Cours d’agriculture (Rozier)/CAILLE

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Marchant (Tome onzièmep. 282-291).
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CAILLE, (Perdix coturnix Lath.) oiseau du genre des Perdrix, (voyez ce mot) et de la division des gallinacées, dont les caractères méthodiques ont été fixés par M. Lalham, le meilleur des ornithologistes de nos jours, ainsi qu’il suit : Le nec convexe, et voûté à la sa pièce supérieure ; les narines couvertes par une membrane cartilagineuse, et convexe ; les pieds formés pour courir, et le dessous des doigts fort rude ; le corps fort gros et musculeux ; nourriture, se composant de grains répandus sur la terre, et qui se macèrent dans le jabot ; l’habitude de se rouler dans la poussière, d’être polygames, de poser sur la terre un nid grossièrement construit, et de pondre des œufs en grand nombre, la mère se contentant de montrer la nourriture à ses petits.

La caille offre de nombreux rapports avec la perdrix, tant par ses formes extérieures, que par ses habitudes : cependant, il existe entre ces deux espèces des dissemblances non moins nombreuses, qui les sont aisément distinguer. Beaucoup moins grosse que la perdrix, la caille en diffère encore par le plumage ; sa tête, dont le fond est varié de noir et de roussâtre, est marquée en long de trois bandelettes blanchâtres ; du noir, du roux, du gris terreux, et du jaunâtre, forment le mélange des couleurs répandues sur le cou et le dessus du corps ; la poitrine est d’un roux lavé, et le ventre d’un blanc sale ; des bandes roussâtres traversent les ailes, teintes en gris-brun, et la queue noirâtre ; enfin, le bec est cendre, et les pieds sont couleur de chair. Les femelles et les jeunes ont la poitrine blanchâtre, parsemée de tachés noires, et presque rondes.

Le plumage de la caille est lisse et serré ; sa tête et son cou, revêtus de plumes courtes, et comme collées sur la peau, s’élèvent avec grâce en avant d’un corps arrondi, et donnent à l’oiseau la physionomie de la douceur et de l’innocence. Cependant, la caille a les mœurs moins douces que la perdrix ; elle a plus de vivacité, plus de pétulance, moins d’attachement pour ses petits, et pour ses semblables. Les perdrix se recherchent, se rappellent, se réunissent en compagnies ; les cailles se fuient, aiment à vivre isolées, et ne paroissent en nombre qu’à l’époque de leurs migrations, parce qu’alors un même instinct les porte à voyager, et à prendre la même direction.

Tout le monde connoît les cris lu mâle et de la femelle de cette espèce ; tout le monde sait que ces oiseaux arrivent dans nos plaines au printemps, plus tôt ou plus tard, suivant la température. Les chasseurs leur donnent, à cette époque, le nom de cailles vertes, à cause de la verdure dont la belle saison tapisse les campagnes, et des lieux où elles se tiennent : ce sont les prés et les grains en herbes. Après la ponte, on les appelle cailles grasses.

Cette ponte est précédée par des combats à outrance entre les mâles ; leur ardeur pour les femelles est excessive, et leurs feux semblent se ranimer par des jouissances souvent répétées. Un creux que les femelles font en terre avec leurs ongles, et qu’elles garnissent légèrement d’herbes et de feuilles, est le nid où elles déposent de douze à vingt œufs, mouchetés de brun, sur un fond grisâtre. Les cailleteaux naissent couverts de duvet, sont en état de courir presqu’en sortant de la coque, et quittent leur mère bien plus tôt que les perdreaux ; il ne leur faut que quatre mois pour prendre leur accroissement.

