Cours d’agriculture (Rozier)/CARACTÈRE D’UNE PLANTE

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Hôtel Serpente (Tome secondp. 559-562).


CARACTÈRE D’UNE PLANTE, Botanique. Les botanistes emploient ce mot pour désigner ce qui distingue si bien une plante de toutes celles qui ont quelque rapport avec elles, qu’on ne sauroit la confondre avec ces plantes. Ce qui constitue cette marque distinctive est l’ensemble & la combinaison des parties les plus essentielles de la plante durant sa vie & jusqu’après sa mort ; car non-seulement les fleurs, les fruits, la tige, les branches, &c. mais encore la graine fournit un caractère distinctif. Si l’on pouvoit parvenir à saisir exactement tous les caractères distinctifs de toutes les plantes entr’elles, on pourroit alors classer & établir les familles naturelles, & le grand problême de la botanique seroit résolu. Mais on est encore bien loin d’avoir découvert cette méthode naturelle qui donneroit la progression graduelle que la nature a suivie dans la distribution des végétaux. Dans l’impossibilité de rassembler & de connoître parfaitement toutes les plantes, & tous leurs caractères naturels, on s’est contenté d’en étudier le plus qu’on a pu. Les méthodistes n’ont vu dans les caractères en général, qu’une note simple ou composée ; disons mieux, ces caractères ne sont que les parties essentielles par lesquelles les plantes se ressemblent ou diffèrent entr’elles. M. Tournefort & ceux qui l’ont suivi, soit en adoptant son systême, soit en le rectifiant, n’en ont fait aucune distinction, les ont confondus, ou plutôt ne s’en sont pas servi. Le chevalier von Linné est le premier qui en ait distingué de quatre espèces ; le caractère factice ou artificiel, le caractère essentiel, le caractère naturel, & le caractère habituel.

Avant que d’expliquer en détail ces quatre sortes de caractères, que l’on ne perde pas de vue que les caractères généraux & particuliers sont pris & choisis dans les parties qui concourent à la réproduction, c’est-à-dire, aux parties de la fructification ou de la génération.

1o. Le caractère factice ou artificiel est celui qui se tire d’un signe de convention. Ce caractère est au choix du méthodiste qui établit une nouvelle méthode. Ce caractère arbitraire peut être pris indistinctement de telle ou telle partie de la plante ; il suffit en général, pour distinguer les genres d’un ordre d’avec ceux d’un autre ordre ; mais il ne les distingue pas entr’eux. Tels sont les caractères génériques de tous les méthodistes artificiels, de Tournefort, de Césalpin, de Rai, de von Linné. M. Tournefort a adopté la forme de la corolle ou des pétales ; Césalpin, Morison, Rai employèrent principalement la considération du fruit ; le chevalier von Linné se fonda sur les parties mâles & femelles des plantes, c’est-à-dire, sur les étamines & les pistils.

2o. Le caractère essentiel est un signe si remarquable & si approprié aux plantes qui le portent, qu’il ne convient à aucun autre, & qui fait qu’au premier coup-d’œil, on la distingue facilement de toute autre ; tel est le nectar des hellébores & des aconits. Ce caractère distingue essentiellement les genres dans tous les ordres, & distingue essentiellement aussi tous les genres d’un même ordre, les uns des autres. On est convenu que ce caractère pour les genres & les classes, pourroit se tirer d’une des six parties de la fructification, & celui des espèces, de toutes les autres parties différentes de celles de la fructification. Quelques auteurs cependant y ont eu recours, & de-là ils sont tombés dans le défaut qu’ils recommandent si fort d’éviter, de prendre les mêmes parties pour caractériser les classes, les genres & les espèces ; défaut qui entraîne nécessairement de la confusion.

3o. Le caractère naturel, comme nous l’avons dit plus haut, se tire de toutes les parties des plantes ; il comprend par conséquent le factice & l’essentiel, & sert à distinguer les classes, les genres & les espèces. Si l’on pouvoit se flatter d’avoir rassemblé tous les caractères naturels, on auroit bientôt la grande division du règne végétal par familles naturelles, mais nous sommes encore bien loin d’avoir fait cette découverte. Le caractère naturel des classes & des genres se prend dans les parties essentielles de la fructification ; on n’est pas également d’accord pour celui des espèces. M. Tournefort, dans l’établissement des caractères des espèces, rejette la considération de la fleur & du fruit, comme réservée à la détermination des genres ; & il admet l’examen, non-seulement du port, des feuilles, des tiges, des supports, des racines, mais encore lorsque ces signes paroîtroient insuffisans, celui de toutes les qualités sensibles, telles que la couleur, la saveur, l’odeur, la grandeur, la ressemblance à des choses connues, &c. Le chevalier von Linné au contraire rejette les dernières qualités comme incertaines, peu déterminées, vagues & sujettes à varier suivant la différence de la culture, du sol, du climat, de l’exposition & de plusieurs autres accidens, & en cela il a raison. Il veut qu’on distingue l’espèce d’une manière plus stable ; il admet l’unique considération de toutes les parties de la plante, que l’œil ou la main discernent constamment, dans chaque individu de l’espèce. Ces caractères, à la vérité, sont devenus plus nombreux depuis M. Tournefort, par la détermination d’un grand nombre de parties qui, de son tems, n’avoient pas été suffisamment observées, telles que les supports, les stipules, les glandes, les poils, &c. Il faut y ajouter les parties de la fructification elles-mêmes, que le chevalier von Linné considère aussi dans l’espèce, lorsqu’elles n’ont pas servi à déterminer le genre.

4o. Enfin le caractère habituel est celui qui résulte de l’ensemble, de la conformation générale d’une plante, de la disposition de toutes ses parties considérées suivant leur position, leur accroissement, leur grandeur respective, en un mot, suivant tous leurs rapports, qui s’apperçoivent au premier coup-d’œil. On connoît le caractère habituel plus particulièrement sous le nom de port, facies propria, habitus plantæ. Il n’a guère été employé qu’à la distinction des espèces ; M. von Linné a pensé néanmoins qu’il pourroit servir aussi à faciliter celle des genres ; M. Goüan, dans son Hortus Monspeliensis, l’a utilement employé sous le nom de caractère secondaire.

M. le chevalier de la Marck, dans ses Principes de Botanique, ou la Flore Françoise, ayant pris la base de son systême dans l’analyse, n’a aucun égard à la distinction des caractères que nous venons de développer ; il la croit même plus nuisible qu’avantageuse à l’étude des plantes, parce que, comme il le remarque très-bien, le même caractère qui aura servi à lier un certain nombre de plantes comprises dans une grande division, peut être employé encore pour lier d’autres plantes qui formeroient alors une division très-circonscrite, ou même pour séparer une espèce d’avec une autre. La nature nous met à chaque instant sous les yeux ces caractères ; pourquoi vouloir que ce caractère qui se multiplie souvent avec les plantes que nous découvrons, ne puisse servir que dans telle ou telle circonstance prise exclusivement ? M. M.