Cours d’agriculture (Rozier)/CHEMINÉE (supplément)

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Marchant (Tome onzièmep. 357-366).


CHEMINÉES. Les ouvrages des anciens historiens nous fournissent si peu de détails sur la construction des cheminées, que nous ne trouvons que dans les premiers siècles des preuves bien certaines de leur existence. Senèque rapporte, dans ses Lettres, que de son temps on inventa des tuyaux qui traversoient les murailles, et échauffaient les appartemens des étages même les plus élevés. Cependant on conserva long-temps après l’usage de faire rôtir en plein air, sous des portiques, les victimes destinées à des sacrifices ou à des fêtes ; et dans les grandes cérémonies religieuses, où l’on avoit besoin de feu dans l’intérieur des temples, on se servoit de foyers portatifs en fer on en airain, dans lesquels on jetoit des substances très combustibles. Mais, tous les particuliers qui avoient tant à se plaindre de la fumée qui dégradoit l’intérieur de leurs maisons, et affectoit leurs yeux d’une manière très-désagréable, s’empressèrent bientôt d’adopter l’usage des cheminées.

Nous allons examiner, d’une manière très-rapide, la nature de la fumée, les causes qui peuvent la déterminer à quitter le foyer pour rentrer dans les appartemens, les principaux moyens qui ont été mis en usage pour nous préserver de ses atteintes, les constructions qui ont pour but de s’opposer à son action, d’employer toute la chaleur produite dans le foyer, et nous terminerons cet article en faisant connoître l’ouvrage de M. le Comte de Rumford, sur les cheminées. Le bois et toutes les substances végétales dégagent, en brûlant, une quantité de fumée qui est toujours en rapport avec l’état de siccité des matières sur lesquelles la combustion s’exerce, et avec la température à laquelle elles sont élevées. Quand le bois est sec, il s’allume facilement, donne beaucoup de s’allume et peu de fumée ; quand il est vert, une partie du calorifique est employée à vaporiser l’eau qu’il contient, et, dans tous les cas, la fumée est composée d’eau en vapeurs, d’acide acéteux, d’huile empyreumatique, de gaz acide carbonique, et de gaz hydrogène carbonné. Les causes qui font fumer sont si nombreuses, qu’il étoit souvent très-difficile de faire un choix dans le grand nombre de préceptes publiés sur cette partie, et que beaucoup de personnes, mécontentes des moyens qu’elles avoient employés, préfèroient souffrir tous les inconvéniens de la fumée, que de s’abandonner encore à des essais coûteux et incertains. Aussi devons-nous avoir les plus grandes obligations au comte de Rumford, qui, par une construction simple et facile à exécuter, a résolu le problème d’une manière extrêmement heureuse, en augmentant la chaleur, et en nous préservant de la fumée. Les principales causes qui la déterminent sont : 1o. L’action des vents ;

2o. Le défaut d’air ;

3o. La position des cheminées ;

4o. La mauvaise construction des cheminées ;

5o. La pluie, la neige, la grêle ;

6o. L’action du soleil ;

7o. La nature des bois, leur état.

1o. Suivant leur intensité et leur direction, les vents agissent d’une manière plus ou moins active sur les ouvertures des cheminées, dans lesquelles ils entrent d’autant plus facilement, qu’ils y trouvent moins de résistance, par la dilatation que l’air y a éprouvée, et que la fumée ayant perdu une grande portion de son calorique, n’a plus que bien peu de force pour s’opposer à leur action.

2o. Tout Ce que nous trouvons dans les ouvrages des caminologistes, sur le défaut d’air, est absolument faux, et ne peut point s’appliquer à la fumée, qui s’élève d’autant plus promptement dans le tuyau, qu’il s’est développé plus de calorique pendant sa formation. Il ne peut y avoir de combustion, sans qu’un des principes de l’air, l’oxigène, n’abandonne son état gazeux pour se combiner avec le corps combustible, dont la température s’élève en raison du principe comburant absorbé.

