Cours d’agriculture (Rozier)/ASTRAGALE

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Marchant (Tome onzièmep. 188-196).


ASTRAGALE, Astragalus, ancien genre de plantes qui a éprouvé beaucoup de variations dans la circonscription de ses espèces, ajourd’hui fixée pour longtemps, par la savante et belle monographie que vient de publier Décandolle. Après avoir écarté toutes les espèces anciennes qui appartenoient à d’autres genres, il en reste à celui-ci cent quarante-deux, déterminées avec exactitude, et les plus nouvelles figurées avec élégance dans cet intéressant ouvrage. Elles sont originaires des zones froides, tempérées et chaudes ; mais la plupart se rencontrent dans les climats tempérés. On les trouve dans des terrains très-variés, depuis le sable pur er stérile, jusqu’aux sols tourbeux qui, n’étant composés que d’humus végétal, donnent les plus belles productions. Les racines boiseuses et d’une longue vitalité de la plupart des espèces, s’enfonçant en terre à de grandes profondeurs, les rendent propres à tirer des couches inférieures les fluides dont une longue suite de cultures a épuisé les conciles supérieures. Ces plantes sont mangées avec avidité par les bestiaux, et beaucoup d’entr’elles sont propres à faire des pâturages, et à donner des fourrages verts et secs dans des proportions très-considérables. Ce genre pourroit donc être d’une grande utilité, si l’on savoit faise usage de plusieurs des espèces qui le composent. Nous allons indiquer celles qui nous paroissent les plus intéressantes.

Le genre astragale est le premier de la cinquième section de la classe onzième de Tournefort, qui la nomme classe des fleurs polypétales papilionacées. Linnæus le range dans sa diadelphie decandrie, ou sa dix-septième classe, deuxième section. Il fait partie de la grande et belle famille des plantes légumineuses, et se trouve placé dans la onzième section de la classe quatorzième de la méthode naturelle de Jussieu. Enfin, dans le système agronomique, ce genre doit être rangé dans la seconde série qui renferme les plantes propres à la nourriture des animaux utiles.

Le nom d’astragale est un mot grec, qui signifie talon, et particulièrement l’os du talon des bêtes à pied fourché. C’est employer du grec fort mal à propos ; car on ne remarque rien dans les plantes de ce genre qui ressemble à cette partie.

Ses caractères sont d’avoir un calice tubuleux, à cinq dents, une corolle, dont l’étendard est plus long que les ailes et la carène ; un légume variable dans sa forme, mais toujours biloculaire.

Les espèces indiquées par quelques agronomes modernes, comme utiles à l’économie rurale, sont au nombre de trois. À celles-là nous en ajouterons quatre autres qui nous paroissent propres à remplir le même objet ; nous nous contenterons de donner des unes et des autres des descriptions différentielles, abrégées, pour ne pas excéder les bornes de cet article.

La première espèce est l’astragale à queue de renard, Lam. Dict. n°. 1 ; (astragalus alopecuroides L.) et Tournefort, (astragalus alpinus, procerior alopecuroides. Inst. R. herb.) Cette plante vivace, qui croît sur les montagnes des Alpes, pousse de sa racine ligneuse et profondément enfoncée en terre, des tiges droites, cylindriques, garnies de feuilles depuis la base jusqu’au sommet ; ses tiges s’élèvent à la hauteur d’environ trois pieds, et sont dénuées de rameaux. Les fleurs, de couleur jaunâtre, sont disposées en gros épis courts, placés le long des tiges dans les aisselles des feuilles. Elles paroissent en prairial, et durent jusqu’à la mi-messidor. À ces fleurs succèdent des siliques, qui renferment trois ou quatre semences anguleuses. Toute la plante est couverte d’un duvet lanugineux, blanchâtre ; ses tiges périssent chaque année vers le milieu de l’automne, et elles repoussent au premier printemps de l’année suivante.

