Cours d’agriculture (Rozier)/ANATOMIE DES PLANTES

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Hôtel Serpente (Tome premierp. 518-523).


ANATOMIE DES PLANTES. S’il est intéressant au médecin qui consacre ses veilles, ses forces & sa vie au soulagement des malades, de connoître partie par partie tout ce qui concourt à former la superbe machine du corps humain, le cultivateur n’est pas moins intéressé à connoître tout ce qui entre dans la composition d’une plante. L’anatomie ou l’examen partiel du végétal lui est de la même nécessité. Comment pourra-t-il raisonner sur la culture, sur la maladie, sur les remèdes, s’il ne peut distinguer la partie qui souffre d’avec celle qui est dans un état sain ? dans quelles suites funestes pour la pratique ne le jettera pas la confusion qu’il fera ? Je sais bien que le laboureur qui prépare son champ, jette son grain, & attend des soins bienfaisans de la providence qu’il germe, se développe, croisse, & lui rapporte dans la saison une récolte abondante, ne s’inquiète point des parties qui composent la plante dont le fruit doit combler ses espérances ; le jardinier routinier qui aligne une planche, y repique des choux ou de la salade, ne pense peut-être jamais à la différence anatomique qui existe entre la racine, la tige, la feuille de la plante qu’il tient dans ses mains ; mais nous l’avons déjà dit, ce n’est pas pour le simple manœuvre que nous écrivons : il est une classe instruite déjà, ou qui cherche à la devenir, pour laquelle nous entrons dans ces détails. Elle doit un jour diriger ces mêmes ouvriers, leur apprendre & leur faire concevoir le danger de leur mauvaise pratique, & l’utilité d’une meilleure. Comment elle-même viendroit-elle à bout de s’en convaincre, si une saine théorie n’étoit la base d’une bonne pratique ? & cette théorie peut-elle avoir un fondement plus solide que la connoissance exacte de l’être que l’on veut faire vivre & conserver en santé ?

L’étude de l’anatomie végétale est donc d’une nécessité indispensable à tout cultivateur intelligent, ou pour mieux dire, il est impossible d’être un excellent cultivateur sans cette connoissance au moins générale. Pour se perfectionner dans cette science, un simple coup d’œil ne suffit pas : l’étude d’un jour n’apprend rien ; des idées vagues & confuses ne produisent aucuns principes certains. Il faut long-tems travailler, examiner, disséquer même, pour s’instruire à fond ; encore tous les jours apprend-on quelque chose de nouveau. Ce n’est qu’insensiblement que la nature nous dévoile ses secrets, & ses richesses ne sont accordées qu’à notre constance. Plus on considère la plante la plus simple & la moins frappante, plus l’on y découvre de beautés. Toutes les parties qui forment un végétal en général, se retrouvent dans le particulier ; mais il est rare qu’il ne s’y rencontre pas quelque différence qui l’empêche de le confondre avec les autres. Si l’on ne connoît pas les parties communes, comment s’appercevra-t-on des différentielles ?

Il est aussi facile de composer un traité d’anatomie végétale, qu’il est facile de faire celui de l’anatomie animale, ou plutôt ce traité est tout fait : les différens articles sont répandus dans cet Ouvrage aux mots essentiels. Il ne s’agiroit que de les rassembler, & d’en faire un corps de doctrine. Pour la commodité des lecteurs, nous allons en tracer ici le plan ou le tableau.

On divise une plante en trois parties principales, le tronc, & les deux extrémités inférieures & supérieures.

Du Tronc.

Le tronc ou la tige est composé de l’écorce, de l’aubier, du bois & de la moelle.

Dans l’écorce, on distingue l’épiderme, la substance qui se trouve immédiatement dessous, que M. Duhamel nomme l’enveloppe cellulaire, les couches corticales, le tissu cellulaire, & des vaisseaux propres.

Entre l’écorce & le bois se trouve l’aubier, qui n’est qu’un bois imparfait.

Le bois proprement dit est formé par les couches ligneuses, les fibres ligneuses, & des vaisseaux dont les uns servent à contenir les sucs, & les autres de l’air ; ces derniers se nomment trachées.

