Cours d’agriculture (Rozier)/CHUTE

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Hôtel Serpente (Tome troisièmep. 333-339).


CHUTE, Médecine rurale. Il n’est pas rare de voir quelqu’un tombé de cheval, ou d’un lieu élevé quelconque, ne plus donner signe de vie : en effet, tous les symptômes apparens sont détruits. Il en est ainsi des asphyxiés par les vapeurs du charbon, des substances fermentantes, & par la submersion. Aussitôt on appelle le chef de la justice du lieu ; il dresse son procès-verbal sur le rapport du chirurgien, & le malheureux est relégué dans la maison la plus prochaine, ordinairement jeté dans l’endroit le plus bas ou le moins fréquenté de la maison, quelquefois même abandonné sur le chemin, jusqu’à ce que le curé vienne le prendre & l’ensevelir. Il résulte de ces cruelles inattentions, que l’on enterre souvent des hommes qui ne sont pas morts : des secours sagement administrés les auroient rappelés à la vie. On croit avoir tout fait, lorsqu’un chirurgien a tenté de les saigner, & on décide que l’homme est mort, très-mort, lorsque le sang ne coule pas. Les fonctions vitales sont suspendues ; il ne sauroit donc couler.

Dans ces circonstances fâcheuses, le premier point, & le plus essentiel, est de rappeler la chaleur animale. À cet effet, dépouillez l’homme de tous ses vêtemens ; mettez-le dans un lit chaud, couché sur le côté droit, & la tête élevée sur un traversin. Avec des linges échauffés, frictionnez-le doucement, jusqu’à ce qu’on ait pu se procurer & faire chauffer des cendres en assez grande quantité pour en former un lit sur lequel on le couchera. Avec les mêmes cendres chaudes on couvrira son corps, c’est-à-dire, qu’on l’y enterrera ; & le tout sera garni d’une couverture, qui retiendra la chaleur des cendres. La tête, le col & le haut du corps seront toujours tenus élevés ; la tête seule fera hors du lit de cendres ; &, de temps à autre, on présentera sous le nez du malade des essences spiritueuses, les plus actives que l’on trouvera. L’alcali volatil (Voyez ce mot, tome I, page 388) est un remède excellent. Si on peut se procurer partie égale de sel ammoniac en poudre, & de chaux vive également en poudre, unis ensemble, & agités dans un vaisseau bouché, ils produiront le même effet, ainsi que l’eau de luce ; & dans la privation de ces remèdes, le plus fort vinaigre qu’on pourra trouver, &c. Si ces secours, continués pendant plusieurs heures de suite, sont insuffisans, on soulèvera les cendres, & on lui donnera un lavement fait avec une décoction de tabac. Si on avoit du tabac d’Espagne, ou du tabac ordinaire, bien sec, il faudroit lui en souffler dans les narines. Dès qu’il commencera à donner signe de vie, que les fonctions vitales seront rétablies, c’est alors le cas d’examiner les parties qui ont été endommagées par la chute ; ce qui regarde le chirurgien. La saignée, les vulnéraires, ensuite les calmans doivent être administrés. Que le lecteur se mette à la place de celui qui arrache son semblable du tombeau, où l’ignorance & la précipitation alloient le plonger, & il sentira quel doux saisissement, quelle joie pure enivre alors l’ame de ce généreux citoyen ! Quel mortel ne voudroit pas être à sa place ! On ne doit pas se lasser de prodiguer les secours dont on vient de parler : le succès ne fera décidé, souvent qu’après trois ou quatre heures de travail.

On affaire qu’on prévient les suites funestes des chutes violentes, & qui ne suspendent pas les fonctions vitales, en faisant avaler sur le champ à la personne un demi-verre d’huile d’olive… Je ne l’ai pas éprouvé.

Si tout le corps est meurtri, on écorchera un ou plusieurs moutons, veaux, &c. & le malade sera enveloppé avec ces peaux. Le lit de cendres chaudes vaut tout autant, & peut-être mieux, parce qu’il conserve plus longtemps sa chaleur.

L’usage des décoctions vulnéraires ne doit pas être négligé, & on doit le discontinuer dès que la fièvre se manifeste. Les saignées sont très-utiles.


Chute, Médecine vétérinaire. Nous comprenons ici sous ce nom, les accidens qui arrivent lorsqu’un cheval, une mule ou un bœuf, tombent du haut d’une muraille ou d’un chemin, dans un fossé, dans un ruisseau, ou bien dans un précipice.

Les accidens qui accompagnent ordinairement les chutes, sont l’échymose, les contusions, les dislocations, les fractures, & plusieurs autres, selon que la chute a été plus ou moins violente.


Traitement.