Quand on a vu les cailles préférer de courir assez long-temps à travers les grains et les herbes les plus serrées, plutôt que de s’élever ; quand on a vu leur vol court, difficile, et qui ne peut se faire qu’en filant ou glissant obliquement, l’on conçoit avec peine comment ces oiseaux ont la force de se soutenir assez long-temps en l’air pour entreprendre de longs voyages, et traverser de très-larges canaux de mer : c’est néanmoins un fait qui ne peut être révoqué en doute. Aux approches de l’hiver, les cailles quittent nos contrées, et vont passer le temps des frimas dans des pays où ils sont inconnus. Arrivées sur les bords de la mer, elles se hasardent au dessus d’un élément qui doit les engloutir, si leur vigueur s’épuise par les grands efforts que doivent faire leurs petites ailes : elles ne partent que par un vent qui les aide, et les porte dans la route uniforme dont elles ne s’écartent point ; elles vont ainsi d’île en île, et quelquefois de vaisseau en vaisseau, jusqu’à ce qu’elles soient parvenues aux rivages du continent où la chaleur et l’abondance de la nourriture les pressent, malgré tant de périls, de se réfugier pendant la mauvaise saison : mais si, dans ces passages vraiment prodigieux par la longueur du trajet, la multitude innombrable de cailles qui l’entreprennent, et l’extrême foiblesse de leurs moyens, le vent vient à changer, ou à souiller avec violence, la force les abandonne, elles ne peuvent plus se soutenir, et elles tombent dans les flots, dont elles avoient déjà tant de peine à raser la surface. J’ai vu souvent, en navigant dans la Méditerranée, de ces malheureux oiseaux s’efforcer à gagner un vaisseau pour se mettre à l’abri, ne pouvoir s’élever jusqu’au pont, se heurter rudement contre le corps du bâtiment, et disparaître, étourdis par le coup, au milieu des eaux.

Quelques pertes qu’éprouvent les nombreuses cohortes de ces oiseaux dans des traversées auxquelles ils ne paroissoient pas destinés, des dangers bien plus grands les suivent pendant leur route, et augmentent encore à leur arrivée. Les îles dont la mer Méditerranée est parsemée, les vaisseaux qui en sillonnent la surface, loin d’être des points de repos, ou des asiles assurés, deviennent des lieux de destruction : trop fatiguées pour fuir, les cailles se laissent prendre aisément sur des navires, ou des rivages inhospitaliers ; par-tout la mort attend ces foibles voyageuses ; et l’on est étonné, qu’expose à tant de périls et de pertes, l’espèce ne soit pas plus appauvrie qu’elle ne l’est.

J’ai dit que les cailles ne s’écartoient point d’une route uniforme, dont la direction reste, chaque année, la même, suivant les divers points de départ ; on les voit passer à l’automne, et repasser au printemps dans les mêmes endroits. Il est plusieurs îles de la Méditerranée, telles que l’île de Rhodes, où les cailles ne paraissent pas, tandis qu’elles abondent constamment dans d’autres, à l’époque du passage. L’île de Malte est une de celles où ces oiseaux abordent ; ils se rassemblent aussi en très-grand nombre dans presque toutes les îles qui avoisinent la partie méridionale de l’Italie. On en prend une si grande quantité dans l’île de Caprée, à l’entrée golfe de Naples, que le produit de cette chasse fait le principal revenu de l’évêque, appelé, par cette raison, evescovato delle quaille, (évêque des cailles) et qu’on les porte dans les villes voisines, principalement à Naples, où elles ne coûtent que quatre ou cinq sous la douzaine. On en prend aussi beaucoup dans les environs de Pesaro, sur le golfe Adriatique, et près de Nettuno, sur la côte occidentale du royaume de Naples. Les habitans de Nettuno, qui s’adonnent à cette chasse, en font passer le produit jusqu’à Rome ; et le terrain où elle se fait est d’une cherté exorbitante.