La seconde espèce, nommée par Lamarck, dans son Dictionnaire, sous le n". 5, astragale à bourrette, et qui est l’astragalus galegiformis de Linnœus, est désignée par Tournefort, sous le nom d’astragalus orientalis, altissimus, galegœfoliis, angustioribus, flore minimo e viridi flavescente. Corol. Les racines de cette plante vivace sont nombreuses, longues, filandreuses et coriaces ; elles durent plus de trente ans, et forment une touffe considérable. Les tiges qu’elle pousse chaque année du collet des racines s’élèvent de trois à cinq pieds, suivant les localités : elles sont droites, glabres, striées, et garnies de feuilles dans toute leur longueur. Les feuilles sont ailées, avec impaire, composées de vingt-cinq à trente-une folioles, oblongues, échancrées, et légèrement velues. Ses fleurs, disposées en épis, sont petites, pendantes, et d’un blanc jaunâtre. Il leur succède des gousses presque triangulaires, petites et glabres, lesquelles sont remplies de semences jaunâtres.

Cette belle plante a été apportée du Levant, au jardin du Muséum, au commencement du siècle dernier, par Tournefort. Elle s’est multipliée dans cet établissement, d’où ensuite elle a été répandue dans la plupart des jardins de botanique de l’Europe.

La troisième, est l’astragale à feuilles de réglisse, Lam. Dict. n°. 13, (astragalus glycyphyllos L.) Tournefort, astragalus luteus, perennis, procumbens, vulgaris seu sylves tris. Inst. R. herb. Cette espèce se distingue des précédentes et des suivantes, par ses longues racines traçantes, qui s’enfoncent en terre à la profondeur de deux à trois pieds, et s’étendent, de proche en proche, à plusieurs toises de distance de leur souche ; elles sont un peu sucrées ; ses tiges rampantes acquièrent, chaque année, quatre à cinq pieds de longueur ; elles sont garnies de larges feuilles d’un vert fonce, glabres, et accompagnées de grandes stipules. Les fleurs, disposées en petits épis, sont portées sur de longs pédoncules qui sortent des aisselles des feuilles. Elles sont d’un jaune pâle tirant sur le verdâtre. Il leur succède des gousses presque rondes, un peu courbées, et remplies de deux rangs de semences réniformes et jaunâtres.

Cette plante croît abondamment à la campagne, dans les bois taillis, sur les lisières des forêts, et le long des haies, dans le centre et le nord de l’Europe. C’est l’espèce qui a été recommandée le plus spécialement pour la composition es prairies artificielles. La quatrième, est l’astragale en faucille, Lam. Dict. n°. 4 ; c’est l’astragalus uliginosus, Sibiricus, perennis de Demidow ; elle a été inconnue à Tournefort et à Linnœus. Les racines de cette espèce sont vivaces, longues, coriaces, et s’enfoncent en terre à deux pieds et demi de profondeur environ. Ses tiges sont droites, hautes de plus de deux pieds, presque glabres, et divisées en quelques rameaux dans leur partie supérieure. Les feuilles, assez nombreuses, mais déliées, sont composées de quatorze à dix-huit paires de folioles avec une impaire qui les termine. Elles sont d’un vert plus foncé en dessus qu’en dessous, longues et étroites. Les fleurs viennent sur de longs épis à l’extrémité des tiges et des rameaux ; elles sont d’un blanc jaunâtre, et très-rapprochées les unes des autres. Il leur succède des gousses glabres, pendantes, comprimées sur les côtés et courbées en faucille.

Cette plante croît dans les marais de Sibérie ; elle a été envoyée au jardin du Muséum de Paris, en 1785, par feu M. Demidow, de Moscou, son utile correspondant. Ses graines, depuis cinq ans, ont fait partie de la distribution annuelle du Muséum, et ont été envoyées à un grand nombre de cultivateurs de la France et des autres parties de l’Europe.