Lorsque la chute n’est pas grande, il est toujours prudent de faire prendre un breuvage vulnéraire à l’animal, afin de dissoudre le sang extravasé dans le poumon ou dans quelque autre partie : pour cet effet, prenez feuilles de pervenche, de pied de lion, de véronique, de lierre terrestre, de chaque une poignée ; l’une des deux dernières plantes citées suffiroit. Faites bouillir dans environ trois livres d’eau commune, jusqu’à diminution d’un tiers ; coulez, ajoutez deux onces miel rosat, & donnez à l’animal.

Mais si l’animal a la fièvre, s’il est abattu, triste, s’il bat des flancs, s’il respire difficilement, s’il jette du sang par les naseaux ou par la bouche, il faut le saigner promptement, & répéter même la saignée, en la proportionnant toujours à l’âge, au tempérament & à l’intensité des symptômes, eu égard aux autres accidens qui peuvent accompagner les chutes. (Voyez Échymose, Fracture, Meurtrissure)


Chute de l’anus ou du fondement, Médecine vétérinaire. On appelle du nom d’anus ou de fondement, dans les animaux, l’extrémité du canal intestinal, ou l’orifice qui permet les déjections, c’est-à-dire, la sortie des excrémens.

Causes. Le ténesme, une toux violente, la foiblesse des muscles, l’abondance des humeurs qui abreuvent cette partie, peuvent en occasionner la chute. Cet événement, qui est néanmoins assez rare, arrive encore au cheval à la suite de la trop fréquente introduction de la main & du bras du maréchal, qui n’agit point avec toute la précaution nécessaire lorsqu’il vide cet animal pour le disposer à recevoir un lavement.

Traitement. La cure de cette maladie consiste non-seulement à remettre l’intestin, mais encore à le maintenir dans sa place. La réduction en doit être faite sur le champ, après quoi il faut bassiner la partie d’abord avec du vin chaud ; faire ensuite avec un linge trempé dans ce même vin, des compresses légères, que l’on doit placer sur les côtés de la portion qui se trouve près de l’anus, & les soutenir toujours avec attention, en repoussant doucement l’anus, pour le rétablir peu à peu dans sa situation naturelle. Cette manœuvre ne présente pas beaucoup de difficultés, lorsque l’enflure & l’inflammation ne sont pas considérables ; mais dans les cas où elles s’opposeroient au remplacement de l’anus, il convient de saigner le cheval à la veine jugulaire, & d’employer des fomentations d’une décoction des feuilles de patience & de bouillon blanc, jusqu’à ce qu’il soit disposé à la réduction. Aussitôt qu’elle sera faite, il faut appliquer des compresses trempées dans du vin, dans lequel on aura fait bouillir & infuser des racines de bistorte, de tormentille, de l’écorce de grenade, des noix de galle, & de l’alun. Si, malgré tous ces remèdes, l’intestin retomboit en conséquence des efforts que l’animal fait pour fienter, le moyen le plus sûr à mettre en usage, est de bassiner toujours avec le même vin composé, de saupoudrer la partie avec du bitume, & de la noix de galle pulvérisés ensemble, de réduire l’intestin de nouveau, & d’appliquer encore des compresses trempées dans le même vin, & soutenues par un bandage en forme de M. T.


Chute du Membre, ou de la Verge, Médecine vétérinaire. [Cet article nous a été communiqué] Cette maladie est très-fréquente dans les animaux, tels que le cheval, l’âne, le mulet & le jumart ; elle consiste dans un relâchement & un affaissement total des parties destinées à soutenir & à maintenir le membre dans l’état naturel, ainsi que dans une espèce de paralysie des muscles érecteurs & accélérateurs. Une atonie totale du ligament suspenseur de la verge, peut seule y donner lieu.

Elle a souvent pour cause des efforts. Les chevaux & les mulets destinés à porter & à tirer des faix lourds, y sont en effet plus disposés que les autres. Elle peut dépendre encore d’un priapisme auquel le cheval & le mulet sont assez sujets, d’une érection de trop longue durée sans priapisme, d’un spasme violent dans les parties de la génération, dont le relâchement & l’atonie sont les suites.

Des cordons farcineux, logés dans les parties supérieures des ars & sur le périnée, faisant obstacle au jeu des muscles, & bridant, en quelque sorte, le ligament, ont donné lieu à un paraphimosis, après avoir provoqué la chute du membre.

Des poireaux qui surchargent cette partie sur laquelle ils ont pris naissance, l’attirent encore par leur poids en contre-bas ; la force du fardeau l’emportant sur la résistance des muscles & des ligamens.

Un grand feu, des excès de coïts, des rétentions d’urine, des douleurs néphrétiques, des tranchées violentes, occasionnent la rétraction des testicules, principalement dans des pays chauds ; & l’on voit après cette rétraction de pareilles chutes.

