cheval, est néanmoins beaucoup plus considérable.

Peut-être est-ce une témérité de ma part, dit-il, de combattre une pratique dont l’utilité semble être reconnue par tout ce qu’il y a d’agriculteurs éclairés en Angleterre. Mais je suis fort d’avis que, vu l’emploi des chariots, et des grandes charettes pour les différens travaux, qu’ils se feroient encore plus économiquement avec la charette à un cheval. On doit sans contredit préférer la méthode usitée en Écosse et en Irlande.

Lors de son ouvrage en Irlande, il s’est tellement convaincu de cette vérité, qu’à son retour, en 1779, lorsqu’il a commencé à exploiter, par lui-même, une partie de la ferme qu’il occupe actuellement, il fit construire deux charrettes qui suffirent à tous les genres de services ; et, dès ce moment, il a renoncé aux chariots et aux tombereaux. La proportion, d’après laquelle il les fit d’abord établir, fut réglée sur celle des chariots du Suffolk, auxquels il étoit accoutumé : leur capacité étoit, mesure anglaise, de 96 pieds cubes, ou 12 pieds de longueur, sur 4 de largeur et deux de hauteur. Pour remettre à chaque cheval le quart de la charge entière, chacune de ses charettes contenoit 24 pieds cubes, c’est-à-dire qu’elle avoit 4 pieds de longueur, 3 de largeur, et 2 de hauteur. Mais, d’après des observations qu’il n’a pas tardé à faire, il a reconnu qu’un cheval seul tiroit, proportion gardée, une charge beaucoup plus forte, que s’il étoit attelé avec plusieurs autres, ce qui l’engagea a donner à ses charettes les dimensions suivantes :

Longueur 5 pieds 1 pouce
Largeur 3 pieds 7 pouces
Hauteur 2 pieds
Pieds cubes 35 pieds et une fraction

L’usage qu’il fait de ces charettes s’étend a tous ses travaux, et s’il portoit sa ferme jusqu’à 400 ou 500 arpens, une seule de plus lui suffiroit encore. Il charie avec elle foin, paille, lingots, bois, fumier, marne, chaux, briques, etc. : elles contiennent jusqu’à 10 coombs de bled, (environ 112 boisseaux de France) et jamais il ne leur attèle plus d’un cheval ou d’un bœuf.

Dans des fermes beaucoup plus considérables que la sienne, on n’emploie également que de petites charettes. Il a vu, en Irlande, suffire avec elles, dans une seule aunée, au charroi du produit de 500 arpens de blé, et de 300 de prairie, et au transport de 10,000 quintaux de chaux. Il a été aussi informé que Culley, de Northumberland, remplit avec elles tous les travaux qu’exige sa ferme, qui est extrêmement etendue.

Mais le point principal est de déterminer si les charettes, tirées par un seul cheval, doivent être préférées aux chariots et aux tombereaux : les premiers, destinés au transport des grains, soit battus, soit en paille, et les seconds, à celui du fumier, de la marne, etc. Il faut entrer dans quelques détails a ce sujet.

1o . De la construction et réparations.

— Le premier objet à considérer est le coût primitif. L’auteur connoît au juste les dépenses qu’occasionnent la construction et l’entretien des charettes ; — sa ferme tout y compris, est de 340 arpens, et il est à observer que le charroi de ses bois forme un objet considérable ; cependant cinq charettes lui suffisent ; il fait, chaque année environ de 400 à 500 toises cubes d’engrais composé, ce qui lui occasionne un double transport pour conduire la terre ou la marne à la cour, et l’en sortir ensuite pour la répandre dans les champs. Néanmoins qu’on en construise encore une de plus, ce qui lui en donnera six pour 340 arpens, et estimant chacun d’elles à 252 livres : elles lui coûteront 1512 liv.

Il ne connoit aucune ferme de même étendue dans un pays à grain, qui n’ait besoin au moins dle trois voitures et de trois tombereaux : il en faut même en général un plus grand nombre. Évaluant sur le taux actuel, ainsi qu’il l’a fait pour ses charettes, le chariot à 560 liv. et le tombereau à 264 liv. : plus la voiture légère que l’on a ordinairement à 168 liv., il aura :

3 chariots 1,680 liv.
3 tombereaux 792
Voiture légère. 144
2,616
Les charrettes ont coûté 1,512
Bénéfice 1,104 liv.

