Cours d’agriculture (Rozier)/AVENUE

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Hôtel Serpente (Tome secondp. 82-86).
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AVENUE. Route plantée d’une ou de plusieurs allées d’arbres, qui conduit à une habitation quelconque. Que de terrein perdu & sacrifié pour des avenues dans les environs de Paris & près des grandes villes ! On donne tout à la décoration, tandis qu’il est si facile de réunir l’agréable à l’utile. Les grands à l’imitation du Prince, les petits à l’imitation des grands, en un mot presque tous les propriétaires veulent aujourd’hui avoir des avenues, & souvent un cinquième ou un quart d’un petit domaine est employé à lui donner un air de grandeur. C’est sur ce sol perdu que l’impôt devroit peser, puisque ces avenues privent la société des productions qu’on étoit en droit d’attendre du terrain qu’elles occupent, tel est l’effet d’un luxe destructeur. Ce que Lafontaine dit dans sa Fable de la Grenouille qui veut se faire aussi grosse que le Bœuf, s’applique très-bien, quoique dans un sens différent, à l’objet dont il est question.


Le monde est plein de gens qui ne sont pas plus sages ;
Tout bourgeois veut bâtir comme les grands seigneurs ;
Tout petit prince a des ambassadeurs ;
Tout marquis veut avoir des pages.


Si on substituoit au tilleul, au maronnier d’inde, dont le bois n’est d’aucun usage, à l’exception de quelques petits ouvrages au tour, le chêne, le noyer, on auroit à la longue une avenue utile & agréable ; il est même possible de diriger les branches du dedans de l’allée, de manière à leur faire décrire le cercle & former une voûte impénétrable aux rayons du soleil. J’ai vu des avenues plantées en chêne, produire le plus bel effet, & celles plantées en noyer donner du fruit en abondance. Ces arbres sont utiles, & une sotte vanité les a proscrits en raison de leur utilité. Si l’avenue est plantée en ormeau, le vice est encore plus grand. Les racines de cet arbre iront dévorer la substance des bleds à plus de quinze ou vingt toises. La charrue aura beau chaque année morceler ces racines, chaque brin poussera de nouvelles tiges. Un seul coup d’œil sur les terres voisines des grands chemins, dont les plantations sont en ormeau, suffit pour convaincre de la vérité de ce que j’avance. Quel a donc été le motif déterminant pour choisir le maronnier d’inde, l’ormeau, le tilleul ? Le plaisir de forcer la nature. Le jardinier a voulu montrer son intelligence à manier le croissant, les ciseaux, & dans ses mains, les arbres ont formé un couvert taillé symétriquement sur une forme quarrée ; la naissance des branches a dessiné un grand ceintre, le tronc de l’arbre la colonne qui supporte tout l’édifice. La fureur a été portée si loin, qu’on a fini par tailler en éventail les peupliers d’Italie plantés dans les avenues, tandis que la seule beauté de cet arbre consiste à présenter une pyramide bien proportionnée sur sa largeur & sur sa hauteur. Ces tours de force des jardiniers, si je puis m’exprimer ainsi, frappent au premier coup d’œil, non par la beauté réelle des arbres, mais par la difficulté vaincue ; mais la nature se venge bientôt des outrages qu’on lui fait, en répandant à pleines mains l’ennui sous ces voûtes symétriques. Veut-on se promener ? il faut sortir du parc, des avenues, & gagner les chemins tortueux de la simple campagne. Rien de si triste que ces avenues monotones & que ces lignes droites à perte de vue. Cependant comme je dois parler & de l’agriculture utile, & de celle qu’on est convenu d’appeller agriculture d’agrément, je vais indiquer les arbres susceptibles d’être placés dans les avenues, & de la manière de les planter.

1. Des espèces d’arbres convenables pour les avenues. Le climat & la nature du terrain décident les espèces d’arbres à choisir par préférence. On peut distinguer trois climats en France : celui sous lequel la vigne ne sauroit croître, tel est celui de la Flandres, de l’Artois, d’une partie de la Picardie, de la Bretagne, & de toute la Normandie ; le second, est le climat des vignes, & le troisième, celui des vignes & des oliviers ; on pourroit à la rigueur ajouter un quatrième, celui des orangers.

