Cours d’agriculture (Rozier)/GENEVRIER

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Hôtel Serpente (Tome cinquièmep. 271-274).


GENEVRIER COMMUN. M. Tournefort le place dans la quatrième section de la dix-neuvième classe, qui comprend les arbres à fleur à chaton, dont les fleurs mâles sont séparées des fleurs femelles, & dont le fruit est une baie molle. Il l’appelle juniperus vulgaris fruticosa. M. von-Linné le nomme juniperus communis, & le classe dans la diœcie monadelphie.

Fleurs mâles & femelles sur des pieds différens ; les mâles en petits chatons coniques, à trois étamines réunies en un seul corps par leurs filets : les femelles composées de trois pistils, de trois pétales aigus, & d’un calice divisé en trois, posé sur le germe.

Fruit ; baie charnue, obronde couronnée de trois petites dents, ayant en-dessous trois petits tubercules, contenant trois semences ou petits noyaux durs, anguleux & oblongs.

Feuilles, adhérentes aux tiges, simples, étroites, aplaties, pointues, rangées trois à trois sur les tiges roides, droites & piquantes.

Racine, ligneuse, rameuse.

Port ; arbrisseau ordinairement en buisson, susceptible de s’élever en arbre, suivant le climat & le sol. Son écorce est blanche en dehors, rougeâtre en dedans ; le bois dur ; les fleurs rassemblées aux aisselles des branches, des feuilles ; les feuilles toujours vertes.

Lieu ; les terrains incultes, les collines sèches, arides ; fleurit en avril, mai ou juin, suivant le climat.

Propriétés médicales. La baie a une saveur âcre, un peu amère ; une odeur aromatique & douce, jetée sur les charbons allumés. Elle communique aux urines une odeur de violette. Les différentes parties de cette plante peuvent tenir lieu de thériaque aux habitans de la campagne. Les baies échauffent, altèrent, augmentent le cours des urines, souvent la transpiration insensible, donnent de l’activité à l’estomac pour digérer, & aux intestins affoiblis par des humeurs séreuses & pituiteuses. Elles conviennent dans la diarrhée séreuse, ou produite par foiblesse d’estomac.

En parfum, elle réveille le genre nerveux, & ce parfum est utile dans l’asthme humide, la toux catarrhale, la phthisie pulmonaire, essentielle & récente, & la phthisie pulmonaire par inflammation de poitrine.

On croit purifier le mauvais air d’un appartement en brûlant des baies de genièvre ; la fumée & leur odeur masquent & enveloppent le mauvais air sans le corriger. Il vaudroit mieux le renouveler en introduisant un courant d’air frais, &, si on ne le peut, faire bouillir les baies dans du bon vinaigre. L’acide du vinaigre décomposera les miasmes putrides de l’air, les précipitera, & la partie aromatique & volatile des baies, aromatisera le nouvel air.

On tire des baies une huile essentielle, très-échauffante, &, pour la donner, on l’unit avec du sucre, ainsi que l’huile essentielle retirée du bois. On peut se dispenser de les employer de même que le sel de genièvre, qui diffère peu de l’alcali du tartre dont il a les propriétés.

Lorsqu’un animal est affoibli par une longue maladie, ou par un pâturage trop humide, on lui donne une infusion de baies de genièvre dans du vin, du cidre, du poiré ou de la bierre.

L’extrait de genièvre échauffe, constipe & irrite plus que l’infusion des baies. C’est un très-bon stomachique dont on doit user avec circonspection, suivant l’âge & le tempérament du malade. Il devroit être la vraie thériaque des maréchaux, &, pour lui donner plus d’activité, ils peuvent, en faisant l’extrait, y unir les racines fraîches de la grande gentiane, ou ses racines sèches & réduites en poudre.

