Cours d’agriculture (Rozier)/SCARIFICATION

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Hôtel Serpente (Tome neuvièmep. 135-137).


SCARIFICATION, opération chirurgicale qui s’exécute avec un instrument tranchant, au moyen duquel on incise la peau, les tégumens, &c. Une semblable opération est pratiquée dans la conduite des arbres. Pline en parle dans le dix-septième livre de son Histoire naturelle. Je ne terminerai pas ce chapitre, dit cet ancien, sans avoir indiqué un remède concernant les arbres, qui consiste à les scarifier… Priscien en avoit parlé avant lui. « Lorsque leur écorce, amaigrie par la maladie, vient à se resserrer, & qu’elle comprime excessivement l’intérieur de l’arbre, on y fait de longues incisions du haut en bas, en tenant la serpette avec les deux mains, afin de la mieux conduire ; par ce moyen on relâche en quelque façon cette écorce ; & ce qui montre que cette pratique est salutaire à l’arbre, c’est que les incisions s’élargissent, & qu’ensuite le bois de l’arbre, ne trouvant plus en ces endroits d’obstacle à son accroissement, les remplit & les incarne[1] ».

» Au reste, le traitement des maladies des arbres est semblable en grande partie à celui des maladies des hommes ; car, comme l’on perce les os cariés des hommes avec une tarière, de même aussi perce-t-on ceux des arbres, ou, ce qui revient au même, on perce leur partie la plus dure. Ainsi on adoucit un amendier amer, si, après avoir bêché la terre tout-à-l’entour, on le perce vers le pied, & qu’on essuyé bien l’humeur qui en sortira.

» De même lorsqu’un orme est vieux, ou qu’on voit qu’il prend trop de nourriture, on le décharge de son humeur superflue, en le perçant à fleur de terre jusqu’à la moelle,[2] Lorsque des arbres fruitiers bourgeonnent, sans porter du fruit, on les rend fertiles en fendant leurs racines & insérant une pierre dans la fente. On évacue pareillement le suc trop abondant qui gonfle l’écorce des figuiers, en y faisant de légères incisions obliques, & par ce moyen on empêche que les figues ne tombent. On fend même les amandiers pour les rendre fertiles ; nuis on met dans la fente de ceux-ci un coin de chêne rouge, qu’on y fait entrer de force. Les coins que l’on met dans les poiriers & les cormiers sont de bois de teda ou torche-pin, & on rechausse tous ces arbres avec de la terre mêlée de cendres. Quand une vigne ou un figuier poussent une trop grande quantité de bois, il faut sacrifier les racines même tout à l’entour, & mettre de la cendre sur les incisions.[3] »

M. Roger de Schabol, dans son ouvrage intitulé Théorie du jardinage, s’exprime ainsi : Scarification, terme de chirurgie, par nous adapté au jardinage. Cette opération est pour les arbres la même que pour les humains. Un arbre pousse à outrance, il fleurit toujours & ne porte jamais ; scarifiez-le & lui laissez tout son bois durant une année, sans le tailler nullement ; à coup sûr il rapportera la même année de l’opération.[4]

Avec le tranchant de la serpette vous incisez transversalement du bas en haut toutes les branches jusqu’à la partie ligneuse, en faisant une espèce de hoche, en coulant la serpette en dessous & la couchant par conséquent. Vous faites de semblables incision ; dans tous les sens, par devant, par derrière, & des deux côtés. La distance d’une incision à l’autre doit être depuis 7, 8 ou 9 pouces jusqu’à un pied. Si l’on faisoit les incisions du haut vers le bas, elles ne tarderoient pas à se fermer, & toujours la séve reprendroit son même cours ; mais ces incisions étant faites en dessous, il faut absolument que cette séve soit retardée dans son cours, qu’elle n’arrive que difficilement & par menues parcelles, & par ce moyen elle est de toute nécessité élaborée, cuite & digérée. On fait cette opération en mars.


  1. Note de l’Éditeur. Je respecte infiniment l’autorité de Pline, cependant je ne puis être de son avis. Si l’écorce est entièrement desséchée d’un côté ou par places d’un même côté, comme cela arrive assez souvent après un coup de soleil, il vaut beaucoup mieux enlever avec la serpette cette écorce desséchée, & recouvrir la plaie avec l’onguent de Saint-Fiacre ; alors une écorce nouvelle s’incarnera, pour me servir de l’expression du Traducteur de Pline, & recouvrira la plaie. Si l’écorce n’est simplement que flétrie, si le mouvement de la séve n’est pas intercepté, l’onguent de Saint-Fiacre produira encore un bon effet ; peu-à-peu, sous cette enveloppe, l’écorce reprendra sa vigueur, les fibres du bois se rétabliront, & on supprimera l’emplâtre. Lorsque l’on a fait les incisions dont parle Pline, on oblige la séve à se porter pendant long-temps & à circuler dans la partie opposée à la scarification, & la partie scarifiée, quoique recouverte par la nouvelle écorce, ne prend jamais la même rondeur que l’autre ; la cicatrice paroît à perpétuité.
  2. J’ai fait cette expérience sur un amandier, elle n’a pas réussi ; l’arbre manqua à périr par la quantité de gomme qui suinta & se rassembla autour de la plaie. Y auroit-il une saison propre à la réussite de cette opération, ou bien tiendroit-elle au climat ? Je ne crois ni l’un, ni l’autre… Si l’orme est vieux, pourquoi accélérer son dépérissement ; s’il est plein de séve, n’existe-t-il pas d’autres moyens plus simples & moins meurtriers pour la modérer : c’est ce qu’on examinera dans une autre note.
  3. Toutes ces pratiques & plusieurs autres semblables, que je passe sous silence, prouvent tout au plus que du temps de Théophraste, de Columelle, de Pline, &c., les connoissances sur la physique des arbres n’étoient pas encore bien étendues.
  4. Personne ne respecte plus que moi les décisions de ce grand-homme ; c’est à ses écrits que l’on doit la révolution heureuse qui commence à s’opérer dans la taille des arbres ; ce n’est pas par défaut de lumières qu’il a été entraîné à prescrire une semblable opération, mais bien plutôt par l’habitude d’un ancien préjugé. Comment sans cela auroit-il été possible que lui, qui a si bien démontré la manière de modérer la séve en inclinant les branches, n’ait pas préféré cette méthode simple aux scarifications. Dans ces cas d’emportement de séve, qui empêche les fruits de nouer, que les arbres soient à plein-vent, en espalier ou en buisson, couchez les branches, les bourgeons de l’année précédente, & ils se mettront à fruit ; que le nombre de ces bourgeons, couchés horizontalement, soit proportionné à l’abondance de la sève ; couchez, inclinez sur-tout tous ceux du sommet au lieu de les tailler, & l’abondance de séve se portera & se consumera à donner du fruit : cette surabondance ne se manifeste, pour l’ordinaire, que sur ceux dont on retranche trop de bois à la taille. N’y touchez pas pendant une année, comme le dit M. de Schabol, & supprimez tous les canaux directs de la sève, & elle ne s’emportera plus.