La cinquième espèce, est l’astragale à fruit rond, Lam. Dict. n°. 11, (astragalus cicer L.) C’est l’astragalus luteus, perenis, siliqua gemella, rotunda, vesicam referente de Tournefort. Les racines de cette espèce sont plus traçantes que pivotantes ; elles ne s’enfoncent en terre que d’environ huit pouces de profondeur, et s’étendent au loin sous la surface du sol. Leur consistance est coriace, et leur durée permanente ; elles poussent chaque année, au premier printemps, des tiges flexibles qui se couchent sur la terre à mesure qu’elles s’allongent, et ne se redressent, par l’extrémité, que d’environ dix-huit pouces ; mais leur longueur totale n’en est pas moins d’à peu près quatre pieds ; ses feuilles sont composées ordinairement de douze paires de folioles d’un vert foncé et un peu velues en dessous. Les fleurs naissent en épis courts dans les aisselles des feuilles ; elles sont jaunâtres, et leur calice est garni de poils bruns. Les fruits sont des gousses vésiculeuses presque rondes, et de la dimension d’un gros pois : elles renferment plusieurs semences dures et arrondies.

Cette plante croît dans le midi de la France, on la trouve aussi dans le département du Bas-Rhin, en Suisse, en Italie, et en Allemagne.

La sixième espèce, est l’astragale esparcette, Lam. Dict. n°. 20, (astragalus onobrychis L.) et de lournefort, l’astragalus purpureis, perennis, spicatus, pannonicus. Inst. R. herb. Cette espèce pousse, de ses racines vivaces et baiseuses, des tiges droites, hautes d’un pied et demi à deux pieds, qui forment des touffes épaisses d’un vert gai ; ses feuilles sont composées de douze paires de folioles lancéolées, chargées d’un poil soyeux, les fleurs sont d’une couleur pourpre bleuâtre, disposées en épis arrondis, portées sur de longs pédoncules qui parlent des aisselles des feuilles. Ces fleurs sont suivies de gousses droites, pointues, pubescentes, qui renferment de petites semences brunes.

Cette belle plante croît dans le département des Bouches-du-Rhône, en Suisse, en Autriche, et en Sibérie.

La septième et dernière espèce, qui nous reste à indiquer, est l’astragale rude, (astragalus asper} de Jaquin. Celle-ci n’a point été connue de Tournefort, ni de Linnæus. Elle pousse, chaque année, de ses racines vivaces, dures, filandreuses, et qui s’enfoncent en terre à la profondeur de vingt à vingt-cinq pouces, des tiges hautes d’environ deux pieds. Ces tiges sont droites, cylindriques, et creuses par le bas, cannelées par le haut et rameuses dans cette partie ; elles sont formées de dix à quinze paires de folioles, avec impaire, étroites, presque linéaires, pointues et garnies de poils soyeux. Les fleurs sont d’un blanc jaunâtre, disposées en épis serrés, et de quatre à cinq pouces de long, portées sur des pédoncules d’environ neuf pouces, lesquels partent des aisselles des feuilles de la partie supérieure des tiges. Ces pédoncules sont cannelés dans leur longueur, et garnis, ainsi que le calice des fleurs, d’aspérités glanduleuses, terminées par des poils noirs et roides. Le fruit est une gousse allongée, pointue, qui renferme de petites semences noires ; elles se conservent en état de germer, pendant trois ou quatre ans, lorsqu’elles demeurent renfermées dans leurs siliques.

C’est encore à feu M. Demidow que le jardin du Muséum doit cette plante intéressante ; il la lui envoya en 1785 ; elle s’y est assez multipliée pour qu’on ait pu mettre ses graines en distribution depuis l’an 8, et la répandre parmi les cultivateurs de l’Europe. Elle est originaire de Sibérie.