En suivant la même proportion, les réparations se monteront encore à 40 pour 100. Il n’y a donc aucune comparaison à établir sur ce point.

2°. Un cheval ou un bœuf, attelé seul à une charette, peut-il traîner une charge plus forte que s’il étoit attelé avec trois autres à un chariot ? — Les charges qu’il met ordinairement sur ses charettes, ne laisseront aucun doute sur cet article, dès qu’il les aura fait connoître. Quelques-uns de ses chevaux qui, il y a dix ans, ne valoient pas plus de 120 livres, font facilement, sur des routes montagneuses, sept à neuf lieues par jour avec une charge de 102 boisseaux : un de ses bœufs en tiroit jusqu’à 112, d’où l’on doit conclure qu’un chariot à quatre chevaux devroit conduire 408 boisseaux, et un à quatre bœuf 448 : mais il résulte des recherches qu’il a faites, que la plus forte charge que l’on puisse traîner-sur un chariot à quatre chevaux, est de 225 boisseaux, et sur celui à quatre bœufs, de 280 : comparant ensuite les deux charges 102 et 280 boisseaux, il trouve quelles sont dans le rapport de . supposez, . La différence sera encore très-considérable. Mais on doit faire attention à la qualité des chevaux, ceux de ses voisins étant en général, meilleurs que les siens. Il n’a jamais recherché la finesse des chevaux qu’il regarde comme une sorte de luxe entre les cultivateurs, luxe qui commence à ne plus être aussi commun : mais si on n’a en vue que de bons attelages, la comparaison ne sera plus soutenable, et on reconnoîtra une différence comme de .

Pendant plus de dix ans, ses charrettes ont été un objet de dérision et de plaisanterie parmi les fermiers. Plusieurs fois, ils l’ont fort amusé par les objections qu’ils lui faisoient. Un cultivateur en grand sentit bien tous les avantages qu’il retiroit de leur usage, lorsqu’il lui offrit un pari que, malgré son entière confiance dans ses voitures, il n’osa accepter. Il lui proposoit de charger sa voiture d’engrais, tellement que cinq chevaux ne pussent la mouvoir, quelque peine qu’il se donnât pour exciter leurs efforts, et d’en conduire ensuite la même quantité avec facilité, en la répartissant sur quatre charrettes.

Un autre fait, selon lui, doit encore contribuer à faire reconnoître la supériorité des charrettes. On voit, tous les jours, les charges énormes de charbon de sorte que de pauvres gens conduisent de commune en commune, avec un seul cheval, ou une couple d’ânes.

3. Transport de Juin et de la paille. — Ceux qui sont d’accord sur les avantages qu’on vient de développer, trouveront les charrettes défectueuses pour le transport des pailles et des foins, dans le tems de la récolte ; mais Young ne sait trop sur quoi ils se fondent. Lorsqu’on a fixé les ridelles, elles forment un carré de huit pieds quatre pouces de long, sur cinq pieds neuf pouces de large. Or, un charriot du Suffolk, également avec ses ridelles, ne comporte que quinze pieds de long, sur cinq de large, ou soixante-quinze pieds carrés, ce qui fait, d’après le nombre qu’on emploie ordinairement, vingt-cinq pieds carrés pour chaque cheval. Supposé même qu’on ne se serve que de deux chevaux, il n’y auroit encore, pour chacun d’eux, que trente-sept pieds et demi carrés, au lieu de quarante-sept, ce qui, dans tous les cas, présente une plus grande superficie de disponible. Maintenant, qu’un homme s’occupe à la conduite d’une charrette, ou deux à celle de deux charettes, il est facile de voir qu’ils feront autant d’ouvrage que s’ils avoient des charriots ; puisqu’un ouvrier, quelle que soit la grandeur de la voiture qu’il mène, ne peut pas faire plus que travailler continuellement. La célérité est le point essentiel ; et on l’obtiendra, puisqu’on emploiera une voiture plus petite et une charge moins considérable ; et n’est-il pas certain qu’une charrette légère vous permettra de faire plus de voyages qu’un charriot pesant et embarrassant ?…

Il se présente encore ici de nouveaux avantages, qui méritent d’être observés sous deux rapports. On fixe la charge de la charrette avec une corde : cette opération ne demande qu’un instant, et ne prend pas la cinquième partie du tems qu’il faudroit pour la faire à un charriot. Arrivé au lieu où l’on construit la meule, le foin ou la paille se déchargent de la même manière que si c’étoit de la terre ou du fumier. Un ouvrier ôte la clavette à laquelle la corde est astreinte, et il dirige la charge dans sa chute sur la meule. C’est de cette manière que l’on forme toutes les meules en Irlande : mais on ne gagne pas absolument par cette méthode, qui ne peut être employée qu’autant que les meules ne sont pas parvenues à une certaine hauteur. On voit que par là un homme actif, qui soigne les intérêts de son maître, peut conduire tout le travail, qui ne restera pas interrompu un seul moment, s’il tient tout son monde à l’ouvrage.

