Cours d’agriculture (Rozier)/TRUITE

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TRUITE, (Salmo fario Lin.) poisson du genre du saumon, dans l’ordre des abdominaux, qui ont les nageoires du ventre derrière celles de la poitrine.

Caractères génériques : La tête lisse et comprimée ; la bouche grande ; les lèvres petites ; la langue blanche, cartilagineuse et mobile ; les yeux de moyenne grandeur, placés sur les côtés de la tête ; des dents aux mâchoires et sur la langue ; la membrane des ouïes ayant de quatre à dix rayons, et l’opercule trois lames ; le corps allongé, et revêtu d’écailles arrondies, finement rayées sur leur surface ; le dos un peu convexe ; la ligne latérale plus rapprochée du dos que du ventre ; la seconde nageoire adipeuse ; enfin, plusieurs rayons aux nageoires ventrales.

Caractères spécifiques : Le corps parsemé de taches rouges ; la mâchoire inférieure un peu plus longue que la supérieure.

Ce poisson a le devant de la tête d’un vert noirâtre, et les côtés variés de jaune et de vert ; l’iris de l’œil de couleur blanche, avec un bord noirâtre en croissant ; les nageoires pectorales d’un brun clair ; les ventrales jaunes et terminées en pointe ; les premiers rayons de l’anale pourprés, et les autres jaunes et cendrés ; des raies d’un jaune noirâtre sur les nageoires de la queue, enfin un grand nombre de points rouges de pourpre répandus sur le corps.

Il y a une seconde espèce de truite, moins commune, que l’on nomme truite saumonée, (salmo trutta Lin.) à cause des taches noires, rondes ou angulaires dont son corps est parsemé, sur un fond noir, plus ou moins mêlé de nuances violettes ; ses nageoires adipeuse et caudale sont noires, et les autres grises. On remarque six points noirs sur les pectorales ; son ventre est blanc, et ses yeux noirs ont l’iris de couleur brune.

La truite, dont la chair est tendre et d’un goût très-agréable, a été nommée en plusieurs pays, le roi des poissons d’eau douce ; et par-tout les gourmets s’accordent à la regarder comme un morceau de roi. Quelques souverains d’Allemagne prenant cette expression à la lettre, se sont réservés la pêche des truites. Mais ce n’est que lorsqu’elles sont fraîches, ou tout récemment tirées de l’eau, qu’elles ont cette délicatesse et cette saveur exquise, qui les font rechercher, et qu’elles perdent bientôt, si on tarde à les apprêter. On ne peut les envoyer à quelque distance du lieu où elles ont été pêchées que cuites ou enfermées avec précaution dans des boîtes ou de la pâte.

Toutes les situations et toutes les eaux ne conviennent pas aux truites : c’est dans les contrées montueuses qu’elles se trouvent, et elles y habitent les eaux claires et froides, qui descendent des montagnes sur un fond pierreux : telles sont en France, le lac de Genève et les petites rivières qui s’y déchargent, la Moselle dans les Vosges, l’Isère, la Vienne, l’Aveyron, les rivières et les torrens du Golo, l’Aa près de St-Omer, la petite rivière d’Autrui qui se décharge dans celle d’Etampes, la Touvre en Angoumois, le Gardon, etc., etc. La grandeur ordinaire de ces poissons est d’un pied à un pied et demi : l’on en voit quelquefois qui pèsent quatre ou six livres, et même, dit-on, jusqu’à dix-huit livres. Elles nagent contre la direction des eaux les plus rapides ; et s’il se rencontre quelque obstacle sur leur passage, elles le franchissent avec aisance : elles peuvent s’élancer, comme le saumon, à six pieds de hauteur.

L’automne est la saison ordinaire du frai des truites : on les voit alors remonter les rivières, et même entrer dans les ruisseaux où il n’y a que quelques pouces d’eau, pour y chercher un gravier arrosé par un léger courant, et sur lequel les femelles déposent leurs œufs. Quoique le nombre de ces œufs soit moins considérable que celui de la plupart des autres espèces, les truites paroissent multiplier davantage ; ce qui vient, sans doute, de ce que les poissons voraces craignent de les suivre dans les eaux froides où elles se plaisent. Leur nourriture se compose de petits poissons, de coquillages, de vers, d’insectes, et particulièrement d’éphémères et de fryganes, qu’elles saisissent avec adresse auprès de la surface de l’eau. L’on prétend que les grosses truites dévorent fréquemment les plus petites.

Le désir de rassembler des truites et de les prendre à volonté, a fait imaginer d’en peupler des étangs ; mais cette branche d’économie, qui présente des avantages aux propriétaires, exige des précautions, et ne réussit pas toujours. Il s’en faut bien que toutes les eaux soient propres à former ces sortes de réservoirs, où le goût et le luxe de la bonne chère ne manquent pas de venir puiser. Il faut une eau claire et froide, un fond de sable ou de cailloux, des sources ou un ruisseau ombragé qui y amène sans cesse une eau froide et limpide ; des bords assez élevés pour que les truites, qui aiment à sauter, ne s’élancent pas par-dessus ; de grands arbres, plantés assez près de ces bords, pour que leur ombre entretienne la fraîcheur de l’eau ; sur le fond, des racines d’arbres ou de grosses pierres entre lesquelles les œufs puissent être déposés ; un fossé ou des digues pour prévenir les inondations, et empêcher l’entrée des eaux sales et bourbeuses que les pluies font couler dans les ravins, et qui sont presque toujours mortelles aux truites ; une profondeur de sept à dix pieds, sans laquelle les truites monteroient à la surface de l’eau en temps d’orage et y périroient ; une grande quantité de goujons, de loches, de vérons, de meuniers, et d’autres poissons, dont les truites aiment à se nourrir, ou, à leur défaut, de petits morceaux de foie hachés, des entrailles d’animaux, des gâteaux secs, faits de sang de bœuf et d’orge mondé[1] ; les bondes garnies d’une grille assez fine pour arrêter l’alevin ; enfin, une attention soutenue pour éloigner de l’étang les poissons voraces, les grenouilles, les loutres, les oiseaux pêcheurs, pour casser la glace en hiver, et pour empêcher que les bouches de l’étang ne soient jamais prises par la gelée.