Ces quatre dernières espèces n’ont pas encore été indiquées, dans les ouvrages des agriculteurs, pour la composition des prairies artificielles ; nous pourrions y ajouter encore plusieurs autres espèces qui nous paroissent mériter d’être cultivées pour produire du fourrage ; mais leurs habitudes et leurs cultures ne sont pas assez connues ; d’ailleurs, elles ne sont pas assez multipliées pour que celle indication pût être très-utile.

Usages en médecine. L’infusion des feuilles de l’astragale indiqué dans cet article, sous le n°. 3, est employée avec succès, suivant Haller, contre les rétentions d’urine.

Usages économiques. Les habitans des campagne si, dans plusieurs départemens du nord de la France, font infuser dans de l’eau, les racines de l’astragale fausse réglisse, et s’en servent comme d’une boisson rafraîchissante.

Quelques personnes présument que les racines de cette même espèce, hachées, peuvent entrer dans la composition de la bière, et lui donner une qualité supérieure à celle qu’on fait ordinairement. Suivant elles, cette sorte de bière doit mousser davantage, être plus rafraîchissante, et se conserver plus long-temps. L’expérience en est facile à faire dans les pays où cette plante croît en abondance, et elle mérite d’être tentée.

Les graines de plusieurs espèces d’astragales, qui ont une certaine grosseur, sont ou peuvent être employées à la nourriture des hommes et de la volaille. (Bosc, Nouv Dict. d’Hist. Nat.)

Toutes les espèces citées dans cet article sont mangées en vert, avec avidité, par la plupart des animaux ruminans ; et ceux qui les refusent d’abord, s’y accoutument insensiblement, en mêlant leurs fanes avec celles des autres plantes qu’on est dans l’habitude de leur donner. Nous en avons fait plusieurs fois l’expérience. Mais il est bon d’observer que tous les momens du jour ne sont pas également favorables à la coupe de ce fourrage, tant pour sa conservation que pour sa bonne qualité. Lorsqu’on le recueille de grand matin, pour le donner à manger aux bestiaux dans la journée, et qu’on l’amoncele dans une grange ou tout autre lieu abrité du soleil, et où l’air ne circule pas, les bestiaux le mangent avec dégoût ; il leur donne des tranchées, les fait enfler, et quelquefois périr. Les trèfles, la luzerne, le sainfoin, et plusieurs autres plantes données aux animaux dans le même état, produisent à peu près les mêmes effets ; mais en le coupant quelques heures après l’apparition du soleil, lorsque la rosée et l’humidité surabondante des plantes ont été dissipées, et en le donnant aux animaux dans le courant de la journée, sans qu’il ait eu le temps de fermenter et de contracter une odeur qui approche un peu de celle de l’urine de chat, ils le mangent avec plaisir, et n’en sont point incommodés. D’après ces faits, connus de beaucoup d’agriculteurs, et d’après les expériences d’Ingenhoutz, ne pourroit-on pas croire que c’est au gaz acide carbonique, que ces plantes expirent pendant la nuit, et qui forme autour d’elles une atmosphère délétère, tant que le soleil ou la lumière ne l’a pas dissipée, qu’elles doivent leurs qualités malfaisantes ? C’est aux chimistes à éclaircir ce fait très-important aux progrès de l’économie rurale.

Usages d’agrément. Les astragales, n° 1, 2. et 6, peuvent être employées dans la décoration des jardins. Placées sur la ligne du milieu des plate-bandes des grands parterres et sur les lisières des bosquets, parmi les arbustes et les sous-arbrisseaux, elles sont susceptibles d’y jeter une variété agréable par leur port, leur verdure et la couleur de leurs fleurs. La sixième espèce seroit très-propre à former des masses dans les grands jardins paysagistes ; si ces masses étoient mises en opposition avec des pièces de prairies naturelles, émaillées de toutes sortes de fleurs, telles que celles du sainfoin, du trèfle écarlate, du pavot qui fournit l’huile d’œillette, du lin, de la chicorée sauvage, toutes plantes qui fleurissent presque en même temps, on obtiendroit des effets intéressans. Les nuances de verdure de ces différentes pièces, qui forment des tapis, et l’éclat varié de leurs fleurs, présenteroient, dans les diverses saisons, des points de vue pittoresques, en même temps qu’on retireroit de la coupe de ces fourrages et de la culture de ces masses, un produit avantageux. C’est en alliant l’utile à l’agréable qu’on établit des jouissances durables.

