Cours d’agriculture (Rozier)/LIGNE

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LIGNE, (Pêche, ) instrument composé d’une perche ou d’une forte baguette, d’un cordon et d’un hameçon amorcé. C’est du moins ce que l’on entend communément lorsqu’on parle d’une ligne propre à pêcher dans les eaux douces, courantes ou mortes, quoique, à bien dire, la ligne ne soit que la petite corde attachée d’un bout à la baguette, et tenant l’hameçon de l’autre. L’on dit donc assez généralement que l’on pêche à la ligne, quand on se sert de l’instrument dont je viens de désigner les trois parties principales. Quelques uns disent pêcher à la perche, à cause du manche de la ligne qui se fait souvent avec une perche longue et pliante ; et aussi pêcher à la canne, parce que ce manche est tantôt formé de roseaux ajustés les uns au bout des autres, et tantôt disposé de façon à servir de canne pour marcher.

La pêche à la ligne ne convient qu’aux gens oisifs, qui ne craignent ni l’ennui, ni la perte du temps. Les pêcheurs de profession, ceux qui attendent quelque profit de leurs occupations, usent de moyens moins lents et plus assurés. Cependant, comme cet exercice de patience sert d’amusement à quantité de personnes, je vais entrer dans quelques détails à son sujet.

On donne ordinairement dix à douze pieds de long au manche ou à la perche ; au reste, cette longueur se proportionne à l’étendue de la nappe d’eau où l’on se propose de pêcher, et à la hauteur de ses bords. La perche vaut mieux si elle est composée de deux pièces, l’intérieure, ou le bâton, qui n’est point flexible et qui est de sapin, de tremble ou de tout autre bois léger, et la supérieure, qui est pliante et légère, pour laquelle le coudrier est le meilleur bois que l’on puisse employer. Si la perche est d’une seule pièce, on la façonne avec le coudrier, le peuplier, le micocoulier, etc. Quand l’on se sert d’une canne, soit de roseau, soit de jonc, soit d’un des bois indiqués ci-dessus, on ajuste à son extrémité un beau jet de coudrier qui doit entrer par le gros bout dans l’intérieur, et jusque vers la moitié de la longueur de la canne. Ces deux pièces suffisent pour pêcher, et il est superflu d’en ajouter d’autres, ainsi que quelques personnes le veulent. Des houssines droites et déliées de houx, de charme, de pommier sauvage, de néflier, d’épine noire, ou de quelque autre bois qui plie sans rompre et se redresse de lui-même, forment, après avoir été dépouillées de leur écorce et séchées avec soin, les pièces du manche, lesquelles entrent dans le bâton creux comme dans un étui ; une baguette de baleine remplace souvent celle de bois.

Il vaut beaucoup mieux acheter les lignes toutes préparées, que de passer son temps à les mal faire. L’on en trouve de plusieurs sortes chez les marchands de filets ; et le magasin de M. Clavaux, rue Coquillière, à Paris, présente le plus bel assortiment en ce genre.

Le cordon qui pend au bout de la baguette et auquel l’hameçon est attaché, doit être de soie ou de crin, mais d’une de ces matières seules, sans les mêler ensemble. Les crins de cheval se choisissent bien ronds, nets, clairs, et autant qu’il est possible, de même grosseur et grandeur ; on les met tremper dans l’eau pendant une demi-heure, ensuite ou les retord également, sans trop les serrer, pour former toute la longueur de la ligne. Il est sensible que l’on doit ajouter plusieurs cordonnets les uns au bout des autres ; c’est un petit art que l’habitude seule peut enseigner. D’ailleurs, ceux qui font des lignes pour les vendre se servent d’une machine qui abrège beaucoup le travail.

La soie vernissée est plus forte que le crin. Pour donner le vernis aux fils de la soie, on les tord bien également, on les laisse dans cette situation, jusqu’à ce que le vernis soit bien sec.

Il est d’un usage commun de faire le cordon des lignes en diminuant de grosseur depuis le bout de la perche jusqu’à l’hameçon ; cependant, dans quelques endroits, l’on veut que ce cordon soit d’égale force depuis un bout jusqu’à l’autre.

