Cours d’agriculture (Rozier)/CITERNE

La bibliothèque libre.
Hôtel Serpente (Tome troisièmep. 366-373).


CITERNE. Lieu souterrein & voûté, dont le fond pavé, glaisé, ou couvert en sable, est destiné à recevoir, & à conserver les eaux de la pluie. La manière la plus économique, la plus expéditive & la plus sûre est en béton. (Voyez ce mot) L’excavation faite sur la profondeur & largeur convenues, on fait le fond ou plancher, & on lui donne depuis douze jusqu’à dix-huit pouces d’épaisseur. Si on peut se procurer facilement une bonne argile, bien liante & bien corroyée, on fera très-bien d’en faire un lit sur le sol, de le bien battre, de le bien piétiner avant de jeter le lit de béton. Cette couche de glaise empêchera la terre inférieure d’absorber une partie de l’humidité dont le béton est imbibé, & qui est essentielle à sa cristallisation ou prise.

Le fondement une fois fait, il faut songer aux côtés, &, si l’on peut, commencer, le jour même, & pour le plus tard deux jours après, à jeter le béton pour les murs de côté ; ce qui suppose deux précautions qu’on doit avoir prises auparavant ; 1o . couvrir le fond de planches, afin que la terre ne se mêle point avec le béton, & ces planches doivent laisser entr’elles & les parois de la terre de côté, l’espace que doit occuper le mur des côtés ; 2o . avoir des planches d’une ou de plusieurs pièces, & aussi longues que les côtés, moins l’épaisseur des murs ; elles seront clouées sur des pièces de bois droites, de quatre pouces d’épaisseur, & plus, suivant la hauteur que devra avoir le mur. Enfin, quand on aura fait l’encaissement intérieur, puisque la terre des côtés forme l’encaissement extérieur, on remplira ce vide avec le béton, ainsi qu’il est dit au mot Béton. On sent bien que, malgré la force des pièces de bois, placée perpendiculairement pour soutenir les planches d’encaissement, ces bois devroient nécessairement s’écarter à cause de la pression du béton. On y remédie, 1o . en formant un assemblage général de ces pièces de bois, par des mortoises qui les lient par le haut & par le bas ; 2o . en les buttant & contre-buttant de part & d’autre, ainsi que la gravure le représentera au mot Cave. L’encaissement une fois fait, & bien assujetti, on coule le béton qui doit faire les murs de côté, & on a soin auparavant de bien nettoyer, de toute terre & autre ordure, la partie du béton du plancher qui doit porter les murs. Le même encadrage doit subsister sur les planches qui couvrent le béton du sol : sans cette précaution, celui des côtés presseroit sur le béton du fond, & il s’amonceleroit dans le milieu, au-lieu de rester dans son encaissement.

On aura à craindre ce refoulement, si le béton est trop noyé d’eau ; mais s’il est bien fait, c’est-à-dire, bien broyé, & d’une consistance que l’expérience seule apprend à connoître, on pourra couler la voûte de la citerne, ainsi que je l’ai dit, en parlant de celle d’une cave. (Voyez au mot Cave, la manière de construire cette voûte, Tome 2, page 608.) Si on veut éviter les dépenses qu’entraîne l’encaissement intérieur, ou noyau en bois, on peut ouvrir des tranchées, ainsi qu’il a été dit aussi au mot Cave ; & dans ce cas, après avoir enlevé le terrein qui faisoit le noyau, on bétonnera le fond, après avoir établi un fort corroi de glaise sur le sol.

La seconde manière de citerner utilement est de construire le fond, les côtés & la voûte en maçonnerie, dont le mortier sera moitié chaux, un quart sable fin & pur, & un quart pouzzolane. (Voyez ce mot) Cette terre volcanique n’est plus aussi rare en France qu’elle l’étoit autrefois, depuis qu’on sait que des volcans sans nombre ont calciné le sol d’une très-grande partie de nos provinces. La maçonnerie en pouzzolane s’exécute comme celle faite avec le mortier ordinaire ; mais l’ouvrier doit avoir grand soin que les pierres grosses & petites soient toutes bien noyées dans le mortier, & qu’il ne reste aucun vide entr’elles. Lorsque la citerne est finie, il ne s’agit plus que de recrépir les parois du mur par deux couches de ce mortier, données à huit jours de distance l’une de l’autre ; les bien unir, &, de temps à autre, repasser la truelle par-dessus, afin de boucher les petites gerçures, s’il s’en forme dans le mortier, en séchant.