Voici encore un fait aussi convainquant, dit M. Young, qu’un fait puisse l’être. Chaque année, il convient d’un prix fixe pour faire sa récolte, à tant par arpent, au moyen de quoi on se charge de moissonner, lier, charger et conduire les gerbes. Il n’a personne pour aider à décharger la voiture lors de son arrivée à la ferme, son principe étant de ne pas entretenir de domestiques pour ces sortes de travaux. Si cependant les ouvriers avoient trouvé du désavantage à se servir de la charrette, ils n’auroient pas manqué de s’en plaindre à chaque récolte, et d’exiger des indemnités. La première année qu’il en fit usage, ils ne se contentèrent pas de se récrier contre cette innovation ; mais encore ils se plaignirent violemment. Un matin, il trouva sur un de ses champs un charriot que chargeoit son journalier, qui l’avoit emprunté pour tout le tems que dureroit la moisson. Le jour suivant, par une expérience qu’il fit, il mit fin à leur mécontentement : il leur dit que s’ils pouvoient lui démontrer la possibilité de transporter plus promptement avec un charriot qu’avec une charrette, le produit d’un arpent, il adopteroit sur le-champ, l’usage pour lequel ils étoient si portés, et qu’en outre, il les récompenseroit du tems qu’ils auroient perdu à faire cet essai ; mais aucun ne réclama ; et, depuis cette époque, jusqu’aujourd’hui, quoique chaque année il occupe de nouveaux ouvriers, aucun ne lui a adressé la moindre plainte contre ses charrettes, qu’il appliquée tous les services de sa ferme.

4°. De la conduite de la charrette. — On lui a objecté que la peine de conduire toutes ces charrettes, occasionnoit des embarras et des dépenses. Il ne soutient pas que les frais de conduite n’en soient pas plus considérables dans aucun cas ; mais, il dit que chez lui il n’en ressent pas d’augmentation. Le service qu’exige un charriot varie ; à cet égard, il a le même avantage. Souvent il a envoyé aux champs quatre charrettes avec deux hommes, autant avec un homme et deux enfans ; trois avec un homme et un enfant. Si donc il y a ici quelques différences, elles ne peuvent être que très-légères.

5°. Des accident qui surviennent. — Si l’une des roues d’un charriot casse, tout l’attelage se trouve arrêté, et il en résulte une longue perte de temps. Si, au contraire, cet accident arrive à une roue sur cinq ou six charrettes, la charge se répartit sur les autres, et la perte devient presqu’insensible.

6°. En considérant cette innovation de plus près, quelques personnes ont trouvé un défaut dans la largeur des jantes des roues, qui n’est que de deux ponces et demi, trois au plus ; mais elles sont dans l’erreur ; car si, pour un cheval, la largeur de la jante est de deux pouces et demi, il s’ensuivroit que pour huit, elle devroit être de vingt pouces ; or, elle n’est que de neuf pouces pour un charriot traîné par un tel attelage ; et quand même cette dernière largeur de neuf pouces existeroit pour les charriots à quatre chevaux, celles des jantes des roues de ces charrettes seroient encore proportionnellement plus fortes.

7°. La division de l’attelage, sans avoir égard à la voiture par elle-même, forme, suivant lui, l’avantage principal. Il a souvent, pendant ses voyages, causé avec des rouliers qui conduisoient des attelages de huit chevaux : les plus intelligens lui ont dit que toute l’habileté d’un conducteur consistoit à faire tirer tous ses chevaux avec une égale force. Mais il se trouve toujours un ou deux chevaux paresseux, non qu’ils se réservent pour s’employer avec plus de vigueur, si les circonstances l’exigeoient, mais qui sont privés de toute activité, et refusent ainsi de partager le fardeau commun : d’autres, en mëme-tems remplis de feu, tirent plus que les autres, et se ruinent ainsi. Le voiturier doit donc veiller à ce que chaque cheval tire une charge égale. Mais ce qui exige une attention continuelle, ne peut être rempli qu’imparfaitement : beaucoup de conducteurs sont négligens, et dès-lors l’attelage souffre. La charrette pare à tous les inconvéniens pour peu que l’on mette d’attention dans la répartition, chaque charge se trouvera égale et proportionnée à la force du cheval, qui agissant seul, sera contraint de la traîner.