Il en est de même après l’administration des diurétiques âcres, tels que les résineux, les cantharides, & lorsque l’animal a été fatigué longtemps par l’introduction de la sonde, introduction très difficile, si l’on veut pénétrer un peu avant, & d’où ne résultent que trop souvent de fausses routes, si l’instrument n’est pas guidé par une main habile & exercée.

L’action d’insérer dans le membre, par l’espoir de provoquer l’urine, des poireaux, la poudre des mouches cantharides, du poivre, & même des insectes, des poux &c. donnent lieu, surtout celle de poudres, à des irritations, & a des titillations violentes, sans autres effets que ceux qui arrivent de l’abord du sang & des esprits dans les corps caverneux ; cette érection forcée laisse bientôt après cette partie pendante, comme il arrive souvent encore dans la strangurie, certaines fièvres inflammatoires. &c.

On peut ajouter à toutes ces causes, des coups donnés sur le membre pendant l’érection ou l’écoulement de l’urine, des tiraillemens forcés de la verge au dehors, dans la vue de nétoyer ces parties, &c. &c.

Cet accident diffère du paraphimosis, en ce qu’ici la sortie du membre du fourreau dépend absolument de la foiblesse des parties, & que sa rentrée n’éprouve d’autre obstacle que celui de leur inertie. Quoi qu’il en soit, le membre ainsi flasque & pendant se trouve infiltré d’une matière ichoreuse ou glaireuse, qui coule goutte à goutte.

Les symptômes sont toujours en raison des causes ; cette chute doit-elle être attribuée à des efforts ? ces efforts se manifestent-ils sur les reins ? l’animal se traîne plutôt qu’il ne marche : provient-elle d’un priapisme, d’une érection longue & pénible ? l’animal est triste, dégoûté, foible, & dans une sorte d’épuisement. Quant aux cordons farcineux, aux poireaux & autres tumeurs indolentes, leur apparition suffit pour voir la source du mal. Elle est aussi connue dès qu’on peut en accuser des rétentions d’urine, des tranchées violentes ; & tous les signes qui l’accompagnent, sont les signes indicatifs de ces maladies. Enfin, l’usage des diurétiques âcres, la fatigue de la sonde, l’insertion des poudres de cantharides dans le membre, sont manifestés par l’occupation dans laquelle est l’animal, de montrer lui-même le lieu de la sensation incommode qu’il éprouve, en cherchant à chaque instant à atteindre la partie avec son pied de derrière qu’il lève & qu’il dirige sans cesse contre elle.

La chute du membre, dans les chiens, provient de la violence avec laquelle ils ont été quelquefois excités à se désaccoupler. Cette action toujours forcée par la brutalité des enfans, & même d’autres personnes qui se font un plaisir cruel de poursuivre & de battre un chien & une chienne liés, est une des causes de cette chute dans le mâle, & quelquefois de celle du vagin & de la matrice dans la femelle. L’un & l’autre de ces accidens ont été dissipés par la saignée, des breuvages tempérans, des lavemens térébenthinés ; par l’immersion du membre dans des spiritueux ; des injections de vin chaud dans la vulve, chez la femelle, après avoir enduit la matrice de compresses imbibées de cette liqueur, & un suspensoir.

Quant aux volatiles, nous avons eu occasion de remédier deux fois à cet événement, dans l’oie & le canard ; les douches, les lotions & les bains de vin chaud, aiguisés de teinture d’aloës avant & après la réduction, ont opéré avec le plus grand succès.

Cette maladie n’est pas commune dans les moutons & dans les bétes à cornes ; mais elle peut leur arriver. Le verrat en est plus souvent attaqué : celui-ci est, comme on le sait, très-lubrique ; il fatigue des demi-journées entières sa femelle, il la couvre plus ou moins de fois sans sortir du vagin, & après un congrès excessif, la verge demeure aisément pendante, & ne peut être retirée dans le fourreau.

On comprend, au surplus, que, d’après l’exposé des causes diverses qui donnent lieu à cette maladie, elle ne sauroit être soumise à un traitement général, qu’il doit être nécessairement relatif aux circonstances qui l’ont fait naître, ainsi qu’aux symptômes qui l’accompagnent, & aux maux qui la compliquent le plus souvent.

Celle qui provient d’efforts doit être traitée par des charges fortifiantes & résolutives, appliquées sur les lombes ; par des vulnéraires térébenthinés & nitrés, donnés en breuvages ; par des lavemens diurétiques, animés par l’essence de térébenthine ; enfin, par des fortifians résolutifs & spiritueux sur la partie malade, sous la forme de bains, de lotions, de fomentations, & un suspensoir.