Culture. Toutes les espèces d’astragales que nous avons indiquées sont des plantes robustes et d’une longue vie. Comme leurs racines sont coriaces, baiseuses, et descendent en terre à une profondeur de 15 pouces à 3 pieds, et plus, elles sont moins sujettes à souffrir de la sécheresse que les plantes qui tracent à la surface du sol. Aussi ne craignent-elles, ni les saisons sèches qui ne durent que quatre ou cinq mois, ni les terrains chauds et secs. Elles ne redoutent pas non plus une humidité passagère ; au contraire, elles n’en deviennent que plus vigoureuses et plus fortes, sur-tout lorsque cette humidité est proportionnée à la chaleur du climat. Les terrains sablonneux, meubles, profonds et un peu argileux, sont ceux dans lesquels ces plantes se plaisent davantage et donnent les plus grands produits. Elles viennent aussi dans les sols maigres et pauvres en humus, avec cette différence que leur végétation est en rapport avec la qualité du sol. Mais alors leur produit, quoique très-inférieur à celui qu’elles donneroient dans un sol riche, surpasse celui de toute autre récolte dans le même terrain. Quant aux terrains compactes, argileux, et dans lesquels séjournent les eaux, ce sont les plus défavorables à la culture de ces plantes. Elles y poussent foiblement, y languissent, deviennent jaunes, et meurent en peu d’années.

Multiplication. Les astragales se propagent de deux manières principales : savoir, par la voie des semis et par celle des drageons et œilletons enracinés. Celle des semis en place est la moins dispendieuse, la plus sûre, la plus durable, mais la plus longue à donner des produits. Celle des drageons et des œilletons plantés à leur destination, manque souvent en partie, lorsqu’à la suite de la plantation, il survient des bâles, des années sèches et chaudes.

Préparation du terrain. Quel que soit celui de ces deux moyens que l’on emploie, il convient que le terrain soit ameubli profondément, et amendé comme pour une prairie de luzerne, à moins que ce ne soit un terrain qui n’ait point fourni de récoltes annuelles, depuis quatre ou cinq ans. Dans ce cas, on peut se dispenser d’y répandre des engrais aussi abondans. Trois labours profonds, le premier donné au commencement de l’automne, le second pendant l’hiver, et le troisième au premier printemps, sont nécessaires à cette culture. Le dernier labour doit être suivi, peu de jours avant le semis des graines, d’une ou deux façons à la herse, pour émietter le terrain, l’unir et enlever les racines des plantes traçantes qu’ont coupées les labours précédens. Si le sol est humide, ou le climat pluvieux, il est utile que le terrain soit disposé en billons, plus ou moins bombés, suivant qu’il contient plus ou moins d’humidité, et que les eaux y séjournent plus longtemps. Lorsque le sol est d’une bonne nature et le climat en humide, on doit applanir le terrain. Si enfin, il étoit de qualité sèche, ainsi que le climat, il faudroit le couper de sillons en travers de sa pente, pour arrêter la petite quantité d’eau qu’on peut espérer de l’atmosphère.