8°. La hauteur des roues des charrettes ajoute à la force des chevaux, avantage que ne présenteront jamais les charriots, qui, pour faciliter à tourner, ont toujours les roues de devant plus basses que celles de derrière. Le cheval de devant est le seul de tout l’attelage qui soit placé au centre du charriot, à moins qu’on n’ait de fausses chaînes pour atteler les autres, le seul moyen de prévenir cet inconvénient, mais qui ne détruira pas encore celui qu’apportent les roues basses. Il n’est pas étonnant que des chevaux traînant une voiture montée sur des roues de cinq pieds de diamètre aient plus de force que ceux qui tirent celles qui n’ont que quatre pieds de hauteur.

9°. il est facile de voir, et cette remarque a été faite souvent, qu’une voiture dont la construction est solide, comporte moins d’étendue, est plus facile à conduire que celle construite d’après les principes opposés : il n’y a, à cet égard aucune comparaison à établir entre le charriol et la charrette à un cheval.

10°. Quant à la pesanteur du charriot et de la charrette calculée relativement à la charge, l’avantage est beaucoup en faveur de la dernière. Un charriot à roues basses qui porte vingt-cinq coombs de blé (environ 280 boisseaux), pèse vingt-cinq quintaux, ou un quintal par coomb ; une charrette qui porte neuf coombs (environ 102 boisseaux), ne pèse que cinq quintaux, ou un peu plus d’un demi-quintal par coomb.

11°. Il est facile de concevoir que les charrettes contribueroient à la conservation des routes si leur usage devenoit général. Tous les rapports faits à la chambre des communes, tous les mémoires publiés à ce sujet, sont d’accord sur ce point : ils sont tous d’avis qu’il sera toujours impossible de tenir les chemins en bon état, tant qu’il sera permis aux rouliers de traîner sur leurs charriots des charges aussi énormes. Le parlement convaincu de cette vérité, rendit plusieurs lois qui prescrivoient de diminuer les charges et de donner plus de largeur aux jantes. Mais l’expérience a démontré que ces deux moyens étoient insuffisans ; il n’en est qu’un seul de certain pour atteindre à ce but désirable : il consiste à prohiber les attelages nombreux. Qu’il soit permis à chacun, en payant un foible péage, de traîner sur la charrette à un cheval tous les fardeaux qu’il lui plaira ; mais que la charge pour deux chevaux soit déterminée, et le droit augmenté ; que celle pour quatre soit déterminée, et le droit proportionnellement augmenté, et que ce dernier aille toujours en croissant, de sorte qu’il supplée à toute défense que l’on pourroit porter contre les charges trop considérables. Si l’on suivoit un tel plan, on ne tarderoit pas à reconnoître les heureux effets qu’il produiroit sur nos routes.

On a beaucoup favorisé, en diminuant le droit de péage, les larges et forts bandages des roues ; mais ce moyen est tout aussi nuisible, et ces bandages écraseront toujours les cailloux avec la même promptitude que les roues couvertes d’un fer étroit. Si les routes sont délabrées, cela provient de ce que les pierres que l’on y répand, sont aussitôt réduites en poudre et enlevées par les vents, ou converties en boue. Je me suis d’ailleurs convaincu, poursuit M. Young, en suivant dans sa marche un charriot dont les jantes des roues étoient étroites, que le large bandage produisoit un bien plus mauvais effet, en pulvérisant tout ce qu’il rencontroit.

Pour une recherche de ce genre, c’est dans les faits seuls que l’on doit chercher à puiser quelques lumières. Les routes d’Irlande ont, pour leur confection, coûté beaucoup moins que celles d’Angleterre, et néanmoins elles sont parfaitement mieux conservées ; ce qui est dû, comme je l’ai remarqué lors de mon voyage dans cette île, à l’usage des charrettes à un cheval. On économiseroit plusieurs millions, si des réglemens étoient portés de manière à encourager l’emploi des charrettes, et à gêner celui des charriots.

