Cours d’agriculture (Rozier)/ÉPIZOOTIE

La bibliothèque libre.
Hôtel Serpente (Tome quatrièmep. 265-305).


ÉPIZOOTIE, Médecine Vétérinaire. Ce terme est formé des mots grec Ἐπι sur Ζωον animal : ainsi, toutes les fois qu’un grand nombre d’animaux de la même espèce est attaqué d’une maladie aiguë ou chronique, on dit que c’est une maladie épizootique, parce qu’elle est commune à plusieurs animaux ; si, au contraire, il n’y a qu’un seul individu qui en soit atteint, dans quelque endroit que ce soit, quand même la maladie seroit de la nature & du caractère de celle qui règneroit sur plusieurs dans un autre endroit, on lui donne simplement le nom de la maladie qui existe. Si c’est une dyssenterie, on dit que tel ou tel individu, ou tel animal est affecté de la dyssenterie ; mais, si ce flux de ventre attaque un grand nombre d’animaux à la fois, on lui donne le nom de maladie épizootique. De là, la péripneumonie, l’esquinancie, le mal de chèvre, le vertigo, la gourme, la clavelée, le charbon, la phthisie, la morve, les dartres, la gale & le farcin, seront des maladies épizootiques, de même que la dyssenterie, toutes les fois qu’elles attaqueront en même temps un grand nombre d’animaux de la même espèce. On trouvera dans l’ordre alphabétique qu’elles tiennent dans cet Ouvrage, l’histoire particulière de chacune, & les précautions qu’il convient de prendre pour en préserver tes animaux qui n’en seront pas attaqués les premiers dans les lieux où elles paroîtront.

Mais, puisqu’en différens temps & en divers pays les médecins se sont occupés des maladies épizootiques, qu’ils leur ont assigné différens caractères, qu’ils ont présent la manière de les traiter, & d’en préserver les animaux qui n’en étoient pas encore atteints dans les lieux ou elles commençoient à se manifester, & qu’il est possible que ces mêmes maladies reparoissent, je pense qu’il est de l’intérêt du public de lui mettre sous les yeux un extrait de ce qu’un zèle patriotique a fait observer à ces vrais citoyens.

Ramazzini dit que l’épidémie qui régna à Modène en 1690, s’étendit de l’espèce humaine sur les animaux de toute espèce, qu’il en périt un très-grand nombre, après quelques jours de maladie : la nature, ajoute-t-il, faisoit des efforts pour se dégager de ce qui l’incommodoit, par une crise ; il leur survenoit aux cuisses, au cou & à la tête, des boutons de petite vérole qui faisoient perdre les yeux à la plupart des animaux qui en furent attaqués. Ceux qui n’étoient pas d’abord enlevés par la maladie, & qui résistoient à sa violence, maigrissoient sensiblement ; il n’est pas douteux dit Ramazzini, que les tubercules qui parurent alors, étoient certainement des boutons de petite vérole ; ils n’en différoient en aucune façon, ni par la forme, ni par la couleur, ni par la matière qu’ils contenoient, ni par la grosseur, ni par la manière dont ils se terminoient ; après avoir suppuré, ils laissoient une croûte noire, semblable à celle qui reste après la petite vérole. Cette épizootie continua en 1691, & attaqua spécialement les brebis ; il n’en échappa qu’un petit nombre.

Dans le mois d’octobre de l’année 1713, il parut une maladie épizootique en Italie, qui enleva dans le seul état ecclésiastique 8,466 bœufs de labour, 10,115 vaches blanches, 2,816 vaches rousses, 108 taureaux saillans, 427 jeunes taureaux, 451 bœufs hors d’état de labourer, 2,362 veaux, 862 buffles, tant mâles que femelles, & 635 veaux nés de buffles ; en tout, 26,252 animaux ; & cela, depuis le mois d’octobre 1713, jusqu’au mois d’août de 1714 : Lancisi porte même ce nombre jusqu’à 30000.

Cette maladie se manifestoit dans quelques-uns, par des mugissemens, par une espèce de terreur dont ils se trouvoient saisis, par mille mouvemens différens, qui paroissoient provenir de cette terreur, & par une suite subite & précipitée. Parmi ces bestiaux, il s’en est trouvé qui furent tout à coup frappés d’une mort soudaine, comme s’ils eussent été atteints de la foudre. Les bœufs d’une complexion foible & débile y étoient notamment sujets ; on remarquoit dans presque tous, une tristesse profonde ; à peine pouvoient-ils soutenir leur tête ; leurs yeux étoient troubles & larmoyans ; une quantité surprenante de mucosité & de salive fluoit de leurs naseaux & de leur bouche ; une fièvre violente accompagnoit tous ces symptômes ; un abattement considérable ne permettoit pas à ces animaux de se tenir debout ; leurs poils étoient hérissés, leur langue, leur bouche, & leur arrière-bouche enflammées, ulcérées & plus ou moins semées de pustules. Tous ces symptômes n’étoient pas les seuls, d’autres les avoient déjà précédés ; les animaux affectés étoient d’abord dévorés par une soif ardente, bientôt après ils refusoient & boisson & fourrage ; plusieurs étoient affectés d’un flux considérable ; leurs déjections étoient de couleurs différentes, toujours très-fétides & quelquefois sanguinolentes ; la plupart périssoient dans l’espace d’une semaine, ayant une oppression des plus violentes ; leur haleine étoit d’une puanteur insoutenable, & par-dessus tous ces symptômes, une toux forte se mettoit encore souvent de la partie.

Lancisi observa que les bœufs les moins âgés & les plus, gras, qui travailloient peu & qui étoient bien nourris, étoient plus aisément atteints du mal, & en périssoient plus promptement que les animaux que le travail avoit maigri, & qui étoient d’un certain âge ; cet auteur a cru que la plus ou moins grande abondance des fluides, le plus ou le moins d’ouverture des canaux dans ces animaux, en étoient la véritable cause, car le ferment de la peste s’insinue, dit-il, plus facilement dans le sang & dans les esprits, & s’attache plus fortement aux viscères, lorsqu’il trouve une plus grande quantité d’humeurs à corrompre, & des obstacles dans sa route qui l’empêchent de se frayer un chemin au-dehors : c’est ce qui devoit, continue-t-il, arriver à ceux d’entre ces animaux qui étoient gras & pleins de sucs.

Quoique les bœufs maigres ne fussent pas à l’abri de la contagion, & qu’ils en mourussent le plus souvent, quelques-uns n’y succomboient pas à l’aide des conduits plus ouverts en eux que dans les animaux engraissés ; ce qu’il y eut de plus étonnant, c’est que la plupart des femelles des buffles, attaquées de la peste, & qui nourrissoient leurs petits, ne périrent point : leurs membres étoient tout couverts d’ulcères ; aucun de leurs petits n’échappa. Lancisi explique ce phénomène par la même raison ; selon lui le venin âcre & rongeant qui s’étoit introduit dans les mères, par les narines, & par les alimens, parvenoit par les routes larges & naturelles du chyle & du sang jusqu’aux plus petits canaux des mamelles ; là il se faisoit un dépôt utile & heureux, & comme le ferment se distribuoit en partie dans le corps de leurs nourrissons, & que le reste s’arrêtoit à l’extrémité des tuyaux lactifères, ulcérés & corrodés par ce même ferment, les mères, à la faveur de ces plaies salutaires, échappoient souvent à la mort, à peu près comme certains hommes attaqués de la peste, qu’une suppuration avantageuse de bubons conduit à une guérison entière.

Nul spécifique au surplus contre cette contagion ; la plupart des remèdes administrés furent très-nuisibles ; ceux qui n’augmentèrent pas le mal ne produisirent aucun bien. Aussi Lancisi proposa-t-il, dans une assemblée considérable de cardinaux, de tuer d’abord tous les bœufs le plus légèrement soupçonnés : enfin, les ordres que le souverain Pontife donna pour intercepter toute communication, produisirent plus d’effet que les remèdes pour l’extinction de ce fléau.

Dans le courant du mois de juillet de l’an 1714, M. Batz, chirurgien de la maison du Roi d’Angleterre, fut chargé de se rendre à Issington, situé dans les environs de Londres, pour examiner si l’épizootie qui y régnoit sur les bêtes à cornes, étoit contagieuse.

Dès qu’un animal en étoit attaqué, il refusoit de manger ; le lendemain il lui survenoit une toux très-violente, & il rendoit des excrémens semblables à de la craie. La tête & quelquefois le corps lui enfloient ; un ou deux jours après, il rendoit une grande quantité de matière muqueuse par le nez ; sa respiration devenoit puante ; à la fin il lui survenoit un dévoiement, quelquefois sanguinolent, qui se terminoit par la mort ; il y en avoit qui mouroient en trois jours ; d’autres en cinq ou six ; les bœufs vivoient huit ou dix jours ; ils refusoient toutes sortes d’alimens pendant toute leur maladie, & éprouvoient une grande chaleur.

M. Batz voulant s’assurer plus particulièrement de la nature de cette épizootie, fit l’ouverture de seize de ces animaux.

Les cinq premiers avoient été dans un troupeau malade, & commençoient eux-mêmes à avoir les symptômes de la maladie. Il trouva leur vésicule du fiel plus grande qu’elle n’auroit dû l’être naturellement, & remplie d’une bile verte, mais dont le goût n’avoit rien d’extraordinaire ; leur pancréas étoit ridé ; quelques-unes de leurs glandes étoient obstruées & tuméfiées ; plusieurs de celles du mésentère étoient deux ou trois fois plus grosses que de nature ; leurs poumons étoient un peu enflammés, leur chair avoit un peu de chaleur. Les six qu’il ouvrit ensuite étoient malades depuis deux jours, leur foie étoit plus noir qu’à l’ordinaire ; dans deux il y trouva de petites vésicules remplies d’une substance claire de la grosseur d’un pois ; les vésicules du fiel avoient deux fois la grosseur ordinaire, & étoient remplies d’une bile, dont le goût & l’odeur étoient naturels, mais plus verte encore que celle des premières ; leur pancréas étoit ridé ; quelques-unes de leurs glandes étoient très-grosses, très-dures & très-noires ; celles du mésentère étoient pour la plupart cinq fois plus grosses que le naturel ; leurs poumons étoient enflammés, & on y remarqua plusieurs vésicules qui s’y formoient ; leurs intestins étoient parsemés de taches rouges & noires ; leur chair étoit très-chaude, sans avoir changé de couleur. Les cinq derniers étoient mourans quand on les ouvrit ; leur foie étoit noirâtre, ridé & contracté, & dans trois on trouva des vésicules de la grosseur d’une noix muscade, pleines d’une substance pétrifiée, leur vésicule avoit trois fois sa grosseur ordinaire, & étoit pleine de bile d’un vert très-foncé ; leur pancréas étoit très-ridé & très-contracté ; plusieurs de leurs glandes étoient grosses, dures, molles ; celles du mésentère avoient huit ou neuf fois leur grosseur naturelle, & étoient très-noires ; il en trouva dans deux vaches qui avoient dans leurs follicules une putréfaction jaunâtre ; leurs intestins étoient de la couleur de serpent ; leur membrane interne avoit été excoriée par les purgations ; leurs poumons étoient très-enflammés & remplis de vésicules pleines d’une matière purulente jaune ; leur chair étoit extrêmement chaude, sans que sa couleur fût presque altérée.

Il trouva dans une de ces vaches la bile entièrement pétrifiée dans tous ses vaisseaux, ce qui lui donnoit l’air d’une branche de corail d’un jaune foncé très-cassant ; dans une autre, le foie couvert de taches inflammables de la largeur d’un écu, qui commençoit à se séparer comme un véritable charbon : dans une troisième, la liqueur du péricarpe avoit fait un dépôt comme l’eau de chaux, & avoit excorié toute la surface du cœur.

Quant à l’origine de cette maladie, M. Batz remarque qu’au printemps les vaches sont purgées pendant cinq ou six semaines par les plantes nouvelles ; pendant tout ce temps elles sont alertes & gaillardes, leur lait devient plus clair & d’une couleur bleue, d’un goût plus doux, & plus abondant. Le printemps qui précéda cette épizootie fut très-sec par toute l’Europe, de sorte qu’il n’y eut que très-peu d’herbes, encore furent-elles très-séches ; aussi les vaches n’en furent pas purgées à l’ordinaire, & même le plus grand nombre ne le fut point du tout ; elles ne donnèrent pas la moitié du lait qu’elles avoient coutume de donner les autres années ; il étoit plus épais, plus jaune. On remarqua même à Londres, qu’il tournoit presque tout, lorsqu’on vouloit le faire bouillir. De là M. Batz conclut que le défaut de cette purgation fut la cause de la maladie, par les obstructions qui en furent la suite, & qui, s’étant terminées par la putréfaction, la rendirent contagieuse.

Les vaches sont encore sujettes à une semblable purgation à la fin de septembre, qui est produite par une cause semblable, ce qui ne contribue pas peu à prévenir les progrès de cette maladie ; car cette purgation survenant aussitôt après la première irruption du mal, garantit beaucoup de vaches de ses mauvaises suites.

Tous les moyens de guérison qu’on employa contre cette épizootie, furent inutiles : ce qui a cependant le mieux réussi, furent les saignées copieuses, & les boissons rafraîchissantes & délayantes prises en grande quantité. Comme le nombre de ces animaux morts étoit très-considérable, au lieu de les brûler, comme on va le voir dans l’Histoire des préservatifs ; on les enterroit à quinze ou vingt pieds sous terre, & on imbiboit de chaux leurs membres qu’on découpoit exprès.

Pour arrêter les progrès de l’épizootie, M. Batz proposa, 1°. d’acheter & de faire brûler tous les troupeaux attaqués de la maladie, & de tenir les autres dans des lieux séparés ; 2°. de faire bien laver les étables où étoient ces animaux, de les parfumer en y brûlant de la poix, du goudron, de l’absinthe, & de n’y remettre aucun troupeau de trois mois ; 3°. d’empêcher qu’aucun troupeau ne restât ou n’allât paître dans les champs où les troupeaux malades auroient été ; 4°. d’empêcher pareillement que les personnes qui avoient eu le soin des troupeaux malades, ne communiquassent avec celles qui gouvernoient ceux qui n’avoient pas encore été attaqués de la maladie ; 5°. qu’on ordonnât à tous les maîtres des troupeaux, qu’aussitôt qu’ils s’apperçevroient que quelques-unes de leurs vaches refuseroient de manger, ou auroient quelqu’autres symptômes de la maladie, de les séparer du reste du troupeau, d’en donner avis aux personnes qu’on proposeroit pour les brûler, & d’éloigner les autres animaux des endroits où elles alloient paître, comme il a déjà été dit ci-dessus ; 6°. qu’on obligeât les propriétaires des troupeaux de diviser leurs bêtes, de façon à n’en laisser que dix ou douze ensemble.

En 1742, il régna une maladie épizootique dans les Vosges, & dans d’autres endroits de la Lorraine, qui attaqua les chevaux & les bœufs. M. Bagard, médecin de Nancy, dit qu’elle se manifestoit par les accidens suivans. Un froid & un tremblement affaiblissent les bestiaux : bientôt après succède une chaleur âcre & violente qui se répand par tout le corps, avec un battement fréquent de leurs artères ; les bêtes qui en sont attaquées baissent la tête & ont un air de tristesse, leurs yeux pleurent ; elles ont de grandes anxiétés, avec une respiration laborieuse, des palpitations de cœur ; elles jettent des glaires par la bouche, & des matières puantes par les naseaux. Les bœufs cessent de ruminer & ne mangent plus ; peu après il leur survient des boutons au-dessus du fondement, sur le ventre & par tout le corps, comme dans la petite vérole ; enfin, des apostumes, des charbons, des bubons, ce qui ne laisse aucun lieu de douter que la nature de cette maladie ne soit fièvre maligne, inflammatoire & pestilentielle.

Comme les maladies épidémiques ont leur cause primitive, ou dans l’infection de l’air, ou dans la corruption des alimens, ou dans la contagion d’un corps à un autre, on laisse aux physiciens à philosopher sur celle qui a produit la maladie actuelle ; on observera seulement qu’il est arrivé plusieurs fois, dans différentes provinces, de semblables contagions qui proviennent de la communication des bœufs étrangers, & qu’il n’est que trop certain qu’un cheval ou un bœuf infecté, la communique bientôt aux autres de la même écurie ou étable, & qu’elle se répand promptement dans une province. En 1736 une semblable maladie se répandit dans l’évêché de Metz.