On donne, pour l’homme, les baies de genièvre desséchées, pulvérisées & tamisées, depuis six grains jusqu’à une drachme, incorporées avec un sirop, ou délayées dans six onces d’eau… Les baies sèches & concassées, depuis demi-drachme jusqu’à une once en macération au bain-marie dans huit onces d’eau ou de vin, suivant l’indication… Pour le bœuf & le cheval, l’infusion dans le vin ou dans l’eau, est depuis deux onces jusqu’à quatre dans trois livres de fluide ; l’extrait depuis une once jusqu’à trois, & pour la brebis, depuis demi-once jusqu’à une once… On vend dans le commerce l’extrait de genièvre ; il est rare qu’il soit bien fait, parce qu’on le pousse à un trop grand feu. (Consultez le mot Extrait, pour apprendre à le bien faire).

Lorsque le vin nouveau fermente dans la barrique, on y ajoute une assez forte dose de genièvre ; si on l’aiguise encore avec de la petite centaurée, il est, dit-on, très-bon dans l’hydropisie.

Propriétés économiques. On retire des baies mises à fermenter, une boisson dont le peuple de certains cantons fait usage faute d’autre, & on l’appelle genevrette. La préparation varie suivant les pays. Voici une recette consignée dans le Journal économique du mois de mai 1768… Prenez trois boisseaux, mesure de Paris, de graine de genièvre la plus noire, autant d’orge de mars, & deux livres de fruits sauvages cuits au four ; remplissez à moitié votre tonneau d’eau de rivière, ou de fontaine, ou de puits, si cette dernière cuit bien les légumes ; mettez l’orge dans un chaudron assez plein d’eau pour qu’elle surnage ; posez-le sur un grand feu ; faites-lui jeter deux ou trois bouillons pendant une minute ; retirez-le du feu, & y jetez le genièvre & les fruits cuits, pour verser le tout ensemble dans le tonneau par la bonde que vous fermerez bien pendant deux jours pour laisser infuser le tout. Après ce temps, vous verserez chaque jour un seau d’eau jusqu’à ce qu’il soit plein ; alors vous couvrirez simplement l’ouverture de la bonde sans la fermer hermétiquement, la liqueur fermentera ; quelques jours après elle bouillira, &, lorsqu’elle sera appaisée, vous pourrez vous en servir. À mesure qu’on tire du tonneau cette liqueur, on peut y ajouter de l’eau qui la perpétuera pendant plusieurs mois de suite.

M. Helvétius indique une méthode différente ; il double la dose de genièvre concassé, supprime l’orge & y substitue quatre poignées d’absinthe bien épluchée. Le tout jeté dans un tonneau plein d’eau, doit infuser dans un lieu frais ou dans une cave pendant un mois, pour devenir une boisson très-salutaire & plus durable, si on a soin d’y remettre autant d’eau chaque fois qu’on en retire de la liqueur.

Les baies contiennent une petite portion de mucilage sucré. De-là naît leur propriété fermentescible vineuse, puisque le seul mucilage sucré est susceptible de cette espèce de fermentation. (Voyez ce mot). D’après cette vérité aujourd’hui démontrée jusqu’à l’évidence, il est donc clair que, si l’on ajoute une substance sucrée à une autre substance qui l’est peu, comme la baie de genièvre, on augmentera sa vertu fermentescible vineuse, & on la rendra plus spiritueuse. C’est pourquoi l’auteur de la première méthode ajoute l’orge qui contient un principe sucré, & M. Helvétius double la dose des baies. Il vaut beaucoup mieux ajouter dix ou douze livres de miel commun, ou du sirop de mélasse, le tout bien délayé dans l’eau, & on aura après la fermentation, une liqueur beaucoup plus vineuse, spiritueuse & plus restaurante. L’augmentation de dépense est certainement de peu de valeur. Malgré l’addition que je propose, la liqueur ne se soutiendroit pas dans les chaleurs de l’été des pays chauds ; mais une telle ressource y devient inutile, attendu que le très-bon vin y est toujours à bas prix.