Troisième manière de citerner. Si on ne peut se procurer de la pouzzolane, on bâtira en bonnes pierres avec le mortier ordinaire ; & à la place du sable, on substituera la brique, la tuile, pilées & passés à un tamis assez fin. Ce que l’on retirera du tamis, sera pilé de nouveau, afin qu’il ne reste aucun petit grain, surtout pour les trois couches de mortier, dont on doit revêtir la maçonnerie. Quelques auteurs conseillent de remplir d’eau cette citerne, afin d’examiner les endroits par où elle auroit pu fuir, de la vider ensuite, & de frotter tous ses parois avec du fort vinaigre. Je ne vois pas quel peut être son avantage. Il doit faire effervescence avec l’alcali de la chaux, (voyez Alcali) & des briques pilées, & décomposer la partie sur laquelle agit cette effervescence. Je préférerois passer une couche d’huile, lorsque le mortier est encore frais. Il absorbe cette huile, malgré l’eau qu’il contient, parce que cette eau étant très-alcaline, forme avec elle un savon, qui produit une espèce de vernis sur la couche extérieure ; alors ce vernis devient ïndissoluble & impénétrable à l’eau.

Quatrième manière de citerner, ou procédé de la cendrée de Tournai. On appelle cendrée une espèce de ciment composé de chaux & de cendres de charbon de terre. Ce ciment a la propriété de se consolider dans l’eau, & de devenir, après quelques années, plus dur que les pierres auxquelles il sert de liaison. Plus la pierre calcaire est pure, plus elle approche du marbre, & meilleure est la chaux. Ce qu’on va dire de la chaux de Tournai, s’applique à toutes les bonnes chaux calcinées par le charbon de terre.

On distingue trois qualités de-chaux, i°. la chaux & cendre, telle qu’on la retire du four ; 2°. la chaux pure, c’est-à-dire, la chaux séparée de la cendre ; 3°. la cendrée pure, qui n’est autre chose que la cendre du charbon de terre, mêlée d’une infinité de particules de chaux, extrêmement divisées par l’action du feu ; elle pèse un quart plus que la chaux pure. Il seroit bon d’essayer si la cendrée de la chaux calcinée au charbon de bois, ne produiroit pas le même effet : au moins je le pense.

C’est avec la cendrée pure que se fait le ciment pour bâtir contre l’eau. On commence par en mettre une demi-manne en un tas, que l’on ouvre ensuite, pour y jeter un peu d’eau, & éteindre les particules de chaux sans aucun mêlange.

Cette demi-manne étant éteinte, on en éteint encore une autre, que l’on entasse avec la première, & ainsi de suite, jusqu’à ce qu’il y en ait une quantité suffisante pour entretenir l’ouvrier pendant un jour & plus. On peut laisser reposer ce tas aussi longtemps qu’on veut, pendant l’été, sans aucun danger, & même la chaux se bonifie, pourvu qu’elle soit à l’ombre. Il n’en est pas de même en hiver, loin de se bonifier, elle se gâte.

La cendrée ainsi éteinte, on en remplit une auge de deux pieds en quarré, jusqu’aux deux tiers ou environ. Les bords sont élevés de neuf pouces, afin que la cendrée ne s’échappe pas en la battant. La quantité qu’on en peut mettre, est d’une demi-manne ; cette quantité se nomme battée.

Il est nécessaire d’écraser la cendrée, jusqu’à ce qu’elle fasse une pâte unie & douce au toucher, par la seule force du frottement, & sans y mettre que le peu d’eau nécessaire pour l’éteindre, & dont on a parlé.