Si la pièce, dans laquelle un grand feu est allumé, ne fournit pas assez d’air pour alimenter la combustion, soit parce qu’elle en contient trop peu, soit parce que les croisées et les portes trop bien fermées n’en peuvent pas laisser échapper, alors la fumée cesse de s’élever dans le tuyau, et le feu même peut s’éteindre.

Léonard de Vinci, qui s’est placé au premier rang parmi les hommes qui, de son temps, se sont occupés des sciences physiques, a parlé, dans ses Essais, d’une manière si positive de l’action de l’air, que nous croyons utile de rappeler ici ses expressions : « Le feu détruit sans cesse l’air qui le nourrit, il se feroit du vide, si d’autre air n’accouroit pas pour le remplacer. Lorsque l’air n’est pas dans un état propre à recevoir la flamme, il n’y peut vivre ni flamme, ni aucun animal terrestre ou aérien. Il se fait de la fumée au centre d’une bougie, parce que l’air qui entre dans la composition de la flamme ne peut pas y pénétrer jusqu’au milieu. Il s’arrête à la surface de la flamme et se transforme en elle ; il laisse un espace vide qui est rempli successivement par d’autre air. » Que de faits furent ainsi perdus pour les sciences, à ces diverses époques, où un asservissement religieux aux principes enseignés dans les écoles, faisoit rejeter avec mépris, tout ce qui sembloit nous conduire aux grandes vérités de la nature !

3o. La proximité des portes, des montagnes, des grands édifices, influe d’une manière très-remarquable sur la fumée, qu’elle tend toujours à déranger de sa marche naturelle.

4°. On peut mettre au nombre des défauts les plus nuisibles des cheminées mal construites les vices qui se trouvent dans la disposition du foyer, les inégalités du tuyau, et les corps en saillie qui y sont interposés, le peu d’enfoncement du contre-cœur, et les communications avec d’autres cheminées.

5°. On remédie facilement aux effets de la neige, de la pluie et de la grêle, qui agissent par leur propre poids, avec d’autant plus de force que, tombant plus abondamment, elles opposent à la fumée un effort assez considérable, qu’elle ne peut souvent pas vaincre.

6°. C’est bien à tort que quelques physiciens, d’après les opinions de Castel et de Boyle, ont voulu prouver la pesanteur de la lumière par l’augmentation de poids des corps métalliques exposés à son action ; cet effet ne peut être attribué qu’à la solidification d’un des principes de l’air. Mais, sans avoir besoin de recourir à la pesanteur des rayons du soleil, pour expliquer le refoulement de la fumée dans le tuyau, nous pensons que la dilatation qu’ils y occasionnent, en déterminant l’air à y pénétrer, suffit pour produire cette action.

7°. Les bois nouvellement coupés, et tous ceux qui contiennent beaucoup de principes aqueux, ne donnent, dans les foyers ordinaires, que bien peu de flamme et beaucoup de fumée. Mais leur effet est bien différent dans de vastes ateliers, où ils sont brûlés en grande masse : la chaleur qui se développe est alors suffisante pour décomposer l’eau qu’ils contiennent, et fournir ainsi de nouveaux alimens à la combustion. J’ai éprouvé cette différence d’une manière très marquée dans les vastes fours des potiers de Savignies, où j’ai fait faire plusieurs fois des cuites avec du bois vert. La chaleur avoit été si forte, que, même à une grande distance du foyer, la surface des vases étoit entièrement vitrifiée, et les poteries, suivant leur expression, étoient brûlées. Cependant, j’avois fait diminuer, de plusieurs cordes, la quantité ordinaire de bois, et j’avais gagné plus de deux jours sur le temps qu’ils emploient ordinairement par fournée. Les bois dont on se sert le plus communément sont le bouleau, le chêne, le charme et le hêtre. Le bois de chêne brûle assez bien quand il est un peu vert ; car, quand il est vieux, il charbonne, noircit, et donne beaucoup de fumée. Celui qui brûle le mieux, et qui, à poids égal, développe le plus de chaleur, est le bois de hêtre, dont les avantages sont bien connus dans plusieurs fabriques, où il est préféré à tous les autres bois. Je ne parierai pas de la nécessité dé bien disposer le feu dans le foyer, car tout le monde sait que, sans cette précaution, la fumée réfléchie par les côtés ou par la tablette, sort très-facilement de la cheminée.