Nous n’avons point fait d’expériences précises du service des petites voitures à un cheval, comparé avec celui des charrettes attelées de trois ou quatre chevaux. Cependant, quand nous avons été dans le cas de nous servir des premières pour rentrer quelques restes de récolte, soit en blé, soit en fourrage, ou pour transporter quelques riches engrais dans des clos à chanvre, nous avons constamment observé qu’un seul cheval traînoit constamment, sans gêne, un poids fort au dessus de celui du tiers ou du quart de la charge d’une grande voiture tirée par trois ou par quatre chevaux. Il n’est pas douteux, en effet, que la parfaite réunion des forces n’est ni constante, ni même d’une longue durée dans les attelages à plusieurs chevaux, et que leur accord dans l’action de tirer est d’autant plus rare, que les bêtes de l’attelage sont en plus grand nombre.

Cette observation en faveur des petites voitures nous conduit à en décrire ici une très-ingénieuse, très-commode, et très-utile. On l’emploie dans les travaux publics depuis environ trente ans ; mais elle est trop peu connue des cultivateurs qui pourroient en tirer les plus grands services, sur tout pour le terrotage des champs et des vignes, pour en extirper les plus grosses pierres, pour rentrer la récolte de certains fruits, tels que les noix, les amandes, les châtaignes, etc., et pour transporter au marché les racines, les salades et les gros légumes. Elle est tout à la fois solide et légère, une femme, un enfant de quinze ans peuvent également la charger et la décharger et le poids de cette charge n’est pas supérieur aux forces d’un bon âne. Cette voiture est le camion prismatique à bascule, nommé perronet, du nombre de l’auteur. Ce célèbre ingénieur l’employa avec le plus grand succès à la construction du pont de Neuilly.

Ce camion ou perronet contient environ deux mètres trois décimètres cubes de terre, et coûte, pour fourniture et main-d’œuvre, environ de cent trente à cent quarante francs. Un cheval le couduit aisément sur toutes les pentes ; sur un terrain uni un cheval mène deux camions liés ensemble, l’un derrière l’autre ; sur un plan incliné un seul cheval en peut mener jusqu’à trois. Sa grande légèreté lui permet de passer dans les routes les plus difficiles ; la décharge s’exécute avec la plus grande vitesse ; et le camion reprend de lui-même son équilibre lorsqu’il s’est vidé. Voyez pour sa forme et ses proportions la planche 27 figure 1. Plan du camion vu en dessus. AA Brancard. BB Traverse d’assemblage. C Autre traverse qui sert d’appui à la caisse. D Crochet en chaîne qui tient la caisse immobile, telle qu’on la voit de profil fig. 2. E La caisse vue en profondeur. F Essieu qui traverse le milieu de la caisse. GG Roues portant un mètre sept décimètres de hauteur, pour faciliter le mouvement de bascule lorsqu’on ôte le crochet. La caisse se renverse en arrière, sans que ses bords supérieurs touchent la terre, voyez fig. 3. La figure 4 représente la caisse vue de face, avec une partie de l’essieu qui la traverse. H Bâtis de la caisse avec le lien de fer placé aux extrémités pour la rendre plus solide. I Planche attachée simplement au bâtis avec des clous. Fig. 5. Détail du bâtis de la caisse. K Pièce du fond. L Moutans des deux faces pour la hauteur de la caisse. M Autres montans des deux côtés de la caisse, et qui sont traversés, par l’essieu.

Chaque cultivateur d’une grande exploitation, jaloux de se procurer tous les moyens qui peuvent concourir au perfectionnement de son art, doit être pourvu sans doute des différentes voitures, et de la quantité d’animaux de trait nécessaires à sa culture ; mais combien il seroit aussi à désirer qu’il eût à sa disposition un dynamomètre. Ce mot signifie mesure des forces et de la puissance. Ce précieux instrument de physique, inventé, par le citoyen Regnier, demeurant à Paris, maison des Jacobins, rue du Bac, est employé avantageusement pour juger de la force des bêtes de trait, pour essayer et comparer celle d’un cheval relativement à un autre, d’un bœuf, d’un mulet avec celle des autres animaux de la même espèce, ou même des attelages entiers formés des mêmes espèces d’animaux, comparés aux attelages des autres espèces. Cette machine fait connoître jusqu’à quel point le secours des roues bien faites et bien montées favorise le mouvement d’une voiture, et quelle est sa force d’inertie en proportion de sa charge. Par elle, on apprécie ce que la pente d’une montagne donne de résistance au tirage ; on juge, si une voiture est trop ou trop peu chargée en proportion du nombre des animaux qu’on peut y atteler, et de la facilité ou de la difficulté que présente le chemin qu’ils doivent parcourir.