Pour faciliter le travail de l’ouvrier, on place l’auge contre un mur, dans lequel on enfonce le bout d’une perche, dont l’extrémité opposée vient répondre au milieu de l’auge. L’on conçoit que sa situation doit être horizontale ; les manœuvres l’appellent reget.

On suspend au bout de cette perche une espèce de demoiselle, que les ouvriers nomment batte, avec laquelle on pile la cendrée. Cette demoiselle est de fer, ou de bois armé de fer, & a trois pieds de hauteur, sur deux pouces & demi à trois pouces de diamètre ; elle en a moins, lorsqu’elle est de fer. Sa forme est un cône, surmonté d’un anneau mobile, par où l’on passe une corde, par le moyen de laquelle, la demoiselle est suspendue au bout de la perche qui fait le ressort, comme celle dont se servent les tourneurs. Ainsi le manœuvre n’a d’autre peine, que d’appuyer la demoiselle sur le mortier, & de la conduire ; la perche ayant, par son élasticité, une force suffisante pour l’enlever par un mouvement contraire au sien. Il est aisé de sentir, par cette manœuvre, que l’auge doit être faite de pierre dure, & capable de résister à la chute, & aux coups réitérés de la demoiselle.

L’ouvrier a soin de ramasser, de temps en temps, le mortier avec une pelle au milieu de l’auge, dont le tour ne peut être que de bois, mais dont le fond doit nécessairement être de pierre. Il continue de piler chaque battée, pendant une demi-heure environ ; après quoi, il la retire de l’auge, & en fait un tas. Comme l’ouvrage est de onze heures de travail, hors le repas, en fait environ vingt battées dans un jour d’été.

Il ne suffit pas de battre ce ciment une première fois : on doit laisser reposer le tas, jusqu’à ce qu’il air atteint le dernier point de sécheresse, qui permet encore de rebattre la cendrée, sans y mettre d’eau, & au-delà duquel, elle deviendront si dure, qu’elle feroit une masse absolument intraitable & inutile.

L’usage seul peut apprendre quand il est temps de recommencer à battre un tas de cendrée. Comme cette matière est très-sujette aux influences de l’air, on doit se régler sur la température du froid ou du chaud. C’est beaucoup que d’attendre trois jours dans les grandes chaleurs du nord du royaume, & cet espace sera plus rapproché dans les provinces du midi. Dans une grande humidité, ce n’est pas trop de six.

L’on ne risque jamais rien de battre la cendrée aussi souvent, & aussi longtemps qu’on le veut, fut-ce pendant une année ; car plus elle est broyée & battue, mieux elle vaut : il y a cependant des bornes à ce travail.

En effet, à force de battre la cendrée, on la résout en une pâte qui devient toujours plus liquide ; & si l’on continuoit trop long-temps de suite, elle deviendroit au point de perdre son nerf, & une sorte de consistance qui lui est nécessaire pour être battue. C’est pourquoi l’on restreint le broiement de chaque battée à une demi-heure, après lequel temps on la laisse reposer deux ou trois jours : alors on la reprend pour la remettre au même état qu’elle étoit quand l’ouvrier l’a quittée.

Toutes les fois qu’on rebat la cendrée, l’économie veut qu’on le fasse toujours à propos, c’est-à-dire qu’on attende le moment qui précède immédiatement celui où il çommenceroit à être trop tard de le faire. Avec ces intervalles, il suffit de rebattre dix fois la cendrée, pour qu’elle acquière un degré de bonté, dont on doit se contenter ; au-lieu qu’en la rebattant coup sur coup, on recommencera plus de vingt fois, sans qu’elle soit meilleure que si on ne l’avoit rebattue que dix fois dans les temps convenables. Par ce moyen, les frais de main d’oeuvre, qui sont les plus considérables, se trouveroient doublés en pure perte.

La cendrée étant ainsi préparée, s’il survient un embarras qui empêche de l’employer, on ne doit pas discontinuer de la rebattre tous les trois jours, plus ou moins, suivant les saisons ; sans quoi elle se durciroit, & ne seroit propre à aucun usage.