Il existe encore un assez grand nombré de causes accidentelles qui contribuent à donner de la fumée, comme l’adossement des cheminées, l’humidité de celles qui sont nouvellement construites, l’abondance de la suie qui peut s’y trouver, la soustraction de l’air par le feu d’une pièce contiguë. Mais on trouvera facilement les moyens de détruire ces effets, par l’application des divers procédés que nous allons examiner, dont la plus grande partie consiste à faire des changement, dans la partie supérieure.

Alberti, en insistant beaucoup sur le placement du feu au milieu du foyer, recommande dé placer le contre-cœur aplomb jusqu’à l’extrémité du tuyau : il assigne des proportions pour toutes les cheminées, dont il réduit la profondeur entre dix-huit pouces et vingt-quatre pouces, quelle que soit leur largeur. Il les faisoit couvrir avec une ou deux de ses grades tuiles faîtières, dont il disposoit les ouvertures de manière que l’une des deux fût abritée des vents de sud ou d’ouest. La mitre qu’il plaçoit au haut des cheminées ne pouvoit donner aucun accès à la pluie et à la neige ; ses quatre ouvertures et ses tuyaux inclinés devoient être assez grands pour laisser échapper entièrement la fumée par un ou deux côtés, dans le cas où son dégagement auroit été gêné par les deux autres ouvertures. Une construction un peu plus dispendieuse, mais dont tous les architectes qui sont venus après Alberti ont éprouvé les bons effets, est la calotte hémisphérique qui, au moyen d’une planche formant girouette, se trouve toujours disposée dans le sens contraire au vent. L’inspection seule des fig. 1, 2, 3, Planche V, suffit pour faciliter l’intelligence des moyens proposés par Alberti, dont la plupart ont servi de modèles pour les tournevents, les gueules de loup, et les autres inventions de ce genre.

Cardan donnoit à la partie supérieure de ses cheminées la forme d’un comble, au bas duquel il plaçoit, sur chaque face, deux tuyaux, en terre inclinés en sens contraire ; ces tuyaux, au lieu d’être cylindriques, pourroient être coniques ; cette disposition faciliteroit d’autant plus l’écoulement de la fumée. Ce moyen, qui est très-simple, a constamment rempli le but des personnes qui en ont fait usage. Voyez la fig. 4, Pl. V.

Delorme divisoit la cheminée en deux parties égales, par une languette qui partoit de l’extrémité de la hotte, et se terminoiy à six pouces au dessus de la partie supérieure : quoique Delorme garantisse l’efficacité de cette construction, je pense qu’elle a dû être bien peu employée. Voyez fig. 5, Pl. V.

Serlio ayant reconnu la nécessité, pour les édifices très-élevés, de donner peu de prise au vent, diminuoit les ouvertures des cheminées par des vases, des sphères, des éolipiles, ainsi qu’on peut le voir par la fig. 6, Pl. V.

Tous les ornemens de ce genre conviennent parfaitement, lorsqu’on veut terminer les édifices d’une manière agréable, et Serlio, en les composant, avoit autant considéré les effets qui pouvoient en résulter pour l’œil, que les avantages comme préservatifs de la fumée. Les sphères en cuivre, remplies d’eau, que Delorme faisoit placer à trois ou quatre pieds du foyer, et les petits moulinets de Jean Bernard, sont des procédés beaucoup plus curieux qu’utiles.

Savot, qui a écrit fort longuement sur les cheminées, fait bien sentir la nécessité d’avoir des appartemens assez grands, pour que le défaut d’air n’oblige pas d’en ouvrir les portes et les fenêtres, ce qui devient très-incommode et souvent dangereux. Il indique de rétrécir, à la hauteur, du plancher, la largeur du tuyau, de relever l’âtre de trois à quatre pouces, de baisser le manteau de manière à n’avoir que trois pieds de hauteur, et de terminer, par une forme circulaire, la partie intérieure de la cheminée. Quant aux moyens proposés par Valon, ils sont beaucoup trop coûteux, pour qu’on puisse en recommander l’emploi.