Un grand nombre de cailles s’arrêtent pendant quelques jours à Lipari ; d’autres s’arrêtent également à Cérigo, l’ancienne Cythère, pour se reposer de leur pénible trajet. Là, de même qu’à Mayne, et à quelques endroits des côtes de la Morée, on les sale, et on les transporte dans plusieurs des îles de l’Archipel grec, où elles ne se montrent pas. Il en passe une quantité surprenante à Tine, et sur-tout à Santorin ; les habitans de cette dernière île les conservent confites dans le vinaigre, et en font une provision pour une grande partie de l’année. Les cailles qui quittent à l’automne les contrées septentrionales de l’Europe se dirigent vers la mer Noire ; on en trouve beaucoup dans tous les vallons des montagnes de la Crimée, jusqu’à ce que la saison, plus avancée, les force à passer dans la Natolie, et de là en Syrie, ou en Égypte.

C’est principalement sur les côtes sablonneuses de l’Égypte que des myriades de cailles tombent en automne : excédées de fatigue, elles ne peuvent ni s’envoler, ni fuir en courant ; les Arabes les prennent en quantité prodigieuse, avec des filets, et les vendent, vivantes, à très-bas prix. Ce gibier devient alors un mets si commun à Alexandrie, que les capitaines de vaisseaux marchands de Provence, gens connus pour très-économes, en nourrissoient leurs équipages pendant la durée du passage des cailles. Au lieu de conserver ces oiseaux dans le vinaigre ou la saumure, comme les Grecs, les Égyptiens les tiennent dans des cages peu hautes, et dont le dessus est en toile, de peur qu’ils ne se fracassent la tête, en cherchant, suivant leur habitude, à s’élever brusquement, et dans une direction perpendiculaire : ce sont des provisions vivantes, dont les habitans et les navigateurs ne manquent pas de se munir.

Si, dans nos climats, l’on veut engraisser les cailles que l’on, prend maigres, ou les conserver pour les manger en hiver, on les renferme, de même qu’à Alexandrie, dans des cages couvertes avec de la toile, et qui n’ont pas plus d’un demi-pied, ou d’un pied de hauteur ; on les nourrit de millet, de blé, de chènevis, qu’on leur donne largement deux fois le jour, à la même heure ; leur eau doit être changée souvent, et leur prison entretenue dans la plus grande propreté, et même parfumée avec des plantes, ou d’autres substances odoriférantes. Bientôt la chair de ces captifs se chargera de graisse, et sera le prix des soins qu’on ne leur aura pas épargnés.

Toutes les cailles ne quittent point l’Europe en automne, pour passer en Syrie, ou en Afrique ; il en reste toujours en Espagne, et au midi de l’Italie : quelques unes, trop foibles pour suivre les autres, sont même obligées de ne point abandonner nos campagnes, et d’y choisir les expositions les plus favorables, et les cantons où la nourriture peut devenir moins rare, afin d’attendre le retour de la belle saison. Toutes ne reviennent pas non plus au printemps ; j’en ai rencontré plusieurs, au milieu de l’été, dans les plaines cultivées de la Basse-Égypte.

Dans l’état de sauvage, la caille se nourrit de blé, de millet, de chènevis, d’herbe verte, d’insectes, et de toutes sortes de graines ; elle aime beaucoup les baies de bryone, ou couleuvre, que les Hollandais nomment baies aux cailles. On dit qu’elle boit peu ; cependant, si on lui donne de l’eau, elle boit fréquemment en cage : mais, lorsqu’on s’aperçoit qu’elle est attaquée d’une maladie, dont le principal symptôme est d’avoir presque toujours une goutte d’eau au bout du bec, ce que l’on appelle rendre son eau, il faut, pour la guérir, retrancher toute boisson.

Les champs, les prés, les vignes sont la demeure habituelle des cailles ; elles ne se perchent jamais sur les arbres : aussi ne fréquentent-elles point les bois ; Elles passent la plus grande partie du jour sans mouvement, couchées dans les herbes les plus touffues ; elles y sont quelquefois plusieurs heures de suite, couchées sur le côté, dans la même place, et les jambes étendues. On prétend qu’elles ne vivent pas au delà de quatre ou cinq ans ; et cette brièveté de leur vie est peut-être une suite de leur disposition à s’engraisser.