En prenant ces mesures, un tas de cendrée peut se conserver pendant des années entières, mais on sent qu’alors l’excellence du mortier seroit trop achetée par la dépense & la sujétion du rebattage ; il peut cependant y avoir des cas où cette dépense est encore préférable à la perte d’un tas de cendrée dont la préparation a déjà coûté beaucoup de frais. Il faut en pareille circonstance la déposer dans un souterrein ou dans un endroit inaccessible aux rayons du soleil & à la chaleur : l’humidité qui y règne, s’insinue à travers les pores du mortier, l’entretient dans son état de pâte molle, qu’il conserve une fois plus longtemps que s’il étoit dans un lieu sec ; on est par conséquent obligé de rebattre la cendrée moitié moins souvent, ce qui diminue les frais dans la même proportion.

L’excès du froid & du chaud est également nuisible ; on remédie aux grandes chaleurs en recouvrant l’ouvrage d’une couche de terre glaise, de paillassons, de planches, &c. & en opposant aux rayons du soleil une épaisseur qu’ils ne puissent pénétrer. Il y a moins de remède pour la gelée qui détache la cendrée lorsqu’elle la saisit avant qu’elle ait pu sécher ; une saison tempérée, ou même humide, est celle qui convient le mieux : si la cendrée a le temps de sécher sans être atteinte de la gelée ou d’une chaleur excessive, elle devient inaltérable à l’une comme à l’autre, & le temps qui détruit tout, ne fait qu’augmenter sa solidité, en sorte qu’il est beaucoup plus aisé de pulvériser les pierres & les briques, que de la pulvériser elle-même.

La cendrée pourroit être consacrée à tous les usages auxquels on emploie les mortiers de sable & de chaux, mais surtout à la maçonnerie destinée à conserver l’eau, ou à empêcher qu’elle ne filtre de dehors en dedans. Quelques minutes après qu’elle a été appliquée, elle a la propriété merveilleuse de faire corps avec la pierre ; après quoi il n’y a nul inconvénient de lâcher l’eau contre l’ouvrage, pourvu qu’elle dorme comme dans un bassin.

Une muraille ainsi construite durera plusieurs siècles au milieu d’une rivière, sans qu’il soit à craindre que sa violence, quelque grande qu’elle soit, la fasse écrouler ni endommager, voilà pour la solidité ; mais pour empêcher que l’eau ne filtre, il faut bâtir ainsi qu’on va le dire.

Les briques doivent avoir huit pouces de longueur, quatre pouces de largeur, deux pouces d’épaisseur. Le plan d’une brique est sa surface considérée sur sa longueur & sur sa largeur ; le champ est la surface d’une brique considérée sur son épaisseur.

On pose une brique sur son plan, en sorte qu’elle présente en dehors, non pas le bout, mais le côté sur toute sa longueur : cette brique ainsi posée, commence à donner quatre pouces d’épaisseur à la muraille.

On plâtre, c’est-à-dire, qu’on applique sur le champ de la brique, une couche de cendrée de six lignes d’épaisseur, la brique étant sur son plan ; il est évident que cette couche doit avoir une situation horizontale.

Derrière cette première brique on en pose une seconde sur son champ, qui fait une épaisseur de deux pouces, & qui en donne par conséquent moitié moins à la muraille, que la brique posée sur son plan.

On continue ainsi, rang par rang, de telle sorte qu’une brique soit toujours posée de façon qu’elle coupe, autant qu’il est possible, le joint qui se trouve entre deux autres briques, & augmente le nombre des rangs de briques, suivant l’épaisseur qu’on veut donner à la maçonnerie ; mais si le mur a été bien fait, le parement de deux briques d’épaisseur, dont on a parlé, suffit.

On lie toutes ces briques par une couche de cendrée, épaisse de six lignes, plus ou moins, selon la forme régulière ou irrégulière qu’elles portent, étant absolument nécessaire qu’elles soient toutes placées horizontalement.