Dans le premier, l’orme ou ormeau, le frêne, le tilleul, le marronnier d’inde, le chêne, le hêtre, le forbier, y réussiront très-bien ; mais si avec raison vous préférez l’utile, plantez des pommiers à cidre, des poiriers pour le poiré, des cerisiers, &c.

Dans le second, l’orme, le noyer, le frêne, l’alisier, le néflier, le tilleul, le platane d’occident, le sycomore ou érable blanc, le chêne, le hêtre, le châtaignier, le noyer, le mûrier, tous les arbres fruitiers à pepins, l’abricotier, le prunier, le cerisier, qui s’élèveront à une plus grande hauteur, à mesure qu’on approchera du midi. Les arbres d’agrément sont les mêmes que ceux du premier climat.

Dans le troisième, l’olivier, le mûrier, le figuier qui y forme à la longue un bel effet ; le chêne verd, même le chêne liège, le noyer, l’alisier, l’ormeau, le marronnier d’inde, le platane d’orient & d’occident, le sycomore & même le jujubier ; enfin l’ormeau qui réussit très-bien dans tous les climats de France. On tenteroit vainement d’y planter le tilleul.

Si le terrain est humide, le saule, l’aune, toutes les espèces de peupliers ; l’ypréaux ou peuplier blanc, réussit aussi-bien dans le bas Languedoc que dans la Flandres ; les peupliers d’Italie y deviennent monstrueux par leur grosseur ; le peuplier noir ou peuplier commun est dans le même cas, ainsi que l’aulne ou verne.

2o. De la manière de préparer le terrain d’une avenue. La largeur d’une avenue doit jusqu’à un certain point être proportionnée à la longueur & à la largeur du bâtiment, ou d’une de ses parties, qui doit former la perspective à l’extrémité de l’avenue. La largeur est encore subordonnée à l’espèce d’arbre à planter ; le chêne, le châtaignier, le noyer, étendent prodigieusement leurs branches ; le chêne, le tilleul, l’ypréaux, le peuplier d’Italie, s’élèvent très-haut. Si l’allée est trop étroite, les arbres de la première espèce entrelaceront bientôt leurs branches ; & plantée avec les arbres de la seconde, elle ne paroîtra qu’un boyau ; enfin, le site, la nature, du terrain, &c. sont autant d’objets à examiner avant de commencer les alignemens. Il y a une règle générale : une avenue de cent toises de longueur, peut avoir six toises de largeur, si le sol est de qualité médiocre, & huit s’il est bon. Celle de deux cens toises, huit dans le premier cas, & dix dans le second ; & celle de trois cens toises, de dix à douze, à quatorze & à seize.

La distance d’un arbre à l’autre, sur la même ligne, dépend encore de la nature de l’arbre & de la nature du terrain. Si on plantoit, par exemple, le noyer aussi près que le peuplier d’Italie, & le peuplier d’Italie aussi éloigné que le noyer, il est constant que dans le premier, les racines & les branches du noyer s’entrelaceroient en peu de tems, & les arbres périroient après avoir langui pendant quelques années. Dans le second, les peupliers d’Italie seroient trop espacés & sembleroient des fuseaux. C’est dans de justes proportions que réside la beauté de ces plantations, & le succès de la bonne végétation des arbres y est également soumis.

On veut jouir & on plante serré, sauf, dit-on, d’arracher par la suite un arbre entre deux : mais qui répondra à celui qui pense ainsi, que le moment venu d’éclaircir les arbres de l’avenue, celui qui doit être coupé ne sera pas fort & vigoureux, tandis que celui destiné à rester en place sera maigre, languissant, &c ? Il n’y a rien à gagner lorsque l’on plante trop près, & tout à perdre en plantant serré.

L’espace à donner aux arbres dont la tige s’éleve fort haut, & dont les branches s’étendent beaucoup, est de trente pieds dans un terrain ordinaire, de quarante si le fond est très-bon, & de vingt s’il est médiocre.

Les arbres fruitiers de vingt à trente pieds ; les platanes, les ormeaux, le grand tilleul, les mûriers, les hêtres, les marronniers d’inde, à trente pieds.