Les symptômes dont nous avons fait mention, font aisément connoître que cette contagion attaque le sang en le coagulant : l’ouverture des bestiaux qui en sont morts, le confirme ; puisqu’en les ouvrant encore tout chauds, il ne se répand presque point de sang.

Parmi ceux qu’on a ouverts, on a trouvé dans les uns une tumeur considérable, d’une corruption & d’une fétidité insupportables, adhérente aux parois de l’estomac des bœufs ; dans d’autres on découvre des hydatides & des vésicules dans le cerveau & dans les poumons, remplies d’air ; dans les uns, des ulcères à la racine de la langue & dans la bouche ; dans d’autres, des tumeurs extérieures, au bas du ventre, comme des bubons & des charbons ; enfin, on leur trouve encore des vers dans les entrailles.

M. Bagard pense que pour arrêter le cours de la maladie, il est à propos de visiter deux ou trois fois par jour les bestiaux, & lorsqu’ils seront au pâturage, de laver les étables, de frotter les crèches, les râteliers & les piliers des étables avec de l’eau dans laquelle on aura fait tremper ou bouillir des herbes aromatiques, comme thim, sauge, laurier, origan, marjolaine, & l’on parfumera ces lieux deux fois par jour, le matin, lorsque les bestiaux iront aux champs, le soit, deux heures avant qu’ils rentrent ; on aura soin de ne les point faire sortir, avant le lever du soleil, & dès qu’ils seront sortis, on frottera les auges & les râteliers avec de l’ail, & on allumera des feux clairs dans les cours & dans les rues : on aura soin que le soin & la paille de leurs alimens soient purs, & qu’ils n’ayent pas été mouillés par les pluies ou les déluges d’eau, & on leur donnera moins à manger, afin qu’il n’engraissent pas.

En 1744 & 1745, & au commencement de 1746, une maladie épizootique attaqua les bestiaux de la Hollande : voici la description qu’en donne M. le Clerc, dans son Histoire naturelle de l’homme malade. Le poil de ces animaux se hérissoit, dit-il ; bientôt après il leur survenoit un tremblement presque universel ; les oreilles & les cornes ne tardoient pas à devenir froides ; il survenoit une rougeur inflammatoire aux yeux & sur la corne de la bête malade : quelques-uns avoient cette rougeur dès le commencement de la maladie, d’autres seulement vers la fin, & très-peu de temps avant la mort. Les yeux ne devenoient pas toujours rouges, mais communément ils prenoient une couleur jaunâtre, & paroissoient s’enfoncer dans leurs orbites. La plus grande parties des bêtes infectées avoit un écoulement de larmes ; d’autres avoient les yeux abattus & sans larmes. Dans quelques-unes le nez paroissoit enflé, & il en découloit une morve continuelle ; dans d’autres, les narines étoient rétrécies, très-rouges, sans aucun écoulement ; le milieu du nez étoit de travers avec de petites convulsions : peu de temps avant la mort, il en découloit une humeur sanguinolente, d’une odeur insupportable. Dans plusieurs, la lèvre antérieure étoit engorgée, & la postérieure étoit pendante, & comme privée de sentiment ; la bouche fournissoit une grande quantité d’humeur & de salive ; les gencives rouges, enflammées, pleines de varices, étoient parsemées de petits boutons jaunâtres, d’aphtes ou de petits chancres, dont le nombre augmentoit considérablement avant la mort de l’animal ; cet accident étoit suivi de l’ébranlement général de toutes les dents ; la même chose paroissoit au palais & à la langue, qui se couvroient alors d’une salive blanchâtre &mousseuse ; ses gencives se trouvoient aussi quelquefois, mais cependant très-rarement, attaquées de petits ulcères ; il survenoit à plusieurs un bubon ou une dureté inflammatoire vers le milieu du col, au fanon & aux aînes. Les unes pouvoient se tenir sur leurs jambes & se coucher ; d’autres, au contraire, avoient leurs jambes roides, & ne se couchoient point jusqu’à la mort ; quelques-unes, enfin, ne pouvoient se soutenir que sur leurs jambes de devant ; les pieds de derrière étoient si sensibles, qu’elles n’y pouvoient supporter l’attouchement ; pour peu qu’on les frottât avec la main, elles se penchoient en arrière. Ce symptôme est une marque certaine d’une grande douleur. Le battement des artères, que l’on remarque aisément dans les bêtes maigres, & difficilement dans celles qui sont grasses, étoit très-fort & très-fréquent au col & sur les tempes, en comparaison de celui des bêtes saines. Tels furent les premiers signes de la mortalité des bestiaux, qui affligea la Hollande. Passons actuellement aux progrès de cette maladie.

Vers la fin du second jour, & ordinairement dans le troisième, la respiration devenoit difficile, & la difficulté augmentoit rapidement ; on remarquoit alors un mouvement violent & continuel dans le ventre. Tous les muscles du col & de la poitrine étoient dans le travail ; l’animal poussoit des soupirs & des gémissemens, il rendoit par le nez & par la bouche un écoulement de morve & de salive ; ces matières étoient pleines d’écume ; elles devenoient infectes & sanguinolentes avant la mort. La plupart des animaux infectés ne jouissoient d’aucun sommeil ; les autres dormoient très-peu. Quand on a examiné leur cerveau après leur mort, les toiles membraneuses qui lui servent d’enveloppe, étoient rougeâtres & enflammées. Presque tous ces animaux s’affoiblissoient fort vite, & paroissoient subitement comme assommés d’un coup de massue. Le quatrième, le cinquième & le sixième jour au plus tard, les urines ne différoient que très-peu de l’état sain, quelquefois seulement elles étoient plus colorées, & d’autres fois plus claires qu’elles ne le sont naturellement ; quelquefois aussi l’odeur en étoit très-pénétrante. Les consistances des excrémens étoit plus variées dans les bêtes malades : les unes étoient opiniâtrement constipées, ou ne rendoient que très-peu d’excrémens fort durs, depuis le commencement jusqu’à la fin de la maladie ; quelques autres, au contraire, les rendoient durs au commencement, & liquides vers la fin ; d’autres enfin, les rendoient liquides depuis le commencement jusqu’au moment de leur mort ; mais en général, peu de temps avant qu’elles ne périssent, tous les excrémens étoient plus ou moins noirs, jaunes, fétides & quelquefois purulens ; rarement se trouvoient-ils mélangés d’un sang dissous. On ne remarquoit aucune différence entre le lait des vaches malades & celui des vaches saines ; le lait des premières étoit seulement moins abondant, & donnoit plus de crème que celui des dernières, mais quant au goût, à l’odeur, à la coagulation, à l’ébullition, il n’y avoit aucune disparité : le seul lait tiré de la veille ou du jour de la mort, étoit un peu altéré, & prenoit une teinture jaunâtre ; l’odeur en étoit pour lors désagréable, & le goût un peu âcre ou alcalin.

On trouve dans l’Ouvrage de M. le Clerc, la description d’une maladie épizootique, qui ravagea le Dannemarck. La contagion, dit cette description, se répand avec beaucoup de rapidité ; les animaux les plus jeunes, les plus robustes & les mieux portans, en sont les plutôt attaqués, & meurent plus promptement. On a remarqué que, dans la plupart des sujets, la toux est le premier symptôme du mal ; les yeux deviennent ternes, humides & chassieux, il en distille même des larmes. Le lait tarit dans les vaches, c’est même la marque la plus sûre que la maladie les a gagnées. Au commencement l’animal a froid jusqu’à frissonner, à peu près comme dans le premier période d’un accès de fièvre dans l’homme ; l’ardeur survient ensuite, & dure plusieurs jours ; elle est sur-tout sensible à la nuque, soit par la chaleur même, soit par le battement du pouls ; l’animal malade perd l’appétit, mais il boit volontiers, tant que l’inflammation ne l’empêche pas d’avaler ; il sort abondamment de ses narines & de sa bouche une matière baveuse, accompagnée d’une puanteur insupportable ; les dents s’ébranlent chez la plupart ; la constipation survient quelquefois, mais dans tous ou presque tous les sujets il y a diarrhée dans le commencement : il ne sort guère d’excrémens, mais de l’eau. Vers la fin de la maladie, les deux dernières articulations de la queue se corrompent & deviennent molasses. Si on enlève la peau qui les couvre, il en sort une matière purulente & fétide, la corruption gagne de proche en proche jusqu’aux cornes qui deviennent froides & se rident. Le mal est à son dernier terme, lorsque le froid atteint les oreilles & les narines ; c’est alors que d’ordinaire l’animal meurt au sixième ou septième jour, depuis que le mal s’est manifesté.

L’ouverture du cadavre montre la vésicule du fiel excessivement grande, & pleine d’une liqueur plus semblable à de l’urine qu’à de la bile : dans quelques-uns on a trouvé dans cette poche jusqu’à trois livres pesant de cette liqueur ; dans beaucoup de sujets l’estomac & les intestins se sont trouvés remplis de vers qui venoient encore à l’ouverture ; il y avoit aussi dans les vaisseaux sanguins, certains insectes, qu’on a nommé plies, à cause de leur figure qui ressemble à celle de ce poisson ; quelquefois le cerveau a paru entièrement dissous en pus & en eau. En plusieurs sujets les veines étoient remplies d’un sang noir, beaucoup avoient le col enflammé ; dans d’autres, l’inflammation s’étoit jetée sur les entrailles, & après la mort on a vu l’une & l’autre de ces parties gangrenées. Les ventricules étoient remplis d’alimens non digérés ; ces alimens étoient si desséchés & si compactes, qu’on ne les divisoit qu’avec beaucoup de peine. Les vaisseaux qui tapissent la membrane des estomacs & des intestins, étoient marqués de taches noirâtres & livides, ce qui indiquoit évidemment la gangrène. En certains sujets le foie & la rate étoient couverts de petites tumeurs si dures qu’on ne pouvoit les écraser, & qu’elles sembloient, au toucher, être des grains de menu sable ; le reste de la substance de ces viscères, étoit, au contraire, si mollasse, qu’on le pénétroit sans peine en le pressant. Quelques cadavres n’ont fourni aucun indice de maladies : le sang qu’on a tiré des animaux étoit d’un rouge clair, & déceloit, en écumant & en fumant, une grande inflammation ; mais lorsqu’il étoit refroidi, on n’y trouvoit plus rien de liquide, tout n’étoit qu’une masse couenneuse qui pouvoit être tranchée comme une gelée.

1°. Le poil de l’animal attaqué de la contagion, se hérisse ou se dresse ; cela ne peut provenir que d’un frisson ; & ce frisson indique, sans pouvoir même s’y tromper, que la circulation languit dans les parties éloignées du cœur : plus ce frisson sera long & violent, & plus aussi la chaleur qui suivra sera vive & consumante.

2°. Ces animaux perdent l’appétit, mais cela ne peut se faire sans que le venin transmis n’ait changé & dépravé les sucs de l’estomac ; car c’est pour l’ordinaire par cette voie que la contagion se transmet, & c’est aussi sur ce viscère qu’elle exerce ses premiers ravages. Ce fait n’a pas besoin d’être prouvé, il porte avec lui l’évidence : plus l’animal sera dégoûté, moins il prendra de nourriture propre à rafraîchir son sang & à ramasser l’âcreté du venin ; plus aussi la chaleur, l’inflammation & ses effets connus hâteront sa destruction.

3°. Les cornes & les oreilles des animaux malades deviennent froides, ainsi que nous l’avons observé ; la raison qu’on en peut rapporter, c’est que les forces du cœur se trouvent trop foibles pour pouvoir pousser le sang & les autres humeurs du centre vers la circonférence.

4°. Nous avons encore donné pour symptômes, l’enflure & la rougeur des yeux, quelquefois même leur couleur jaune, leur enfoncement & des larmes qui en découlent ; de pareils symptômes n’annoncent rien que de très-mauvais : le cerveau doit pour lors se trouver dans un état d’inflammation, les nerfs doivent être aussi nécessairement dans un état de souffrance ; & les humeurs, dissoutes par l’action du venin, ou poussées avec trop de violence, se trouvent avoir pénétré des vaisseaux qui n’étoient pas faits pour elles.

5°. La langue de l’animal est tantôt aride & sèche, tantôt couverte d’une espèce de salive blanchâtre écumeuse : que conclure d’un pareil symptôme, sinon qu’il y a un feu central qui dessèche, qui consume les estomacs & les petits intestins de l’animal.

Les petits boutons jaunâtres, les varices rouges & livides, les ulcères qui affligent les gencives, la langue, le palais & tout l’intérieur de la bouche, dénotent indubitablement le mauvais état des viscères & des humeurs qui les arrosent. Aussi remarque-t-on toujours des aphtes ou des chancres à la bouche ou à la gorge dans les fièvres putrides & malignes, & rarement l’orifice supérieur de l’estomac se trouve-t-il sans le charbon.

6°. Nous avons donné pour sixième symptôme, la constipation de l’animal au commencement de sa maladie ; ses excrémens sont durs, noirs & brûlés, & deviennent dans la suite liquides & putrides, ce qui annonce une cause incendiaire & rongeante.

La respiration devient de plus en plus gênée dans l’animal affecté ; elle ne peut même presque plus se faire, ce qui indique un poumon accablé, enflammé, qui ne peut vaincre la résistance des humeurs sur lesquelles il doit nécessairement agir ; ni se prêter à l’action de l’air, principe de son mouvement ; dans ce cas péripneumonique, la suffocation est imminente.

8°. Enfin, nous avons donné pour derniers symptômes, le tremblement, les mouvemens convulsifs, la rigidité ou la foiblesse des fibres des animaux qui ne peuvent se coucher ou se soutenir sur leurs jambes, & leur prompt abattement qui est presque toujours suivi de la mort. Tous ces différens symptômes dénotent que non-seulement le venin contagieux exerce ses ravages sur les solides & les fluides à la fois, mais qu’il attaque encore, dès le premier instant, le principe même des nerfs.

1°. Après la mort, les yeux de l’animal sont presque toujours rouges ou jaunes, ou parsemés de veines brunes & livides, 2°. Les humeurs qui découlent des naseaux, de la bouche ou d’autres parties du corps, sont ordinairement sanguinolentes & très-putrides. 3°. Quelquefois le ventre est gonflé & tendu comme un tambour ; d’autres fois il est considérablement diminué & affaissé. 4°. La roideur des jambes est très-forte, & sur-tout de celles de derrière. 5°. Quand les symptômes de la contagion ont été violens, le cuir de la bête écorchée est un peu endommagé, ce qui est cependant très-rare. 6°. Le tissu cellulaire & les endroits gras sont souvent attaqués d’inflammation, de sécheresse ou de noirceur. 7°. La chair change ordinairement de couleur, & en prend une brune ; souvent elle contracte une noirceur extrême après la mort. 8°. La glande connue sous le nom de forme de bouclier, cause l’enflure au col ; le bubon est ordinairement rouge, livide, gangrené ; c’est un vrai bubon pestilentiel. 9°. La substance du cerveau n’est que rarement altérée, mais les vaisseaux se trouvent variqueux ; les tuniques, les toiles ou les membranes qui servent d’enveloppe à ce viscère, sont presque toujours enflammées, principalement dans les animaux qui pendant la maladie ont eu des insomnies continuelles. 10°. Le poumon n’est jamais sain, on le trouve plus ou moins infecté, rouge, érésipélateux, livide, gangrené & couvert de taches noirâtres ; mais la trachée-artère est tellement infectée, que sa tunique intérieure s’en sépare sans efforts. 11°. Le médiastin, la plèvre, le péricarde & le diaphragme, sont toujours, ou enflammés, ou gangrenés. Il est rare de trouver le cœur entièrement sain ; l’intérieur, l’extérieur & la substance charnue de ce viscère portent les marques de la contagion, ses cavités sont remplies d’un sang altéré, ou d’un sédiment qui ressemble à une lie brune. 13°. À l’ouverture du ventre, on trouve toujours le mésentère enflammé ; le foie & la rate sont souvent d’une couleur noirâtre ou ocracée ; ils sont ridés, desséchés, quand ils ne sont pas gonflés d’un sang épais, semblable à de l’encre. Il est très-dangereux d’examiner de près ces viscères ; la puanteur insupportable qui s’en exhale, fait presque toujours tomber en syncope ceux qui s’en approchent. 14°. On ne trouve dans la vésicule du fiel, qu’une bile épaisse & très-dissoute. 15°. Les différens ventricules ou estomacs offrent différens phénomènes : le premier qui est connu sous le nom de ventre, est ordinairement enflammé & quelquefois gangrené ; les alimens qu’il contenoit pendant la maladie, paroissent arides & desséchés. Le second reticulus est quelquefois sain, & quelquefois enflammé ; l’arinaceus, qui est le troisième, est de couleur de plomb ; plus cet estomac a été infecté de gangrène, plus aussi le reste des alimens qu’il contient est noir, sec & brûlé ; dans ce cas la tunique intérieure s’en sépare d’elle-même. Le dernier ventricule, qui est le perfectible, est presque toujours de couleur de minium ; il est rempli d’une matière jaune, infecte, semblable aux excrémens. 16°. Les intestins sont toujours vides, & si pleins d’air, qu’à peine peut-on concevoir comment ils ont pu résister à une si grande extension : on les trouve souvent parsemés de taches livides, mais les gros intestins sont presque toujours ridés, retirés ou très-flasques ; dans les animaux qui ont été constipés pendant la maladie, ils sont remplis d’excrémens durs, & semblables aux restes de la nourriture que contient le troisième estomac. 17°. Il est rare de ne pas trouver les rognons, ou les reins, sains ; je ne les ai jamais vu que deux fois enflammés & gangrenés : il est des cas où la vessie & les conduits urinaires sont altérés, sur-tout dans les vaches pleines, & la matrice enflammée ; les veaux qui s’y trouvoient renfermés avoient non-seulement les boyaux endommagés, mais leur poitrine & leur ventre étoient encore remplis d’une humeur sanguinolente & de mauvaise odeur.

