Cours d’agriculture (Rozier)/SQUIRRHE

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Hôtel Serpente (Tome neuvièmep. 285-289).


SQUIRRHE. Médecine rurale. Ce mot dérive du grec skirros, qui signifie un morceau de marbre. On s’est donc servi de ce nom pour définir une tumeur dure, rénitente, exempte de tout sentiment de douleur, & qui ne change point la couleur naturelle de la partie qu’elle occupe. Le Squirrhe établit son siège sur toutes les parties molles, & particulièrement sur les glandes : rarement on l’observe dans les muscles & dans les intestins : les glandes conglomérées en sont plus souvent attaquées : l’observation journalière nous en démontre l’existence dans le foye, la rate & le pancreas, & dans les autres glandes qui séparent quelque humeur récrémentitielle, Ou excrémentitielle.

Le Squirrhe est parfait ou imparfait : la définition que nous avons déjà donnée, caractérise le premier : le second est celui qui n’a pas une rénitence parfaite, qui conserve encore quelque sentiment, quoique sans chaleur & sans altération dans la couleur. Il dégénère quelquefois en cancer, tout comme aussi il est souvent compliqué avec le phlegmon ou avec l’érésipèle.

Le Squirhe interne n’est pas toujours aisé à connoître ; on en a souvent trouvé dans les cadavres, dans lesquels on ne l’avoit jamais soupçonné. Cependant, lorsque cette tumeur a acquis un certain degré d’accroissement, son volume, sa dureté & son insensibilité doivent beaucoup nous rassurer sur son existence.

L’épaississement de la lymphe, & celui des humeurs excrémentitielles, Ou récrémentitielles, est la vraie cause du squirrhe : mais cet épaississement est subordonné à une infinité d’autres cause : dans cette dernière classe on doit y comprendre l’usage des alimens grossiers, & de difficile digestion, & celui des acides. L’oisiveté, une vie molle & sédentaire, le grand froid, l’exposition à un air trop humide, le séjour dans une région marécageuse, ou avoisinant de gros fleuves, les noirs chagrins, la mélancolie, la disette, les virus scorbutiques, écrouelleux ou vérolique, sont à la vérité, autant de causes générales qui agissent également sur toutes les parties ; mais elles agissent ensuite plus particulièrement dans tel ou tel autre viscère en particulier, selon les circonstances. C’est ainsi que la bile épaissie produit un squirrhe dans le foie. Le lait grumelé en cause un autre dans les mamelles, ou dans la matrice ; la semence dans les testicules ; le chyle dans les glandes du mésentère ; la lymphe dans les glandes conglobées.

Les coups & les contusions sont des causes externes d’engorgement lymphatique que la résorption de la sérosité qui sert de véhicule à la lymphe, fait endurcir & dégénérer en squirrhe. Le squirrhe parfait est incurable : il est même dangereux d’en entreprendre le traitement, parce que les remèdes qu’on employe pour le forcer à prendre une tournure salutaire, ne font au contraire que devenir plus funestes, en accélérant sa dégénération en cancer.

Il n’en est pas de même du squirrhe imparfait ; celui-ci est susceptible de guérison ; mais elle a toujours lieu d’une manière très-difficile & très-lente. Il se termine ordinairement par la résolution & par la suppuration. Cette dernière terminaison n’est jamais salutaire que dans les squirrhes extérieurs.

Astruc veut qu’on abandonne tout usage des remèdes fondants & curatifs, & qu’on se réduise aux seuls palliatifs dans le squirrhe carcinomateux, lors surtout que le malade ressent quelque élancement dans la partie squirrheuse. « Il ne faut jamais, ajoute-t-il, entreprendre la guérison d’un squirrhe noir ou plombé, dont la surface est marbrée par des veines variqueuses : on ne feroit que hâter la génération du cancer. »

Le squirrhe qui reconnoît pour cause la viscosité, & l’âcreté des humeurs, cède plus aisément aux remèdes fondants qu’on met en usage pour le combattre, que celui qui dépend d’une salure & d’une acrimonie portées à l’extrême,

Le squirrhe intérieur est toujours plus dangereux que l’extérieur. Celui-ci se guérit plus aisément, parce qu’il reçoit toujours mieux l’impression & l’action des cataplasmes & autres topiques qu’on met en usage pour le résoudre, ou pour le faire suppurer ; en outre, on peut ouvrir le foyer de suppuration, & par-là évacuer la quantité de pus qu’il renferme.