C’est un fort bon gibier ; la graisse dont il est souvent surchargé n’en fait pas toujours un mets très-sain. Cette graisse, fondue et gardée à part, est un assaisonnement fort délicat, en usage dans les cuisines de l’Italie.

Chasse aux Cailles. La chasse des cailles, au fusil et au chien couchant, n’a rien de particulier. Ces oiseaux tiennent souvent avec tant de constance devant le nez du chien en arrêt, qu’on peut les prendre sous un chapeau, et même à la main.

Il n’y a que deux sortes de filets strictement propres à la chasse des cailles ; savoir, le huilier ou tramail, et la tirasse. Quand on les prend à quelqu’autre piège, c’est une espèce de hasard. Le hallier ou tramail est composé de trois filets appliqués l’un sur l’autre, et qu’on distingue, comme dans la pantière, par les noms de toile pour celui du milieu, et d’aumées pour les deux autres. Ces filets sont de soie, ou de fil, l’un ou l’autre teint en vert ; et ils se tendent dans un champ, à l’aide de piquets, comme une espèce de haie, d’où leur vient le nom de hallier.

Un hallier tendu pour cailles peut n’avoir que six à sept pouces de haut ; sa longueur est indéterminée : cependant, trop court, il n’embrasseroit point assez d’espace, et l’oiseau pourroit l’éviter. Ainsi, la moindre longueur qu’on doive lui donner est de quinze pieds ; il convient mieux qu’il en ait jusqu’à vingt cinq, ou même trente ; et comme, plus long, il deviendroit embarrassant, si on vouloit occuper un plus grand espace, on emploieroit alors deux huiliers bout à bout. Pour faire la toile, ou nappe du milieu, on emploie un bon fil à trois brins, dit fil en trois ; les mailles sont en losange, et ont douze lignes d’ouverture. De plus, comme ce filet doit faire la poche, et être tendu lâche, on lui donne, en le fabriquant, des dimensions plus grandes que celles auxquelles on veut qu’il se trouve réduit, de manière que sa hauteur absolue, ou réelle, soit triple de celle qu’il aura étant tendu, et que sa longueur soit seulement double de celle qu’on désire obtenir. Ainsi, par exemple, la toile d’un hallier de sept pouces de haut sur vingt-cinq pieds de long, aura, avant d’être montée, une largeur de vingt-un pouces, et une longueur de cinquante pieds. Les deux nappes destinées à recouvrir celle-ci, et dites aumées, se font d’un fil double de celui employé pour la toile : on peut y faire servir le même, en enfilant ensemble deux brins de ce fil, et observant de ne pas trop tordre.

Les mailles des aumées sont carrées, et ont trente lignes d’ouverture ; le moule qu’on seroit obligé d’employer en faisant son filet pour leur donner cette dimension, seroit trop gros, et gêneroit dans la main : on peut le prendre moitié moins gros, moyennant la précaution de tourner deux fois son fil autour. Bien que ces aumées doivent recouvrir dessus et dessous la nappe du milieu, on ne les fabrique point en deux filets séparés, comme on pourroit se l’imaginer d’abord ; on n’en fait, au contraire, qu’un seul, mais qui porte le double de la largeur désirée, et qu’on replie par son milieu comme une feuille de papier.

Pour obtenir cette largeur, dans la supposition qu’on veuille un hallier de sept pouces de haut, on jettera un premier rang de mailles de trente ligues de largeur, et au nombre de huit, et ainsi de suite : mais, à chaque quatrième maille de chaque rang, on fera une rapetisse, c’est-à-dire, qu’on réunira ensemble, par un nœud, les quatrième et cinquième mailles ; et, en le repliant en deux, comme je l’ai dit, on aura soin de ranger les mailles des deux plis sur trois de hauteur, vis-à-vis l’une de l’autre, de manière que la septième maille du filet rapetissé se trouve perdue dans la lisière supérieure ; car, lorsque l’on place la toile entre les aumées, on s’arrange pour que le pli fait à celles-ci soit toujours en en bas, et forme la lisière inférieure. Ou conduit que, par cet arrangement, deux des huit mailles qui forment la largeur totale du filet, se trouvant perdues, il ne reste plus pour largeur définitive que trois mailles de haut par chaque aumée, qui, à trente lignes chaque, font pour le hallier la hauteur, désirée de sept pouces et demi.