D’après toutes ces observations, M. le Clerc conclut, 1° que le venin contagieux qui affecte les bestiaux, se transmet par le moyen de l’air qui est le réservoir & le véhicule de toutes les vapeurs & exhalaisons ; 2°. que les propriétés de ce venin dépendent essentiellement d’un principe âcre quelconque, uni au principe du feu que l’on appelle phlogistique, universellement répandu dans toute la nature : c’est lui qui est la cause de la dilatation & de la liquidité des corps. De son union avec un sel alcali volatil, il résulte un principe actif, tumultueux, un venin très-pénétrant & très-communicatif, dont la plus petite quantité suffit pour exciter une chaleur âcre & mordante ; une inflammation vive qui se termine par la mortification ou la gangrène, si l’on n’y remédie pas à temps. La nature de ce poison épidémique ou épizootique est donc de changer le caractère naturel, doux & balsamique des humeurs animales, pour leur communiquer le sien propre. Il excite, dans les animaux infectés, une chaleur cruelle, une circulation rapide ; il produit l’inflammation, des irritations nerveuses, des grincemens de dents, un prompt abattement des forces, la gangrène & la corruption ; quelquefois avant ou immanquablement après, la mort inopinée.

Le traitement de ces maladies est 1°. de diminuer, autant qu’il est possible, le cours impétueux du venin & d’en émousser les stimules ; 2°. de prévenir d’abord l’inflammation, presque toujours inséparable de la fréquence, de la violence des battemens des artères & de la grande agitation des humeurs ; 3°. de maintenir dans un juste équilibre l’action & la réaction des solides & des fluides. ; 4°. enfin, de procurer une voie convenable à la dépuration du sang & des humeurs.

Pour remplir la première indication, il faut, dès l’instant même de l’apparition de quelques symptômes de ces maladies, saigner la bête malade, par une grande incision faite au col, à la poitrine, ou aux deux endroits à la fois ; on peut tirer dans une seule fois, cinq, six & même sept livres de sang, selon l’âge & les forces de l’animal. Le lendemain de la saignée, si les symptômes n’étoient pas sensiblement diminués, on tirerait encore, par la même ouverture, une égale quantité de sang. Si, après cette seconde saignée, la violence du mal en exige une troisième, on la fera sans balancer ; passé le troisième jour, on ne saignera plus ; la saignée est pour lors entièrement inutile & même souvent mortelle. Quand le besoin est urgent, on peut même saigner deux fois dans un jour. Si l’animal est constipé & s’il ne rend que des excrémens endurcis & brûlés, on lui donnera à prendre soir & matin une demi-livre & plus d’huile de lin bien fraîche & un peu tiède ; on pourra aussi très-bien lui donner un lavement composé de deux livres de cette huile, & d’une once ou même d’une once & demie de sel ordinaire dissous dans un verre de bon vinaigre ; à défaut de seringue, on se servira d’une vessie de bœuf ramollie dans de l’eau tiède ; on la remplira avec le lavement, & à l’aide d’une canule ou d’un large chalumeau bien uni, on donnera le remède par les voies ordinaires, en prenant la vessie pour le faire pénétrer.

Afin d’étouffer l’action du venin, & de prévenir l’inflammation qui est la seconde indication à remplir, on ne donnera à l’animal, pour toute nourriture, que de la farine de seigle bouillie dans du petit lait ; s’il n’étoit pas possible d’en avoir une assez grande quantité, on feroit cuire jusqu’à consistance de bouillie, du son & des pommes, qui, quand même elles ne seroient pas mûres, feront cependant toujours beaucoup de bien ; à défaut de ces deux choses, on pourroit employer des concombres, des citrouilles, des courges & un peu d’herbes vertes coupées bien menues & bouillies comme ci-dessus. On donnera, trois ou quatre fois par jour, une assez bonne quantité de cette nourriture à l’animal malade, & on se gardera bien de lui présenter du foin ; sa boisson ordinaire sera du petit lait pur, ou même du lait aigre qu’on lui donnera toujours tiède & d’heure en heure, jour & nuit ; on lui en fera boire à la fois une livre ou environ : au défaut de petit lait ou de lait aigre, on lui donnera de l’eau pure, ou une eau de son légère, & on ajoutera, sur trois livres de boisson, un verre d’excellent vinaigre.

Voici actuellement les remèdes qu’on fera prendre à l’animal malade.

Prenez nitre purifié, tartre de vin blanc, de chaque une livre ; crème de tartre, quatre onces ; camphre, deux onces ; faites de toutes ces drogues mêlées ensemble une poudre subtile, dont vous donnerez à l’animal malade une demi-once chaque trois heures, dans une demi-écuellée d’eau ou de petit lait. Si l’animal refuse de prendre de la nourriture, de la boisson & des remèdes, on lui lèvera la tête, &, à l’aide d’une bouteille, ou corne percée, on lui versera dans la bouche les alimens ou les remèdes, & l’on n’abaissera sa tête que quand on sera sûr qu’il les aura avalés.

Si la chaleur, la fièvre, la difficulté de respirer & l’insomnie sont considérables, une heure & demie après chaque prise de la poudre indiquée, on donnera à l’animal deux cuillerées ordinaires du remède suivant, dans un peu de boisson tiède.

Prenez vinaigre de vin, miel crud, de chacun six livres ; nitre purifié, demi-livre ; huile de vitriol, demi-once ; mettez toutes ces drogues ensemble dans un pot de terre vernissé, sur un très-petit feu ; agitez sans cesse ce mélange pendant un quart-d’heure, & prenez bien garde qu’il ne bouille ; retirez ensuite le pot du feu, laissez refroidir ce mélange, & donnez ainsi qu’il est dit.

Depuis le commencement de la maladie jusqu’à la fin il faudra avoir soin de laver & de frotter, plusieurs fois le jour, la bouche, les gencives, & la langue des bêtes malades, avec le remède suivant.

Prenez excellent vinaigre, eau-de-vie, huile de lin, parties égales ; faites-y fondre un peu de sel de nitre : pour se servir plus commodément de ce mélange, on fait usage d’une petite éponge attachée au bout d’un bâton.

Si l’animal est attaqué d’un grand cours de ventre, comme cela arrive quelquefois, on se gardera bien de lui donner l’huile de lin, elle le relâcheroit trop ; on diminuera aussi de moitié les remèdes ci-dessus prescrits. Quand l’animal malade commence à se rétablir, ou quand il paroît même l’être entièrement, il ne faut pas pour cela suspendre les remèdes, il faut, au contraire, en prolonger l’usage, & ne discontinuer que peu à peu. Une précaution encore très-essentielle est de frotter doucement, deux fois par jour, les bêtes malades, avec une étrille de fer ; on ouvre par ce moyen les pores de la peau, on facilite la transpiration, & les humeurs s’échappent & partent par cette voie.

Les incisions, les cautères sont encore très-efficaces dans les maladies épizootiques ; on ne peut assez les recommander. On percera donc, quand une bête à cornes est infectée de maladies contagieuses, la peau qui pend au-dessous de son col, avec une grosse aiguille d’acier, de la largeur d’un filet, enfilée d’une corde faite de sept à huit ligamens ou fils poissés qui ne soient pas retors ; on fera agir deux ou trois fois par jour cette corde enduite de l’onguent basilicum ; on la fera aller & venir dans l’incision, ayant soin de nouer ensuite les deux extrémités, afin que la corde ne sorte point de l’ouverture. Ce moyen est si salutaire, que je n’ai vu périr aucune bête à laquelle on a fait cette opération. On tiendra d’ailleurs les bêtes malades le plus proprement qu’il sera possible : on nettoiera régulièrement deux fois le jour les étables ; on enlèvera le fumier, & on l’éloignera même du village ; quand l’air sera sain, ou que le vent viendra du levant, on ouvrira les fenêtres de l’étable ; en cas qu’il n’y en ait point, on y en pratiquera. De six heures en six heures, le jour & la nuit, on parfumera les quatre coins de l’écurie avec du fort vinaigre, qu’on jettera sur des pierres ou des briques bien chaudes ; on peut aussi y faire brûler alternativement une bonne pincée d’un mélange composé de poudre à canon, de sel commun, de grains de genièvre & de bois de laurier concassés.

Pour garantir les bestiaux de la contagion, M. le Clerc dit qu’il faut d’abord que les chefs de communauté empêchent toute communication d’hommes & d’animaux avec la communauté qui est affligée de contagion ; c’est la précaution la plus essentielle : on infligera même les peines les plus graves à tous ceux qui enfreindront des ordres si sages ; & si l’on s’appercevoit que quelqu’un fût allé dans les lieux infectés, il faudroit le bannir d’avec les animaux du lieu sain qu’on veut garantir ; on a vu quelquefois des bêtes saines mugir & prendre la suite devant les personnes qui avoient été dans des lieux infectés, comme si effectivement elles avoient senti l’air contagieux qu’on leur apportoit. On évitera le commerce avec les bouchers & les tanneurs, dans un temps de mortalité ; on tiendra les étables bien propres, & on les parfumera souvent ; on pratiquera l’ouverture ou le cautère selon la méthode prescrite ci-dessus. L’expérience a prouvé que ces précautions guérissent les animaux malades : que n’en doit-on pas attendre pour les sains ? On frottera ensuite, & on étrillera les animaux sains, on leur lavera la bouche deux fois par jour, de même que les gencives, avec le remède & l’éponge que nous avons indiqués plus haut ; on éloignera des villages toutes les ordures, les fumiers : &c. on fera très-bien de mettre dans les écuries saines, ainsi que dans celles qui sont infectées, quelques chevaux avec les bœufs & les vaches : on a remarqué que la vapeur du fumier de cheval empêchoit les progrès de la contagion des bêtes à cornes ; on empêchera en outre le bétail de nager, d’aller à l’eau dans les lieux profonds & d’y rester long-temps ; on n’enverra point le matin les bêtes aux champs à jeun, principalement les jours de rosée ou de brouillards ; on attendra que le soleil ait dissipé l’une & l’autre ; on donnera pendant cet intervalle quelque chose à manger aux animaux, quand même ce ne seroit que de la paille. Toutes ces précautions ne suffisent cependant pas encore, lorsque la maladie commence à se manifester dans un endroit.

Dès l’instant même qu’on s’apperçoit qu’une ou plusieurs bêtes sont affectées des symptômes contagieux, on doit les assommer sur le champ, les transporter dans un lieu désert, sans les écorcher, les mettre au milieu d’un tas de bois & les y faire brûler. On indemnisera cependant, en pareil cas, ceux qui supporteront ce dommage.

Si cependant la contagion s’annonce tout-à-coup, & si elle affecte tout à la fois un grand nombre d’animaux, ce conseil ne pourra se pratiquer : on séparera, en pareil cas, les bêtes saines, & on les éloignera le plus qu’il sera possible de celles qui seront malades. Les personnes destinées à soigner les malades, n’entreront point dans les étables de celles-ci ; & les étables de ces dernières ne communiqueront point avec les étables des premières. Le venin s’insinue aisément dans toutes les étoffes, & principalement dans celles de laine. La contagion peut facilement se transmettre par cette voie, comme la peste se communique par la soie, la mousseline & le coton. Cette précaution prise, on traitera les animaux infectés, selon la méthode ci-dessus indiquée, & on tâchera aussi d’en garantir les sains, en se servant des moyens dont nous venons de parler.

Dès qu’une Communauté se trouvera dans le voisinage d’un lieu infecté, elle doit bien se garder d’attendre que la mortalité arrive pour se prémunir de tous les secours préservatifs & curatifs : ils sont si simples, si faciles à trouver, & si peu coûteux, que la négligence sur cet objet seroit impardonnable, avec d’autant plus de raison que ces mêmes remèdes peuvent se conserver un très-grand nombre d’années dans un lieu sec, sans rien perdre de leur efficacité.

S’il périt quelques-unes des bêtes malades, on les enterrera profondément dans un lieu éloigné du village ; on battra bien les couches de terre qui les couvriront, de peur que les bêtes sauvages & les chiens n’aillent gratter & déterrer ces animaux ; au reste, les personnes qui auront soin des bêtes malades, ne doivent point avoir peur de gagner leurs maladies ; la contagion des animaux ne se transmet point aux hommes ; & si la mortalité a produit quelquefois de mauvais effets sur l’espèce humaine, c’est en écorchant les animaux infectés, c’est par la puanteur des charognes, c’est lorsque des gens, qu’on peut qualifier de scélérats, vendent en cachette, & à bon marché, de la viande des animaux attaqués. Il est facile de parer à ces inconvéniens : il suffit qu’une police exacte veuille bien y veiller, pour n’avoir rien à craindre de pareils accidens.

Quand la contagion aura entièrement cessé, on recommandera à toutes les personnes qui ont eu soin des bêtes malades, de quitter les habits dont elles se sont servies, & de les parfumer souvent avec du soufre, & de les pendre ensuite à l’air sous le toit. On évitera, en outre, de conduire les bestiaux dans les lieux où il y a eu contagion, avant l’échéance d’une année entière ; le venin reste long-temps caché dans le foin & la paille, & le mal ne manqueroit pas de se renouveler par cette voie ; mais on pourra, sans aucun danger, se servir de ce foin & de cette paille, pour nourrir les chevaux & les brebis ; la contagion n’attaque jamais que les animaux d’une même espèce.

Monsieur Sauvage rapporte que la maladie épizootique qui se répandit en Europe dans le courant des années 1745, 1746 & 1747, se manifestoit par des boutons qui paroissoient sur la peau des vaches qui en étoient attaquées. On employa pour lors avec succès le remède suivant : on commença d’abord par ouvrir les boutons qui paroissoient, ou lorsqu’il n’y en avoit point, par faire deux ou trois incisions à la peau, dans les endroits où l’on voyoit de l’enflure ; on mettoit dans ces incisions une pincée de la seconde écorce de groseillier noir ; avant d’insérer cette écorce de cassis, on faisoit passer le doigt dans les ouvertures faites à la peau, & on faisoit ainsi sortir le pus qui s’y trouvoit ; on renouveloit ces tentes pendant trois ou quatre jours, & avant de les ôter pour en mettre d’autres, on ne manquoit pas de presser la peau autour des incisions, pour faire sortir la matière que les tentes avoient attirée : on purifioit ensuite les écuries ou étables ; on prenoit, à cet effet, une once d’assa-fœtida, une once de camphre, deux têtes d’ail, le tout bien pilé & mêlé ensemble ; on partageoit cette composition en deux, & on mettoit successivement la moitié dans une bassinoire pleine de charbon bien ardent, à quoi on ajoutoit une pincée de bois de genièvre ; ensuite, après avoir fermé exactement la porte de l’étable, on portoit cette bassinoire sous le nez de chaque bête malade : on a aussi éprouvé avec succès, dans ce temps, qu’en enfumant les écuries de la graine de genièvre mise sur le feu, & qu’en jetant un verre de vinaigre avec une pincée de poivre, sur une tuile ou brique bien rouge, les bestiaux qu’on logeoit ensuite dans cette écurie ainsi parfumée, se trouvoient garantis de la maladie contagieuse qui régnoit dans ce temps.