Pour avoir du succès dans le traitement du squirrhe imparfait, on ne doit tenter la résolution que lorsqu’il est mobile. Pour cet effet on doit s’abstenir des résolutifs fondants trop forts ; il faut commencer par l’emploi des plus foibles, & aller ensuite en augmentant. On sait qu’en général les desséchans, les emplastiques, & les cataplasmes, par leur humidité, sont pernicieux. Galien conseille l’application des topiques gras & des gommes résolutives. Ces moyens sont suspects ; il vaut encore mieux exposer la tumeur squirrheuse à la vapeur du vinaigre. Sthal recommande beaucoup une combinaison de sel ammoniac avec le blanc de baleine, comme un remède très-propre à fondre les tumeurs dures des mamelles & des testicules.

J’ai eu les plus grands succès du savon mis en pâte avec l’eau vulnéraire. Hoffman vante beaucoup dans cette maladie un cataplasme de millet cuit dans le lait, & enveloppé dans des linges frottés avec beaucoup de savon, de manière que l’humidité n’arrive pas jusqu’à la tumeur. Loeseche dit avoir guéri des squirrhes imparfaits par les cataplasmes faits avec le camphre & les fleurs de mélilot ; mais il faisoit faire de l’exercice au malade. On pourroit obtenir de bons effets des fleurs de camomille & de sureau.

Tous ces topiques n’agissent pour l’ordinaire que très-imparfaitement s’ils ne sont aidés d’un bon régime & des remèdes propres à combattre les causes qui excitent le squirrhe. Les préparations mercurielles conviennent au traitement du squirrhe par cause vérolique : on opposera à celui qui dépend de l’acreté des humeurs, & de leur viscosité, les humectans, les diurétiques légers, tels que le petit lait nitre & combiné avec la terre foliée de tartre, la tisanne d’orge & de chiendent, une légère décoction de racines de nymphéa, d’éringium, de petit-houx, d’asperges, de feuilles de cresson, de cochléaria, &c.

Les sucs dépurés de chicorée & de pissenlit, combinés avec le sel de Glaubert & la terre foliée de tartre, produisent constamment de bons effets ; mais leur usage doit durer quelque temps.

On emploiera encore les gommes fondantes, telles que la gomme ammoniac, le sagapénum, le bdellium, la myrrhe, l’aloès à des doses modérées. On prescrira encore des bouillons faits avec le collet de mouton, & dans lesquels on fait entrer les parties des animaux chargés de sels volatils, comme les cloportes, les vipères & les crapauds, &c.

Il est essentiel d’entremêler l’usage des bols purgatifs, pendant celui des bouillons, au moins tous les quatre jours. Astruc, dans cette dernière vue, veut qu’on donne tous les jours, ou tous les deux jours, une poudre composée de vingt grains de cloportes, d’autant d’éthiops minéral, & de dix grains de diagrède.

À ces fondants résolutifs internes & externes, on entremêlera de temps en temps les émoliens & les relâchans, comme les bouillons de poulet, d’escargot, de veau ; les fomentations émollientes, les bains & les demi bains tièdes, faits avec la décoction des plantes mucilagineuses, telles que l’althea : le lait d’ânesse est encore un remède par excellence : les eaux minérales gazeuses sont aussi d’une grande ressource, lorsqu’il reste encore quelque vestige du squirrhe imparfait.

Quand le squirrhe ne se résout point, & qu’il se termine par la voie de la suppuration, cette dernière terminaison est toujours annoncée par la douleur, la chaleur & la rougeur de la partie squirrheuse : autant l’on doit s’opposer & même éviter avec le plus grand soin la suppuration dans le squirrhe interne, autant on doit la déterminer & l’accélérer dans le squirrhe externe, par les résolutifs combinés avec les emolliens.