Celle qui est le produit des douleurs néphrétiques, d’un grand feu dans le sang & dans les parties de la génération, sera combattue par des médicamens d’une vertu diamétralement opposée : la saignée, les calmans, les mucilagineux, les rafraîchissans, tant en breuvages qu’en lavemens, sauf, lorsque l’inflammation sera passée, à donner de l’activité à ces médicamens, en leur associant des diurétiques légèrement stimulans, dont on augmentera peu à peu la vertu ; & quant à la partie locale, vous la suspendrez, & elle sera tenue constamment humectée de vin chaud, auquel on ajoutera, par la suite, les teintures spiritueuses, telles que celles d’aloès, de myrrhe, &c.

Celle qui provient de l’abus des diurétiques âcres, est plutôt une espèce de semi-érection, qu’une véritable chute du membre : il en est de même de celle qui dépend de l’introduction réitérée de la sonde, &c. ; elles cèdent facilement l’une & l’autre aux lavemens, aux breuvages, aux douches & aux lotions émollientes, aiguisées de camphre dissous par la trituration, avec un jaune d’œuf. Mais si la sonde a fait de faunes routes, il faut injecter dans l’urètre cette même liqueur, avec addition du baume de commandeur.

Celle qui a pour cause l’inertie & la paralysie des parties, demande l’application des vessicatoires au périnée, & notamment sur les muscles érecteurs, & lorsqu’ils sont insuffisans, le cautère actuel doit en seconder les effets ; on pénètre ces muscles de pointes de feu, & on renouvelle l’application des vessicatoires, qu’on unit alors à l’onguent nervin ; on donne des breuvages & des lavemens de décoction de sabine & de rue, que l’on anime encore par une très-légère quantité de poudre de cantharides ou de scarabées, si besoin est ; mais il faut être très-prudent dans l’emploi de ces substances. (Voyez Cantharide) On panse le membre avec des liqueurs spiritueuses, telles que l’eau-de-vie ou l’esprit-de-vin, dans lesquelles on a fait infuser du quinquina, & dissoudre du camphre.

Si le mal est plus grave, & que la gangrène soit à craindre, on scarifie le membre dans plusieurs points de sa surface, & on l’enveloppe de compresses imbibées d’essence de térébenthine, chargées de quinquina en poudre très-fine.

Si le membre est infiltré, on substitue à ce composé, la teinture de quinquina dans l’esprit-de-vin, on l’anime par l’eau de rabel, & dans l’un & dans l’autre de ces cas, on donne pour breuvage le vin blanc, dans lequel on a fait infuser du quinquina & du safran de mars ; on donne encore des lavemens faits d’une forte décoction de ce quinquina, que l’on fait garder au malade le plus qu’il est possible. Si tous ces secours sont insuffisans, & si la gangrène fait des progrès, on procède à l’amputation du membre. (Voyez Paraphimosis, phimosis.)

La chute du membre occasionnée par des tumeurs sarcineuses aux aines, doit être traitée par les remèdes qui conviennent à la maladie essentielle. Les tumeurs extirpées, (Voyez Farcin) cautérisez les ulcères, remplissez-les d’onguent nervin & mercuriel ; suspendez le membre après l’avoir scarifié, enveloppez-le de plumaceaux chargés de ces onguens que vous aurez saupoudrés d’une suffisante quantité de quinquina en poudre.

Celle qui est le produit de poireaux & de fongosités qui tuméfient, gorgent & surchargent la verge, se traite à peu près de même. Nous ouvrons le fourreau par sa partie inférieure, nous découvrons les corps caverneux dans leur partie supérieure, nous extirpons toutes les excroissances, nous en attaquons les racines avec le feu, & nous pansons comme dans les cas précédens ; mais les dépuratoires que cette maladie exige sont donnés, partie en breuvages, partie en lavemens. Nous avons souvent observé que ces derniers, aiguisés d’essence de térébenthine opéroient plus efficacement ; mais si, comme il arrive souvent, les corps caverneux sont presque détruits, & que l’inertie de l’organe soit absolue, il faut avoir recours à l’amputation.

La chute du membre dépendante de tranchées, n’est le plus souvent que momentanée. Le membre rentre le plus ordinairement, dès que les symptômes de la maladie essentielle sont passes. Lorsque les choses ne se passent pas ainsi, l’immersion de la partie dans l’eau froide, aiguisée de sel ammoniac, & des lavemens térébenthinés, opèrent d’une manière qui ne laisse rien à désirer.

À l’égard de celle produite par des calculs, des caillots de sang dans la vessie, la cure dépend absolument de l’extraction de ces corps.

On doit se régler, pour le traitement de celle qui est due à des coups, à des tiraillemens, sur les symptômes : s’il y a chaleur, douleur, tension, saignez & donnez les tempérans ; si, au contraire, il y a relâchement, employez les fortifians indiqués, selon les circonstances.

Mais celle dépendante de la supuration & de la détérioration des parties du bassin, est toujours mortelle, ainsi que la maladie qui lui donne lieu.