La moelle n’est qu’un amas de vaisseaux & d’utricules retenus par le tissu cellulaire, dont la prolongation transversale va communiquer avec l’écorce.

On distingue encore dans le tronc la partie par laquelle il tient à la racine que l’on nomme le collet.

Quelques plantes n’ont point de tronc, & on leur donne l’épithète d’acaulis ; dans quelques-unes, le tronc est une tige, ou un chaume, ou une hampe.

Extrémités inférieures.

La racine composée des mêmes parties à peu près que le tronc, s’enfonce dans la terre, ou se fixe & s’attache à d’autres plantes.

Les racines peuvent être bulbeuses, tubéreuses, ou fibreuses ; elles se multiplient par les chevelus & les cayeux.

Extrémités supérieures.

Les branches ou rameaux semblables au tronc, sont des branches dans les arbres, des pétioles quand elles portent des feuilles, & des péduncules quand elles portent des fleurs.

Les branches se forment annuellement par les jeunes pousses, & les bourgeons ou boutons.

Le bouton composé d’écailles souvent hérissées de poils, tantôt renferme les feuilles seules, tantôt les fleurs seules, tantôt les unes & les autres.

La feuille offre un épiderme, des vaisseaux lymphatiques, & un tissu cellulaire.

C’est ordinairement sur les branches que se trouvent les parties de la génération & de la réproduction des plantes.

Dans la classe des vaisseaux, on trouve les glandes, & les utricules où la végétation élabore les sucs.

Organes de la génération.

Les organes de la génération végétale sont renfermés dans cette partie de la plante que l’on nomme la fleur.

Le calice la supporte ; la corolle & les pétales environnent & renferment l’étamine, le pistil & le nectaire.

L’étamine est composée du filet de l’anthère ; & le pistil, de l’ovaire, du stile & du stigmate. Les étamines sont les parties mâles, & les pistils les parties femelles. Certaines plantes renferment les deux sexes à la fois, & sont hermaphrodites ; les dioïques portent les fleurs mâles & les fleurs femelles sur des individus séparés.

La poussière fécondante est renfermée dans les anthères des étamines ; & dans l’acte de la fécondation, elle est lancée par une force naturelle de la plante sur le stigmate du pistil ; de-là elle descend par le stile jusque dans l’ovaire, où elle féconde les germes.

Le nectaire est la partie de la corolle qui contient le miel.

Organes de la réproduction.

Le germe fécondé grossit & produit le fruit qui contient la semence ou graine.

La semence enveloppée par le péricarpe est renfermée dans un réceptacle propre, que l’on nomme placenta.

On distingue plusieurs parties essentielles dans la graine, la tunique propre, qui sert d’écorce à la semence ; les lobes ou cotyledons, deux corps charnus appliqués l’un sur l’autre, qui emboîtent la plantule ou l’embryon. La plantule est le vrai germe, composé de la radicule ou le rudiment de la racine, & de la plumule ou rudiment de la tige.

La graine est simple, ou surmontée d’une aigrette, ou accompagnée d’ailes.

Le péricarpe peut être de plusieurs sortes ; savoir, une capsule, une follicule, une silique, une gousse, un fruit à noyau, un fruit à pépin, une baie, & un cône.

La semence n’est pas le seul moyen par lequel la plante puisse se reproduire ; les bourgeons, les drageons enracinés, les boutures, les marcottes, les provins & les greffes offrent encore des moyens très-simples pour les multiplier.

Les plantes en général sont garnies de poils & d’épines, & quelques-unes se soutiennent & s’attachent à différens corps par des mains ou des vrilles.

L’anatomie ne s’occupe seulement pas des parties solides ; elle cherche encore à connoître les principes fluides qui circulent & animent toute la machine. Ils forment une partie essentielle, puisqu’ils sont les agens de la vie végétale. On ne peut donc négliger leur étude, & même leur analyse.

Fluides des Végétaux.

Les fluides principaux qui animent la plante, sont l’air, & comme air atmosphérique, & comme air fixe & déphlogistiqué ; l’eau ou la lymphe, la séve, le suc propre, les sucs gommeux & résineux.