On saignera le malade si la fièvre & ["inflammation sont considérables ; on le réduira à la diète la plus sévère ; on en viendra ensuite à l’ouverture de la tumeur squirrheuse quand la fonte sera générale ; par-là il ne restera aucune callosité difficile à résoudre. La pierre à cautère est préférable à l’instrument. On détergera la playe avec les remèdes appropriés, & on favorisera le plutôt possible une cicatrice parfaite. Enfin, si l’on s’aperçoit qu’en travaillant à résoudre le squirhe, le malade maigrisse, que le pouls devienne plus fréquent & plus fébrile, on mettra le malade à l’usage des bouillons adoucissans, & à l’usage du lait pour toute nourriture, & on appelera les gens de l’art. M. AMI.

SQUIRRHE. Médecine Vétérinaire. Tumeur plus ou moins grosse, dure, insensible, sans chaleur, qui peut survenir à toutes les parties du corps du cheval, du bœuf, &c. mais principalement aux parties glanduleuses ou à celles qui avoisinent les viscères.

Le squirrhe est produit par la terminaison d’une inflammation quelconque, qui n’a pu se résoudre, ni suppurer. Il doit son origine à la lenteur de la circulation, principalement de la partie lymphatique du sang ; ce qui en est une preuve, c’est qu’en ouvrant cette espèce de tumeur, on observe que l’intérieur est blanc.

Traitemens. On doit traiter le squirrhe avec des remèdes internes & externes. Les premiers comprennent les préparations apéritives de mars ; les boissons fréquentes d’eaux ferrugineuses peuvent aussi remplir l’objet désiré, de même que les fondans, tels que le savon, le mercure doux, le sel de nitre, le sel de duobus, le sel ammoniac, &c. mais on doit bien comprendre qu’il y a peu a compter sur tous ces remèdes, si on n’a fait précéder les remèdes généraux, pour disposer les humeurs & les vaisseaux à l’action des remèdes les plus actifs.

Le traitement interne ne suffiroit pas, s’il n’étoit secondé par les remèdes externes, qui, à leur tour, seroient impuissans, si les humeurs ne se prétoient à leur action ; ces remèdes consistent dans les résolutifs ; mais il faut quelque fois leur associer les relâchans, les émolliens, pour rendre la tumeur plus pénétrable ; on associe, par exemple, les farines résolutives avec les cataplasmes faits avec les herbes émollientes ; on peut appliquer aussi sur la tumeur les emplâtres de diachylon gommé, de ciguë, &c. (Voy. la formule de cette emplâtre au mot Exostose. Tom. IV. pag. 420.)

Si tous ces remèdes sont sans effet, il faut en venir à l’extirpation de la tumeur ; mais il est essentiel de bien reconnoître l’endroit qu’elle occupe, non pas quant à la difficulté de l’opération, mais à cause de ses suites : par exemple, les glandes lymphatiques, dans la morve, sont de vrais squirrhes, mais ils ne demandent pas à être extirpés ; la circulation se faisant lentement dans ces glandes, on l’y intercepteroit, en les extirpant, ce qui rendroit l’écoulement plus abondant par les naseaux.

Les squirrhes du fourreau, des mamelles, des ars, du col, du poitrail, peuvent être extirpés sans danger & sans suites fâcheuses ; on opère de la manière suivante : incisez d’abord la peau dans le milieu de la tumeur & dans toute sa longueur ; détachez-la ensuite & enlevez-la en entier ; la plaie étant alors simple, on la traite avec le digestif ordinaire, & la guérison est prompte.

Il arrive quelquefois que les tumeurs squirrheuses deviennent enkystées, c’est-à-dire, qu’elles renferment un amas de pus ou de substance oléagineuse, jaunâtre, gluante, enveloppée dans un sac ; dont les membranes extérieures sont toujours squirrheuses ; dans ce cas, dispensez-vous d’emporter la tumeur en entier ; contentez-vous seulement d’enlever une portion de la manière dont on coupe une côte de melon ; cela fait, bassinez l’intérieur du sac avec une forte dissolution de vitriol de Chypre, &c ; peu de temps après, la suppuration faisant tomber ce sac, il se forme une plaie simple, qu’on traite comme telle. (Voyez plaie des animaux M. T.