M. Gauger, dans la Mécanique du Feu, imprimée à Paris en 1713, donne d’excellens principes sur les cheminées ; et, quoique son ouvrage contienne quelques erreurs, on y trouve aussi beaucoup d’expériences nouvelles et fort intéressantes. Il est le premier qui se soit occupé de remédier aux inconvéniens de la fumée, par des changemens faits au foyer, qu’il a disposé de manière à produire plus de chaleur.

Il fait voir dans les premiers chapitres de son ouvrage, que, dans la construction des jambages parallèles, le plus grand nombre des rayons de chaleur qui partent du loyer, restent dans la cheminée, et dans le tuyau, où ils sont emportés par la fumée. Il propose de revêtir les côtés en tôle, et de leur donner une forme parabolique. Alors les côtés étant plus près du feu, ils s’échauffent beaucoup plus vite, réfléchissent plus de rayons, et des rayons beaucoup plus chauds, qui, tombant sur les côtés, sont renvoyés dans la chambre.

M. Ganger ne s’est pas contenté de faire ces divers changemens, qui ont l’avantage de donner plus de chaleur et un libre cours à la fumée ; il a fait circuler l’air extérieur à travers les plaques échauffées de l’âtre et des côtés. Alors les portes et les fenêtres peuvent être parfaitement fermées, et l’air absorbé dans la combustion se trouve remplacé par de l’air chaud.

Gennetté fit connoître, en 1759, une nouvelle construction qui, placée au haut du toit, pouvoit en même temps servir à plusieurs cheminées, et s’opposer à la pluie, au vent, au soleil, et à toutes les autres causes qui font fumer. Il indique aussi, pour éteindre le feu, la disposition de deux plaques à charnières, dont une seule peut remplir le même but : ses procédés ont été bien peu mis en usage.

M. Lecarlier de Trolly propose d’exhausser de quatre pouces, par des briques, les côtes des cheminées exposés au midi et au couchant.

J’ai vu chez M. Porchon-Bouval, propriétaire très-éclairé du département de l’Oise, un appareil très-simple qui, depuis plusieurs années, a constamment préservé de la fumée sa jolie maison.

Au sommet de la cheminée, sur les côtés exposés à l’est et à l’ouest, il fait élever un muret carré, de la largeur du tuyau ; sa hauteur est proportionnée à l’ouverture, et à l’usage qui va être décrit ;

Dans l’intérieur de ce muret, et au milieu de chaque côté, on scelle un morceau de fer percé, au haut, d’un trou propre à recevoir un tourillon, étant soutenu à chaque bout d’une traverse de fer plat, qui va de l’un à l’autre muret : sur ce fer plat, percé de plusieurs trous, est appliquée une porte de bois léger, ou de tôle qui, clouée par le milieu, se trouve en bascule. Pour en faciliter le jeu, on attache par-dessus, et à une de ses extrémités, un morceau de plomb suffisant pour la tenir fermée de ce côté ; puis, pour ramener cette porte du côté opposé, on met en dedans un piton, auquel on attache un fil de fer qui descend jusqu’à l’orifice intérieur de la cheminée, d’où on le fait jouer à volonté. Le dessin de cette cheminée en fera comprendre très-facilement la disposition.(Voyez les fig. 7 et 8 de la Pl. V.)

Suivant M. Piault, les cheminées furent, le plus souvent, parce que le vent s’oppose à la sortie de la fumée, en la refoulant dans le tuyau. La construction qu’il propose n’est pas de soustraire la cheminée à l’action du vent, mais de la disposer de manière que la fumée puisse toujours trouver une issue, ainsi qu’on peut le voir à la fig. 9.

Nous avons examiné jusqu’à présent une grande partie des moyens qui doivent préserver de la fumée : nous allons faire connoître actuellement quelques unes des constructions dont le principal but est d’augmenter la chaleur.