Le dynamomètre du citoyen Regnier ressemble à peu près, par sa forme et sa grandeur, à un graphomètre ordinaire. Un ressort ployé en ellipse de trente-deux centimètres de long (12 pouces), porte au milieu de sa longueur un demi-cercle en cuivre sur lequel sont gravés les degrés qui expriment la puissance agissante sur le ressort. L’ensemble de cette machine, qui ne pèse qu’un kilogramme (environ 2 livres), oppose néanmoins plus de résistance qu’il n’en faut pour estimer l’action du cheval le plus robuste.

Voyez, planche 28, sa forme et celle des différentes parties qui le composent. A. Ressort elliptique vu en perspective, recouvert d’une peau pour ne pas blesser les mains de la personne qui essaye la force de son poignet. B. Support d’acier, ajusté solidement, à patte et à vis, à une des branches du ressort, pour maintenir une plaque formant le demi-cercle, en cuivre de laiton C, montée sur le ressort vu géométralement. Sur cette plaque sont gravés deux arcs, l’un divisé en myriagrammes, l’autre en kilogrammes. Chacun de ces deux arcs est encore divisé par des points qui expriment des livres, poids de marc ; et tous ces degrés ayant été exactement évalués par des poids justes, il en est résulté que tous les dynamomètres de ce genre peuvent être comparables entre eux. Quand il existeroit quelque différence dans la force des ressorts, alors la division n’en seroit que plus ou moins rapprochée ; mais tous les degrés auroient toujours la même valeur, puisqu’ils sont l’expression des poids qui ont servi à les former. D’où il suit que cette machine peut encore servir pour faire juger à l’œil le rapport des nouveaux poids avec les anciens.

D. Petit support d’acier, ajusté comme le premier à l’autre branche du ressort, et fendu à fourchette vers.son extrémité supérieure, pour recevoir librement un petit repoussoir en cuivre E, qui est maintenu par une petite goupille en acier. Le développement de ce mécanisme est vu de grandeur par la figure H.

F. Aiguille en acier, légère et élastique, fixée à son axe par une vis au centre du cadran. Cette aiguille porte une petite rondelle de peau ou de drap collée sous la patte G., afin d’en rendre le frottement doux, uniforme et presque insensible sur le cadran. Cette aiguille est terminée par un index double, qui sert tout à la fois pour le premier arc de division et pour le second.

Le premier arc divisé en myriagrammes et par des points qui expriment 10 liv. poids de marc, sert pour toutes les expériences qui obligent le ressort à s’allonger par son grand axe, comme cela arrive lorsqu’on essaie la force des reins ; en un mot pour toutes les épreuves qui exigent de tirer le ressort par ses deux coudes.

Le deuxième arc divisé en kilogrammes, et par des points qui expriment des livres poids de marc, est destiné pour les expériences qui compriment les deux branches du ressort, comme dans les essais sur la force des mains.

J. Petite plaque de cuivre qui recouvre le mécanisme pour le préserver des chocs. Cette petite plaque porte aussi un arc de division dont les degrés correspondent à ceux du premier arc de la machine ; et par le jeu d’un petit index qui est sous cette plaque, on juge de tous les mouvemens du ressort.

K. Ouverture percée à la plaque de recouvrement, pour faciliter le passage d’un petit, tourne-vis, afin de serrer ou desserrer l’aiguille convenablement.

L. Paillette de laiton écroui, portant une chape comme celle des aiguilles de boussole, dans laquelle joue le pivot inférieur du levier qui repousse l’aiguille. Cette paillette, faisant ressort, peut céder à une fausse impulsion ou à un choc, et empêcher la rupture du mécanisme H et de son pivot.

M. Crapaudine rivée sur la plaque de recouvrement, dans laquelle roule le pivot supérieur du levier.

N. N. N. Petits piliers cylindriques sur lesquels pose la plaque de recouvrement qui y est fixée par trois vis.

O. Crémaillère en fer, rivée, sur l’empâtement de laquelle on pose les pieds, quand on veut éprouver la force de son corps ou de ses reins.

