Cours d’agriculture (Rozier)/TYMPANITE

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Hôtel Serpente (Tome neuvièmep. 506-510).


TYMPANITE. Médecine rurale. Maladie venteuse, qui bien loin d’être définie, doit, au contraire être décrite. Pour en bien connoître les caractères & développer sa nature, il faut exposer fidèlement & avec soin tous les phénomènes qu’elle présente, tant avant qu’elle se manifeste, que dans sa naissance, dans ses progrès & dans son déclin. Personne n’a répandu plus de clarté & de précision dans sa description que l’illustre Combaluzier, docteur-régent de la faculté de Paris ; aussi croyons-nous devoir ici la transcrire telle qu’elle est dans son traité des maladies venteuses. « Parmi le grand nombre de ces maladies, il n’en est point qui mérite d’être traitée plus particulièrement & plus au long, que celle que l’on nomme hydropisie sèche, ou venteuse, mais encore plus communément tympanite. Tout le monde la met avec raison au rang des affections chroniques, quoi qu’on ait vu des gens qui en étoient atteints, périr en assez peu de temps. » Baglivi en la considérant comme très-aiguë, n’a eu, sans doute, égard qu’à sa violence & à son opiniâtreté, & non à son cours, qui est pour l’ordinaire assez étendu.

Certaines maladies préparent à la tympanite, & la précèdent assez souvent : telles sont la passion flatueuse & la colique de même nom, dont le retour est fréquent : l’affection hypocondriaque & hystérique, l’asthme convulsif, la constipation, des fièvres longues, continues ou intermittentes, la jaunisse, un accouchement laborieux, des vidanges qui ont été supprimées, ou qui n’ont pas coulé suffisamment, un amas de mauvais sucs dans les premières voies, que l’on a négligé de vider après les couches. La violence que les muscles abdominaux ont soufferts dans cette occasion, & à laquelle on n’a pas remédié en liant & comprimant avec prudence le bas-ventre, l’extraction violente & téméraire de l’arrière-faix, l’avortement, la petite vérole, la rougeole, une grande quantité de vers, l’engorgement des glandes mésentériques, &c.

» Mais la constipation, les tranchées, & les douleurs dans la région ombilicale & aux lombes, sont constamment les avant-coureurs d’une tympanite prochaine, ce qu’Hyppocrate remarque fort bien en ces termes : s’il y a des souffrances violentes autour du nombril, avec des douleurs dans les lombes, qu’aucun remède, ni aucun secours ne puissent appaiser, elles dégénèrent en hydropisie sèche.

» La tympanite dans sa naissance se forme le plus souvent sourdement & insensiblement, de manière que ses commencemens ne peuvent presque pas s’apercevoir, & que les malades se trouvent le ventre plein de vents, sans savoir ni quand, ni comment cette espèce de grossesse venteuse est survenue, pour me servir de l’expression de Willis. Voici cependant de quelle façon la tympanite a accoutumé de se montrer. Le malade souffre d’abord pendant quelque temps une tension considérable, & des douleurs aiguës dans les lombes, dans tout le bas-ventre, & sur-tout vers la région ombilicale. Le ventre est extrêmement serré & le devient toujours davantage. Les souffrances ensuite se ralentissent un peu, mais ne cessent point. Assez souvent elles restent dans le même état ; quelquefois elles augmentent en violence, le bas-ventre se tuméfie par dégrés, & s’enfle comme un ballon ; il se durcit & se tend à proportion, & il acquiert enfin un si grand ressort, qu’il retentit sensiblement quand on le frappe. Cette espèce d’enflure du bas-ventre est plus légère que celle qui accompagne l’hydropisie ascite, quoiqu’elle soit tantôt plus grande, & tantôt plus petite. On ne se sent pour l’ordinaire aucune fluctuation. Quelquefois on en remarque une presque insensible ; on entend souvent rugir les vents dans les intestins. La tumeur ne s’affaisse point, quand le malade est couché sur le dos. Elle ne se porte pas non plus vers le côté sur lequel il est couché ; mais elle demeure constamment & également tendue, dure & élevée vers le haut & vers le nombril. Elle ne conserve point l’impression du doigt, mais elle se relève aussitôt que la pression cesse. La peau qui la couvre est toujours sèche & aride. Le ventre est tellement serré, que j’ai vu des tympaniques être jusqu’à dix ou douze jours sans aller à la selle.