L’immortel Francklin s’occupa quelques instans des cheminées, dont il a décrit les imperfections d’une manière extrêmement précise. Dans les cheminées ordinaires, la plus forte chaleur du feu qui est à la partie supérieure, monte directement dans le tuyau de la cheminée, et se dissipe en pure perte : le courant d’air qui se forme dans la cheminée est si fort, qu’il n’emporte pas seulement la chaleur du haut, mais du bas, du fond, et des côtés ; et, enfin, celle même que le feu pousse en devant, dont les rayons se portent dans la chambre, est continuellement renvoyée dans la cheminée, et chassée vers le tuyau par le courant d’air.

Les chauffoirs de Pensylvauie produisent le double effet d’augmenter l’action du feu, en dépouillant la fumée d’une grande partie de sa chaleur, et de faire circuler, au travers des plaques échauffées, un courant d’air extérieur dont la température augmente celle de l’appartement qui ne se trouve plus refroidi par l’air des portes et des croisées.

À peine les cheminées à la Francklin furent-elles connues en Europe, qu’on s’empressa de les adopter, et d’y faire même quelques changemens.

Le comte Cisalpin en fit abaisser le manteau, de manière à dérober la vue de la flamme, et à empêcher le retour de la fumée que de violens coups de vent ramenoient quelquefois dans la chambre.

M. le chevalier Fossé chercha les moyens de les faire exécuter d’une manière économique. Il leur donna une forme plus agréable, et une grandeur convenable à tous les divers emplacemens.

Un habile architecte de Lyon, M. Desarnod, qui, depuis 1783, travailloit avec le plus grand zèle à la construction des cheminées à la Francklin, parvint à les faire couler en fonte : et le résultat de ses laborieuses et pénibles recherches fut une cheminée qui réunit à tous les avantages des chauffoirs de Pensylvanie, des avantages encore plus grands.

Les cheminées à la Desarnod augmentent la chaleur d’une manière très-remarquable, fournissent à volonté de l’air chaud ou de l’air froid, peuvent se fermer au moyen d’une plaque très-mobile, et par des registres qui s’opposent au passage de la chaleur, et elles réunissent, à une disposition aussi ingénieuse, des formes agréables et enrichies d’ornemens du meilleur goût. Mais le prix de ces foyers ne pouvant en permettre l’usage qu’aux personnes riches, on n’a point été dispensé de chercher, pour nos cheminées ordinaires, une construction qui puisse convenir à toutes les classes de la société.

M. de Rumford, à qui la physique avoit déjà de grandes obligations, s’est occupé avec tant de succès des arts industriels et économiques, qu’il s’est placé au premier rang, parmi les bienfaiteurs de l’humanité. Nous allons donner un extrait de ce qu’il a publié, sur les cheminées, en y ajoutant les augmentations qu’il a faites depuis la publication de son ouvrage.

L’essai de M. de Rumford, sur les cheminées, ayant particulièrement fixé mon attention, j’en ai fait construire un grand nombre, d’après ses principes, et les résultats que j’ai obtenus ont été parfaitement d’accord avec les siens. Notre méthode de faire les cheminées remplit si peu le but que nous nous sommes proposé, que, si l’on avoit donné pour problème : Trouver une construction telle, qu’avec la plus grande quantité de bois, on eût le moins de chaleur possible, nos anciennes cheminées en auroient fourni la solution. Ajoutez à cela deux inconvéniens très-graves, la fumée qui sort quelquefois si abondamment, qu’elle force à ouvrir les portes et les fenêtres, et ces courans d’air froid qui sont d’autant plus nuisibles, que, gelés d’un côté, vous éprouvez de l’autre une chaleur souvent bien difficile à supporter.

Les changemens proposés par M. de Rumford remédient complètement à tous ces défauts ; mais, ce qui étoit très difficile à trouver, c’étoit de parvenir à résoudre la question d’une manière générale, en donnant une méthode qui pût être adaptée à toutes les cheminées, avec une dépense si foible, qu’elle put même convenir à la classe indigente.