Palladius s’explique ainsi, sur la manière dont on doit faire les citernes : « On leur donnera telle dimension qu’on, jugera à propos, suivant ses facultés, pourvu qu’elles soient plus longues que larges, & on les clorra de murs construits en ouvrage de Signia. Le sol, à l’exception des égouts, sera consolidé par une bonne épaisseur de brocailles, sur laquelle on étendra, pour la régaler, un mortier de terre cuite qui tiendra lieu de pavé ; c’est-à-dire, fait avec la brique pilée ; on polira ensuite ce pavé avec tout le soin possible, jusqu’à ce qu’il soit devenu luisant, en le frottant continuellement avec du lard qu’on aura fait bouillir ; lorsqu’il sera bien sec, & qu’il ne restera plus d’humidité capable d’occasionner des crevasses en quelque endroit, on couvrira également les murailles d’une couche pareille, & lorsque le tout sera absolument sec depuis long-temps, on y fera entrer l’eau à demeure ; voici comme on réparera les crevasses & les cavités des citernes, des lacs & des puits, ainsi que les fentes des rochers à travers lesquelles l’eau pourroit s’écouler : prendre telle quantité qu’on le jugera à propos de poix liquide, à laquelle on ajoutera pareille quantité de graisse connue sous le nom d’axunge ou de suif ; on jettera le tout ensemble dans un vase, on le fera cuire jusqu’à ce que l’écume monte, après quoi on le retirera du feu. Quand ce mélange sera refroidi, on le saupoudrera de chaux très-menue, & on le brouillera bien pour n’en faire qu’un seul tout, dont on formera une espèce de pâte entre ses doigts ; on introduira cette pâte dans les endroits gâtés, & à travers lesquels l’eau s’écoulera, & après l’avoir pressée pour la rendre compacte, on la foulera bien. »

J’ai beaucoup insisté sur les différens procédés pour construire des citernes, afin de mettre les habitans de plusieurs de nos provinces dans le cas de choisir celui qui sera pour eux le plus facile & le moins coûteux à exécuter.

Si on connoissoit l’usage des citernes, par exemple, dans la plupart des cantons de la Normandie, on ne seroit pas dans le cas de manquer d’eau, ou d’être réduit à boire celle des mares toujours trouble, & souvent croupie pendant l’été ; ceux qui habitent les terreins marécageux, aquatiques, boivent sans cesse une eau dangereuse.

Les habitans d’une partie de la Bresse, de la Sologne &c. n’auroient pas la fièvre au moins pendant six mois de l’année, si leur eau étoit salubre. Combien de métairies situées aux bords de la mer n’ont qu’une eau saumâtre ; enfin, combien d’habitations, placées sur des lieux élevés, sont obligées d’aller au loin & à grands frais chercher une eau si nécessaire à la vie ! Les hollandois, les flamans-françois & autrichiens, au milieu de leurs marais, de leurs canaux, boivent une eau salubre, lorsqu’ils ont des citernes.

Ce n’est pas assez de considérer l’importance de la boisson pour ï’homme, il faut encore songer à celle des bestiaux ; ces animaux sont souvent forcés à aller chaque jour pendant l’été à une & même à deux lieues chercher l’eau croupie d’une mare ; & j’ai eu la douleur de voir des endroits ou l’on faisoit payer, chaque jour, deux sols par tête d’animal. Les citernes préviendroient ces inconvéniens, & fourniroient pendant toute l’année une boisson saine pour l’homme & pour les bestiaux.

On a longtemps agité cette question : l’eau de ta pluie est-elle salubre ? il valoit autant demander, si l’eau distillée étoit pure ? L’eau de pluie est une vraie eau distillée, sublimée par la chaleur, & soutenue en vapeurs dans les nuages qu’elles forment ; c’est la meilleure eau connue, la plus pure, la moins imprégnée de corps étrangers, & la plus saine pour la boisson.