Semis. Il n’est pas douteux que, dans les départemens du midi de la France, où les gelées de 4 à 6 degrés sont peu à craindre, on ne puisse semer les graines des différentes espèces d’astrales aux premières pluies d’automne ; c’est la saison la plus favorable pour ce climat. Mais, comme les graines des plantes de la famille des légumineuses à laquelle appartiennent celles-ci, lèvent en moins d’un mois, lorsqu’elles sont de la dernière récolte, et que les jeunes plants périssent à ce degré de froid, il est à propos, dans les parties du nord et même du centre de la France, de ne les semer qu’au printemps. On fera prudemment de répandre sur le terrain, avant ou après le semis, une moitié ou trois quarts de semences d’une plante céréale, telle que du seigle, de l’orge ou de l’avoine, pour abriter les jeunes plantules des ardeurs du soleil, et retirer en même temps un produit du terrain. Quant à la quantité des graines d’astragales qu’il convient de semer par mesure de terre déterminée, nous n’avons point de donnée exacte sur cet objet, puisque cette culture n’a pas encore été pratiquée en grand. Mais, d’après la connoissance du volume qu’occupent ces plantes dans les terrains de médiocre qualité, on peut conjecturer qu’étant placées à 8 ou 10 pouces les unes des autres, cela doit être suffisant. Comme les graines des astragales sont menues, on les mêlera avec huit ou neuf fois leur volume de terre sèche, et on les répandra à la volée à la manière des trèfles. Un trait de herse légère, donné sur toute la surface du terrain, suffira pour enterrer les semences que l’on affermira ensuite avec le rouleau. Il est à présumer qu’il s’écoulera plusieurs années avant que l’on ne trouve à se procurer des graines en quantité suffisante pour ensemencer des arpens de terrain. Mais, en attendant, et pour en hâter l’époque, on peut toujours faire des semis en pépinière et par planches, dans un jardin. Lorsqu’on aura réparé le terrain par un labour à double fer de bêche, et qu’on l’aura amendé convenablement, l’on répandra les graines de manière qu’elles se trouvent écartées les unes des autres d’environ deux pouces. Hersées à la fourche, piétinées et terreautées à la manière des graines légumières, elles lèveront avec vigueur, et l’on aura une pépinière abondante de jeunes plants ont on pourra disposer, lorsqu’ils auront acquis la force convenable pour être transplantés. Ce sera à la fin de la première année, si le plant a été cultivé avec soin et que le temps ait été favorable à sa croissance, ou à la deuxième année, ce qui vaudroit peut-être mieux pour la sûreté de la reprise, sur-tout dans les pays méridionaux.

Un autre mode de semis que l’on peut employer, lorsqu’on possède une assez grande quantité de bras pour l’effectuer, c’est celui qui se fait grain à grain, et en place. Pour cet effet, on a un grand cordeau divisé par des nœuds à égale distance. On le tend sur l’un des côtés de la pièce de terre destinée à recevoir le semis, après qu’elle a été préparée comme nous venons de le dire. On fait une petite fossette vis-à-vis chaque nœud, et l’on y répand trois ou quatre semences qu’on recouvre de terre très-légèrement ; dans ce cas, on peut écarter les touffes de 18 à 20 pouces les unes des autres, et en tous sens. C’est dommage que ce moyen soit long, coûte beaucoup de main d’œuvre, et soit peu praticable dans beaucoup d’endroits, car c’est l’un des meilleurs qu’on puisse employer : peut-être qu’en se servant du plantoir du citoyen Liancourt, on économiseroit du temps ; mais il faudroit prendre garde que les semences ne fussent pas enterrées de plus de deux lignes d’épaisseur, sans quoi elles courront risque de ne pas lever, et l’on manqueroit son but.