Avant que d’exposer ses principes, notre célèbre physicien entre dans quelques détails sur l’ascension de la fumée, et il fait voir combien sont inexactes les expressions de tirage, qui, comme il le dit lui-même, conduisent à des idées fausses. La fumée s’élève dans le tuyau, parce qu’elle est plus légère que l’air dans lequel elle se trouve ; elle s’élève plus ou moins promptement, selon qu’elle est plus ou moins chaude, et elle doit continuer à s’élever, tant que des causes perturbatrices ne la forcent pas à suivre un autre chemin, ou ne lui enlèvent pas le principe qui cause son excès de légèreté. Parmi les expériences fort ingénieuses que M. de Rumford cite à l’appui de son opinion, nous nous contenterons de rappeler celle de l’eau chaude colorée, s’élevant au milieu de l’eau froide. « Si l’on plonge, par exemple, dans une jarre de terre profonde, remplie d’eau froide, une bouteille ouverte, pleine d’eau chaude, teinte avec du bois de Fernambouc, ou toute autre drogue colorante, on verra distinctement l’eau chaude colorée s’élever en colonne au milieu de l’eau froide. Dira-t-on qu’elle est tirée de bas en haut ? c’est cependant l’expression que l’on emploie souvent en parlant des cheminées : on dit qu’elles tirent bien, ou qu’elles tirent mal. L’eau froide de la jarre, à raison de son excès de pesanteur spécifique, force l’eau chaude raréfiée, et par conséquent plus légère, à lui faire place, et à s’élever : c’est là l’image de l’air froid de l’atmosphère, et de la colonne de fumée chaude qui s’élève au dessus d’un combustible allumé. S’il falloit toujours une cheminée pour tirer la fumée en haut, comment arrive-il que la fumée s’élève en plein air ? Il n’y a pas là de cheminées. » Les cheminées fument souvent, parce que les portes et les fenêtres, trop bien fermées, ne peuvent pas fournir au foyer tout l’air qui est nécessaire pour alimenter la combustion. Un des moyens les plus simples de s’en procurer, est de pratiquer, dans l’épaisseur du plancher, un tuyau communiquant avec l’air du dehors, et avec le devant de la cheminée. Les cônes, les pyramides tronquées que l’on place sur les cheminées trop basses ou adossées remplissent assez bien le but qu’on se propose ; mais quoique les causes qui font fumer soient extrêmement nombreuses et variées, la construction de M. de Rumford dispense toujours d’employer d’autres moyens.

Nous allons examiner, d’une manière succincte l’emploi de la chaleur produite par le feu, la manière dont elle agit sur les corps avec lesquels elle est en contact, suivant leurs propriétés plus ou moins conductrices, et la meilleure disposition à donner au foyer, pour en faire sortir toute celle qui est mise en liberté. Toute la chaleur dégagée pendant la combustion se trouve divisée en deux parties très-distinctes, l’une qui s’unit momentanément à la fumée, pour la forcera s’élever, et l’autre qui est libre s’échappe dans toutes sortes de directions ; c’est celle-là qui doit nous intéresser.

Cette dernière partie est d’autant plus grande, que le feu est plus clair, ce qui doit faire donner la préférence au bois sec, et sur-tout au bois de hêtre qui produit toujours une belle flamme et dégage beaucoup plus de chaleur, ainsi que j’ai souvent eu les moyens, de m’en assurer, par son emploi comparatif, dans de très grands ateliers. L’usage de garnir les loyers de plaques de fonte étoit si généralement adopté, que beaucoup de particuliers n’ont jamais voulu consentir à les laisser supprimer. Tous les corps métalliques s’échauffent très-promptement, et les corps noirs absorbent entièrement la chaleur ; or ces deux propriétés, qui sont contraires au but que l’on se propose, se trouvent réunies dans les plaques de métal. Cette chaleur leur étant enlevée à chaque instant par la fumée et par l’air, elles en reprennent continuellement, et n’en laissent fibre qu’une très-petite partie. Les substances qui s’échauffent difficilement, qui n’enlèvent que très-lentement la chaleur libre, et dont les surfaces la réfléchissent hors du foyer, sont celles qu’il faut employer de préférence, comme les tuiles, les briques et toutes les substances terreuses.

