Cours d’agriculture (Rozier)/TRUFFE

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Hôtel Serpente (Tome neuvièmep. 482-485).
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TRUFFE. Lycoperdon tuber, Lin. Tubera mathioli. Von-Linné la place dans la famille des fungus, une des sept qu’il a réuni dans sa classe de la cryptogamie.

Plante, ou plutôt tubercule charnue, sans tiges, sans racines, sans feuilles ; écorce plus dure que la substance intérieure, chagrinée & comme vermiculée à sa superficie. On distingue dans le commerce trois espèces, ou plutôt trois à quatre variétés de truffes. Sont-ce réellement des variétés ou une manière d’être différente quant à la couleur, soit extérieure, soit intérieure, de la chair & de l’écorce, soit à l’odeur ou parfum ? Les blanches, appelées truffes du printemps, n’ont point d’odeur, ou du moins très-peu, proportionnée à celle des noires. En Angoumois, on en trouve dont la couleur est jaune ou d’un brun-clair, & dont le parfum est musqué. Elles y sont méprisées, & nommées muquettes. Sur le Mont Cenis & dans les cantons voisins, & du côté du Piémont, les truffes y sont d’un blanc jaunâtre, quelquefois tirant un peu sur le rose. Elles exhalent une forte odeur qui approche de celle de l’ail. Elles sont fort recherchées. Je regarde la truffe blanche comme la même espèce que la noire. La noire marbrée n’en est pas même une variété. Ces couleurs dépendent de l’époque à laquelle les truffes ont été tirées de terre. Lors de leur pleine maturité, elles sont noires. Les muquettes ou musquées d’Angoumois, sont une variété réelle des premières, ainsi que celles des environs du Mont Cenis. Cette plante singulière affecte certaines régions, certaines espèces de terres, & on peut dire qu’en France elle suit une latitude de l’est à l’ouest du royaume, sur une hauteur du nord au midi de 30 à 36 lieues. Je ne prétends pas dire qu’on n’en trouve absolument point dans nos autres provinces ; mais elles y sont très-rares, & c’est par le hasard qu’on en rencontre. Les vraies provinces à truffes noires sont le bas Dauphiné, une partie du Comtat, le nord de la Provence, le Vivarais, la chaîne des montagnes qui traverse le Languedoc de l’est à l’ouest, & sur-tout les provinces du Périgord & de l’Angoumois où elles surabondent, tandis qu’elles sont excessivement rares dans le Poitou & dans la Saintonge qu’elles avoisinent. J’en ai trouvé de fort petites, à la vérité, dans les environs de Lyon, au pied des charmes. On en rencontre par hasard quelques-unes dans la Bourgogne. En Angoumois elles se multiplient jusques dans les vignes, dans les terres labourées & dans les chaumes. Cependant l’observation générale prouve que les meilleures & les plus belles aiment l’abri des arbres quelconques ; que les voisines du chêne noir sont plus délicates ; que le genévrier diminue leur qualité ; enfin, que si on coupe leur arbre protecteur, la truffière disparoît. On a encore observé qu’on n’en trouve pas, ou du moins rarement, au pied des arbres fruitiers à pepin.

La truffe ne souffre aucune plante dans son voisinage. La surface de la terre est nue par-tout où elle végète ; & pour peu que le sol soit sec, il se gerce en manière de croix sur l’endroit où la truffe végète. M. Meunier, à qui l’on doit de très-bonnes observations sur l’Angoumois, dit y avoir vu se former une truffière dans un pré haut. La première année la pelouse devint jaune, & elle périt entièrement la seconde année dans toute l’étendue de la truffière.

Lorsque l’été est chaud, & la chaleur entrecoupée par des pluies, on est presque assuré d’avoir une belle récolte, sur-tout si les froids de l’hiver précédent ont été modérés. Une opinion assez générale est que plus il y a de coups ce tonnerre pendant l’été, & plus la grosseur & l’abondance des truffes augmentent. Je ne nie pas ce dire ; mais je pense qu’il mérite, pour y ajouter foi, que des hommes accoutumés à bien voir, se livrent à des observations nouvelles & suivies pendant plusieurs années consécutives.

Si on fouille la terre à la fin de mars, ou au commencement d’avril & en mai, on les trouve grosses, comme de petits pois, rondes, rouges en dessus & blanches en dedans. C’est à la fin de mai qu’on les récolte, mais elles sont sans parfum : on les coupe par tranches ; placés sur des claies, elles évaporent leur eau de végétation, se dessèchent & fournissent, ce qu’on appelle truffes blanches, dont on se sert pour les ragoûts. Petit à petit, & à mesure que la saison s’avance, elles changent de couleur. Au commencement de novembre, elles acquièrent une couleur brune inégale, qui successivement graduée, devient plus foncée, accompagnée de veines ou marbrures blanches ; enfin, elle devient rembrunie, tirant sur le noir. Les premières gelées assaisonnent les truffes dans la terre, & les préparent à soutenir les plus grands froids sans en être endommagées. C’est alors qu’elles sont pesantes, fraîches, rondes ; pour l’ordinaire, de la grosseur d’un œuf, souvent beaucoup plus, & d’un bon parfum.