Plantation. Les jeunes plants d’astragales ayant acquis la force convenable pour être transplantés avec fruit, on pourra procéder à ce travail de la manière suivante : Le terrain préparé par deux labours profonds et amendé comme nous l’avons dit précédemment, ou lèvera avec une bêche, en commençant par un des bouts de la planche, et à jauge ouverte, une quantité de jeunes plants suffisante pour occuper l’atelier de plantage pendant la journée. On habillera le jeune plant, c’est-à dire qu’on rognera avec la serpette l’extrémité des racines qui auroient été rompues ou déchirées, et celles qui seroient viciées par quelques chancres. On laissera les fanes sèches des plantes, tant pour avoir la facilité de les placer plus commodément, que pour qu’elles servent d’alignement au planteur dans la direction de ses lignes. L’atelier de plantage sera composé d’une charrue à un versoir mobile, s’il est possible, de son conducteur, et d’un ouvrier intelligent et alerte. La charrue tracera un premier sillon de 8 pouces de profondeur au moins, dans toute la longueur d’un des côtés de la pièce ; le planteur la suivra et déposera dans la raie, de 18 en 18 pouces, un ou deux plants d’astragales qu’il tirera d’un tablier attaché autour de ses reins : il les posera le plus perpendiculairement possible sur la terre nouvellement renversée, de manière que le collet de la racine ne soit enterré que d’environ un pouce et demi. La charrue ayant fini sa raie, en commencera une nouvelle à côté, et en remontant vers le point d’où elle étoit partie ; c’est pourquoi il est nécessaire que cette charrue soit à oreille mobile. La terre de ce second sillon remplira le premier, et le plant se trouvera enterré et planté. Comme l’épaisseur de terrain renversé par le second trait de charrue n’est pour l’ordinaire que de 9 pouces de largeur, on laissera ce second rayon vide, et l’on réservera les plants pour le troisième sillon, dans lequel ils seront placés vis-à-vis ceux de la première ligne, à angle droit, le plus exactement qu’il se pourra. En suivant cette méthode de laisser alternativement un rayon vide à côté d’un rayon planté, il s’ensuivra que les plants seront espacés à 18 pouces les uns des autres, et qu’on pourra les façonner aisément. Les drageons et les œilletons pourront être plantés de la même manière.

Travaux d’entretien. Ils se bornent, pendant les deux ou trois premières années, pour les semis, à des sarclages, pour détruire les mauvaises herbes, les empêcher d’appauvrir le terrain, et de nuire aux plantes cultivées. Les plantations, indépendamment des sarclages, doivent être binées en temps convenable pour ameublir la terre, la rendre perméable à l’humidité, à l’air, et faciliter l’extension des racines. Si la plantation est formée par lignes droites, ce travail pourra se faire avec la ratissoire en galère, ou mieux encore, avec la petite charrue qu’on nomme le cultivateur américain : avec cet instrument, il s’exécutera plus promptement et plus économiquement qu’à bras d’hommes. Il est inutile de dire qu’il est indispensable de remplacer, pendant les premières années, les plantes qui laisseroient des places vides dans la prairie, et qu’on se sert pour cette opération, suivant l’étendue des places, de la houe, du boyau, et encore plus sûrement de la bêche. La nécessité de ce travail doit être sentie par tous les cultivateurs. La saison la plus favorable pour l’effectuer est l’automne pour le midi de la France, le premier printemps pour la partie du centre, et le milieu de cette saison pour les départemens du nord. Enfin, il est bon de remplacer l’humus du terrain qu’absorbent les plantes, ou que les eaux font descendre en terre à une profondeur trop considérable, pour que les racines des végétaux puissent l’atteindre : pour cet effet, on emploie des fumiers de différentes espèces, des terres de prés ou de fossés, des terreaux de feuilles, et du plâtre, suivant les localités et la nature des terrains. C’est à la fin de l’hiver, un peu avant l’époque où les astragales doivent entrer eu végétation, qu’on répand ces engrais sur le sol, et qu’ils sont le plus profitables.