Les couleurs dont on teint ordinairement les cordons de la ligne, sont le blanc ou le gris pour pêcher dans les eaux claires, et le vert-d’eau pour pêcher dans les eaux bourbeuses. Afin de se procurer cette dernière couleur, on fait bouillir dans une pinte d’eau d’alun, une poignée de fleurs de souci ; on met dans cette liqueur écumée une demi livre de vert-de gris en poudre, que l’on fait bouillir quelque temps ; enfin, on jette les cordons de ligne dans cette liqueur, et on les y laisse tremper pendant dix ou douze heures ; ils prennent un vert-d’eau bleuâtre qui ne se déteint point.

Au bout de la baguette ou verge qui doit soutenir la ligne ou cordonnet, et à laquelle on donne quelquefois le nom de sion, est une boucle pour attacher la ligne, que l’on passe ensuite dans un tuyau de plume, appelé plumeret ; on le couvre pour l’ordinaire de soie cirée ; un autre morceau de plume, servant de coin, s’introduit dans le premier pour fixer le plumeret sur la ligne à la distance convenable de son extrémité. Au lieu de plumeret, on se sert quelquefois, sur-tout pour les grosses lignes, d’un morceau de liège que le cordonnet et un bout de plume traversent. Ce liège se nomme flotte ; on lui donne tantôt une figure conique, tantôt une forme sphérique, souvent ce n’est qu’un bouchon de bouteille ; mais, de quelque forme que soit ce liège, il ne doit avoir que la grosseur nécessaire pour soutenir la ligne sur l’eau, autrement le poisson en seroit effrayé.

On fait encore passer le cordonnet, avant de l’attacher à la perche, dans un petit morceau de plomb laminé que l’on roule autour à environ six pouces au dessus de l’hameçon, pour le faire caler ; une balle fendue ou percée peut également servir ; il est seulement nécessaire d’observer que le poids du plomb soit précisément ce qu’il faut pour que la ligne gagne le fond de l’eau, et pour que l’effort le plus léger l’en détache ; par cette raison, le plomb doit être plus lourd dans les eaux courantes que dans les eaux stagnantes.

Pour les pêches dans lesquelles on fait sautiller l’hameçon à la surface de l’eau, il ne faut ni plomb ni flotte. La distance entre le liège, le plomb et l’hameçon, se règle sur la nature des poissons que l’on pêche ; pour quelques espèces, comme la carpe, l’hameçon doit traîner sur le fond ; pour d’autres, il doit être suspendu entre deux eaux. En général on le tient plus près de la surface de l’eau en été que pendant les froids.

La ligne se divise souvent en plusieurs ramifications, que l’on nomme empiles ; chacune est garnie d’hameçons. Les pêcheurs ne sont pas d’accord au sujet de la longueur à donner aux lignes : les uns veulent qu’elles soient fort longues ; d’autres ne leur donnent que la longueur de la perche ; d’autres prescrivent de faire la ligne d’environ sept à huit pouces plus courte que la perche, parce que, selon eux, on a plus de force pour enlever le poisson qui a mordu, et que l’on voit mieux si l’hameçon est toujours couvert de son appât.

La pièce principale de l’instrument de pêche qui fait le sujet de cet article, celui dont dépend en plus grande partie le succès de la pêche, est l’hameçon, hain ou ain ; c’est une espèce de crochet de fer, plus ou moins grand, dont l’extrémité qui retient l’appât est fait en dard, et l’autre se termine par un anneau ou par un aplatissement. La courbure, la grandeur et la force des hameçons, varient suivant l’idée du pêcheur, et la grandeur de l’appât et du poisson. L’objet le plus important, dans le choix de ces instrumens, c’est que leur pointe, ainsi que celle du barbillon, soient aiguës, et que l’extrémité du barbillon soit bien détachée de la tige ; il y en a qui ont double croc ; on s’en sert pour la pêche du brochet. Afin que les hameçons soient garantis de la rouille, on les couvre d’étamage.

De tous les hameçons, les plus petits servent à la pêche des ables ou ablettes ; viennent ensuite, dans l’ordre de grandeur, les hameçons pour les goujons, pour les petits gardons ou rosses ; pour ces mêmes poissons de moyenne taille ; pour les plus gros, et pour les autres poissons de même grandeur ; pour les anguilles ; enfin, pour les brochets.