Nous n’avons considéré jusqu’à présent, que les parties extérieures des plantes, les parties, pour ainsi dire, anatomiques ; mais leur physiologie n’est pas moins intéressante. On pourroit en faire un traité particulier, le diviser en chapitres à peu près comme on le va voir.


PHYSIOLOGIE VÉGÉTALE,
ou
Économie végétale.

Naissance.

Après avoir jeté un coup d’œil général sur les plantes, leur beauté, leur richesse, leur utilité & leur fécondité, on examineroit tout ce qui tient à leur naissance ; l’acte de la germination, le gonflement des lobes, le développement de la plumule & de la radicule ; le méchanisme de l’introduction des premiers sucs, soit ceux de la terre, soit ceux des autres végétaux pour les plantes parasites. On y suivroit la formation & la multiplication des racines, la vie éphémère des feuilles séminales, leur utilité & leur mort.

Vie.

La plante ayant acquis de la force s’élève dans l’air, les racines augmentent, la tige se fortifie, les feuilles s’étendent, les fleurs s’épanouissent, les fruits se forment. Que d’objets à suivre, qui méritent autant de traités particuliers !

Premier principe de vie, la force de succion des racines & des feuilles.

Second principe, l’assimilation des sucs & des substances qu’elles pompent dans le sein de la terre & dans l’atmosphère.

Troisième principe, décomposition de l’air atmosphérique, appropriation de l’air fixe & inflammable, & secrétion de l’air déphlogistiqué.

Ces trois articles composeroient à peu près ce qui regarde la nutrition.

Comme la séve joue un très-grand rôle dans la vie végétale, on suivroit son mouvement ascendant & descendant, en remarquant qu’il diffère de la circulation du sang dans le corps animal.

De la nutrition dépend l’accroissement, & de l’accroissement la direction & la perpendicularité.

Tous ces effets ne peuvent se produire sans mouvement ; la plante en est donc susceptible. On en remarque chez elle de deux espèces, l’un mécanique, l’autre presque spontané. Au premier tient la transpiration, au second la tendance vers l’endroit le plus aéré, le plus éclairé ; celle des racines vers les lieux qui peuvent fournir les sucs les plus propres ; certain mouvement de nutation dans différentes parties ; enfin, l’irritabilité, dont sont susceptibles plusieurs fleurs.

La fatigue du mouvement conduit au besoin du sommeil, & les plantes dorment vraiment.

L’état de perfection de la plante est l’entier développement des organes de la génération & de la réproduction. Leur hyménée est peut-être l’objet le plus intéressant & le plus digne de toute l’attention & de toute l’étude d’un philosophe. Il trouvera des mâles, des femelles & des hermaphrodites. Le fruit, ou le nouveau germe, remplit les espérances que les fleurs avoient fait naître.

Dépérissement & mort.

L’espèce renouvelée, l’embryon formé, les vues de la nature sont remplies ; l’être animé tend à sa destruction. Non-seulement les maladies y conduisent, mais l’acte même de la vie la nécessite. Les maladies sont occasionnées par les vices du sol & par ceux de l’atmosphère ; les trop grandes sécheresses, comme la trop grande humidité, les froids rigoureux, comme les chaleurs extrêmes, produisent des extravasations de séve & de sucs, des suppurations, des desséchemens, des brûlures, des loupes, des tumeurs ; les insectes altèrent les sucs, & sont naître des concrétions difformes. Souvent le germe ou certaines parties de la plante sont gênés dans leur développement ; de-là des monstres par excès ou par défaut.

Enfin, l’endurcissement & l’obstruction des canaux & des fibres, amènent nécessairement la mort.

Il est encore des points particuliers dont la physiologie végétale traiteroit directement, comme de la végétation en général, & de la végétation propre à chaque espèce, & la culture appropriée à chaque climat.

Par cette table raccourcie, on sent facilement qu’on pourroit composer un traité complet d’anatomie végétale qui pourroit marcher en rapport avec l’anatomie animale. Nos connoissances sur cet objet se perfectionnant tous les jours, augmenteront insensiblement le traité ; il est déjà bien avancé, comme on peut le voir au mot Arbre, où l’on en trouvera une esquisse plus développée qu’ici, & à chacun des mots en lettres italiques qu’on vient de lire dans cette table. M. M.