Cours d’agriculture (Rozier)/ENTONNER, ENTONNOIR

La bibliothèque libre.
Hôtel Serpente (Tome quatrièmep. 233-234).


ENTONNER, ENTONNOIR. Le premier mot désigne l’action de verser de la bière, du vin, &c. dans un tonneau, & le second, l’instrument qui sert à cet usage. Les entonnoirs communs sont en fer blanc, & représentent des cônes renversés, terminés par une queue ou gouttière qui pénètre dans le vaisseau : ces instrumens sont nécessaires pour les besoins journaliers dans une cave, & pour les petites opérations : dans les celliers, il en faut de plus grands, de plus solides ; ils sont en bois & la douille en fer. Les entonnoirs qu’on va décrire seront représentés dans la gravure du mot Tonneau, ainsi que tous les instrumens nécessaires à la manipulation du vin.

Pour l’ordinaire, on creuse un billot de bois de la longueur de trente à trente-six pouces sur dix-huit à vingt pouces de largeur, & de six à dix pouces de hauteur. Quelques-uns le creusent quarrément du haut en bas, & d’autres arrondissent la partie inférieure, soit à l’intérieur, soit à l’extérieur ; enfin, ils pratiquent un trou dans le milieu par où passe la douille ; elle est formée par une feuille de tôle ou de fer battu ; sa queue est arrondie, traverse l’épaisseur du bois, l’excède de trois à quatre pouces ; sa partie supérieure est rabattue, repliée sur le bois, enfin assujettie par des clous, afin qu’elle se colle exactement sur le bois, & ne laisse pas échapper le vin.

Les entonnoirs faits en gondole doivent nécessairement avoir un rebord qui règne tout au tour de la partie intérieure & supérieure. Si le constructeur n’a pas la précaution de le conserver en creusant son billot, on perdra beaucoup de vin, car, pour peu qu’on en vide à la fois, la force de la chute, aidée par la courbure, pousse le fluide au-dehors.

Je préfère les entonnoirs coupés quarrément, soit à l’intérieur, soit à l’extérieur. Le fluide est moins sujet à passer sur les bords lorsqu’on le vide, & l’entonnoir placé sur le tonneau, l’est bien plus solidement que celui dont la base décrit un demi-cercle. Le premier touche, par tous ses points, la superficie du tonneau déjà ronde, tandis que deux corps courbés, mis l’un sur l’autre en sens contraire, n’ont qu’un seul point de contact.

Il est rare que ces entonnoirs ne laissent échapper le vin entre la douille & le bois. On a beau faire très-juste le trou par où elle passe, le bois en séchant prend de la retraite, & par conséquent le trou s’élargit ; mais la cause majeure provient de la mal-adresse & de la précipitation des valets lorsqu’ils placent l’entonnoir sur le tonneau ; souvent avant que la douille enfile le trou du bondon, elle frappe contre les bords de cette ouverture, ébranle les clous, comprime le bois ; enfin, disjoint plus ou moins cette douille. Le moyen de remédier à cet inconvénient, est de placer sous l’entonnoir, & d’y clouer une seconde douille dans laquelle la première doit entrer ; cette seconde supportera tout le poids de la mal-adresse des ouvriers, & celle de [intérieur ne recevra aucun dommage.

Les fabricans des entonnoirs à billot, choisissent de préférence les bois blancs ; ils sont plus aisés à creuser, à unir, & l’ouvrage fait plaisir à la vue. Ces bois sont sujets à se tourmenter, parce qu’ils passent successivement de l’humidité à la grande sécheresse ; dès-lors ils se gercent, ils se fendent ; on a beau ajouter coton sur coton pour boucher les gerçures, le vin répand toujours. Le propriétaire vigilant, plusieurs jours avant de se servir de ces entonnoirs, & lorsqu’ils sont dans le plus grand état de siccité, doit les faire garnir avec du coton ou de la filasse trempée dans du goudron très-chaud ; les brins se collent alors parfaitement les uns contre les autres, & ce calafat prévient la perte du vin. Ceux qui pourront se procurer un billot de châtaignier bien sain, commenceront par l’écorcer, & le tenir ensuite dans un lieu très-sec, au moins pendant deux à trois ans. Lorsque ce bois a acquis une grande siccité, c’est le cas alors de le débiter, de le travailler ; &c. on aura plus de peine, j’en conviens ; maison en sera amplement dédommagé par fa durée.

Une comporte, banne ou benne, (voyez Fig. 13 de la planche XVII page 608 du tome III), sert à former l’entonnoir de la seconde espèce ; avec cette différence cependant que le derrière est de six à huit pouces plus élevé que le devant, afin de retenir le vin lorsqu’on le vide en grande masse dans cet entonnoir : il est percé dans le milieu comme le précédent, & garni de fa douille.

La même comporte, garnie dans le milieu d’un vaste entonnoir de fer blanc, dont la partie la plus large est clouée sur le fond de la comporte, fournit la troisième espèce. Ce cône est criblé de trous par lesquels le vin s’écoule vers la douille, & de la douille dans le tonneau ; il sert à retenir dans le grand entonnoir les pépins, les grains de raisin, les écorces, les grappes, &c de manière que le vin est entonné entièrement dépouillé de tout corps étranger. Le haut du cône est ouvert & terminé par un tuyau de quatre à six pouces de hauteur, & dont le diamètre est un peu plus considérable que celui de la douille qui correspond à l’ouverture du tonneau ; ce tuyau reçoit un morceau de bois presque de son diamètre, un peu moins gros dans le bas & garni de filasse, de minière que, lorsque le tonneau est plein ou presque plein, on le laisse tomber à fond ; il bouche l’ouverture de la douille & retient le via dans L’entonnoir.

La convexité des tonneaux ne permet pas que les entonnoirs soient bien assis. On doit avoir des coins en bois d’une grandeur & d’une longueur proportionnée, que l’on glisse entre la partie supérieure du tonneau, & l’inférieure de L’entonnoir ; sans cette précaution on perd beaucoup de vin.