Cette assertion mérite cependant des restrictions. La première pluie qui tombe après une sécheresse, pendant un orage, n’a pas les qualités bienfaisantes des eaux de pluie de l’hiver, du printemps & de la fin de l’automne ; non, parce qu’elles contiennent en elles-mêmes quelque chose d’impur, mais parce qu’en traversant l’atmosphère, elles entraînent & s’imprègnent des exhalaisons élevées de terre, suspendues dans cette atmosphère : de telles eaux ne doivent point être reçues dans les citernes. Il n’en est pas ainsi de celles qui succèdent à l’orage, parce que l'atmosphère est épurée, les toits des maisons sont lavés, & toutes les ordures accumulées dans les tuyaux, & les chanées de fer blanc sont entraînées. Le fauxbourg de Lyon, appellé de la Croix-Rousse, n’a d’autre eau pour boire que celle recueillie des toits & conduits dans les citernes ; cependant ce fauxbourg est composé de plus de six mille ames. Palladius dit en parlant des citernes : « L’eau du ciel est si préférable à toutes les autres pour servir de boisson, que quand on pourroit s’en procurer de courante, on ne devroit l’employer qu’aux savoirs & à la culture des jardins. Liv. 1, chap. 17. »

Il est inutile de garnir le fond des citernes avec du sable ; les vents y entraînent toujours un peu de poussière, quoiqu’on les tienne fermées : cette poussière se précipite, & forme un limon qui se mêle avec le sable, & avec l’eau lorsqu’elle est agitée par celle qui tombe. Il vaut mieux nettoyer plus souvent le fond de la citerne, & toutes les fois surtout qu’elle est à sec.

Il est prudent de ménager un dégorgeoir dans le haut de chaque citerne, & ce dégorgeoir doit répondre à Un puits perdu, ou à un chemin, &c., afin que si on n’a pas eu le temps ou la précaution de détourner les eaux lorsque la citerne est pleine, il n’arrive point d’inondation, point de dégât, &c.

Quelle grandeur doit avoir une citerne, pour fournir aux besoins d’une métairie ? Le nombre de personnes qui l’habitent, & le nombre de bestiaux à abreuver, doivent décider la question. Il vaut bien mieux qu’elle soit de beaucoup trop grande que trop juste pour les besoins, surtout dans les provinces oû il pleut rarement dans l’été, & ou l’on éprouve de fortes chaleurs, & souvent de grandes sécheresses. Voici le point de fait d’où l’on peut partir, afin de calculer le nombre de pieds cubes d’eau.

Il tombe par an, sur la surface de la terre, de dix-huit à vingt-deux pouces de hauteur d’eau. Les exceptions de cette loi générale sont fort rares.

Toute maison de quarante toises de superficie, couverte de toits, peut ramasser chaque année, 2160 pieds cubes d’eau, en prenant seulement dix-huit pouces pour la hauteur de ce qu’il en tombe, qui est la moindre hauteur que l’on observe communément. Ces 2160 pieds cubes, valent 75600 pintes d’eau, à raison de 35 pintes par pied. Si l’on divise donc ce nombre par les 365 jours de l’année, on trouvera 200 pintes par jour. On voit par-là que, quand il y auroit dans une maison comme celle qu’on suppose, vingt-cinq personnes, elles auroient chacune à dépenser par jour, 8 pintes d’eau. Tel est le calcul fait par M. de la Hire, inséré page 68, du volume de l’Académie des Sciences, année 1703.

Il n’existe point de métairie seulement de deux paires de labourage, dont les toits des bâtimens n’excèdent de beaucoup quarante toises de surface ; il est encore évident qu’une pareille métairie n’est jamais habitée par plus de six ou huit personnes, & que la seule eau de pluie est plus que suffisante pour la boisson des hommes & des animaux.

Il en coûte, il est vrai ; la construction d’une citerne est dispendieuse ; mais une fois faite, & bien faite, elle dure des siècles, sur-tout si elle est en béton. La conserve d’eau des romains existe encore à Lyon dans sa plus grande intégrité ; elle est formée par quatre rangs de piliers qui soutiennent la voûte ; on la voit dans la vigne des religieuses Ursulines de Saint-Just. Si on prend la peine de monter dans les vieux châteaux forts, construits sur la pointe d’un rocher, on trouvera, sous leurs ruines, de pareilles citernes, très-entières & remplies d’eau. Je pourrois citer vingt exemples de ce que j’avance. Si on se plaint de ne pas avoir d’eau, & d’eau salubre, c’est donc la faute des propriétaires.