Cours d’agriculture (Rozier)/MONTREUIL

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Hôtel Serpente (Tome sixièmep. 577-578).


MONTREUIL. Village situé à une lieue environ de Paris, au-dessus de la barrière du fauxbourg Saint-Antoine. Nous ne citons dans ce Dictionnaire ce canton, que parce qu’il est rempli de jardins où on cultive, avec le plus grand succès, les arbres fruitiers, & qu’il seroit à désirer que tous les jardiniers qui se destinent à la même branche d’économie, y eussent fait, avant de suivre cette culture, un apprentissage de quelques années. Ces superbes jardins, où l’on rencontre à chaque pas des phénomènes de culture, méritent d’être visités par les curieux, par les gens qui savent apprécier les beautés de la nature ; ils y doivent aller admirer des espaliers couverts de fruits monstrueux, & coloriés le plus agréablement : les étrangers y apprendront ce que peut l’industrie, soutenue pendant de longues années, contre les intempéries d’un climat froid, & dans une terre que le soleil réchauffe si rarement de ses rayons bienfaisans.

On cultive principalement à Montreuil des pêchers, & c’est sur-tout pour cet arbre que ce village est renommé, comme Montmorency l’a été pour sa belle espèce de cerise. La culture des pêchers est cependant plus en vigueur à Montreuil que celle des cerisiers ne l’est à Montmorency, où on l’a presque tout-à-fait abandonnée. À la vérité on cultive moins de pêchers à Montreuil qu’on ne faisoit autrefois, parce que ces arbres y sont sujets à être détruits par des insectes, & que les plantations qu’on a faites du côté de Vincennes ou de Bagnolet ne sont point sujettes au même inconvénient ; peut-être la nature différente de la terre, ou du moins les terreins dans lesquels on n’avoit jamais planté d’arbres fruitiers, favorisent moins la production de ces insectes destructeurs, que les terres qui sont déjà épuisées par une longue culture.

Les expositions des espaliers sont très-variées à Montreuil, & l’art de disposer des murs pour recevoir les rayons du soleil à différentes heures du jour y est très-étudié. Sur un espalier le soleil paroît à sept heures du matin, sur un autre à huit, à neuf ou à dix heures seulement. Les murs qui reçoivent le soleil à sept heures & demi du matin sont les plus favorables à la culture des pêchers, parce qu’ils sont éclairés plus long-temps que les autres. Ces différentes expositions sont causes qu’on a des fruits murs à différentes époques, même à de très-éloignées les unes des autres.

Les arbres bien abrités, plantés dans plusieurs pieds de bonne terre neuve, qu’on a le soin d’élaguer, d’émonder, de laver, de couvrir pendant les temps froids ou dans les brouillards, ces arbres, dis-je, ainsi traités, végètent avec force, ils se plient sous la main du cultivateur, ils prennent toutes les formes qu’il veut leur donner, & un seul offre quelquefois une tapisserie de plus de soixante-dix pieds de long. La quantité prodigieuse de fruits dont ces arbres se chargent, paye abondamment la peine & les dépenses qu’on a faites. Ces sortes de jardins ne sont bien placés que dans le voisinage d’une grande ville, d’une capitale, où les gens riches achettent à grand prix les primeurs ou les fruits très-beaux : c’est ainsi que le luxe & les vices des villes tournent à l’avantage des campagnes.

Depuis cent quatre-vingts ans environ, le village de Montreuil jouit du précieux avantage de fournir la capitale des plus beaux & des meilleurs fruits. On voit dans ce village des pêchers plantés à la fin du dernier siècle, & qui sont encore d’une grande beauté ; c’est-là qu’on trouve des jardiniers formés par l’expérience, & qui ont forcé la nature à leur révéler son secret ; c’est-là qu’on trouve les plus excellens physiciens en ce genre, sans s’en douter ; en un mot, les vrais & les seuls maîtres de l’art dignes de ce nom. Cependant la science n’est plus aujourd’hui uniquement circonscrite dans Montreuil ; Bagnolet & quelques villages voisins, ont établi une heureuse concurrence, & on doit espérer que l’art gagnera peu à peu de proche en proche, & qu’à la fin la méthode meurtrière de tailler les arbres, ne sera plus que le partage du jardinier qui ne voudra, ou qui ne saura pas voir. La réputation de ces villages a engagé plusieurs riches propriétaires à y envoyer des élèves. Si, avec des dispositions, ils ont resté sous un bon maître pendant deux ou trois ans, il est certain qu’ils doivent en revenir bien instruits. Les noms de Girardot, ancien mousquetaire, qui se retira à Bagnolet, & celui de Pepin à Montreuil, y seront immortels, & celui de M. l’abbé Royer de Schabol aura le même honneur, parce qu’il a perfectionné & réduit en principes la méthode de la taille & la conduite des arbres, établie par les deux premiers.