La meilleure disposition à donner au foyer est de l’avancer le plus qu’il sera possible, de faire l’ouverture large et haute, et de donner aux côtés de la cheminée une inclinaison telle, que, d’après la nature des matériaux, et leur couleur, ils puissent réfléchir dans la chambre toute la chaleur rayonnante lancée dans le foyer. M. de Rumford a trouvé qu’au lieu de disposer les côtés à angles droits 90°, comme AC et BD, Pl. VI, fig. 1, il falloit qu’ils formassent avec la plaque un angle de 135°, qui est un angle droit et demi. Par ce moyen, la plaque se trouve réduite au tiers de sa largeur, et la chaleur qui frappe les côtes devenus obliques est portée en avant. Pour entendre ce changement, il faut examiner les fig. 3 et 4.

La ligne d e de la fig. 5 est ce que l’on nomme la gorge d’une cheminée. La fig. 6 fait voir d’une manière très-exacte l’avancement du foyer, et le changement de la gorge qui est réduite à d i.

Cette largeur d i ne peut être arbitraire, et M. de Rumford, d’après ses nombreuses expériences, l’a fixée à quatre pouces pour les cheminées de trois pieds et demi à quatre pieds, et à cinq pouces pour les plus grandes. Il faut donner à la plaque ou mur du fond, toujours le tiers de la profondeur de la cheminée ; si elle dépassoit cette mesure de deux à trois pouces, on n’en feroit pas moins la construction ; mais, si la différence est plus considérable, il conviendra de la rétrécir. Quand l’ouverture du front sera trop étroite, la dépense devenant trop grande, il vaudra mieux donner aux côtés une moindre inclinaison.

Pour faciliter le passage du ramoneur, en élevant le petit mur du fond, et arrivé à dix ou onze pouces du manteau, on laissera un espace vide, en forme de porte, de dix à douze pouces de largeur sur douze à quatorze de hauteur ; il doit toujours être de trois à quatre pouces plus élevé que l’endroit où la gorge est perpendiculaire. Cette ouverture peut se fermer avec des briques, des lames de plâtre on une porte en tôle que l’on enlève facilement, lorsque l’on veut faire ramoner.

Les murs du fond et des côtés ne doivent pas avoir plus que la largeur d’une brique. Il faut avoir soin de lier la nouvelle construction à l’ancienne par des moellons, des plâtras, et sur-tout terminer dans leur partie supérieure les murs des côtés et du fond d’une manière horizontale, pour donner un libre passage à la fumée ; il faut avoir soin que la partie antérieure de la gorge soit dégagée d’aspérités, et parfaitement unie. Quant aux grilles destinées à contenir du charbon de terre, les meilleures dimensions pour des chambres de grandeur moyenne sont de six à sept pouces de large, sur une longueur de quinze à vingt pouces. On pratique dans le mur du fond une partie hémisphérique creuse, dans laquelle on place le charbon qui y est contenu par la grille. Comme la construction des cheminées à la Rumford est très-simple, nous allons en donner les détails ; chaque particulier pourra faire lui-même ce petit travail, ou le faire exécuter sous ses yeux.

La fig. 1 est le plan d’une ancienne cheminée AB ; son ouverture sur le devant AC et BD, sont les côtés ou montans, et CD le dos ou la plaque. Il est certain, d’après cette construction, que toute la chaleur qui tombera sur les faces AC et BD, restera en entier dans le foyer et sera emportée dans le tuyau. Voici actuellement comment il faut tracer le plan d’une cheminée à la Rumford : menez la ligne AB, fig. 3, et sur le milieu de cette ligne élevez la perpendiculaire, cd ; se plaçant ensuite dans la cheminée, le dos contre la plaque, on posera le fil aplomb contre la face de la gorge, dans l’endroit où elle est verticale, et l’on fera dormir le plomb sur la ligne cd ; le pointe, où il s’arrêtera, déterminera la nouvelle ouverture. À compter du point e, on prendra sur la ligue e d quatre pouces, si c’est une cheminée ordinaire, et cinq pouces si elle est très-grande : le point f trouvé, on mènera g h parallèle à AB, et ce sera sur cette ligne g h qu’il faudra construire le mur du fond : c f sera la profondeur du nouveau foyer ; et si c f étoit égale au tiers de AB, on porteroit moitié de c f de f en i et de f en k ; la ligne i k donneroit la largeur de la nouvelle plaque. Menant ensuite tes lignes AI et BK, on auroit l’inclinaison des nouvelles faces : mais, si l’ouverture de la cheminée est plus grande, on la réduira ainsi : de c, milieu de AB, prenez c A et c B égales à une fois et demie i k, on tracera les lignes a i et K b, qui donneront la direction des montans. Cela fait, on élèvera sur le tracé les murs en briques, et, si l’on avoit réduit la largeur du front de la cheminée, on en abaissera proportionnellement l’ouverture. Fig. 4, cheminée vue de face ; la ligne pointillée indique la porte du ramoneur.