Dans le pays Messin on se servoit pour inférer dans les incisions qu’on faisoit à ces animaux, au lieu de seconde écorce de cassis, de la racine d’ellébore puant, connu plus particulièrement sous le nom de pied-de-griffon.

En 1757 M. Lugard, médecin à Londres, donna l’essai suivant sur la nature, les causes & la guérison d’une maladie contagieuse qui régnoit alors en Angleterre parmi les bêtes à cornes. Le bétail qui en étoit menacé, dit M. Lugard, perdoit l’appétit ; il lui découloit une sérosité des naseaux ; il avoit de la peine à avaler ; branloit la tête comme s’il avoit quelque démangeaison aux oreilles ; il alloit de côté & d’autre, & tous ses mouvemens dénotoient beaucoup de souffrance ; excepté le dernier symptôme, les autres augmentoient pendant quatre jours ; ensuite le bétail devenoit engourdi, il ne vouloit point marcher, étoit extrêmement foible & absolument sans appétit, frissonnoit de tout le corps, & toussoit beaucoup, ce qui augmentoit l’écoulement d’humeur par les yeux & par les naseaux : on sentoit la tête, les cornes & l’haleine très-chaudes ; & en même temps les autres parties très-froides. Pendant les trois premiers jours la fièvre, qui étoit continue, augmentait vers le soir, les bêtes avoient une diarrhée continuelle, & leur fiente étoit verte & de mauvaise odeur ; leur haleine étoit puante, & la transpiration d’une odeur désagréable ; leur sang étoit échauffé & mêlé de quantité de parties hétérogènes ; elles avoient la bouche ulcérée ; en leur passant la main sur le corps, on sentoit des tumeurs sous les membranes charnues, & presque tout le corps étoit couvert d’ébullitions. Une vache à lait, attaquée de la maladie, perdoit son lait peu à peu, & n’en avoit plus du tout au quatrième jour ; les évacuations devenoient alors plus abondantes, & accompagnées d’acrimonie à l’anus. La vache se plaignoit sur-tout vers le soir, & se couchoit. Ces symptômes augmentoient jusqu’au septième jour & quelquefois jusqu’au neuvième.

L’animal réchappoit, si dans le temps de la crise tout son corps se couvroit de pustules grosses comme des œufs de pigeons, sur-tout des deux côtés de l’épine du dos depuis la tête jusqu’à la queue ; si les tumeurs, venant à suppuration, exhaloient une odeur infecte ; si on appercevoit des ulcères formés sur quelqu’autre partie du corps ; si les excrémens acquéroient plus de consistance, & si l’urine se trouvoit plus épaisse & colorée ; si le frisson étoit suivi d’une grande chaleur, si la fièvre diminuoit, & si le pouls devenoit régulier ; enfin, si les yeux étoient plus vifs, si l’animal dressoit les oreilles en voyant approcher quelqu’un, & s’il commençoit à manger.

Il n’y avoit au contraire presqu’aucune espérance si, après sept jours, les éruptions & les abcès diminuoient sans suppurer ; si la diarrhée continuant, l’haleine se trouvoit toujours échauffée & le corps froid ; si l’animal se plaignoit davantage, & s’il rendoit plus d’humeurs par les yeux & les naseaux ; si les yeux devenoient troubles, languissans ; si l’engourdissement augmentoit ; si l’urine étoit bien colorée, & si l’animal exhaloit une odeur cadavéreuse.

Dès que quelques-uns de ces symptômes paroissoient, M. Lugard faisoit transporter l’animal dans une étable, au haut de laquelle étoient deux trous d’un pied en quarré, l’un vers le midi, l’autre au nord-ouest pour la libre circulation de l’air ; on ouvroit aussi la porte environ une demi-heure chaque jour pendant l’été : l’animal avoit toujours une couverture sur le dos, & on renouveloit sa litière toutes les vingt-quatre heures.

M. Lugard ne faisoit point saigner les vaches extrêmement maigres, ni les veaux foibles ; il faisoit seulement tirer la valeur de deux livres de sang du col des vieilles vaches, & le double, si les bêtes étoient fortes & grosses ; soit qu’il jugeât à propos de faire saigner l’animal malade ou non, il ne le faisoit pas moins laver avec du vinaigre mêlé dans de l’eau chaude où avoient bouilli des herbes aromatiques ; après quoi il le faisoit frotter avec un morceau de drap ou un bouchon de paille ; on réitéroit cette opération tous les jours, matin & soir, pendant un quart d’heure, pour aider la transpiration. Ce médecin recommandoit en même temps de laver avec de l’huile chaude, les tetines des vaches à lait, afin de le conserver.

La saignée faite, quand elle avoit paru nécessaire, il faisoit faire un cautère au fanon, & y faisoit mettre du chanvre ou de l’étoupe graissée de sain-doux : les deux bouts devoient pendre environ de quatre pouces de chaque côté ; il faisoit appliquer en outre, sur le cautère, un emplâtre composé de goudron & de vieux-oing : on ne le relevoit qu’au bout de vingt-quatre heures ; on promenoit alors le séton, & on l’enduisoit d’un mélange de jaunes d’œufs & de térébenthine de Venise ; quand la partie se gonfloit & suppuroit trop, M. Lugard y faisoit appliquer un cataplasme de lait & de mie de pain blanc, & d’un peu de sain-doux ; il faisoit relever l’appareil deux fois par jour, jusqu’à une diminution notoire de l’inflammation ; il recommandoit de laisser le séton encore environ un mois après la guérison de l’animal.

Quand après la saignée l’animal tenoit la tête baissée, paroissoit triste, respiroit difficilement, & souffroit au moment des digestions, il lui donnoit pour remède le purgatif suivant.

Prenez quatre poignées de son faites-les bouillir dans dix livres d’eau de fontaine que vous réduirez à moitié, passez la liqueur, dissolvez-y deux onces d’électuaire lénitif, & même demi-once de sel de glauber ; donnez à l’animal malade cette médecine tiède, & ne lui faites boire, au bout de deux heures, que quatre livres d’eau de gruau. Lorsque l’animal affecté de la contagion n’avoit pas ces derniers symptômes, M. Lugard lui faisoit prendre un breuvage composé de trois ou quatre onces de racine de garance, d’une once de racine de cucurma, d’une pareille quantité de celle de raifort sauvage, de deux onces de graine de fenouil, & de quatre poignées par parties égales de camomille, de matricaire & rue sauvage ; on faisoit bouillir le tout dans huit livres de petite bière, réduites à six ; on passoit le tout, & on en prescrivoit la colature en deux breuvages à prendre l’un le matin l’autre le soir.

On ne donnoit aux animaux malades aucune nourriture solide ou sèche, jusqu’à ce qu’ils pussent ruminer, de peur que leur estomac ne vînt à s’affoiblir, ce qui arrivoit ordinairement pendant la maladie : M. Lugard prescrivoit la potion suivante.

Faites bouillir, par égale quantité, du lait & de l’eau de fontaine ; versez-y quelques gouttes de vinaigre de vin blanc ; passez cette liqueur, & donnez-la tiède à l’animal. On se servira, pendant les trois premiers jours, du vinaigre de sureau, & pour les jours suivans, du vinaigre d’ail bien distillé, afin qu’il soit pur.

Il leur faisoit prendre alternativement de l’eau de foin, c’est-à-dire, de l’eau versée toute bouillante sur du foin haché bien menu, & qu’on tiroit ensuite au clair lorsqu’elle étoit presque tiède.

On leur frottoit souvent la gueule & les naseaux avec un mélange composé de la décoction de deux onces de raisins & de figues sèches, de pareille quantité de mahalep & d’une demi-once de graine de moutarde dans trois livres de lait & d’eau, qu’on faisoit réduire à deux, & à laquelle on ajoutoit deux onces de miel rosat & une demi-once de sel ammoniac : on se servoit d’une éponge pour employer ce gargarisme, & on le continuoit jusqu’à ce qu’il se formât des ulcères ; après quoi on lavoit ces endroits avec une infusion de sauge, & où l’on mettoit du goudron, du vinaigre & assez de miel pour adoucir. Lorsque les ulcères devenoient sanguinolens, on faisoit l’infusion de sauge plus forte, & on y mettoit de l’alun de roche pulvérisé. Quand l’animal, qu’on avoit pansé depuis quatre jours, devenoit triste, avoit la diarrhée accompagnée d’une espèce de frisson, sans cependant qu’il y eût des pustules sur la peau, on lui faisoit prendre pendant quatre soirs le breuvage suivant.

Prenez une demi-once de fleurs de camomille, pareille quantité de celles de contrayerva, & six gros de thériaque de Venise ; mêlez-les dans trois livres de la potion indiquée ci-dessus, pour soutenir l’estomac, & faites avaler tiède le breuvage.

On lui donnera encore souvent à boire deux livres de ladite potion, & en outre, tous les matins & quatre fois l’après midi, un autre breuvage fait avec la racine de garance ; elle n’est nullement incompatible avec la thériaque.

Quand les fibres de la bouche paroissent affoiblies, lorsque l’animal a un froid universel, qu’il est dépourvu de sentimens, & que les excrémens sont noirs & infectés, on prend deux onces d’écorce de chêne, une once de quinquina, & une once de myrrhe ; on pulvérise le tout, on le fait ensuite bouillir dans cinq livres d’eau, jusqu’à la diminution d’un cinquième ; la liqueur parlée, on met dans la colature deux gros d’alun de roche en poudre, & on fait prendre ce breuvage de quatre heures en quatre heures. Si l’animal évacue beaucoup & est foible, on y ajoute une demi-pinte de lie de vin rouge ; on peut aussi lui donner de l’eau de foin, en y faisant infuser des fleurs de camomille macérées pendant quelques jours dans du vinaigre.

Si les symptômes diminuent après le quatrième jour ; si l’animal porte sa tête plus d’un côté que de l’autre ; si ses yeux, ses naseaux fluent beaucoup, & si ses cornes sont plus chaudes que le reste du corps, il est presque sûr qu’il s’est formé un dépôt dans la corne ; pour lors, sans la toucher, on lui fait une ouverture deux ou trois pouces au-dessous ; on met à chaque côté de la plaie un linge trempé dans de l’huile ; on élargit ensuite le trou pour faciliter la suppuration, s’il est nécessaire. La poudre d’azarum est excellente pour amener à suppuration les abcès qui se forment dans les naseaux.

S’il se forme sous la peau une tumeur infecte, on l’ouvre ; après qu’elle a suppuré, on met dans la plaie un tampon d’étoupes trempées dans un mélange de térébenthine, de myrrhe pulvérisée & de jaunes d’œufs ; & par-dessus un cataplasme d’avoine concassée, de veille bière & d’esprit-de-vin ; ce cataplasme se met bien chaud, & on le renouvelle deux ou trois fois par jour.

La grande crise est ordinairement suivie d’une diarrhée utile ; on aide même la nature par un breuvage avec une demi-once de rhubarbe, pareille quantité de séné, une once de réglisse coupée en morceaux, & une once de graine d’anis en poudre ; on fait bouillir le tout dans quatre livres de petite bière, qu’on réduit à trois ; on en donne la colature à l’animal malade ; on lui présente encore de l’eau de gruau presque tiède, & sur le soir, une once de diascordium dans deux ou trois livres d’eau chaude.

Si l’animal est constipé après la crise, & si la peau s’attache à la chair, il faut lui donner sur le soir une once de sel d’epsom, mêlée avec du son ; mais il faut attendre que la crise soit entièrement passée. Lorsque la guérison est avancée, on fait prendre à l’animal une médecine un peu plus forte que le breuvage qui a servi à favoriser la grande crise.

M. Demars, médecin-pensionnaire de la ville de Boulogne, a donné un mémoire, dont voici l’extrait, sur l’épizootie des moutons, qui régna dans le Boulonnais, les années 1761, 1762.

1°. La maladie des moutons commença vers la fin d’octobre de l’année 1761, continua tout l’hiver & jusqu’au milieu du printemps ; elle fit plus de ravage aux mois de janvier & de février que dans les précédens, & se ralentit peu à peu en mars & avril. 2°. Dans les cantons bas, humides, marécageux, tels que les fonds de Bainetun, Carly, Isques, & en général, dans tous ceux qui ont été inondés au mois de mai de l’année 1761, on a souffert les plus grandes pertes, tandis que, dans les lieux élevés, secs & sablonneux, & sur-tout le long des dunes, de Lumiers, Danes, Ambleteuse, les troupeaux ont été généralement préservés de la maladie. 3°. Les agneaux ont été plus sujets à la maladie que les mères. 4°. De tous ceux qui ont été manifestement attaqués, il n’en est réchappé aucun, 5°. Ces animaux périssoient par hydropisie & par pourriture ; on trouvoit souvent de l’eau dans la tête, entre cuir & chair : la maladie s’annonçoit par des bourses pleines d’eau, qui se formoient sous les branches de la mâchoire postérieure ; le ventre se remplissoit pareillement d’eau ; les principaux viscères du bas ventre étoient corrompus ; le foie donnoit des indices d’une pourriture complète, on y observoit une grande quantité de vers plats que les gens du pays appelloient dogues. 6°. Les moutons attaqués de la maladie ont continué, jusqu’à la fin, de boire & de manger avec assez d’avidité ; ils léchoient les pavés des bergeries & mangeoient la terre. 7°. Leur embonpoint diminuoit peu, mais les chairs étoient pâles & n’avoient pas leur saveur ordinaire ; & en général, tous les moutons, tant sains que malades, qui ont été mangés pendant l’automne & l’hiver, étoient fort insipides. 8°. On a essayé peu de remèdes, mais aucun de ce petit nombre n’a réussi. 9°. Les autres bestiaux, tels que les chevaux, les vaches, porcs, n’ont point été attaqués de cette maladie, mais les avortemens ont été très-fréquens, plusieurs ont été attaqués de feux opiniâtres ; tous ces faits sont les résultats des lettres ou mémoires envoyés par MM. les curés des endroits où régnoit l’épizootie.

M. Demars cherche la cause dans les intempéries des saisons. Les pluies, dit-il, commencèrent dès le mois d’août de l’année 1760, & les vents du sud-ouest diminuèrent jusqu’au mois de mars, & furent peu interrompus par ceux du nord. À peine gela-t-il pendant tout l’hiver ; aux mois de mars & avril les vents du nord reprirent le dessus ; mais ceux du sud qui succédèrent en mai, amenèrent des orages avec des pluies si abondantes, que tous les vallons furent inondés, & la crue des eaux fut plus considérable qu’elle n’avoit été de mémoire d’homme : presque tout l’été fut pluvieux ; dans les mois d’août & de septembre il y eut des jours très-chauds ; les vents du nord soufflèrent rarement ; les orages avec tonnerre furent plus fréquens que dans les années précédentes ; l’automne & l’hiver derechef pluvieux avec des vents méridionaux.

Si le froid & la sécheresse qui eurent lieu dans les mois de mars & d’avril n’avoient modéré les causes de putridité, cette année ne pouvoit manquer de devenir funeste par des épidémies malignes ; mais d’un autre côté, le froid & la sécheresse, qui succèdent à un hiver doux & pluvieux, produisent des avortemens : les enfans qui naissent pour lors, meurent peu après, ou sont foibles & valétudinaires ; les tempéramens pituiteux sont en outre attaqués en été de dyssenteries, lienteries, hydropisies ; ceux qui sont bilieux, d’ophtalmies sèches, & les vieillards, des catarres qui les enlèvent entièrement. On fit dans cette année des remarques qui avoient quelqu’analogie avec celles qu’on fit sur les hommes ; les veaux & les agneaux étoient plus rares, plus foibles & plus petits que dans les années communes ; les ovipares se sentirent aussi du vice de la constitution ; les couvées de perdrix manquèrent, & le gibier fut peu commun. De là, M. Demars pense que, parmi les quadrupèdes, l’espèce qui a dû le plus souffrir des vices de la constitution, est celle qui, par sa nature ou son tempérament, son régime, le lieu de son habitation, seconde davantage l’action des intempéries de la constitution ; car c’est la réunion de ces causes particulières qui forme la cause complète des maladies.