P. Poignée double, en bois, portant un crochet de fer qu’on tient dans ses deux mains, lors des expériences sur la force du corps.

Q. Crochet de fer pour accrocher au coude du ressort et à une corde nouée à un palonnier, lorsqu’on veut essayer la force des animaux de trait.

R. Manière de tenir le dynamomètre pour connoître la force des mains.

S. Position d’un homme qui essaie la force de ses reins.

T. Disposition du dynamomètre pour connoître, soit la force d’un cheval, ou de toute autre bête de trait, soit le poids d’un fardeau à tirer.

On essaie la force musculaire des, bras ou pour mieux dire la force des mains, en empeignant les deux branches du ressort le plus près du centre, comme on le voit par la fig. R, de manière que les bras soient un peu tendus et inclinés en bas, à peu près à l’angle de 45 degrés. On a remarqué que l’on pressoit ordinairement plus de la main droite que de la main gauche, parce que la première plus exercée que la seconde, donne aux muscles du bras droit plus d’extension ; aussi un forgeron a-t-il beaucoup plus de force dans les mains qu’un perruquier. On peut croire que cette différence est près de moitié. En général, un homme dont les muscles sont bien prononcés, est plus fort que celui qui a des membres charnus comme ceux des femmes. Ce n’est pas qu’il n’y ait des femmes très-fortes ; mais leur force moyenne peut être équivalente à celle d’un jeune homme de quinze à seize ans ; c’est-à-dire à-peu-près aux deux tiers de la force des hommes ordinaires.

Il ne faut pas juger de la force des hommes par celle de leur poignet ; car on en a vu presser le ressort du dynamomètre en valeur de 70 kilogrammes (143 liv.) et ne pas pouvoir soulever un pareil poids, tandis qu’on soulève ordinairement une masse d’un poids double de celui indiqué par la pression des mains.

Pour essayer la force de reins, on place sous les pieds l’empattement de la crémaillère O ; on passe à l’un des crans de cette crémaillère un des coudes du ressort ; l’autre coude s’adapte au crochet que l’on tient dans les mains. Dans cette position on est d’à-plomb sur soi-même ; seulement les épaules sont un peu inclinées en avant, pour pouvoir, en se redressant, tirer le ressort avec toute la force dont on est capable. Dans cette situation, représentée par la fig. 3. on peut soulever un grand poids ; sans être exposé aux accidens qu’un effort pourroit occasionner si on prenoit une position gênée ; mais dans celle-ci tous les muscles peuvent agir, sans inconvénient, avec la plus grande extension. On a vu des hommes vigoureux agir sur le dynamomètre en valeur de 37 myriagrammes ou 755 liv. ; mais le terme moyen du maximum de la force des hommes ordinaires se réduit à la valeur de 13 myriagrammes ou 265 liv. Les hommes diffèrent bien plus en force qu’en taille, puisqu’on voit des porte faix porter jusqu’à dix quintaux, tandis qu’il est d’autres hommes en état de santé et du même âge, qui ont de la peine à porter un cent à la même distance et avec la même vitesse.

Comme c’est sur-tout 1°. pour connoître la force des chevaux et celle des autres bêtes de trait ; 2°. pour être à portée d’établir une juste proportion entre leur force et le poids sur lequel elle doit agir, sans qu’il y ait surcharge et afin cependant que la charge soit complette, les circonstances du chemin à parcourir prises en considération ; 3°. pour obtenir enfin des notions positives sur les différens degrés de mobilité des différentes voitures, que le dynamomètre nous semble un meuble si utile dans les établissemens ruraux, nous terminerons cet article par le rapport d’une suite d’expériences authentiques qui constatent la différence de mobilité qui existe entre les voitures à roues basses et à roues élevées, à roues graissées et à roues non graissées, à essieux fixes et à essieux mobiles.

I. On s’est servi de quatre chevaux de taille moyenne, bien portans et en bon état : ils ont été soumis, l’un après l’autre et séparément, à la même épreuve.

Le premier a tiré la valeur de 36 Myriagrammes.
Le second
Le troisième
Le quatrième

En prenant le terme moyen de cette somme, ou voit que la force dles chevaux ordinaires peut être estimée à trente-six myriagraonnes ou sept cents trente-six livres, poids de mare.