La manière d’empiler l’hameçon, c’est-à-dire, de l’attacher à la ligne, varie selon la forme de la tête de l’instrument ; si elle est terminée par un anneau, comme celle des plus petits hameçons, on passe deux fois dans cet anneau le bout de la ligne ; on le couche sur le corps de l’hameçon et on l’y joint par plusieurs tours de soie cirée ; ensuite on le relève vers l’anneau, on continue les révolutions du fil de soie, et on en arrête le bout avec une aiguille un peu grosse, enfilée de soie ; on l’engage dans les révolutions que l’on a faites, et que l’on serre l’une après l’autre. Si, au contraire, la tête de l’hameçon est plate, on l’applique contre le bout de la ligne, et on l’arrête par une ligature formée de plusieurs tours de soie cirée et assurée par plusieurs nœuds. Quand on veut pêcher des brochets, l’empile qui surmonte de beaucoup la tête de l’hameçon pour se joindre à l’extrémité de la ligne, se fait avec du laiton, pour l’empêcher d’être coupée par les dents fortes et aiguës de ces animaux.

Toutes ces choses disposées, il ne reste plus au pêcheur à la ligne que d’amorcer ses hameçons ; il pique les petits insectes et les vers de terre en travers, les gros vers du fumier en long, en faisant entrer la pointe de l’hameçon du côté de la queue, et la faisant sortir près de la tête ; les petits poissons par la ouche jusqu’aux ouïes, ou par le dessous de l’ouïe jusqu’à la bouche, ou par la bouche jusqu’au bas du ventre, et alors on est dispensé de les lier à la ligne ; les grenouilles par le cou, en conduisant la tige de l’hameçon entre la peau et la chair, le long de l’épine du dos. Cette dernière amorce ne convient que pour les poissons très-voraces.

Quand on se sert de petits poissons pour appât, il est important de les conserver en vie aussi long-temps qu’il est possible. C’est en effet par leurs mouvemens qu’ils trompent et attirent leurs semblables ; aussi les pêcheurs industrieux ont-ils imaginé divers moyens plus ou moins compliquée, mais également barbares, de prolonger les souffrances des petits poissons fixés sur l’instrument de leur supplice, et de retarder le moment de leur mort. Les uns passent un fil de métal, qui doit servir d’aiguille, pour conduire l’hameçon par une petite incision qu’ils font entre la tête et la nageoire dorsale du poisson ; ils le conduisent entre la peau et les vertèbres, et le font sortir un peu au dessus de la queue ; puis ils retirent ce fil, de sorte que la tige de l’hameçon se trouve sous la peau, ou ils l’assujettissent par une ligature de fil ou de soie. Les autres conseillent de mettre, entre les deux crochets d’un hameçon double, un fil de laiton qui porte un petit morceau de plomb ovale, que l’on introduit dans la bouche du poisson destiné à servir d’appât ; on coud ensuite la bouche afin que le plomb n’en sorte pas ; et la malheureuse victime qui n’a pas reçu de blessures graves, peut s’agiter long-temps avant de succomber à la douleur et à l’impossibilité de prendre de la nourriture. Quelques uns, enfin, se contentent de lui couper une des nageoires des ouïes ; alors ne pouvant nager que d’un seul côté, il ne fait que pirouetter, et ce frétillement engage les poissons voraces à approcher et à se jeter sur une proie qui leur devient funeste.

Si l’on peut s’en rapporter aux assertions de quelques pêcheurs, recueillies par quelques écrivains, il existe des moyens d’engager les poissons à mordre plus tôt aux appâts dont les lignes sont amorcées. Je vais livrer les plus vantés de ces procédés à l’expérience des amateurs de la pêche :

1°. Un très-petit morceau d’écarlate trempé dans l’huile de pétrole et placé près de l’appât.

2°. Les achées ou toute autre amorce conservées dans une boîte frottée de miel.