La brebis passe pour être, de tous les quadrupèdes, le plus stupide ; elle s’égare sans nul dessein, en parcourant des endroits incultes ; dans les froids les plus rigoureux, elle sort des étables & elle périroit au milieu des neiges plutôt que d’y rentrer, si le berger n’avoit pas l’industrie de faire passer d’abord les béliers que les femelles ne manquent pas de suivre ; toutes ces observations sont d’Aristote. Cet auteur remarque, en outre, que les brebis restent couchées, ou qu’elles dorment moins que les chèvres ; que le moindre bruit les rassemble, & qu’une brebis pleine qui ne rejoint point le troupeau, lorsqu’il vient à tonner, avorte infailliblement. Ces animaux, dit M. de Buffon, sont d’un tempérament très-foible, ils sont par conséquent plus sujets que les autres aux intempéries de l’air : dès qu’ils courent, ils palpitent & sont bientôt essoufflés ; la grande chaleur, l’ardeur du soleil les incommodent autant que l’humidité, le froid & la neige ; ils sont sujets à grand nombre de maladies, dont la plupart sont contagieuses. Les années d’une humidité excessive ne sont pas les seules qui détruisent les troupeaux ; le froid & la sécheresse de l’année 1740, ainsi que l’a observé le docteur Huxham, firent périr presque tous les troupeaux des environs de Plymouth. Le lieu destiné pour la pâture de ces animaux, le régime qu’on leur fait garder selon les différentes saisons, peuvent encore contribuer à faire connoître les causes de l’épidémie dont il s’agit, & qui fait actuellement l’objet de nos recherches.

Les côteaux & les plaines élevées au-dessus des collines, sont les lieux qui conviennent le mieux aux brebis ; la pâture dans les endroits bas, humides & marécageux ne leur est pas favorable. La nourriture qu’on leur donne pendant l’hiver à l’étable, est du son, des navets, du foin, de la paille, de la luzerne, du sain-foin, des feuilles d’orme, de frêne, &c. On les fait sortir presque tous les jours dans cette saison, à moins que le temps ne soit fort mauvais, plutôt pour les promener que pour les faire pâturer. On ne les conduit aux champs que sur les dix heures du matin ; on ne les y laisse que quatre à cinq heures ; on les ramène vers les trois heures. Mais au printemps & en l’automne on les laisse plus long-temps à la campagne ; on les fait sortir de la bergerie dès que le soleil a dissipé la gelée & l’humidité, on ne les y ramène qu’au soleil couchant. Dans ces deux saisons on ne les fait boire qu’une fois par jour, de même que pendant l’hiver ; un peu avant que de les faire rentrer à la bergerie on prépare dans leur râtelier du fourrage à leur arrivée : mais cependant en quantité moindre que pendant l’hiver. On ne leur donne aucune nourriture à la bergerie pendant l’été, les brebis prennent pendant cette saison toute leur nourriture aux champs ; on les y mène deux fois par jour, & on les fait boire aussi deux fois ; on les fait sortir de grand matin ; on attend que la rosée soit tombée pour les laisser paître pendant quatre ou cinq heures, on les fait ensuite boire & on les ramène à la bergerie ou dans quelque endroit à l’ombre : sur les trois ou quatre heures du soir on les mène paître une seconde fois jusqu’à la fin du jour. Telle est la méthode qu’on doit suivre pour gouverner les moutons dans chaque saison : mais malheureusement on ne l’a pas pratiquée dans le pays où a régné l’épidémie.

1°. Le bas-Boulonnois, à l’exception des dunes, est naturellement humide ; il ne s’y trouve que très-peu de terreins secs : le serpolet & les autres herbes odoriférantes, telles que les différentes espèces de calament, l’origan, le clinopodium ne se trouvent pas dans les terres crétacées du haut-Boulonnois.

2°. La médiocrité de la récolte, le grand nombre de bestiaux que le défaut de vente a fait rester dans le pays, exigeoient des attentions d’économie sur la consommation des fourrages ; on a continué de mener paître de bonne heure, & de ramener tard, en automne comme en été, afin que le mouton prît aux champs presque toute sa nourriture, & que ses provisions fussent épargnées : ce qui n’auroit point eu de suites funestes dans une année bien tempérée, a été, dans une année trop humide, la principale cause de la perte de ces animaux ; le troupeau rentroit au bercail si mouillé, qu’à-peine pouvoit-il ressuyer, & la nourriture qu’il prenoit étoit beaucoup chargée d’eau ; enfin, les fourrages furent, en général, de mauvaise qualité ; les pluies perpétuelles multiplièrent tellement les limaçons, depuis la récolte de 1760 jusqu’après la dernière moisson, qu’une partie des grains ronds en fut dévorée, & ce qui resta fut gâté par les insectes, qui lors de la moisson se réfugièrent & furent enveloppés dans les warats ; Un brouillard épais de plusieurs jours en juillet & en août enniella, en outre, les autres grains tels que les blés, avoines & sucrions, & laissa sur la paille une espèce de poussière qui est un vrai poison pour les bestiaux. Toutes ces causes ont contribué indubitablement à la maladie dont il s’agit actuellement.

Elle s’est déclarée dans le Boulonnois, vers la fin du mois d’octobre, & les mois de décembre, janvier & février ont été ceux où cette maladie a enlevé une plus grande quantité de moutons. Les anciens expliquent parfaitement bien pourquoi, après un hiver humide & tiède, & un printemps froid & sec, les lienteries & les hydropisies ne manquent pas de survenir dans les maladies d’été & d’automne ; les corps, après avoir contracté, dans un hiver doux & pluvieux, une humidité excessive, se trouvent tout à coup resserrés par le froid & la sécheresse du printemps ; l’été qui succède immédiatement après des vents du sud, & par conséquent humides, ne produit point un dessèchement suffisant ; des lienteries & des hydropisies doivent donc être nécessairement une suite des maladies d’été ; ce qui doit encore d’autant plus se réaliser, si l’été est pluvieux tel qu’a été celui de 1761 ; & si l’automne suit la même température, les corps sont immanquablement menacés de maladies, au moins dans cette dernière saison. De-là, les saisons ont beaucoup concouru pour établir l’époque du commencement de cette maladie en automne, & ses plus grands progrès en hiver. Les animaux les plus foibles sont les moins capables de résister ; mais ceux-ci étoient foibles par leur âge, & ensuite par les circonstances dans lesquelles ils étoient nés ; car les anciens ont toujours observé que les animaux qui mettent bas leurs petits dans un printemps sec & humide, courent risque d’avorter, ou de donner le jour à des productions foibles & valétudinaires. Cependant les saisons n’ont pas contribué seules à l’hydropisie des moutons, le vice des alimens y a encore eu beaucoup de part ; en effet, lorsqu’une nourriture trop humide se joint aux vices de l’atmosphère, la maladie doit être immanquable. La transpiration supprimée d’une part, les vaisseaux d’ailleurs remplis de sucs aqueux, insipides, privés de fermentation qui pourroit encore vaincre les obstacles ; ces causes ne suffisent-elles pas pour produire la stagnation & ensuite l’épanchement qu’on a observé dans les moutons malades ? La dissolution du sang est une suite immédiate de cette humidité excessive : conséquemment la couleur de ce liquide, de même que celle de toutes les parties qu’il abreuve, doivent s’altérer & demeurer pâles, & les chairs des animaux, fades & insipides : le foie doit éprouver la plus forte discrasie, & sa chaleur combinée avec une humidité surabondante, le dispose nécessairement à la corruption.

Quant aux vers plats qu’on a aussi remarqués à l’ouverture de ces animaux, on ne peut pas dire que leur présence soit particulière à la maladie dont il s’agit, puisque M. Daubenton en a observé dans tous les foies des moutons & des agneaux sains ou malades. Tout ce qu’on peut seulement en conclure, c’est que le foie des brebis est naturellement sujet à la corruption.

Nous avons rapporté, parmi les symptômes de cette maladie, que les moutons qui en étoient attaqués, ne laissoient pas de boire & de manger jusqu’à la fin, & plus on les nourrissoit abondamment, plus la maladie faisoit de progrès, & l’animal périssoit beaucoup plutôt, il léchoit les pavés de la bergerie & mangeoit de la terre. L’appétit naturel dans les animaux ou le désir des alimens, est une suite de la dissipation des sucs, tant par les évacuations sensibles, que par la transpiration insensible ; de-là naît la succion des fibres de l’estomac & le sentiment de la faim ; les appétits viciés sont encore causés par des sucs acides qui mordent & picotent l’estomac ; cette mordication produit à peu près le même sentiment que la succion, je veux dire la faim ; c’est cette dernière cause qui existoit dans les moutons hydropiques, & qui les portoit à lécher les parois des murailles, & à manger de la terre. Aussi l’animal ne maigrissoit point, quoique sa perte fût d’autant plus accélérée, qu’il étoit copieusement nourri ; il étoit même très-gras & en embonpoint ; cela n’est pas surprenant : rien ne contribue plus à l’engrais des moutons, que l’eau prise en grande quantité ; mais tout le monde sait que cette graisse des moutons n’est qu’une bouffissure, un œdème qui les fait périr en peu de temps, ce qu’on ne prévient qu’en les tuant immédiatement après qu’ils en sont suffisamment chargés, & qu’on ne peut jamais les engraisser deux fois, ce qui provient, dit-on, de la nature de son suif, qui, lorsqu’il est accumulé jusqu’à un certain point, peut arrêter la transpiration de l’animal, & faire regorger les sucs vicieux vers le foie. Il y a cependant des maladies causées par des froids & des sécheresses excessives, telles que celles de l’année de 1740, aux environs de Plymouth, qui firent périr une multitude innombrable d’agneaux & de moutons : dans ces sortes de maladie, l’animal parvenoit à une extrême maigreur, le foie s’enfloit & durcissoit beaucoup, & la vésicule du fiel acquéroit une grandeur énorme.

Il est bien difficile de réformer les saisons, & de changer les tempéramens des animaux ; l’art peut cependant nous apprendre les moyens de s’opposer aux qualités nuisibles de l’air : tout le monde sait que cet élément se corrompt en se remplissant d’exhalaisons animales, & que réciproquement l’air putride corrompt les animaux qui l’habitent ; ces effets réciproques se manifestent en moins de temps dans les années humides, lorsque les vents sont méridionaux & l’air calme : on fera donc bien de prendre d’abord des précautions sur les lieux de l’habitation des moutons. M. Hastfer veut que les étables de ces animaux soient bâties sur un terrein sec & élevé, & qu’elles soient assez grandes pour être plutôt froides que chaudes. Pour trente brebis, il les faut longues d’environ vingt pieds, hautes de neuf ou dix ; il y faut même des fenêtres & des lucarnes, ou quelqu’autre ouverture qui puisse favoriser le renouvellement de l’air. Il y a pareillement des précautions à prendre sur les endroits où on les mène paître ; les coteaux & les plaines sont, comme nous l’avons déjà observé plusieurs fois, les lieux qui leur conviennent le mieux ; on ne les mènera donc pas paître dans les endroits bas, humides & marécageux ; on choisira, en outre, pour le matin & le soir, les exportions favorables pour les mettre à l’abri de la grande chaleur du soleil ; les bruyères sèches où il se trouve un peu de bois, conviennent beaucoup. Mais ce n’est pas encore en cela seul que doivent consister tous les moyens de préserver les moutons de la pourriture, la manière de les nourrir y contribue aussi beaucoup ; on ne les laisse pas paître dans la rosée qui contient, principalement dans les lieux bas & humides, des principes propres à accélérer la pourriture ; en un mot, l’objet principal auquel il faut avoir égard, confine uniquement à savoir retarder, par des précautions convenables, la disposition que ces animaux ont à se charger d’une graine qui leur devient funeste.

Le sel est salutaire aux brebis ; on cesse de leur en donner deux ou trois jours après qu’elles ont été couvertes, parce que son usage continuel, ainsi que des autres nourritures chaudes, ne manque pas de les faire avorter ; il corrige l’excessive humidité dans les mauvaises faisons, lorsqu’il est donné modérément ; le sel gris est préférable au sel blanc ; la partie terreuse avec laquelle il est combiné, a une certaine astriction favorable aux indications à remplir dans la maladie dont il s’agit actuellement ; elle fixe davantage l’action du sel, & le rend moins caustique. Il seroit encore très-utile de faire cueillir, dans les endroits élevés, du serpolet & d’autres plantes odoriférantes, qu’on mêleroit parmi les alimens des moutons ; ces sortes d’herbes donnent beaucoup de saveur à leur chair, & remédient par conséquent à cette fadeur & insipidité, qui sont les suites nécessaires de la maladie qui a régné en Boulonnois. Toutes les pailles sont propres à la nourriture des moutons. M. Hastfer prétend aussi que toutes sortes de feuilles d’arbres peuvent leur convenir, même celles de sapin, pourvu qu’on les mêle avec un peu de foin. Les feuilles de chêne qui sont astringentes, seront sans contredit un aliment qui pourra leur servir en même temps de remède. Les feuilles de bouleau passent pour être très-bonnes dans l’hydropisie ; elles sont par conséquent très-bien indiquées dans la maladie que nous traitons. Les Allemands & les Anglois font grand cas des bois de genièvre dans les maladies pestilentielles ; l’écorce & les feuilles de saule ont une qualité rafraîchissante & astringente ; on vante les baies du sorbier dans l’hydropisie ; le chèvrefeuille échauffe & dessèche beaucoup, c’est un fort diurétique ; il est propre à désopiler la rate ; la viorne dessèche & resserre ; les feuilles, le fruit & l’écorce du prunier sauvage ont la même vertu. L’écorce de la racine de l’aune noir, qui porte des baies, est un violent purgatif ; elle est fort utile dans l’hydropisie ; les feuilles de nerprun & des différentes ronces ne sont pas moins efficaces ; toutes les parties de l’orme sont astringentes & détersives ; la semence de frêne mise en poudre est excellente contre la jaunisse & l’hydropisie ; les feuilles de tilleul sont dessicatives ; le genêt chasse les sérosités, il est également indiqué dans les obstructions du foie, de la rate & du mésentère. En général, toutes les feuilles d’un goût austère & d’un tissu ferme & solide, semblent propres à corriger l’intempérie qui domine dans la maladie des moutons du Boulonnois, en desséchant la trop grande humidité, & réprimant les progrès de la pourriture : il ne faut cependant pas attendre que la maladie ait jeté de trop profondes racines ; dès l’été même, il en faut donner aux moutons, lorsqu’on a tout lieu de craindre les funestes effets des saisons trop pourrissantes.