Comme ces aumées doivent être tendues sans bourses, la longueur totale du filet ne doit point excéder, ainsi que dans le précédent, la dimension qu’on se propose de lui donner : mais j’ai dit que la toile du milieu devoit, dans son état naturel, être le triple plus large, et le double plus longue, quand le hallier est monté ; il s’agit donc de la réduire aux dimensions voulues ; et, pour cela, on la bordera, au pourtour, d’un cordonnet formé de trois brins du même fil qui aura servi à sa confection, et qui la maintiendra sur sa hauteur de sept pouces à sept pouces et demi, et sur la longueur qu’on aura arrêtée. Cette nappe ou toile sera froncée et plissée également le long de ce cordonnet, qu’on peut comparer, pour ce service, à la tringle d’un rideau. La nappe, ainsi montée, se place alors entre les aumées, qui s’attachent fermement à chaque coin.

Dans cet état, le filet du hallier est complet, et l’on n’a plus qu’à le garnir de ses piquets, qui sont de petites flèches de bois, communément de chêne, cormier, troëne, ou frêne : elles doivent être de quatre à cinq pouces plus longues que la hauteur du hallier, et assez menues. Trois lignes environ de diamètre leur donneront une grosseur suffisante. Il seroit bon que ces baguettes fussent tournées et armées, par la pointe, d’une douille de fer ou de cuivre, pour les faire durer plus long-temps, et les enfoncer plus facilement dans la terre.

On distribuera ses piquets, selon toute la longueur du hallier, à trente, ou même trente-six pouces de distance l’un de l’autre ; et, pour les arrêter, on les fendra par le haut d’un trait de scie. Dans cette fente, faite avec une scie très-mince, on engagera la lisière de la nappe du milieu, puis celle de chaque aumée, et on fixera le piquet à cet endroit, au moyen d’un fort fil. Pour arrêter la lisière inférieure du hallier qui doit descendre, ainsi que je l’ai expliqué, à quatre à cinq pouces de la pointe des piquets, on pratique à cet endroit de chacun d’eux une petite gorge ou entaille qui reçoit et retient le fil avec lequel on noue cette lisière au piquet ; et c’est ainsi que se prépare tout tramail.

Ce filet sert à chasser les cailles après leur arrivée et avant leur départ ; mais, à la première époque, la chasse se fait au moyen des appeaux ; à la seconde, où le gibier ne répond plus à l’appeau, on est obligé de le pousser vers le piège, et alors cette chasse prend le nom de bourrée. Un bon Appeau (voyez ce mot) doit imiter la voix de la caille femelle ; les mâles, surtout ceux qui n’ont point encore trouvé de compagne au moment des amours, accourent à ce son. Lorsqu’un chasseur, armé de son hallier, s’est rendu dans un champ couvert de verdure, soit qu’il entende la caille chanter, soit qu’il l’excite à le faire par quelques coups d’appeau, il tend aussitôt son tramail, de manière à en former une espèce de haie opposée au chemin que lui paroît tenir la caille ; et, pour cela, il enfonce les piquets de son filet, en le déployant jusqu’à ce que la lisière inférieure ne soit qu’à deux petits doigts de terre ; ensuite, il passe de l’autre côté ; et, s’éloignant de quelques pas, il met ainsi sa tendue entre la caille et lui. Il se tapit alors, et fait jouer l’appeau avec intelligence, de manière à faire suivre de quelques sons la voix de la caille. S’il arrivoit que le mâle, emporté par son ardeur, volât par dessus le hallier, le chasseur doit le laisser s’éloigner un peu sans remuer ; puis, repassant de l’autre côté, le rappeler de nouveau vers le piège, qu’il est rare qu’il évite. Bien qu’il y ait des appeaux très-parfaits, et qu’il ne soit pas difficile d’en acquérir l’usage, quand on peut néanmoins avoir une caille femelle, que l’on emploie comme Appelant, (voyez ce mot) cela vaut encore mieux.