Dans les pays du nord, on distille beaucoup de graines, & l’eau-de-vie qu’on en retire a toujours un goût âcre, un goût de feu, &c. Pour les masquer, on ajoute des baies de genièvre à la liqueur qu’on veut distiller ; l’eau-de-vie en prend le goût, & on l’appelle eau-de-vie de genièvre.

Propriétés d’agrément. Le petit genévrier ou genévrier commun, peut servir à faire des haies, ou à garnir des massifs formés avec des plantes toujours vertes.

Il y a une variété de cette espèce de genévrier dont les rameaux sont droits, les feuilles plus larges & plus grandes que celles du premier, & que M. Tournefort appelle juniperus vulgaris arbor. Il est commun dans le nord & dans le midi de l’Europe ; son tronc est droit, son écorce rougeâtre, assez unie, quoique gercée ; ses branches latérales, grêles & tombantes. Ce port singulier lui mérite une place distinguée dans les bosquets d’hiver, où il figure d’une manière pittoresque. On peut encore en former des palissades de douze à quinze pieds de hauteur, en faire des cabinets de verdure. Cet arbre aime les terrains sablonneux & gras.

Dans les pays chauds, on retire de ce genévrier, & par incision, une résine nommée sandaraque, fort utile pour les vernis.


Genevrier Oxicèdre. C’est le juniperus oxycedrus de M. von-Linné, & le juniperus major, baccâ rufescente de M. Tournefort. On le nomme encore plus communément le cade, à cause de l’huile qu’on en retire, qui en conserve le nom. Cette espèce est commune dans nos provinces méridionales. Il diffère des précédens par sa baie grosse, rouge, d’un goût peu savoureux, & par les feuilles plus courtes que les baies. On distille son bois à la cornue, & on en retire l’huile de cade. Elle est noirâtre, fétide & caustique. Les maréchaux en font un grand usage pour les ulcères des animaux, & les bergers, dans le claveau & contre la gale des moutons. On dit que cette huile cautérise le nerf d’une dent creuse & cariée, & empêche de souffrir.


Genevrier Sabine, ou la Sabine. C’est le juniperus sabina de M. von-Linné, & sabina folio cupressi de M. Tournefort. Ses feuilles sont très-petites, droites, aiguës, se prolongent sur la tige, ressemblent à celles du cyprès, sont d’un beau vert & opposées. Cet arbrisseau s’élève peu : toute la plante a une odeur aromatique, forte & nauséabonde ; une saveur très-âcre & amère.

Les feuilles sont un des plus forts emménagogues ; elles échauffent considérablement, augmentent les forces vitales, causent des douleurs plus ou moins aiguës dans la région épigastrique, lorsque l’estomac est facile à irriter. C’est un remède qui exige beaucoup de prudence pour l’administrer intérieurement. Rarement on voit de bons effets de l’infusion des feuilles contre la gale, la teigne, quoique ce remède soit fort vanté, ni les feuilles réduites en poudre contre les ulcères fongueux & la carie des os. Il en est ainsi de tout ce que l’on a dit sur son eau distillée, sur son huile essentielle.

On trouve encore très-communément dans nos provinces méridionales le genevrier nommé par M. von-Linné juniperus phœnicea, & par M. Tournefort cedrus folio cupressi major fructu flavescente, & on l’appelle en Languedoc l’oxycèdre. Ses feuilles sont trois à trois, & quelquefois trois à quatre, & en recouvrement les unes sur les autres : la couleur des baies tire sur le jaune… Un autre genevrier nommé juniperus lycia par M. von-Linné, & cedrus folio cupressi media, majoribus baccis, par M. Tournefort. Ses feuilles sont trois à trois, & de tous côtés en recouvrement les unes sur les autres ; elles sont obtuses, ovales, & les baies sont très-grosses. L’Amérique, l’Asie & l’Afrique possèdent encore une nombreuse suite de genévriers ; celui qui porte l’encens, le genévrier ou cèdre des Bermudes, celui de Chine, de Virginie, &c. &c, dont on peut consulter les descriptions dans le grand Dictionnaire de Miller, dans les volumes de supplément de l’Encyclopédie.