En 1762 il parut dans les environs de Beauvais, une maladie épizootique, qui attaqua les moutons. M. Borel, lieutenant-général de Beauvais, directeur du bureau d’agriculture de la même ville, dit que cette maladie se manifestoit par le dégoût & la tristesse de l’animal ; quelques-uns l’avoient apperçu vingt-quatre heures avant l’éruption, & les plus attentifs, deux ou trois jours plutôt ; mais le plus grand nombre, après l’éruption commencée. Le dégoût étoit proportionné au degré de la maladie, les moutons les moins gravement attaqués continuoient à manger ; les plus malades ne mangeoient rien d’eux-mêmes, on les soutenoit comme on pouvoit : ils étoient tous très-altérés, & on leur donnoit à tous de l’eau ; dès qu’ils étoient atteints du mal, ils cessoient de ruminer, leurs yeux étoient chargés, enflés, larmoyans, ils devenoient très-obscurs ; souvent les deux paupières se colloient l’une à l’autre, le malade ne voyoit plus ; plusieurs de ceux qui avoient été guéris avoient perdu un œil ; quelques autres étoient aveugles, la prunelle même étoit tombée, dans quelques-uns, en pourriture. Il ne restoit plus de trace d’humeurs, de muscles, de membranes dans la capacité de l’orbite. Ils jetoient par les naseaux une morve épaisse, tenace, de couleur de pus, le plus souvent blanche, rarement jaune ; les forces leur manquoient pour suivre le troupeau, ils s’abattoient & restoient, pour ainsi dire, au lieu où ils étoient tombés ; leurs oreilles étoient très-froides ; cependant cette circonstance n’étoit pas générale. Nulle agitation, ils restoient en place ramassés dans le moindre volume possible, absorbés, la tête penchée vers la terre autant qu’elle peut l’être, la queue entre les jambes, les parties postérieures rapprochées des antérieures, sans paroître souffrir de tranchées. Ils étoient oppressés en proportion du mal. Quand ils en étoient atteints jusqu’à la mort, ils se plaignoient dans les dernières vingt-quatre heures ; les flancs leur battoient ; s’ils guérissoient, leur laine tomboit aux places où il y avoit eu éruption, leurs déjections étoient à-peu-près les mêmes qu’en santé, plus sèches encore, & plus en crottes noires que dans l’état naturel. Les boutons étoient exactement des boutons de petite vérole ; il y en avoit de plusieurs formes & de plusieurs couleurs. Il y en avoit de parfaitement ronds, les uns discrets, les autres concrets ; ceux-ci étoient ellyptiques, ceux-là avoient la forme de petits haricots plats & oblongs : tous étoient d’abord rouges, mais ensuite les uns blanchissoient, se crevoient, purgeoient & salivoient, & c’étoient ceux de la bonne espèce ; les autres devenoient violets, s’amortissoient sans suppurer & noircissoient. Quelques-uns n’avoient pas le temps de mûrir, l’animal mourant dès le troisième jour de l’éruption ; & l’on ne trouvoit dans ces boutons qu’une matière blanche & solide comme de la panne de cochon ; lorsque le venin de la maladie attaquoit la tête, l’animal étoit plus en danger & périssoit plus vite ; s’il en revenoit, la maladie étoit plus longue ; les uns n’ont guéri qu’au bout de deux mois, d’autres au bout de six semaines, d’un mois, de quinze jours, &c. il en mourut aussi à toutes les époques. On avoit d’abord cru que des moutons, dans des pâturages humides, étoient plutôt attaqués que ceux qui étoient nourris dans les secs ; mais on vit depuis, les moutons des plaines aussi-tôt attaqués que ceux des vallées. Le mal fut presqu’aussi général que la petite vérole dans les années où elle est épidémique. La communication eut lieu dans plusieurs endroits, sans fréquentation des moutons malades ; dans d’autres, elle parut être l’effet de la fréquentation, ou du moins, de l’approximation de deux troupeaux, dont l’un étoit infecté ; enfin, l’éruption qui n’occupoit pas la tête, paroissoit sous les aisselles, sous les cuisses, au ventre, aux jambes, à l’anus. Dans le nombre des moutons attaqués, il y en eut qui le furent légèrement ; ce n’étoit, disoient les paysans mêmes, qu’une petite vérole volante ; quelques-uns n’eurent des boutons qu’aux jambes, d’autres aux oreilles seulement ; il s’en est trouvé qui n’avoient qu’un grain de la grandeur d’un écu de six livres ; un de ces grains unique se plaça sur l’oreille d’un mouton à une lieue de Beauvais, & maltraita tellement cette partie, qu’elle en resta de travers & retroussée. Un autre n’en eut qu’un à un pied, l’ongle tomba, & il en a été estropié pour toujours. Dans la plupart des moutons malades la tête enfloit, l’intérieur de la bouche étoit plein de boutons. On n’avoit tenté aucun remède dans la plupart des villages, dans la persuasion où étoient les habitans qu’il n’y en avoit point. Quelques particuliers assurèrent à M. Borel, que l’air étoit plus avantageux aux moutons malades, que la bergerie.

Une brebis étoit malade du jeudi, elle fut aux champs avec les autres le vendredi, le samedi matin elle fut trouvée morte dans la bergerie ; on l’apporta le même jour à M. Borel, elle avoit déjà des signes de putréfaction qui s’annonçoient à l’odorat, par une fétidité assez grande, & aux yeux, par la couleur livide & verdâtre qu’on remarquoit sur son col, sous les cuisses, sous les épaules, & par la tuméfaction du bas-ventre qui renfermoit une très-grande quantité d’air infecté. Cette brebis n’avoit pas de boutons à la tête, cette partie n’étoit pas enflée ; on n’en trouva que deux sur la langue & deux dessous ; dans ces mêmes endroits la peau se levoit comme elle se lève aux langues mises dans l’eau bouillante. En levant les paupières, on voyoit que la cornée transparente étoit du moins terne, ou si épaisse qu’on n’appercevoit plus, au travers de l’œil, sa prunelle que très-imparfaitement. L’un des yeux étoit plus terne que l’autre. Les boutons étoient en assez grand nombre sur le ventre ; & en dedans des cuisses & des épaules, autour du col & de la gorge, ils se montroient comme des tumeurs ou des pustules blanches, rondes, plates, de deux, de trois ou de quatre lignes de diamètre. Elles n’intéressoient que le tégument, & suivoient le mouvement qu’on leur donnoit. La matière qui les formoit, ne s’étoit pas encore fait de foyer, comme aux pustules blanches de petite vérole. En les ouvrant, elles ressembloient à une tumeur graisseuse ; quelques-unes étoient excoriées dans le centre ; les naseaux étoient imprégnés d’un reste d’humeur sanieuse, couleur de café. Le bas ventre étant ouvert, l’épiploon parut d’une couleur terne blafarde, rougeâtre ; la graisse en étoit cassante, sans avoir la consistance qu’elle a dans les moutons sains égorgés ; le foie étoit de couleur vert-obscur ; cette couleur pénétroit d’une bonne ligne plus ou moins en certains endroits dans sa substance, & cette espèce d’écorce étoit cassante comme du foie un peu cuit ; la vésicule du fiel paroissoit flasque, & avoir contenu plus de bile que dans l’état naturel & une bile plus liquide. La membrane interne lâche & plissée du premier ventricule, étoit de couleur verte & parsemée d’une prodigieuse quantité de pustules blanches, lenticulaires & de même couleur que celles qui étoient sur la peau, mais d’un diamètre plus petit. Ce premier ventricule contenoit des matières liquides & vertes en petite quantité, le ventricule feuilleté renfermoit peu de matière ; le troisième étoit très-plein d’alimens assez bien broyés, aussi verts que l’herbe dont ils étoient le produit ; cette même poche étoit aussi très-gonflée par un air fort raréfié & infect ; les intestins grêles étoient presque vides. On trouva dans le colon & dans le cœcum des excrémens d’une moyenne consistance ; les reins étoient attaqués comme le foie, verts & secs extérieurement ; la vessie contenoit peu d’urine ; les poumons étoient flasques, d’un rouge obscur & livide : on n’y remarquoit que quelques petites tumeurs semblables à celles de l’extérieur, mais rondes & plus épaisses ; le cœur paroissoit d’un volume plus gros qu’il ne l’est dans l’état naturel. Le ventricule droit de ce viscère contenoit un sang très-noir ; un caillot de ce sang tiré de la veine cave postérieure, étoit noir à sa partie antérieure plus voisine du cœur, mais à sa partie postérieure du côté du foie, il étoit jaune & semblable à la couenne qui couvre le sang des pleurétiques : on n’ouvrit point la tête de cette brebis, tant à cause de son état de putréfaction, que parce que le siège de cette maladie n’avoit pas paru porté dans cette partie, & que d’ailleurs elle avoit duré trop peu de jours pour croire qu’il s’y fût formé un dépôt. En général, il paroît que le sang étoit beaucoup enflammé. Si un enfant fût mort à la même époque d’une maladie, & avec les mêmes symptômes, on auroit jugé qu’il étoit mort d’une petite vérole rentrée. La ressemblance du claveau avec la petite vérole des hommes est frappante, soit qu’on l’examine dans ses commencemens & dans ses progrès, soit dans les effets & dans les suites ; on a même vu plusieurs brebis dont la peau de la tête, sur-tout près des lèvres, restoit gravée & couturée comme le visage d’un homme qui a eu la petite vérole la plus maligne.

En 1763, une maladie épizootique fit beaucoup de ravages dans le pays de Brouageais, élection de Marne, généralité de la Rochelle. M. Nicolaw, docteur en médecine, dit que les paroisses où la maladie des bestiaux exerçoit sa fureur, sont situées aux environs d’un terrein bas, de l’étendue de près de trois lieues ; il formoit autrefois une vaste & belle saline où la mer s’introduisoit au moyen d’un canal, nommé le Havre de Brouage, lequel n’existe plus que depuis son embouchure jusque devant la ville de Brouage qui est aussi sur le bord de ce terrein. Le Havre de Brouage s’étant comblé peu à peu, & la mer par conséquent ne fournissant plus ses eaux dans les marais, où on les ramassoit pour faire du sel, le sol est demeuré entrecoupé & inégal, rempli d’enfoncemens qui conservent encore les noms de fars, de conches, de champs, d’aises, &c. qu’ils avoient étant marais salins, & de terres élevées nommées Bosses, qui sont des rejets du fond creusé pour la construction des marais. Des parties de ces enfoncemens, par le laps de temps, se sont comblé imparfaitement ; d’autres existent encore presque dans leur entier ; tous dans les temps pluvieux, sur-tout en hiver, sont garnis par les eaux pluviales, qui n’ayant aucune issue, y croupissent jusqu’à ce que l’air & la chaleur du soleil de l’été les ayent fait évaporer. Les plus profonds qui se dessèchent rarement, forment autant de bourbiers remplis d’herbes aquatiques qui croissent dans une eau boueuse, laquelle sert cependant à abreuver le bétail. Le tout présente une grande prairie grasse & marécageuse qui nourrit les bêtes destinées aux boucheries, aux voitures, & à la culture des biens de campagne du Brouageais. Ce sont ces troupeaux considérables de jumens, de bœufs & de vaches, dont la mortalité excite les regrets, & cause en partie la misère de nos habitans.

Les cloaques dont je viens de parler, répandent bien loin des exhalaisons fades qui infectent l’atmosphère & rendent les habitans, à la fin de l’été, sujets aux fièvres intermittentes, putrides & malignes ; on sent une puanteur dans l’air, qui se manifeste sur-tout dans les beaux jours au lever du soleil.

Cette année les pluies ont été très-abondantes, & presque continuelles durant le printemps & l’été ; la fraîcheur de l’air s’est constamment soutenue. La grande chaleur n’a fait monter la liqueur du thermomètre de Réaumur, exposé dans une chambre donnant sur le nord, qu’aux dix-huitième & dix-neuvième degrés. Nous avons essuyé le trois de juillet un ouragan accompagné de grêle d’une grosseur prodigieuse, qui a détruit dans plusieurs endroits toute la récolte, & endommagé les édifices. La plupart du gros bétail, que la mortalité nous enlève, y fut exposée & l’essuya ; mais les brebis & les cochons qui meurent également, en étoient à l’abri ; d’ailleurs la mortalité avoit commencé avant ce temps.

Les prairies ont fourni cette année un pâturage abondant, arrosé par les eaux pluviales, qui ont même empêché qu’on ne fît la récolte du foin, lequel a péri sans être fauché, ou a pourri après l’avoir été, parce que, d’un côté, la pluie, l’humidité, de la terre, & le défaut de chaleur n’ont pas permis de le faire sécher ; d’un autre côté, la terre trop molle ne pouvoit supporter le poids des voitures ; ceux qui ont tenté de l’en retirer ont perdu leurs peines & leur temps ; les bestiaux sont demeurés jour & nuit aux intempéries des saisons, qui ont été si renversées, que l’ordre de la nature semble en avoir souffert. Tous les fruits, tant d’été que d’automne, ont manqué, & les arbres actuellement fleurissent comme au printemps. (3 Septembre 1763)

La plupart des herbes qui croissent dans ces endroits, ne m’ont pas paru mal-saines pour les bestiaux, & quand il en croîtroit de telles, la cause principale de l’épidémie ne doit pas leur être imputée, puisque les brebis qui ont pâturé ailleurs, & quelques chevaux qui ont vécu de foin sec, en sont également infectés, ainsi que les cochons qui n’en ont pas fait leur nourriture.

La mortalité s’étend jusque sur-les autres animaux domestiques, sans excepter la volaille, laquelle périt dans un hameau de S. Symphorien. Cependant, quelque générale que soit l’épidémie, il y a lieu de penser qu’elle n’est pas contagieuse. Il est mort dans plusieurs paroisses nombre de chiens qui avoient mangé des chairs de bestiaux morts ; mais il en est mort aussi qui n’en avoient pas mangé, & plusieurs n’ont pas cessé d’en manger chaque jour, sans être incommodés.

Au mois de mai dernier, il avoit paru sur le bétail à corne quelques maux de langue, dans une paroisse & celles qui l’avoisinent. Ce ne fut alors qu’une terreur panique, ils cessèrent sans faire de ravages. En juin & au commencement de juillet, l’épidémie régnante se manifesta sur les troupeaux de brebis, qu’elle a ravagés dans certains endroits, jusqu’au point de n’en laisser aucune : dans d’autres, le peu qu’il en reste est abandonné sans pasteur au seul soin de la providence, dans les champs ou elles périssent presque toutes. Ces animaux, naturellement délicats & foibles, sont aussitôt perdus qu’on les reconnaît malades. La mortalité des bœufs, des jumens & autres animaux, a particulièrement régné dans deux paroisses depuis la fin de juillet ; elle s’étend maintenant de toutes parts, quoiqu’avec moins de ravage dans certains lieux que dans d’autres.

Le premier symptôme qu’on leur reconnoît est le défaut d’appétit ; ce n’est pas à dire pour cela qu’il n’y en ait d’autres qui précèdent ; mais les pasteurs peu experts ne les distinguent point. Ce prélude réveille l’attention : on les voit tristes, la tête baissée, le poil redressé sans le lustre ordinaire, les flancs applatis & battans, le ventre tendu & plein, tout le corps tiraillé & paroissant vouloir faire des efforts pour uriner ; les urines qu’ils rendent sont souvent claires comme de l’eau ; l’excrétion des matières est plus rare, la rumination cesse dans le bétail à corne ; quelques heures après, s’il ne survient point de tumeurs à la superficie du corps, les frissons les saisissent, ils tremblent, leurs yeux se ternissent & deviennent larmoyans ; il sort une bave tenace de la bouche & des narines ; ils se couchent & meurent tranquillement, ou agités de convulsions plus ou moins vives. Dans ces extrémités ils alongent souvent la tête, ils sont essoufflés, ils poussent de longs soupirs, quelquefois aussi ils toussent. Ces symptômes viennent souvent avec tant de rapidité, que la bête périt sans qu’on les ait vus. Plusieurs bœufs ont succombé sous le joug ; plus le cours de ces accidens est prompt, plus le danger est grand & sans ressource. La violence des frissons est toujours funeste ; lorsque la véhémence des symptômes se déclare avec plus de lenteur, il n’y a ordinairement point de frisson ; mais s’il en arrive, ils sont de mauvais augure, proportionnellement plus ou moins, selon leur durée & leur rigueur. Dans le développement des signes, il arrive souvent qu’il paroît des tumeurs, qui se manifestent indifféremment sur toute la superficie du corps ; elles sont quelquefois fixes dans la première partie où elles se sont déclarées ; d’autres fois elles disparoissent pour se montrer ailleurs ; si elles s’évanouissent, l’animal périt ; si au contraire, l’animal conservant ses forces, elles se multiplient sur toute l’habitude du corps, sur les parties les moins essentielles à la vie, on peut se flatter d’espérance. L’expérience journalière commence à prouver que la guérison dépend essentiellement de la bonne issue des tumeurs, & de leur caractère le plus approchant de celui du phlegmon. Les tumeurs sont humorales plutôt que phlegmoneuses ou inflammatoires ; l’inertie des solides organiques, & la putréfaction des humeurs les rendent telles dans les animaux attaqués de l’épidémie.