Cette femelle, que les oiseleurs nomment chanterelle, doit s’élever dans un endroit obscur, et être nourrie de millet. On l’accoutume à chanter avec un appeau. Lorsqu’on la porte aux champs, on a une cage faite avec la calotte d’un chapeau, clouée sur une planche, dans laquelle est la porte par où l’on introduit son oiseau. Le chapeau est percé d’un trou de grandeur seulement à laisser passer la tête de la chanterelle. On peut entourer de halliers la place où on la dépose ; et, quand la chanterelle fait bien son devoir, elle attire de tous côtés les mâles dans le piège : placé à quelque distance, le chasseur observe ses succès.

Après les amours et la ponte, lorsque les cailles sont grasses, c’est-à-dire vers la fin d’août et en septembre, elles ne répondent plus à l’appeau ; et c’est alors qu’on force, comme je l’ai dit, ce gibier à se jeter dans les halliers. Lorsqu’il ne reste plus que quelques raies d’un champ à moissonner, on les borde d’un tramail ; puis, deux ou plusieurs hommes se rendent à l’extrémité opposée ; et, traquant l’espace à pas lents, et jetant de la terre à droite et à gauche, ils font lever le gibier, et le bourrent en quelque sorte vers le hallier. Non seulement les cailles, mais souvent d’autres oiseaux coureurs, tels que les râles de terre, se trouvent pris à cette chasse. Les chènevières attirent aussi beaucoup de cailles ; mais, quand elles y ont vécu trop long-temps, elles y prennent une graisse huileuse, qui rend le goût de leur chair moins agréable. Lorsqu’on veut bourrer vers un hallier le gibier que l’on suppose habiter un champ non encore dépouillé, on se sert d’un long cordeau, garni de grelots, que deux hommes tiennent de chaque bout, et promènent au dessus de l’espace qu’ils ne veulent pas fouler.

Le second des filets, spécialement consacré à la chasse des cailles, est, ai-je dit, la tirasse, dont les mailles sont carrées, et de quinze lignes de large. Le filet lui-même est aussi carré ; sa grandeur est indéterminée ; mais, pour en tirer un service commode, il ne doit guères avoir moins de dix-huit pieds, ni plus de trente-six en tout sens. La grandeur moyenne de vingt-quatre à vingt-cinq pieds, est ce qui convient le mieux. Ces nappes se font, ou de soie, ou de fil, l’un et l’autre d’un vert jaune, imitant la couleur des prés et luzernes. La soie dont on se sert pour cette fabrication est celle appelée, dans le commerce, galette fine ; et le fil est un fil en trois de la grosseur de celui dit d’Epinai. Il y a aussi des nappes ou tirasses à mailles en losange, mais elles sont plus longues que larges. Leurs dimensions sont ordinairement de quinze pieds sur trente. Les mailles ont quinze lignes, comme les précédentes ; leur construction se rapporte à celle des nappes à alouettes.

On emploie avantageusement la tirasse, soit à l’arrivée, soit avant le départ des cailles. À cette seconde époque, il faut avoir un bon chien d’arrêt.