La forme du foyer la plus parfaite est celle dans laquelle la largeur de la plaque est égale à la profondeur du foyer, et dans laquelle l’ouverture du front est triple de cette profondeur, ou de la largeur de la plaque. On voit, dans les fig. 7, 8, 9, comment on peut remédier aux cheminées dans lesquelles l’épaisseur du manteau, la largeur de la tablette, et les quatre pouces d’ouverture, ne donnent que trop peu de profondeur.

L’épaisseur du front de la cheminée en a, n’étant que de quatre pouces, et quatre pouces pour le vide du canal, la profondeur b c, fig. 9, ne seroit que de huit pouces. On a fait une niche c e, pour recevoir la grille qui a six pouces de profondeur au centre, et de treize à seize de largeur. La partie indiquée g est la porte du ramoneur ; on voit dans le plan, fig. 7, et dans l’élévation fig. 8, la diminution faite à la largeur du front de la cheminée, et la disposition des nouveaux montans.

Il arrive quelquefois que les ouvriers, en tirant les lignes qui donnent les côtés, en changent l’inclinaison, et l’augmentent en portant en arrière leur ligne, comme on peut le voir fig. 10, Pl. VII. Si du point c on avoit mené c o, l’obliquité seroit trop grande, et l’angle auroit plus de 135°. La fig. 11 indique une construction dans laquelle la largeur de la plaque est plus grande que le tiers du front de la cheminée. Voici le moyen de tracer un angle de 135°, fig. 12 : ayant disposé trois carrés égaux, de l’angle c menez la diagonale c f, l’angle d c f aura 135° ; car il vaudra un angle droit, plus sa moitié. Dans les cheminées qui fument, on est obligé de diminuer l’angle, suivant que ce défaut est plus ou moins sensible ; les angles d c e et d c i, indiquent ce changement. Quand le sommet de la gorge se trouve loin du feu, comme dans les fig. 13 et 14, il faut l’abaisser ; ce qui se fait très-bien, en chargeant la gorge, ou en plaçant sur le devant des lames de plâtre qui se trouvent appuyées, dans toute leur longueur, sur une tringle en bois qui passe d’un jambage à l’autre.

Dans la fig. 3, À BCE est repassage supplémentaire du ramoneur. Nous avions engagé à ne le fermer que d’une manière provisoire, par des briques à sec ou par des lames de plâtre ; mais voici une disposition plus avantageuse que j’ai vue exécutée chez M. de Rumford, à Paris.

CE, fig. 13, est une porte en tôle rendue mobile par te moyen de charnières placées à sa partie inférieure ; par le moyen du petit appendice k ; on peut la ramener en avant de manière à ne plus laisser qu’un pouce de passage, comme c d. Quand les cheminées fument beaucoup, on est quelquefois obligé de ne leur donner qu’un angle de 130°. La difficulté de le faire sur-le-champ m’a engagé à donner la description d’une équerre fort simple fig. 15, dont je me suis servi avec avantage pour ramener à volonté les angles de 135 à 130° ; l’équerre fermée donne un angle droit. En ouvrant la branche inférieure jusqu’à la première division, on a alors un angle de 130° ; on peut le fixer à ce point en plaçant la petite clef dans le trou A. En continuant à ouvrir l’équerre, on augmentera l’angle de 5°., et on pourra l’arrêter à l’une des divisions intermédiaires i, 2, 3, 4, 5, en plaçant la clef dans les ouvertures qui correspondent à ces divisions. (I. L. R.).