La manifestation des tumeurs semble d’abord affecter les muscles : on sent sous la main dans la partie, les chairs devenues dures sans être beaucoup enflées ; bientôt après il s’infiltre, dans le tissu cellulaire des environs, une humeur qui en relâche les fibres, les énerve & élève le cuir en bosse. Si l’on ne se hâte de faire une ouverture pour la tirer de-là, son séjour produit la gangrène qui ne manque pas de gagner plus loin, ou si le mal est près de quelques viscères nécessaires à la vie, la bête meurt avant qu’il ait fait de plus grands progrès. Ces sortes de tumeurs sont flasques, il ne s’en écoule qu’une sérosité rousse & sanieuse. S’il s’y établit une suppuration louable, tout va au mieux, les forces de l’animal reviennent, il recouvre l’appétit : si, au contraire, il n’y a qu’un écoulement séreux sans suppuration, la guérison vient lentement, les bêtes languissent, sont tristes & abbattues, jusqu’à ce que les chairs vives reprennent insensiblement leur ressort, & se séparent de tout ce qu’il y a de gangrené, qui tombe pour laisser paroître une plaie bien colorée, que les bœufs ont alors eux-mêmes soin de nettoyer avec leur langue pour la faire cicatriser.

Il y a, au surplus, une remarque à faire, au sujet de la gangrène des tumeurs, elle est d’une espèce particulière. Le tissu cellulaire & les chairs sont plutôt macérées que pourries ; elles ont une couleur pâle tirant sur le livide, & elles conservent une consistance assez ferme, quoique leurs fibres soient désunies ; en sorte qu’on peut dire que c’est plutôt une macération qu’une putréfaction. Il n’en est pas de même de l’escarre qui tombe avant la cicatrisation des plaies ; elle est noire & tout à fait corrompue & fétide. Si ces tumeurs demeurent donc dans leur état de relâchement & de flacidité naturelle, on a toujours à craindre que l’humeur ne tombe dans du sang, & par conséquent, qu’elle ne produise les ravages qui sont ordinaires, quand elle ne peut se faire jour au-dehors. Cela est arrivé à plusieurs bêtes de toute espèce ; elles sont mortes par l’interruption de l’écoulement des sérosités ; d’autres, parce qu’il n’a pu s’établir qu’imparfaitement. La grande sensibilité des chairs malades est toujours de bon augure ; au contraire, plus elles sont insensibles, plus il y a aussi sujet de désespérer. Quand ces bosses, d’applanies qu’elles sont au commencement, se circonscrivent & s’arrondissent, devenant en même temps très-fermes & résistantes, c’est un signe non équivoque que la nature agit efficacement, & qu’elle prend le dessus sur la cause qui produit le mal, dont elle veut bientôt se débarrasser, en changeant le dépôt, d’humoral qu’il étoit, en dépôt phlegmoneux, lequel n’est jamais dangereux, lorsqu’il est bien placé & bien conditionné : l’expérience l’a toujours prouvé sur le corps, humain, & le prouve déjà sur le corps des animaux attaqués de la maladie dont il s’agit. L’état de foiblesse & d’abattement où ils étoient avant ces heureux signes, change peu à peu lorsqu’ils se montrent ; la putréfaction des humeurs s’évanouit insensiblement, ainsi que tout ce qui l’annonce. Les mouches de différentes espèces, qui, attirées par l’odeur des maladies, s’attachent en plus grande abondance, à proportion de l’affaissement, au bétail hors d’état de les chasser en ridant la peau ou autrement, s’en éloignent aussi à proportion que les circonstances font connoître le retour de la vigueur ; des allures vives succèdent à leur air morne, l’envie de manger & la gaieté reviennent. L’humeur contenue dans le dépôt montre quelquefois un caractère d’insigne âcreté ou causticité. M. Drouhet, Chirurgien de Pont-l’Abbé, a observé qu’ayant ouvert un de ces dépôts à la partie supérieure interne de la cuisse d’un bœuf, ce qui en découla détacha le poil vingt-quatre heures après, comme si la partie avoit été trempée dans l’eau bouillante. La peau dépouillée paroissoit fort rouge & bien enflammée. Ces dépôts se font indifféremment sur toutes les parties du corps, ainsi qu’on l’a déjà observé ; ceux qui se jettent sur les viscères, sont mortels. Parmi les externes, ceux qui se montrent au poitrail des chevaux, dans l’endroit que les maréchaux appellent l’avant-cœur, sont des plus mauvais ; au contraire, ceux qui affectent le fanon, ou cette membrane pendante du poitrail des bœufs, que nos paysans nomment la banne, sont les moins dangereux. Ceux qui viennent au museau, à la bouche & au fondement de toute espèce d’animaux, donnent un présage funeste ; c’est sur-tout dans ce dernier cas que le bétail répand, en mourant ou après la mort, le sang par les narines, par la bouche ou par le fondement, ou souvent par tous les endroits ensemble. Un des symptômes les plus ordinaires, reconnu par l’ouverture des cadavres, est le défaut de digestion. On trouve le plus souvent le trajet du canal intestinal vide, tandis que les estomacs sont pleins & comme farcis d’herbe, qui est plus ou moins durcie dans le livret des animaux ruminans ; cela arrive quelquefois lorsqu’ils ont cessé de manger plusieurs jours avant la mort, ou bien, lorsque surpris par une mort subite, ils n’ont pas discontinué de manger.

Le sang qu’on tire aux bêtes malades se fige facilement, & se couvre bientôt d’une couenne épaisse, dure, de couleur blanchâtre, tirant un peu sur le jaune. Les saignées mal-placées & au hasard, ont toujours eu des suites funestes. Quelques-unes faites à propos ont été salutaires, & leurs bons effets sensibles. La plupart des breuvages employés jusqu’à présent ont paru accélérer la mort, selon le rapport des personnes qui en ont le plus donné.

Il seroit à souhaiter qu’on pût découvrir la cause qui a produit l’épidémie ; mais ce seroit perdre un temps précieux que de s’attacher à en faire la perquisition, puisqu’il a toujours paru comme impossible de découvrir la source de toutes les maladies épidémiques ; ce n’est que par l’heureux effet du hasard, qu’on en a découvert quelques-unes, plutôt que par le travail des recherches pénibles & de la méditation. Il semble qu’on devroit attribuer le fléau, dont je sais le détail, à la grande humidité de l’air, trop long-temps continuée par les pluies &i les brouillards, qui n’ont cessé toute cette année de troubler la végétation & la fructification des plantes. Ajoutez à cela, que la terre trop profondément humectée par une surabondance d’eau, a pu répandre dans l’atmosphère des vapeurs malignes, qui auront aussi affecté extraordinairement toute l’économie animale ; quelqu’apparente que soit cette idée, je ne m’y attacherai point.

Pour développer méthodiquement ces maladies, on doit les considérer dans trois périodes : le commencement ou l’invasion, le fort ou l’état, le déclin ou la fin. Jusqu’à présent je crois n’avoir décrit que les deux derniers temps, c’est-à-dire l’état & le déclin : je pense qu’il est évident, par le narré des symptômes, que la maladie des bestiaux est dans son fort, lorsqu’elle fait connoître dans leur corps un caractère d’inertie des solides & d’insigne dépravation des humeurs. De la destruction de ce vice dépend le déclin qui doit conduire à la guérison : l’invasion, temps le plus favorable à prévenir l’orage demeure comme inconnue par le défaut d’intelligence & de savoir des personnes habituées à manier les bestiaux sans craindre leurs cornes & leurs pieds. Cependant, lorsque le mal est porté à son plus haut degré, la nature est près de succomber, ou de remporter la victoire ; il faut donc, avant cela, qu’elle se soit mise en jeu, & qu’elle ait fait des efforts pour se débarrasser de ce qui la menace de sa ruine ; ce seroit donc alors qu’il faudroit lui donner les secours les plus utiles pour détourner & affoiblir les forces de son ennemi qui se dérobe aux yeux, mais qui ne se cacheroit point au tact d’un maréchal expert, qui s’approcheroit de ces animaux sans crainte. Dans nos campagnes nous manquons de tels artistes, nous pourrions les guider avec fruit & étendre leurs connoissances.

Au défaut des symptômes pour découvrir le premier temps de l’invasion de la maladie, il faut tâcher de le développer par analogie avec le corps humain. L’épidémie a une si grande ressemblance avec ce que nous appelons dans l’homme, fièvre putride, maligne, pourprée & pestilentielle, que je ne balance pas de lui donner les mêmes noms chez les animaux qui en sont attaqués. En effet, ne voyons-nous pas, dans l’homme, que ces fièvres sont accompagnées des phénomènes d’abattement des forces, de taches pourprées, de tumeurs d’un mauvais caractère, de dépôts irréguliers, de déchiremens d’entrailles, de défaut d’appétit, de vice sur des déjections, de mort venue avec célérité. Les ouvertures des cadavres des animaux fournissent des preuves de ressemblance. Or, les médecins savent que ces accidens terribles sont précédés, dans l’homme, par une fièvre violente ; ils le sont pareillement dans les animaux. Un paysan, ajoute M. Nicolaw, chagrin de voir périr ses bestiaux, & examinant une vache pour découvrir s’il ne lui venoit point de tumeur, mit la main entre les jambes de devant, aux endroits qui sont aux parties latérales de la partie antérieure de la poitrine ; il apperçut une fréquente & forte pulsation des artères qui répondent aux artères axillaires du corps humain. Cet animal mangeoit encore, mais il ne tarda pas longtemps à perdre l’appétit. On le reconnut dès-lors malade ; bientôt après il mourut. Les pulsations des artères fréquentes & violentes que ce paysan observoit, annonçoient sans contredit la présence d’une fièvre considérable, & désignoient le premier degré de la maladie qu’on ne reconnoît souvent pas. C’est alors qu’une diète sévère, les breuvages acidulés & nitreux, les lavemens émolliens, la saignée feroit merveille ; on préviendrait par-là l’assaissement des solides, & l’épaississement des humeurs ; leur quantité diminuée de ce qu’elle auroit d’excédent, ne porteroit pas les vaisseaux au-delà de leur ressort & ne les empêcheroit pas d’agir sur elles, pour les diviser, & entretenir une libre circulation ; les liqueurs atténuées & divisées ne tendroient pas à se coaguler, comme il paroît par la couenne épaisse qu’a le sang qu’on a tiré des veines ; il arriveroit de-là, qu’on n’auroit pas tant à craindre tout ce qui doit engendrer dans la suite la putréfaction : en prenant ces précautions, les progrès du mal seroient plus lents, & on auroit le temps de placer les remèdes sûrement & à propos : mais pour peu qu’on néglige le mal, les humeurs tendent à la coagulation, elles commencent à entrer en putréfaction, & toute l’économie animale est dérangée ; la nature affaissée & près de sa ruine, fait tumultueusement ses derniers efforts pour se débarrasser du fardeau qui l’accable : elle agit sans ordre, jette les humeurs de toutes parts, les dépose dans les endroits les plus foibles, & les laisse dans les parties où elles se trouvent le plus engagées ; si c’est dans les viscères, elles causent inévitablement la mort ; si c’est dans l’extérieur du corps, elles forment des dépôts toujours d’un mauvais caractère, plus ou moins affectés d’un vice gangreneux, à proportion de la vigueur de l’animal, & de la force avec laquelle les vaisseaux peuvent agir ; c’est alors qu’il faut réveiller les forces de la nature affaissée, & les soutenir, en employant dans les breuvages les stimulans sans trop d’âcreté, les cordiaux & les anti-gangreneux. Dans de pareilles maladies qui attaquent les hommes, après avoir préparé les malades par la saignée & les diètes humectantes, on emploie avec succès les caustiques & les purgatifs, avant que l’abattement soit venu ; ils paroîtroient pareillement indiqués pour les bestiaux, mais leurs entrailles se prêtent difficilement à l’effet des purgatifs, & la structure de leur estomac rend le vomissement impossible ; ainsi, ces sortes de médicamens ne peuvent pas être utiles, ils leur deviennent nuisibles, en augmentant l’irritation à laquelle ces sortes de bestiaux sont déjà disposés. Les animaux qui ont l’estomac figuré ou formé comme celui de l’homme, vomissent ; & on a pareillement remarqué que des chiens & des cochons attaqués de l’épidémie, ont été guéris à l’aide du vomissement. Les tumeurs exigent un traitement particulier ; la qualité putride & âcre qu’elles contiennent, demande qu’on les ouvre sans perdre de temps aussitôt qu’elles paroissent, plus on diffère, plus elles deviennent mauvaises ; on multipliera les ouvertures à proportion qu’il en paraîtra de nouvelles : on attirera même l’humeur dans les parties les moins dangereuses, en y faisant des cautères ou des sétons, lorsqu’il y a même des tumeurs ; on fortifiera en même temps toutes les chairs par quelques fomentations anti-gangreneuses, telles qu’une décoction du scordium faite avec le vin, & aiguisée de sel commun ou même de sel ammoniac. On pansera les plaies avec le suppuratif, dont on enveloppera un morceau de plante plus ou moins âcre, selon qu’il paroît nécessaire d’attirer l’écoulement de l’humeur ou de le favoriser simplement : l’herbe aux gueux, l’ellébore noir, la racine d’iris, peuvent très-bien convenir dans ce cas ; la plaie étant devenue belle, on la panse simplement avec une mèche garnie de suppuratif ou de térébenthine. M. Nicolaw a fait l’ouverture de plusieurs cadavres de ces animaux, dont voici le résultat.

Première ouverture. Le 23 août 1763, un bœuf appartenant au Sr. Fief-Gallet, fermier de la terre de St. Fort, mourut vers les quatre heures après midi ; nous le vîmes couché, comme il étoit sur le point d’expirer ; il mourut, après avoir eu quelques légères convulsions ; son corps n’enfla point, & il ne parut à l’extérieur aucune marque de maladie. L’ouverture faite immédiatement après la mort, toutes les chairs se montrèrent saines, ne répandant aucune mauvaise odeur ; le médiastin, la pieuvre, le diaphragme, le cœur & le poumon se trouvèrent naturels. Lorsqu’on enleva ces viscères, il se répandit une quantité de sang qui n’étoit point coagulé, mais dissous, le poumon avoit seulement quelques hydatides à sa superficie, remplies de sérosité limpide ; d’ailleurs, il n’y avoit rien dans sa couleur, ni dans sa consistance qui fût extraordinaire, tant intérieurement qu’extérieurement. La langue, la bouche, & l’œsophage étoient sains, dans le bas ventre l’épiploon ou le tablier graisseux étoit aussi sain ; la rate avoit quelques taches de gangrène sur la surface qui touche au livret & à l’abomasus. La consistance de la bile paroissoit un peu claire, & la couleur un peu plus pâle qu’elle ne devoit l’être ; les estomacs & les intestins ayant été déchirés par le peu de dextérité du maréchal ferrant, il ne fut pas possible de les examiner assez exactement ; cependant l’abomasus parut totalement sphacelé ; le psautier ne l’étoit pas autant, mais la membrane veloutée, séparée, tant de ses feuillets que de ses parois, étoit en partie sur les alimens, & en partie mêlée avec eux ; ils avoient la consistance plus dure qu’elle ne doit naturellement l’être, & comme mastiquée ; les recherches ne furent pas poussées plus loin. Les estomacs & les boyaux percés & déchirés, ne rendirent presque d’autre odeur que celle qui est ordinaire aux excrémens du bœuf.