On ne peut tirasser que dans des endroits unis, tels que des prés, ou des champs moissonnés. Au défaut de chien, on doit absolument être seconde d’une bonne chanterelle, parce que l’oiseau, qui ne répond plus alors à l’appeau, est toujours attiré par la voix de ceux de son espèce ; et, lorsqu’une caille y répond, deux hommes, déployant le filet, et le tenant un peu élevé, attendent son approche pour la couvrir. Lorsque l’on possède un bon chien couchant, et que les cailles, plus grasses après la moisson, sont plus paresseuses à partir, c’est le temps de les aller quêter par les champs. La chasse en est plus fatigante, mais aussi plus récréative, et plus fructueuse. Un temps calme et doux est aussi préférable : alors, les cailles tiennent davantage ; au lieu que, par le vent, et sur-tout par les vents de mer, peu de chose suffit pour les faire lever. Quand on voit que le chien a formé un arrêt, deux hommes, se plaçant devant lui, et à quelque distance, déploient la tirasse dans toute sa longueur, au moyen de deux cordeaux attachés à deux coins opposés ; et, traînant ce filet, qui s’étend derrière eux, ils avancent jusqu’à en couvrir le chien. Alors, on excite à partir le gibier qu’on présume être sous le filet, et on s’en empare avant qu’il ait pu se glisser par dessous. J’ai vu des cailles assez en garde contre le danger qui les menace alors, pour rester blotties, avec une obstination qui réussissoit à tromper de vieux chasseurs, et attendre, pour partir, que l’on relevât le filet. La sûreté du chien que l’on emploie, et sa constance à tenir son arrêt, servent à rendre inutile cette ruse du gibier. Bien que cette chasse exige communément le service de deux personnes, un homme seul peut cependant s’y livrer, au moyen d’un bâton ferré qu’il porte avec lui. Quand il voit son chien en arrêt, il plante ce bâton en terre, soit à la droite, soit à la gauche de la tête de l’animal, mais toujours à une distance égale à environ moitié de la longueur de son filet. Après avoir attaché un des coins du filet à ce bâton, il s’en écarte, tenant le coin opposé, et longeant la place vers laquelle le chien dirige son attention : quand la tirasse est déployée dans toute sa longueur, il la ramène vers le chien, jusqu’à ce que le bâton, l’animal, et le chasseur, se trouvent à peu près sur la même ligne. Il y a encore, pour un homme seul, la tirasse triangulaire, qu’on emploie comme la précédente, lorsque le chien forme arrêt, à l’aide d’un bâton ferré auquel on attache un des coins du triangle : mais le chasseur, dans ce cas, portant sur son bras le reste du filet, passe droit devant le nez du chien, et met sous son pied l’angle opposé à celui que retient le bâton. Le troisième angle, alors, reste dans sa main ; et, comme cette extrémité du filet est garnie d’une pierre, ou d’un poids quelconque, il la jette dans la direction convenable, qui doit être à peu près le vis-à-vis de la tête du chien : par-là, le filet se trouve déployé selon ses trois angles ; et, si l’arrêt a été bien formé, il y a espérance de ne l’avoir pas déployé en vain ; mais cette tirasse, couvrant bien moins de terrain que l’autre, est aussi d’un service bien, moins sûr.

Lorsqu’on se sert de ces mêmes nappes pour chasser aux cailles vertes, c’est-à-dire, à leur arrivée, alors le chien devient inutile ; il occasionneroit beaucoup de dégâts dans les jeunes blés : d’ailleurs, les cailles, obéissant au sentiment de vie et d’ardeur que leur commande la nature, sont dans une activité remuante qui les rend difficiles à arrêter. Le chasseur, à cette époque, n’est point obligé de courir après elles ; il lui suffit de s’armer de l’instinct qui les guide, pour les amener à se jeter elles-mêmes sous ses filets. Ainsi, une tirasse étendue légèrement sur les blés ou les luzernes, et un homme caché par un buisson ou blotti contre-terre, et faisant jouer avec intelligence le perfide appeau, voilà l’écueil inévitable où viennent périr, chaque printemps, une multitude de cailles qui trouvent la mort en courant au plaisir. C’est sur-tout dans cette chasse qu’il convient d’employer des nappes légères, et faites des matériaux que nous avons indiqués plus haut ; car, en tirassant avec un chien, toutes sortes de filets peuvent indifféremment servir. Mais ici, la nappe devant être portée et soutenue sur la sommité des herbes, doit avoir peu de poids pour ne pas trop approcher de terre, et pour que la caille, qui court plus souvent qu’elle ne vole, puisse passer et s’engager sous la bordure du filet sans rencontrer d’obstacle. Lorsque l’oreille dit au chasseur que l’oiseau est sous son piège, il doit se hâter de l’effaroucher, en jetant quelque chose, pour que la caille, cherchant à s’envoler, révèle ainsi l’endroit où elle est parvenue ; alors, encore, il faut y courir et s’en saisir avec une grande prestesse, pour empêcher que le gibier ne continue à se glisser par dessous la tirasse ; ce qu’il fait quelquefois avec beaucoup de rapidité.

