Cours d’agriculture (Rozier)/MOTTE (planter en)

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Hôtel Serpente (Tome sixièmep. 611-613).


Motte (Planter En). Opération par laquelle on ouvre un fossé à une certaine distance de l’arbre, & tout autour, afin de lui conserver le plus grand nombre de racines qu’il est possible ; ensuite, lorsque le fossé est à une profondeur plus basse que celles des racines, on cerne la terre par dessous, & on enlève l’arbre avec la terre qui est attachée aux racines. Cette manière de travailler, réussit assez bien lorsque la terre est forte & tenace ; mais ordinairement c’est une peine & de l’argent perdus, lorsque le sol est meuble & léger, parce qu’il se détache de lui-même à la moindre secousse. Pour donner plus d’adhésion à cette terre, on fera très-bien d’arroser largement le pied de l’arbre plusieurs jours à l’avance avec de l’eau de fumier ; elle donne du nerf à la terre.

Presque toujours la tranchée est trop rapprochée du tronc, tandis qu’au contraire elle devroit en être très-éloignée. Plus elle est près, & plus on est forcé de mutiler un grand nombre de racines, c’est cependant de leur longueur & du nombre de leurs chevelus, que dépend la prospérité de l’arbre. Le propriétaire intelligent veillera à ce que l’ouvrier les ménage, ainsi que les chevelus. C’est, il est vrai, augmenter la longueur du travail ; mais, en même temps, c’est conserver le bien être de l’arbre & ses ressources pour la végétation. En général les jardiniers & tous les hommes à routines blâmeront cette méthode. Cependant, pour désiller leurs yeux, je les invite à planter deux arbres, l’un dont, suivant leur coutume, ils auront rigoureusement coupé toutes les racines qui excèdent la motte de terre, & l’autre dont ils auront ménagé avec beaucoup de soin les racines & les chevelus qui l’excédent. Dans ce dernier cas l’arbre prospérera, & dans le premier, on le verra souvent périr après la seconde ou troisième année, parce que les nouvelles racines que l’arbre pousse ne sont pas assez fortes pour pénétrer dans la terre de la circonférence de l’ancien trou. J’ai vu des arbres sur lesquels cette circonférence avoit produit le même effet que celle d’un vase sur les racines de la plante ou de l’arbuste qu’il contient, c’est-à-dire, que les nouvelles racines en faisoient tout le tour.

Il est encore à remarquer, que dans les terres fortes, & sur-tout dans les provinces méridionales, la terre se gerce pendant les sécheresses de l’été, & se fend sur-tout, & dans toute sa profondeur, & précisément dans l’endroit de la circonférence du trou ; alors les racines sont à l’air, & l’arbre périt. On objectera qu’on peut faire travailler le dessus de cette terre, l’arroser & faire disparoître les gerçures. J’en conviens, lorsqu’il s’agit simplement d’un jardin, où l’on a tout sous la main ; mais en est-il de même pour les grandes plantations ? Il y a trois ans que j’ai fait planter une allée de marronniers-d’Inde, & malgré mes soins & les arrosemens que j’ai fait faire, à peine la terre du trou & celle de la circonférence commencent-elles à faire corps. Je n’ai pas trouvé de meilleur moyen pour prévenir ces gerçures, que de couvrir la terre du trou, & un peu de celle de la circonférence, avec la baie du bled ; elle empêche l’évaporation après l’arrosement, & prévient les nouvelles gerçures. Le point essentiel, après qu’on a planté un arbre en motte, est de faire piocher une certaine étendue du terrein de la circonférence près de celui de la fosse, & opérer de même chaque fois que l’on travaille le pied de l’arbre. Avec de tels soins, de telles précautions, on peut planter de très-gros arbres ; mais, je le répète, il faut n’être avare ni du temps, ni de la dépense, & voir manœuvrer sous ses yeux. Si on s’en rapporte à son jardinier, ou aux ouvriers, c’est une opération manquée.

On plante en motte les arbres ou arbustes, ou plaines semées dans des pots. Le premier soin est de les arroser quelques jours d’avance, de renverser ensuite le pot, de le rouler un peu & par petites secousses, de passer la main gauche & les doigts étendus entre la plante & la terre supérieure, afin de les contenir ; enfin, avec la main droite, on soulève le pied du pot, & l’on fait glisser en avant sur la main gauche & la terre & la plante. Si le vase est considérable on se fait aider. On voit ordinairement tout autour de la forme de terre une multitude de petites racines capillaires & blanches, que les jardiniers appèlent perruque, parce qu’en effet ces racines sont entrelacées & semblent former un réseau contigu comme les tresses d’une perruque. Ils ont grand soin de les couper, de les détruire, & ils s’imaginent en savoir plus que la nature. Je leur dirai : commencez à faire une fosse beaucoup plus grande que le volume de terre que vous venez de tirer du pot ; placez au milieu de cette fosse la motte ; détachez-en doucement ces racines blanches ; étendez-les en tout sens dans le fond de la fosse ; couvrez-les avec de la terre meuble ; enfin, finissez de combler la fosse avec la terre que vous en avez tirée, ou avec de la meilleure si vous en avez.