3°. L’huile de héron, que l’on compose comme il suit : hachez et pilez menu de la chair de héron, mettez-la dans une bouteille que vous enterrez dans du fumier chaud ; il faut que cette bouteille soit à large col et bouchée exactement. Au bout de quinze ou vingt jours, la chair se décompose en se putréfiant, et forme une espèce d’huile que vous conservez dans une bouteille bien fermée. Quand vous voulez vous servir de cette huile, mêlez-en une petite quantité avec de la mie du plus beau pain, de la graine ou du tourteau de chènevis écrasés, du miel et un peu de musc ; formez du tout des boulettes grosses comme des fèves. On prétend que tous les poissons, particulièrement les carpes, sont très friands de cette composition.

4°. La moelle tirée des os du héron.

5°. Une pâte formée avec une livre de pain ou tourteau de chènevis, deux onces de momie, autant de saindoux, d’huile de héron et de miel, une livre de mie de pain blanc rassis, et quatre grains de musc. Si, lorsque tous ces ingrédient seront mêlés, et pétris ensemble, vous trouvez que la masse qui en résulte n’a pas assez de consistance, ajoutez-y du pain de chènevis ; servez-vous de boulettes de cette pâte pour mettre au bout de la ligne, tout autour de l’hameçon.

6o . Des boulettes semblables faites avec de la chair de lapin ou de chat, pilée dans un mortier, et mêlée avec de la farine, du sucre ou du miel, et un peu de laine blanche hachée.

7o . Le sang de mouton coagulé et coupé par morceaux.

8o . Des grains du plus beau blé, bouillis dans du lait et cuits à petit feu, avec du miel et un peu de safran délayé dans du lait.

9o . Des œufs de poissons, un peu durcis sur une tuile chaude, ou conservés dans un pot sur une couche de laine et saupoudrés de sel.

Indépendamment de ces appâts dont les lignes sont amorcées ou garnies, il en est d’autres que l’on peut regarder connue des préparatifs disposés pour assurer le succès de la pêche ; on les appelle appâts de fond, parce qu’ils descendent au fond de l’eau, quand on les jette à l’avance dans les endroits où l’on se propose de pêcher à la ligne. On choisit pour cela les substances que les poissons recherchent avec le plus d’avidité, Telles sont les différentes espèces de grains, mises dans un panier, de grosses fèves cuites à demi, la mie de pain mâchée, et mêlée avec du miel et une petite dose d’assa-fœtida, les vers hachés, la courge, particulièrement pour attirer les carpes, le fumier de vache, le son mêlé à du sang, les entrailles des animaux, etc. etc.

Les lieux les plus convenables pour la pêche à la ligne, dans les rivières ou les étangs, sont ceux qui sont d’une profondeur assez considérable, dont le fond est uni et libre de tout embarras, et dont les bords sont en pente douce. Quand on y a jeté la ligne, il faut rester immobile et en silence ; le bruit le plus léger, de même que les mouvemens du pêcheur, épouvantent le poisson et le font fuir. L’œil ne doit pas quitter le liège dont les secousses indiquent que le poisson a mordu à l’hameçon. Dès que l’on s’en apperçoit, on ne doit pas se presser de relever la ligne, afin de donner au poisson le temps d’avaler l’appât. Quand on voit qu’il entraîne le liège, l’on observe de quel côté il paroît aller, et l’on tire la ligne en arrière pour ne pas faire sortir l’hameçon de la bouche. Si ce sont de gros poissons qui ont mordu, ils se tourmentent, et loin de se presser de chercher à les tirer de l’eau, il faut leur lâcher la ligue peu à peu, les laisser aller de côté et d’autre jusqu’à ce que, fatigués, ils ne présentent plus de résistance ; alors on les amène doucement sur le bord, ce qui demande de la part du pêcheur beaucoup de précautions et d’adresse.

On appelle ligne dormante ou ligne de fond à tendre, une petite corde sur laquelle on attache, de distance en distance, plusieurs empiles garnies de leurs hameçons. On arrête un bout de cette corde à un pieu planté au bord de l’eau ; et l’autre à une pierre que l’on jette dans l’eau aussi loin qu’il est possible ; ou bien on fixe la ligne à deux piquets enfoncés au milieu de l’eau, mais toujours de manière qu’elle soit en travers du courant. On la place ordinairement le soir, et on la retire le matin. Voyez au mot Anguille. (S.)