Il n’est pas très-rare de prendre des cailles sous le traîneau avec lequel on chasse aux alouettes, et que j’ai décrit à cet article ; mais, si l’on porte exprès ce filet dans un champ où l’on sait que les cailles se remisent, il sera bon de laisser pendre par derrière des bouchons de paille qui, rasant les chaumes, forcent la caille à se lever.

On peut se donner le plaisir de tirer cet oiseau au fusil, en l’attirant avec l’appeau jusque vers quelqu’endroit découvert, où il soit facile de l’apercevoir. L’on s’y tient immobile pour ne pas l’effaroucher, jusqu’à ce qu’il soit à bonne portée. Si l’on a un bon chien, on s’en sert pour se dispenser d’attendre la caille en place découverte, et se procurer la facilité de la tirer au vol. Pour cela, on attache son chien à sa ceinture avec une corde longue de cinq à six pieds ; et, lorsqu’au moyen de l’appeau, la caille est suffisamment avancée, le chien lancé à propos la fait lever ; ce qui donne au chasseur la faculté de la tirer. Mais la manière la plus avantageuse de chasser les cailles au fusil, est celle que l’on suit aux environs de Marseille, lors du départ de ces oiseaux. On a soin, dans cette contrée, de conserver pour cette chasse des appelants ou appeaux vivans, qui sont de jeunes oiseaux pris au filet lors de leur arrivée, et qui se gardent d’une année à l’autre, avec la précaution de ne pas trop les engraisser, et de les priver pour cela de millet. Au mois d’avril, on les aveugle en leur passant légèrement devant les yeux un fil de fer rouge ; au mois de mai, on les plume au dos, à la queue et aux ailes, pour avancer leur mue, mais sans trop les déshabiller ; au mois d’août, on les accoutume à rester dans des cages, et, lorsque l’époque du passage des cailles est arrivée, vers les premiers jours d’octobre, on plante dans les vignes, de distance eu distance, des pieux auxquels on attache de l’un à l’autre d’assez longues planches garnies de clous à crochet pour recevoir ces cages. On proportionne le nombre de ses pieux et de ses planches à la quantité qu’on s’est procurée d’appelants. Ces prisonniers passant la nuit aux vignes, et chantant dès l’aube du jour, attirent autour d’eux les cailles des champs voisins, et les voyageuses. Deux heures après le lever du soleil, un chasseur se rend aux vignes, sans chien, et en bat doucement les bords pour pousser les cailles vers le milieu, et ne pas effaroucher celles qui entourent déjà les cages. Cette première tournée faite, il revient avec ses armes et un chien qui fait lever le gibier, et lui donne le moyen de le tuer à son aise. Cette chasse réussit sur-tout lorsque la mer est calme ; et, si l’on a la possibilité d’enfermer de filets un terrain garni de ces cages, elle devient bien plus abondante encore, parce que ce qui échappe aux coups de fusils ne manque guères de se précipiter, en fuyant, dans ces filets. On peut emplover ce même appareil dans toutes les contrées où le passage des cailles se fait appercevoir d’une manière sensible.

À la Chine, on prend les cailles au vol avec des troubles légères que les Chinois manient fort adroitement ; et les bergers de la Crimée en prennent beaucoup avec une petite corbeille d’osier, attachée à une perche, dont ils couvrent la caille blottie sur la terre. (S.)