Le meilleur emplacement d’un étang à truites, est une vallée ombragée, qui ait une source ou du moins un ruisseau dont la source soit peu éloignée. Si l’on ne rencontre pas cette position, l’on fera arriver l’eau dans l’étang par un petit canal qui soit ou très-profond ou couvert. La quantité d’eau dont on peut disposer, détermine l’étendue de l’étang. On compte ordinairement soixante poissons par arpent. Le fond de l’étang doit être de terre glaise, ou de toute autre terre qui retienne les eaux ; on la couvre de sable ou de cailloux ; en haut et en bas, on doit placer une bonde, une grille et une vanne, afin qu’on puisse, à son gré, faire baisser ou augmenter les eaux. Deux caisses grillées, en forme de nasses, retiennent les truites aux deux bondes, quand elles s’élancent au dessus de la grille.

Si, pour peupler cet étang, ou est obligé de transporter les truites d’un endroit un peu éloigné, il faut ne placer, dans chaque vase, qu’un très-petit nombre de ces poissons, agiter souvent et renouveler l’eau dans laquelle on les a mis.

Tous ces soins, dont s’occupent les économes allemands, sont négligés parmi nous ; les bénéfices qu’ils procurent devroient nous engager à imiter nos voisins. C’est chez eux que s’est encore formée une méthode particulière pour se procurer des truites, ainsi que des saumons.

On fait une caisse longue de douze pieds, large d’un pied et demi, et profonde de huit pouces. Par le haut, où l’eau doit entrer, on attache en travers un morceau de bois, percé dans son milieu d’un trou de six pouces de long et de quatre pouces de large : une ouverture de quatre pouces en carré laisse en bas un passage à l’eau ; ces deux ouvertures se ferment avec un grillage en fil de fer, afin que l’alevin ne puisse pas s’échapper ; et pour que les rats d’eau et autres animaux destructeurs ne s’introduisent pas dans la caisse, on la couvre d’un couvercle percé de plusieurs trous ; au fond est du gravier, et la caisse se place de manière que l’eau puisse y entrer par le haut et s’écouler par le bas, dès qu’elle est parvenue à deux pouces au dessus du gravier. Ces dispositions faites, on prend, à l’époque du frai, les truites mâles et femelles, et on leur presse le ventre, pour en faire sortir la laite et les œufs, que l’on met dans un petit vase avec de l’eau ; on les remue ensuite avec la main, et on jette le tout dans la caisse dont je viens de parler ; on la laisse sous la chute d’eau d’une fontaine, qui coule sans cesse, et au bout de quelque temps, l’on voit éclore une multitude de petites truites.

Pêche De La Truite. Si l’art de multiplier l’espèce de la truite dans des étangs n’est pas encore très-répandu, et n’a pas toujours du succès, celui de pêcher cet excellent poisson, dans les eaux où il vit en liberté, a reçu généralement un grand développement : différens procédés sont mis en usage pour s’emparer de ce roi des eaux douces, et en faire aussi le roi des tables. Les principaux instrumens dont on se sert, sont la trouble, la ligne, la louve et la nasse.

Si l’on emploie la trouble, il faut la lever très-vite, lorsque la truite y est entrée, afin de ne pas lui donner le temps de s’élancer et de s’échapper.

La ligne doit être forte, tant du manche que du cordonnet, pour que la truite ne puisse pas la casser par ses mouvemens précipités. On garnit l’hameçon de différentes substances, de chair d’écrevisse, d’un petit poisson, d’un gros ver de terre, de sangsues coupées par morceaux, de petites boules, composées d’une partie de camphre, de deux parties de graisse de héron, de quatre parties de bois de saule pourri, et d’un peu de miel. Les Anglais, qui aiment beaucoup la pêche à la ligne, ont des insectes artificiels, assez bien imités pour que les truites s’y trompent, et qu’elles s’élancent hors de l’eau pour les saisir. Cette pêche réussit mieux vers le lever du soleil et par un beau temps ; elle se pratique en Suisse et en Franconie, à peu près de la même manière qu’en Angleterre, et on l’y appelle, suivant la disposition de la ligne et de l’hameçon, pêche au grand saut et pêche au petit saut.

Pour attirer un plus grand nombre de truites dans les nasses ou dans les louves, on y place un linge imbibé d’huile de lin, dans laquelle on a mêlé du castoréum et du camphre fondus.

On prend aussi quantité de ces poissons pendant la nuit, à la lueur des feux que l’on promène sur les eaux ou le long des bords.

Dans la saison du frai, les truites se laissent prendre fort aisément, et même à la main.

En Sicile, la pêche de la truite est curieuse et facile : on détourne l’eau des torrens dans une autre partie de leur lit ; celle qu’ils abandonnent reste à sec, à la réserve de quelques petits courans, que l’on appelle des puits ; c’est là que se cachent les truites, et on les y prend avec un filet, qui s’élargit ou se rétrécit à volonté. (S.)

  1. Pour faire ces gâteaux, on réduit l’orge en bouillie, on y mêle le sang de bœuf et l’on jette le tout sur une planche ou sur une table garnie d’un rebord. Quand cette espèce de pâte est refroidie, on la coupe en petits morceaux que l’on fait sécher, et que l’on garde pour s’en servir au besoin.