Seconde ouverture. Une vache appartenant au même Fief-Gallet, fut reconnue malade le 22 ; on nous l’annonça mourante le soir du 23. Comme nous allions pour l’examiner, elle monta avec rapidité sur un tas de fumier fort élevé, où elle tomba agitée de violentes convulsions, & mourut toute essoufflée vers les sept heures du soir, rendant de la bave tenace par les narines & par la bouche ; nous en fîmes l’ouverture le 24 à huit heures du matin ; elle avoit le ventre enflé, ce qui provenoit en partie de ce qu’elle étoit pleine, & en partie des vents contenus dans le péritoine. Elle ne répandit aucune odeur fétide, ni ne manifesta rien contre-nature, dans toute la superficie de son corps écorchée, tant le tissu cellulaire se trouva sain. Le lait qui sortit des mamelles étoit blanc, lié & clair ; la tête & la poitrine se trouvèrent au naturel ; mais le sang qui sortit des vaisseaux en abondance, étoit dissous & non pas coagulé. Il sortit, tant de la poitrine que du bas ventre, une petite quantité de vents qui n’étoient pas puans. Les estomacs se trouvèrent distendus, pleins d’herbes, excepté l’abomasus, qui contenoit une liqueur boueuse, brune, en petite quantité. En général, l’herbe contenue dans les autres estomacs n’étoit pas aussi sèche & aussi mastiquée que dans le bœuf ; elle le paroissoit cependant assez pour rendre la digestion extrêmement difficile. L’intérieur, tant de l’omasus que du reticulum, du liber & de l’abomasus, étoit dépouillé de la membrane veloutée, qui se trouvoit sur la masse des alimens & roulée avec eux ; le livret, outre cela, avoit plusieurs feuillets détruits, noirs & tombans en lambeaux au moindre attouchement. Tout le trajet du canal intestinal étoit vide & enflammé, ainsi que le mésentère ; l’intérieur des boyaux étoit aussi dépouillé de sa membrane veloutée ; dans plusieurs endroits tout le boyau, sphacelé & corrompu, se déchiroit pour peu qu’on le tiraillât. Une portion de l’épiploon étoit macérée, noire & tombant en lambeaux, l’autre partie étoit saine ; la vesete, la matrice de même, ainsi que le fœtus & ses enveloppes. D’ailleurs, toutes les chairs étoient belles, sans mauvaise odeur, & il est à remarquer que ces endroits corrompus, ne sentoient pas non-plus fort mauvais.

Troisième ouverture. Un cheval appartenant à M. Guillot, ancien lieutenant-général de l’amirauté, à Marennes, le 28 & le 29 août, fut reconnu malade. Il se manifesta d’abord à la partie latérale gauche du poitrail, une tumeur qui s’étendit bientôt sur-tout le dessous du col. Un maréchal-ferrant cautérisa une grande partie de cette tumeur dans l’endroit le plus bas, en ma présence, avec un fer rouge, qui détruisit le cuir jusqu’aux chairs. Durant cette opération, le cheval ne donna aucune marque de sensibilité ; il étoit cependant sensible à la piqûre des mouches dans les autres endroits du corps ; il ne suinta rien de la plaie, & il mourut le 31 vers les 5 heures du soir. Nous en fîmes l’ouverture le premier septembre de bon matin ; il étoit puant & avoit le ventre enflé ; il en sortit quantité de vents de très-mauvaise odeur. Tous les viscères ne montroient rien de remarquable, excepté quelques taches d’inflammation ; l’estomac seulement étoit plein de foin, quoique cette bête eût demeuré sans manger trois jours avant sa mort ; les intestins étoient vides. Le péricarde étoit rempli d’une grande quantité de lymphe un peu sanguinolente, dans laquelle le cœur étoit noyé, & la base de ce viscère en étoit abreuvée, spongieuse, & comme macérée. Tout le devant du col, depuis le poitrail jusqu’à la ganache, c’est-à-dire, toute la tumeur n’étoit sous le cuir qu’un amas de fibres, les unes blanches, d’autres livides, toutes macérées & abreuvées par une limphe mucilagineuse, semblable à de la morve un peu rousse. Les chairs des environs étoient aussi très-humides & livides ; ailleurs elles étoient saines.

Quatrième ouverture. Une brebis trouvée tout auprès de St. Agnan le 2 septembre, étoit encore chaude quand on l’ouvrit : selon toutes les apparences elle venoit de mourir. La peau qui se trouva dépourvue de laine entre les quatre jambes, étoit parsemée d’exanthèmes rouges & pourprés ; il y avoit sous la gorge, entre les deux branches de la mâchoire inférieure, une tumeur plus grosse que le poing, qui étant ouverte a répandu beaucoup de sérosités rousses, dont tout le tissu cellutaire étoit infiltré aux environs, sous la peau & dans l’intérieur des muscles. Cette humeur n’étoit autre chose qu’un amas de sérosités & de fibres macérées depuis le dessous de la gorge jusqu’à la base du cerveau, qui en étoit aussi abreuvé ; d’ailleurs, il n’y paroissoit pas de marques de gangrène ; sans doute, parce qu’avant qu’elle fût venue, l’animal foible & délicat n’avoit pu résister plus longtemps sans succomber à la mort ; le reste du corps étoit sain, tant en dedans qu’en-dehors, excepté que les intestins se trouvoient vides. Les trois derniers estomacs n’étoient pas trop pleins, mais l’omasus renfermoit une grande quantité d’herbes. Le foie avoit quelques schirrosités anciennes & indépendantes de la maladie épidémique. La vésicule du fiel avoit sa couleur naturelle de même que la bile ; le reste étoit enflé & gorgé d’un sang noir.

Cinquième ouverture. Le 7 septembre nous examinâmes six brebis mortes dans un champ de St. Agnan ; les cinq premières n’avoient à l’extérieur du corps d’autres symptômes que des taches pourprées dans des endroits dépourvus de laine entre les jambes : la sixième en avoit beaucoup plus ; outre cela, le sang lui sortoit par les narines & par le fondement qui étoit enflé à sa circonférence : nous choisîmes celle-là pour en faire l’ouverture. La tête & tout le reste du corps se trouvoient sains & sans inflammation. Le premier estomac appelé omasus, étoit distendu & farci d’herbes ; le reticulum ou réseau en contenoit moins à proportion ; le livret en avoit une petite quantité un peu durcie ; la franche-mule contenoit une liqueur bourbeuse de couleur de vert-brun, ses parois en étoient rouges, & ses rides un peu gangrenées. Le canal intestinal contenoit des excrémens ; les bords de l’anus étoient infiltrés de sérosités, & ses veines gorgées de sang.

D’après les observations de M. Nicolaw, on conclut qu’il est évident que la maladie qui ravage le pays Brouageais, consiste dans une perversion totale des humeurs, ainsi que dans le relâchement & l’inertie dans tout le système des solides. Le changement arrivé dans ceux-ci peut être primitivement l’effet d’un vice actuel du climat, & cet effet avoit été secondairement augmenté par la dépravation des fluides qui doivent en maintenir la force & le ressort. Si les troubles sollicités dans l’économie animale ne paroissent pas constamment particuliers à quelques parties, la raison en est simple, puisque c’est le fond du tempérament qui est essentiellement affecté, & que la machine entière est altérée dans son principe ; de plus, dès que ce désordre n’a pas lieu sur une partie, il n’est pas surprenant qu’on ne s’apperçoive pas du mal dès son commencement, & que les animaux succombent subitement sans qu’aucun accident apparent ait précédé une chute qui n’arrive qu’aussitôt que l’harmonie est détruite, au point d’éteindre le principe vital. Tous les progrès se font donc ici sourdement. La marche de la maladie est-elle moins obscure dans quelques unes des brutes attaquées ? Est-il en elles quelques parties sur lesquelles son action s’exerce sensiblement plutôt ou plus tard, & avec plus de fureur ? Ce ne peut être qu’à raison d’une infinité de causes occasionnelles capables de rendre un organe plus foible, & qui les dispose dès-lors à recevoir les funestes impressions de la dépravation générale ; enfin, le mal se manifeste, il paroît avec tous les symptômes effrayans qui l’accompagnent : ces symptômes sont un ensemble de tous les caractères de la putridité la plus complète, & la fièvre qui y est jointe, peut être déclarée une fièvre putride & gangreneuse.

Pour ce qui concerne les tumeurs qui se montrent au-dehors, elles doivent certainement être regardées comme une crise salutaire, sur-tout lorsque les solides ont encore assez de force pour déterminer vers le lieu où l’engorgement a commencé, une assez grande quantité des humeurs viciées, & pour en délivrer la masse.

Quant à la perversion des fluides, elle dépend des sucs mal élaborés, & d’ailleurs essentiellement éloignés des qualités requises & nécessaires pour être changés en un sang pur & louable : mais on pense, quoique ce ne soit pas l’opinion de M. Nicolaw, que cette perversion consiste plutôt dans la désunion & dans la dissolution des parties, que dans leur coagulation, ce qui paroît même confirmé par l’ouverture des cadavres ; ce dernier événement étant particulier aux fièvres inflammatoires, dans lesquelles les solides irrités, crispés, & redoublant de force, produisent plus de chaleur, plus de dissipation de la partie séreuse, & suscitent, par une suite immanquable, l’épuisement de ce qui demeure soumis à l’action des vaisseaux.

Tous ces faits & tous ces principes supposés, s’il arrive qu’un fléau aussi terrible se manifeste de nouveau, les ressources principales auxquelles on doit avoir recours, sont les remèdes capables de rappeler les solides à leur ton, d’en solliciter l’élasticité, de fournir au sang des parties balsamiques propres à maintenir l’union de ses principes & à en prévenir comme à en empêcher la dissolution. On emploiera de même des médicamens qui conduisent les tumeurs critiques à une heureuse terminaison, & les évacuans achèveront la cure ; car il n’est pas possible d’espérer, sans ce secours, & dans une maladie de cette espèce, d’expulser toutes les matières dégénérées, & de rappeler entièrement les liqueurs à leur premier état. On observe encore que cette maladie est foudroyante, & que le moment ou elle se déclare, est l’anéantissement de la machine qu’elle a insensiblement & sourdement frappée ; ainsi, tous les délais seroient dangereux, & on ne sauroit différer de la combattre, si on désire de la vaincre, & de s’occuper en même temps à corriger les vices de l’air, & de remédier à celui des eaux. On brûlera fréquemment, & hors des maisons, & sur-tout dans les endroits où sont situées les étables, les écuries, les bergeries, des plantes qui exhaleront beaucoup d’odeur : on préférera à cet effet le genièvre ; on pourra y joindre & y substituer le genêt, le bouleau, le peuplier, selon que les bois seront plus ou moins communs dans le pays ; on les choisira même verts. Rien n’est plus capable de purifier l’air que l’évaporation des parties salines & sulphureuses ; M. le Clerc, à cet effet, conseille de faire tirer le canon dans les villages sains, mais très-voisins des villages infectés. On aura en second lieu la plus grande attention à la propreté des lieux qui servent d’habitation aux animaux ; on les nettoiera exactement de tout le fumier qu’ils contiennent & que l’on enterrera ou que l’on brûlera avec soin ; on les blanchira, on y brûlera fréquemment du genièvre, du thim, du laurier ; on pourra encore tenter d’y brûler du soufre, mais ce ne sera qu’autant que les-animaux en seront dehors. On séparera en troisième lieu, avec la dernière exactitude, les animaux sains des animaux malades : il s’exhale toujours des corps de ceux-ci des corpuscules morbifiques qui infecteroient infailliblement ceux des premiers qui ne seroient qu’à une légère distance d’eux, & qui envelopperoient ou augmenteroient la disposition qu’ils ont à participer à la maladie épizootique ; on doit, par la même raison, enterrer & mettre dans des fosses très-profondes les animaux qui meurent, & même, s’il est possible, couvrir de chaux immédiatement les cadavres.

En quatrième lieu, ne les nourrir, s’il est possible, qu’avec des fourrages de bonne qualité, & bien récoltés ; ne les abreuver que d’une eau courante ; & si la chose étoit impraticable, il faudroit corriger les mauvaises qualités de celle qu’on leur feroit boire, en y mêlant du vinaigre de vin jusqu’à une certaine acidité, ou du moins en plongeant dans une certaine quantité de cette même eau, un fer rougi au feu, & en l’y éteignant plusieurs fois : s’il étoit possible de la faire bouillir, de la blanchir, & de ne nourrir même les animaux qu’avec du son, & avec une légère quantité de grains, ce régime seroit très-salutaire.

En cinquième lieu, on pansera les animaux, on les bouchonnera fortement plusieurs fois par jour, avec des bouchons de paille, afin d’exciter par-là l’oscillation des vaisseaux cutanés & d’animer la circulation.

Les médicamens préservatifs seront les baies de genièvre mêlées dans du vinaigre : on prend deux poignées de ces baies, on les écrase, on les laisse infuser pendant vingt-quatre heures dans une pinte de cette liqueur ; on la donne en deux jours à l’animal, partie le matin, partie le soir, c’est-à-dire, un quart de pinte chaque fois : on réitère ce remède, de huit en huit jours, à ceux des animaux dans lesquels on n’appercevra aucun signe de la maladie ; mais pour ce qui est de ceux dans lesquels on entrevoit des signes même légers d’abattement, on leur administrera le remède suivant : prenez quinquina en poudre, limaille de fer, de chacun deux gros, sel ammoniac un gros ; mêlez dans un quart de pinte de vin, ou dans une même mesure d’une forte décoction de baies de genièvre dans de l’eau ; donnez avec la corne le matin & autant le soir, pendant huit jours.

Quant aux médicamens curatifs, les saignées paroissent plutôt contre-indiquées qu’indiquées ; elles augmenteroient inévitablement la prostration des forces, l’inertie des solides, la stase des fluides, & la putréfaction. On séparera aussitôt l’animal malade d’avec les autres ; on le privera de tout aliment solide : on fera dissoudre dans la boisson blanche ordinaire de l’alun de roche ; la dose sera d’une demi-once par jour : on donnera le remède qui suit le plutôt qu’on pourra.

Prenez gomme ammoniac & assa-fœtida grossièrement pilés, de chacun demi-once ; faites-les dissoudre &, pour cet effet, légèrement bouillir dans une demi-pinte de vinaigre. S’il se trouve des corps étrangers à la gomme, coulez la dissolution au travers d’un linge clair, sinon donnez-la telle qu’elle est à une chaleur supportable ; continuez plusieurs jours de suite une fois seulement : dans les circonstances où le mal seroit plus grand, & où à peine on auroit le tems de préparer la dissolution précédente, on aura recours à l’esprit volatil de sel ammoniac ; on donnera une demi-cuillerée à bouche, que l’on éteindra dans un quart de pinte de vin, ou d’infusion de genièvre, & cela, trois fois le jour : s’il arrive de la sueur, on la soutiendra par une once de thériaque ou d’orviétan, que l’on délayera dans les mêmes véhicules : dans cette vue on aura soin de couvrir l’animal, & sur la fin de la crise on abattra la sueur avec le couteau de chaleur, & on le bouchonnera ensuite avec force.

Ces tumeurs critiques exigeront les plus grandes attentions ; dès qu’on en trouvera le moindre signe, on ne négligera rien pour attirer l’humeur au-dehors ; on appliquera sur celles qui sont dures dans le principe, & qui ne paroissent point disposées à la suppuration, les cataplasmes les plus capables de réveiller l’oscillation des solides, & d’ocasioner une inflammation à la partie. Les épipastiques ou vésicatoires, rempliront cette indication.

Prenez mouches cantharides, demi-once ; euphorbe, deux gros, le tout pulvérisé ; mêlez avec demi-livre de levain, ou Simplement de pâte fermentée, & suffisante quantité de vinaigre, pour un cataplasme d’une consistance convenable, que l’on maintiendra douze heures sur la partie tuméfiée, & que l’on réitérera une seconde fois si la tumeur ne paroît pas disposée à être ouverte.

Dès qu’on appercevra de la fluctuation ou seulement de la mollesse, on pratiquera une ouverture avec le cautère actuel, plutôt qu’avec l’instrument tranchant : le cautère cutellaire est préférable au bouton de feu ; on l’appliquera rouge sur la tumeur d’une extrémité à l’autre, & jusqu’au foyer de la matière. Les pansemens se feront avec l’onguent ægyptiac & le suppuratif, mêlés à parties égales, & on n’oubliera pas de faire, à chaque pansement, c’est-à-dire deux fois le jour, des lotions avec de l’eau & de l’eau-de-vie, dans laquelle on aura fait fondre deux gros de sel commun sur une pinte d’eau commune, & une demi-pinte d’eau-de-vie.

La suppuration une fois établie, le pus étant louable, & la pourriture n’étant plus à redouter, on pansera la plaie plus simplement avec le digestif ordinaire fait avec la térébenthine & un jaune d’œuf battu, l’huile d’hypericum & l’eau-de-vie ; enfin, dès que les grands accidens de la maladie ne se montreront plus, & que la suppuration des tumeurs tendra à sa fin ; on emploiera nécessairement, & on réitérera les purgatifs, & l’on aidera la déjection des matières qui pourroient être retardées, par le moyen des lavemens émolliens. M. BRA.