On doit observer dans ces sortes d’expériences, de ne pas faire tirer le cheval par secousses ; autrement, on auroit tout à-la-fois et la force qu’il emploie naturellement, et la Valeur impulsive du poids de son corps. Au moment de l’épreuve, la marche de l’aiguille sur le cadran ne doit s’avancer que doucement vers les derniers degrés, à l’instant ou le cheval agit avec la plus grande action.

On a quelquefois pensé qu’un cheval attelé à un point fixe, se rebute trop facilement, pour qu’on puisse estimer sa force. Le citoyen Regnier répond à cette objection. « Avant qu’un cheval se rebute, il fait d’abord tous ses efforts pour entraîner l’objet qui lui fait résistance ; et, ignorant la valeur de l’obstacle qu’on lui oppose, il agit donc comme s’il devoit l’entraîner. Or, dans tous les cas, le premier coup de collier donneroit le résultat qu’on veut connoître. À la vérité, quelques chevaux sont moins ardens, moins courageux que d’autres, mais on les juge aisément par leur plus ou moins de persistance à tirer. »


Expérience sur le transport des fardeaux.

Une caisse d’environ deux mètres de long, sur sept décimètres de large, pesant brut vingt-_quatre myriagrammes et demi, (501 liv.) a été trainée sur un plan horizontal, comme un traineau.

Myriagrammes. Kylogram. Livres.
Cette caisse, pour être mue, a exigé une puissance de
14 286
La même sur des rouleaux de 27 centimètres de circonférence
2 5 51
Sur un petit chariot de 10 décimètres de rayon
6 122
Sur un petit chariot à roues de diamètre de diamètre
4 5 92
Sur une petite charette à bras à deux roues, d’un mètre de diamètre
3 61

On remarque par ce tableau, l’avantage que donnent les roues hautes sur les basses, et la facilité qui résulte des charettes a deux roues, pour transporter les fardeaux, puisqu’elles n’exigent pas une puissance égale au huitième de leur poids, pour être mises en mouvement sur un chemin pavé et horizontal. On remarquera aussi l’avantage que donnent les rouleaux pour déplacer une masse : ils la rendent plus de six fois plus mobile qu’en la trainant à plat comme un traîneau.


Expérience sur un plan horizontal et pavé, toutes les voitures ayant été portées au poids uniforme de 3050 livres ou 148 myriagrammes 8 kilogrammes.
Myr. Kyl. Hec. Deca. Poids de marc.
Chariot à doubles essieux mobiles. 21 9 440 Livres.
À essieu fixe. 15 307
Sur un plan incliné et pavé.
Chariot à double essieux. 24 5 502
À essieu simple et fixe. 15 5 308
Sur la terre, en remontant, le plan étant incliné.
Chariot à double essieux mobiles. 32 5 666
À essieu simple et fixe. 29 5 595
Sur des madriers inclinés de six pouces par toise.
Chariot à essieux de bois non graissés. 19 8 7 5 407
Le même, les essieux étant graissés. 15 307


On doit conclure de ces résultats, que les voitures à essieu simple et fixe, ont l’avantage sur celles à essieux doubles et mobiles. On observera aussi que, quand on néglige, le graissage des roues, on augmente de près d’un quart le poids de la charge.

On a remarqué, en faisant ces expériences, que la puissance motrice employée pour vaincre la force d’inertie, c’est-à-dire, pour mettre la voiture en mouvement, a constamment été double de celle nécessaire pour entretenir le mouvement. Par exemple, les charriots étant partis au moyen d’une force égale à vingt myriagrammes, ont continué de marcher avec une force réduite a dix.

On a souvent recommandé au cultivateur, dans le cours de cet ouvrage, de veiller à ce que ses instrumens aratoires ne restent pas exposés aux injures du temps, parce que les alternatives de l’humidité et de la chaleur sont les principales agens de la destruction du bois. C’est ici le cas de leur renouveller cette invitation. Il n’est pas toujours possible, il est vrai, de se procurer des hangars assez vastes ; mais deux bonnes couches de couleur à l’huile, suffisent pour garantir les voitures de toutes les impressions destructives. Cette légère dépense est bientôt réparée ; car il n’est pas douteux que les réparations et le renouvellement des voitures abandonnées à l’air, dans une ferme dont l’exploitation s’étend sur cent ou cent cinquante hectares, ne nécessitent, année commune, un déboursé de 400 à 500 francs.