Cours d’agriculture (Rozier)/CANARD, CANE, CANETON

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Hôtel Serpente (Tome secondp. 545-548).


CANARD, CANE, CANETON. Ces trois mots désignent le père, la mère & le petit. Le mâle est plus gros que la femelle ; & ce qui le distingue encore, est un assemblage de quelques plumes de la queue, pliées en rond, & retroussées vers son extrémité supérieure.

Cet animal domestique est d’un grand produit dans une métairie ; il multiplie beaucoup ; il exige peu de soins, même dans son premier âge. Le moindre bourbier suffit ; mais si on a une eau courante, claire, & dans laquelle l’animal puisse nager, sa chair sera plus délicate, & il grossira beaucoup plus. Il faut l’éloigner des lieux où l’on élève du poisson ; le fretin est sa proie. Comme le canard est très-vorace, qu’il digère promptement, il a bientôt dépeuplé un réservoir.

Une cane pond communément de cinquante à soixante œufs ; il faut, il est vrai, la veiller de près dans le tems de la ponte, sans quoi on courroit les risques de perdre beaucoup d’œufs ; elle les dépose dans le moment par-tout où elle se trouve, même dans l’eau ; il vaut mieux la tenir enfermée pendant la ponte. Ses œufs sont de couleur verdâtre, plus gros que ceux des poules ordinaires, & moins délicats à manger. Le tems de la ponte est, suivant les climats, depuis la mi-Février jusqu’en Mai. Le tems de la couvée est de vingt-neuf à trente jours ; un mâle suffit à douze femelles ; il vaut mieux cependant ne lui en donner que huit à servir.

Si la cane est trop bien nourrie, elle couve mal ; il vaut mieux confier ses œufs à une poule, ou à une dinde, alors on sera assuré de la couvée. Lorsque la cane couve, on doit tenir près d’elle une nourriture convenable. Tous les alimens lui sont propres ; grains, légumes, herbages, rebuts de cuisine, chair, boyaux, son, recoupe de farine, &c. sont excellens pour appaiser sa faim. Quelques auteurs conseillent d’asperger d’eau une fois ou deux les œufs pendant que la cane les couve. Cette précaution est superflue & nuisible. Pourquoi vouloir renchérir sur la nature ? les animaux en savent plus que nous sur tout ce qui concerne la propagation & la conservation de leur espèce. On ne voit pas même le canard sauvage, déposer ses œufs dans l’eau ni dans un lieu humide ; d’où l’on doit nécessairement conclure que l’eau est inutile.

Si on fait couver une cane, on ne doit pas lui donner plus de douze à treize œufs. Quelques auteurs insistent encore sur ce nombre de treize, & je n’en conçois pas la raison. Il est nécessaire de tenir la cane dans un lieu couvert, à l’abri de la pluie & des vents froids. Lorsque les canetons sont éclos, ils sont sans plumes, & la trop forte impression du froid leur est nuisible. La nourriture des canetons pendant les premiers jours doit être de pain émié & imbibé d’eau. On en préparera peu à la fois, parce qu’il aigrit facilement ; quelques jours après, il convient d’y ajouter des herbes potagères cuites & hachées. Lorsqu’ils sont un peu forts, du son mouillé & des herbes crues & hachées suffisent ; enfin, du son & les criblures qui restent après avoir vanné les grains.

Il est plus prudent, ainsi qu’il a été dit, de confier à une poule le soin de la couvée, parce que dès que les petits sont éclos, la cane va à l’eau, les petits la suivent, & l’impression froide de l’eau en fait périr beaucoup. Les canetons un peu forts abandonnent bientôt cette mère adoptive ; leur penchant les entraîne vers l’eau ; ils y plongent ; la poule ne peut les y suivre, & témoigne par des cris & des gémissemens qu’ils ne comprennent pas, ses inquiétudes & ses alarmes.

La mue du canard est fixée à l’époque des tems de la couvée, & celle de la cane lorsque ses petits sont en état de se passer de ses soins. Le mâle & la femelle sont gras & bien en chair lorsqu’ils sont prêts à muer ; la mue diminue beaucoup leur embonpoint, mais leur maigreur n’est que passagère.

Les propriétaires d’un grand nombre de canes & de canards, trouvent dans leurs plumes un bénéfice assuré ; ils les plument de la même manière que les oies.

Lorsqu’on peut se procurer des œufs de canards sauvages, il est facile de les élever en les confiant à une poule. On trouve les nids dans les joncs, dans les bruyères qui avoisinent les pièces d’eau fréquentées par ces animaux. Ils restent alors dans l’esclavage comme les canards domestiques, surtout si on a eu le soin de leur couper le fouet, c’est-à-dire, la petite extrémité d’une des deux ailes. Sans cette précaution, ils s’envoleroient avec les canards sauvages qui séjournent habituellement dans le pays, ou qui y passent.

Il est encore avantageux d’élever, dans les basse-cours, le canard que quelques-uns appellent de Barbarie, les autres des Indes, & dont le vrai nom est le canard musqué. Il emprunte ce nom de l’odeur qu’il répand. Celui-ci, ainsi que sa femelle, est beaucoup plus gros que le canard domestique, il en diffère sur-tout par la tête. Les yeux sont entourés d’une peau nue, garnie de petits mamelons charnus, d’un rouge très-vif, & marqués de petits points blancs ; le bec est d’un rouge vif, si on excepte l’origine du demi-bec supérieur, tout autour des narrines, qui est brune, ainsi que l’onglet du bout du bec. La partie des jambes, dégarnie de plumes, les pieds & les doigts, ainsi que leurs membranes, sont rouges, & les ongles blanchâtres. La femelle est beaucoup plus petite que le mâle, elle en diffère par ses couleurs. En général, les couleurs des plumes de cette espèce de canard, varie beaucoup plus que celle des canards domestiques. Il y en a de tout blancs, de tout bruns, tirant sur le noir verdâtre, enfin, dont les plumes sont bigarrées de mille manières.

La chair de ces animaux, encore jeunes, est très-bonne ; & celle du mâle, après un an, sent trop fort le mâle.

La femelle est une bonne couveuse, on peut lui donner de quinze à dix-huit œufs.

Le mâle, accouplé avec une cane domestique, produit de vrais mulets, dont la chair est très-délicate, & plus fine que celle du canard musqué, & du canard domestique. Ce mulet est moins gros que son père, & plus gras que sa mère ; & jusqu’à présent on n’a pas vu qu’il fût en état de se reproduire. Lorsque l’on veut croiser ces deux races, il faut éloigner tous les canards domestiques. Il régneroit, sans cette précaution, entre ces mâles une guerre cruelle, qui finiroit souvent par la mort des combatans. Le canard musqué est hargneux, & jaloux à l’excès ; il s’attaque même aux dindes, aux coqs & à tous les oiseaux de basse-cour.

Le chant du canard, ou plutôt ses cris perçans, fatiguent les oreilles ; ceux du canard mulet sont semblables à une voix éteinte.

Il est utile de laisser aller de tems à autre les espèces de canards se promener dans les jardins potagers, dans les vergers, parce qu’ils mangent toutes les espèces d’insectes ; & tant qu’ils en trouvent, ils méprisent les salades, &c.

Les canards sont plus utiles pour la cuisine qu’en médecine.