Récolte. Nous ne présumons pas qu’on doive s’attendre à faire une récolte de fourrage un peu abondante des astragales venus de semis en place, avant la troisième année. La première, il faut laisser sur pied le fanage de ces plantes, afin qui leurs racines acquièrent de la force. C’est une grande erreur de croire qu’en diminuant les bouches nourricières des plantes, dont les feuilles font l’office, on fait grossir les racines : il seroit même à désirer qu’on laissa subsister toutes les feuilles pendant la seconde année, pour que les touffes s’étendissent, et pussent occuper tout le terrain qui se trouve entr’elles. Mais il n’y a aucun danger à les supprimer pendant tout le cours de l’hiver, et lorsqu’elles seront desséchées. La troisième année, on pourra faucher la prairie, et la mettre en coupe réglée. L’époque la plus favorable pour couper ces plantes, et avoir du fourrage de bonne qualité, est la même que pour toutes les autres de la même série, celle du commencement de leur floraison ; alors elles ont acquis à peu près toute leur grandeur, et sont arrivées à leur entier développement ; leur suc propre est disséminé dans toutes les parties de la plante qui, dans cet état, est plus tendre et plus savoureuse ; plus tard, les tiges deviennent coriaces, dures, boiseuses ; elles se dépouillent de leurs feuilles inférieures ; et, privées de la plus grande partie de leur suc propre, qui est employé à la formation des fruits, des semences, et à leur accroissement, elles deviennent insipides et peu nourrissantes. Toutes ces causes occasionnent un déchet considérable sur la quantité, et diminuent sur-tout la qualité du foin.

La faux est l’outil le plus propre à la coupe de ces plantes, qui doivent être coupées le plus près de la terre qu’il est possible, autant pour ne pas perdre de fourrage, que pour ne pas laisser sur pied des parties de tiges fortes qui, devenant dures par le dessèchement, obligeroient le faucheur, à la coupe suivante, de faucher au dessus de la précédente, pour ne pas ébrécher sa faux. L’heure la plus favorable à cet ouvrage est celle à laquelle le soleil a dissipé la rosée et le gaz délétère qui environnent les plantes pendant la nuit, c’est-à-dire, vers les sept heures du matin, dans les jours chauds. Avec cette précaution, on obtient un fourrage qui se dessèche plus promptement, reste d’un beau vert, et est beaucoup plus sain et plus savoureux, lorsqu’on le fait manger frais. Après cette première coupe, on en obtiendra une seconde, en vendémiaire, laquelle sera suivie d’une troisième, dans les pays chauds, si le sol est frais, ou s’il survient des pluies. Toutes ces coupes se fanent, se mettent en bottes, et s’emmagasinent comme la luzerne, les trèfles et les autres fourrages.

Produits. Nous n’avons encore aucune donnée exacte sur les produits, comparatifs du fourrage des astragales ; mais on peut présumer, d’après la grandeur de la plupart de ces plantes, le volume de leurs fanes, et leur prompte végétation, qu’il doit être aussi considérable, au moins, que celui de la luzerne ; et, comme ces plantes n’exigent pas un aussi bon terrain, et qu’elles sont d’une plus longue vie, nous croyons que leur culture doit contribuer aux progrès de l’économie rurale. Il seroit à désirer qu’elle fixât l’attention de quelques agriculteurs instruits qui, après avoir fait des expériences sur la qualité et la quantité des produits des astragales, comparés à ceux de la luzerne, du sainfoin, des trèfles et autres fiurrages, dirigeassent leurs spéculations vers la récolte en grand des graines de ces plantes. La vente avantageuse de ces semences se_roit la juste récompense de leurs travaux, et un prix, d’encouragement plus utile et plus flatteur que ceux que le hasard ou la faveur distribuent quelquefois.

Si nous possédions les astragales qui fournissent la gomme adragant, ils seroient d’une grande ressource pour utiliser les pentes des montagnes arides et les plages_sablonneuses, si communes dans le midi de la France, à Hyères et en corse, mais ces arbustes sont rares en Europe. Il faudroit en faire venir des graines de l’Archipel, du mont Liban et de la Perse, où les ont trouvés Tournefort, Labillardière, Olivier, et Brugnière ; et l’on n’a pas toujours l’occasion, ni la possibilité de se les procurer. (Thouin)