Les espèces de saules de dix à douze pieds ; les ypréaux, les peupliers ordinaires également, &c.

La première attention dans la formation d’une avenue, est de mesurer exactement sa longueur, afin de savoir au juste la quantité d’arbres qu’elle exige. Fixez aux deux extrémités de chaque côté des jalons, & dans le milieu un troisième jalon bien aligné avec les deux premiers ; ce troisième servira à aligner tous les jalons intermédiaires que l’on plantera de distance. Alors faites tracer une ligne sur le sol, & marquez la place de chaque arbre ; de cette première opération dépend la régularité de toutes les suivantes.

Il y a deux manières de planter une avenue, ou en ouvrant un fossé d’un bout à l’autre, & c’est la meilleure, ou en creusant des trous pour chaque arbre ; celle-ci est moins dispendieuse.

La profondeur des trous ou des fossés doit toujours être proportionnée à la force de l’arbre qu’ils doivent recevoir. Trois pieds de profondeur suffisent pour les arbres dont mal-à-propos le pivot a été coupé, & le moins qu’on puisse lui donner de largeur c’est quatre pieds. L’arbre profite mieux dans un trou quarré que dans un trou de forme ovale, parce qu’il y a plus de surface de terre remuée. C’est encore la raison pour laquelle les fossés sont préférables aux trous. Dans l’une & dans l’autre circonstance, on gagnera beaucoup à donner plus de largeur & plus de profondeur. Une parcimonie dans la dépense, à cette époque principale, nuit considérablement. Si par la suite on met en ligne de compte l’achat des arbres, les trous à faire pour remplacer les arbres morts, on verra qu’ils excéderont de beaucoup ceux qu’on a cherché à supprimer. Le mauvais travail coûte toujours trop, & ce qui en résulte est perpétuellement défectueux.

La manière de planter les arbres exige quelques attentions. Remplissez s’il est possible le fond des fossés ou des trous avec du gazon, & à leur défaut avec une terre nourrissante. Ménagez les racines, & ne permettez jamais de retrancher de leur longueur, sous le prétexte absurde de les rafraîchir, suivant la mauvaise coutume des jardiniers. Retranchez uniquement celles qui sont endommagées ; plus la fosse aura d’ouverture, mieux les racines seront disposées. La première terre qui aura été retirée de la fouille, ou telle autre meilleure, s’il est facile de s’en procurer, recouvrira les racines, & on aura grand soin de ne laisser aucun vide entre les racines & la terre. À cet effet, de tems en tems l’ouvrier tenant la tige de l’arbre, le soulevera par petites secousses, & la terre se tassera. Enfin on finira de remplir la fosse ou le trou avec la terre auparavant jetée sur leurs bords.

Mais à quelle profondeur faut-il enterrer l’arbre ? S’il l’est trop, il languira jusqu’à ce qu’il se soit formé de nouvelles racines vers la superficie de la terre, & l’arbre trop enterré est privé pendant long-tems de cette espèce de racines qu’on nomme aériennes, parce que leurs principales fonctions sont de pomper l’air atmosphérique. Cependant les arbres d’avenues exigent d’être plantés un peu plus profondément que les autres, toute circonstance égale d’ailleurs, parce que ces arbres s’élevent beaucoup plus que les arbres voisins, & étant isolés, sont plus battus du vent, des orages, & plus dans le cas d’être déracinés.

Il faut encore observer que toute terre remuée s’affaisse au moins d’un pouce par pied, il est donc nécessaire d’amonceler au pied de l’arbre une quantité de terre suffisante pour qu’elle égalise le terrain après l’affaissement. Si le terrain est naturellement sec, il vaut mieux laisser vide le petit bassin formé par le tassement ; il retient une plus grande quantité d’eau pluviale, & conserve la fraîcheur au pied de l’arbre. Règle générale, il faut planter l’arbre un peu plus profondément qu’il l’étoit dans la pépinière, & laisser pour le compte de celui qui a fourni les sujets, ceux dont les racines sont écourtées ou trop mutilées. Au mot Plantation, nous entrerons dans de plus grands détails.