Ce végétal singulier dans tous ses points, a, comme les autres racines des plantes, un insecte qui le dévore ; c’est un ver blanc qui provient de la ponte d’une mouche bleue, tirant sur le violet. Elle s’insinue dans la terre, pique la truffe, y prépare un nid tissu, comme d’une soie blanche, y dépose son œuf, & après que le petit animal est éclos, il se nourrit de la substance du végétal, devient chrysalide, & enfin sort de terre dans son état parfait de mouche. L’endroit de la truffe piqué du vers, est plus noir que le reste de sa substance, & contracte une saveur amère très-caractérisée. L’extérieur ou écorce chagrinée de la truffe, est souvent parsemée de petits points blancs ; ce sont autant d’insectes à-peu-près semblables aux mittes, qui se nourrissent sur sa superficie, comme les pucerons sur l’écorce des feuilles ou des jeunes tiges, & souvent pénètrent & se rassemblent dans le nid d’où la mouche est sortie pour venir folâtrer dans l’air & s’accoupler, afin de perpétuer son espèce. Plusieurs naturalistes ont mal-à-propos considéré ces points blancs comme les parties constituantes de la fleuraison de la truffe.

M. Meunier dans l’ouvrage cité, décrit ainsi la manière de récolter les truffes dans l’Angoumois. « L’expérience a fixé les trois manières de tirer les truffes du sein de la terre. On les cherche à la marque, au pic & au cochon. On emploie la première méthode avant les vendanges. Les truffes croissent à différentes profondeurs. Celles qui sont les plus près de la surface de la terre, la fendent, la soulèvent en grossissant, de manière qu’elle est assez sensiblement bossuée, pour que des yeux assez experts distinguent ce travail de la nature, de toute autre inégalité qui n’auroit point la même cause pour principe. On la découvre & on la trouve placée comme une pierre ronde qui seroit dans la terre. La truffe étant encore blanche, n’ayant presque ni goût ni odeur, il est dommage de troubler sa tranquille végétation. Lorsqu’elle est une fois déplacée, on la repose inutilement dans sa loge ; elle pourrit, quelque précaution que l’on prenne pour la remettre exactement dans la même position. Ces soulèvemens de terre, indicateurs des truffes, sont affaissés par les pluies, alors on ne les trouve plus à la marque ».

Le pic fait plus de ravages : aussitôt que les vendanges sont faites, les paysans se répandent dans les campagnes pour ouvrir la terre, dans les endroits où ils soupçonnent qu’il y a des truffes. Les truffières restent à peu-près dans le même emplacement pendant plusieurs années consécutives ; elles sont presque toujours connues. Les paysans commencent d’abord à fouiller dans les endroits qui ne paroissent couverts d’aucune plante : s’ils trouvent, selon leur expression, une belle terre, c’est-à dire, si elle est pure, & qu’ils n’y rencontrent aucune racine vivace, c’est une marque presque infaillible de la présence des truffes ; s’ils rencontrent, au contraire, quelques petits végétaux, sur-tout de petits champignons, ils fouillent d’un autre côté, en suivant toujours les meilleures veines. On cherche les truffes de cette manière jusqu’à la fin du mois de novembre ; alors le pic est insuffisant, & le produit ne le dédommageroit pas de la perte du temps. Cet instrument ne peut découvrir les truffières nouvelles ; il en périt, & il s’en forme tous les ans. Lorsque les truffes ont de l’odeur & un parfum qui peut déceler leur position, on les suit, pour ainsi dire, à la piste, & le meilleur odorat que l’on ait employé pour les trouver, est celui du cochon.

Les truffiers savent dresser cet animal à leur recherche, & il ne leur faut que trois ou quatre jours.

Un beau temps est avantageux pour la découverte des truffes ; trop d’humidité concentreroit leur odeur & un vent excessif la dissiperoit. S’il est modéré, cette circonstance est favorable : on fait marcher le cochon à la rencontre du vent ; le courant d’air porte au nez de l’animal les exhalaisons de la truffe, & le met sur la voie. Lorsqu’il a trouvé sa position, il fouille la terre ; le conducteur le détourne par l’oreille, & achève le reste du travail. Le cochon abandonne sa proie, & il demande à l’instant sa récompense, qui consiste en quelques grains de blé d’Espagne ou maïs, ou quelques glands qu’on lui donne.

Le cochon destiné à la recherche des truffes, doit être âgé d’environ cinq mois, leste & accoutumé à marcher, afin de pouvoir résister à la fatigue du matin au soir, & parcourir quelquefois trois ou quatre lieues dans la journée. On est obligé, par cette raison, d’en dresser un jeune tous les ans ; il deviendroit trop pesant d’une année à l’autre. Tous les cochons ne sont pas propres à ce travail : plusieurs regardent avec indifférence les truffes, & d’autres les mangent avec avidité. On ne manque pas d’acheter ces derniers.

Truffes blanches, rouges. Voyez Pommes de terre.