Les matières qu’ils rendent sont desséchées, & semblables à la fiente de chèvre ; les rapports sont assez fréquens, mais les efforts pour chasser les vents par cette voie le sont encore plus. Leur éruption, soit par le haut, soit par le bas, est ordinairement difficile & comme forcée. Elle paroît soulager pour quelques momens, mais elle ne fait point baisser l’enflure du bas-ventre. Presque toujours on sent un grand feu dans les entrailles, & il s’excite une soif dévorante qui ne cesse qu’avec le mal. La douleur aiguë des lombes & de la région ombilicale qui précède la tympanite, & l’accompagne dans sa naissance, la suit quelquefois dans ses progrès, ou du moins s’y fait sentir de temps en temps. Assez souvent elle disparoît. Rarement les pieds sont enflés, à moins qu’il n’y ait complication d’ascite, ou que le mal ne soit désespéré. Le bas-ventre seul est relevé, tandis que le reste du corps est rapetissé, maigri & exténué. Cependant la couleur du visage paroît presque naturelle. Le poulx est petit, accéléré & un peu dur, sans être foible. La fièvre survient presque toujours. L’urine est à peu près comme dans la santé. La digestion est très-languissante, & le malade sent long-temps après le repas un poids incommode sur l’estomac. Il survient enfin une grande difficulté de respirer.

Le mal devient plus cruel à mesure qu’il avance, & les vents se ramassent toujours en plus grande quantité, tendent & grossissent si prodigieusement le volume du bas ventre, qu’il paroît prêt à crever. De-là l’augmentation de tous les symptômes, auxquels il s’en joint d’autres encore plus redoutables. En voici l’ordre successif, & le malheureux terme : des douleurs plus vives & plus continues, des suffocations, une soif inextinguible, une toux sèche, le marasme, une anxiété affreuse, l’ascite, la strangurie, l’ischémie, la suppression totale des excrémens, le vomissement, l’inflammation du bas-ventre, la gangrène, la syncope, le sphacèle, la mort.

Quoique cette maladie soit presque toujours incurable & mortelle, quelquefois cependant elle ne parvient pas à ce degré de violence que nous venons de décrire, & la nature aidée des secours de l’art, vient à bout de la dissiper, en excitant une explosion des vents par le haut & par le bas.

D’après cet exposé, il paroît que la tympanite est une enflure venteuse de tout le bas-ventre, qui résiste à la compression qui n’est point avec un sentiment de pesanteur, qui est constamment plus relevée vers le haut & du côté du nombril, qui résonne quand on frappe dessus, qui revient sur le champ quand on cesse de presser, ordinairement accompagnée de rapports, de grouillemens, d’une constipation opiniâtre.

Les personnes nerveuses, celles qui sont naturellement délicates, qui ont l’estomac mauvais, qui se nourrissent des alimens crus & venteux, comme les viandes séchées & fumées, les fèves, les choux, sont les plus sujettes à cette maladie. Les hommes forts & bien portans y sont beaucoup moins exposés, à moins qu’ils ne fassent des excès suivis dans l’usage des liqueurs & boissons qui n’ont point fermenté, & qui contiennent beaucoup d’air élastique.

La tympanite reconnoît pour cause, comme l’a démontré le célèbre Littre, la foiblesse des intestins qui, ayant perdu leur ressort, ne peuvent plus résister à l’action de l’air raréfié par la chaleur animale, & le réduire à l’état d’air fixe. Aussi voit-on que dans les tympanites invétérés, il n’y a plus de borborigmes. C’est un très-bon signe, lorsqu’il en survient dans le traitement ; car on peut conclure que les intestins commencent à reprendre leur ressort.

L’ouverture des cadavres des gens morts de la tympanite intestinale, « bien prouvé que certains intestins étoient très-dilatés, que d’autres, au contraire, étoient étranglés, & formoient des espèces de cellules tout entortillées. Si on les piquoit, la tumeur diminuoit peu, à moins qu’on ne les perçât en plusieurs endroits.

Cette maladie est toujours difficile à guérir, à raison des différentes contre-indications qui s’y rencontrent.

L’art ne manque pas de remèdes pour la combattre, mais c’est presque toujours infructueusement. Les carminatifs les plus usités sont les baies de genièvre, les racines de zéodaire & de gingembre, les semences d’anis, de carvi & de coriandre, l’assa-fœtida & l’opium ; les eaux échauffantes, les teintures, les esprits, tels que l’éther ; tous ces remèdes chauds ne conviennent que lorsque les vents sont dans l’estomac.

Le docteur Whytt n’a pas trouvé de remèdes plus efficaces pour chasser les vents, que l’éther, & le laudanum liquide de Sydenham. Il prescrit pour l’ordinaire le laudanum dans une mixture faite avec l’eau de menthe poivrée, & de la teinture de castoreum, ou de l’esprit de nitre dulcifié. Quelquefois il substitue à ces remèdes l’opium, dont il fait des pillules avec de l’assa-fœtida. Le même auteur observe encore que les calmans produisent constamment des effets sensibles, soit que les vents résident dans l’estomac ou les intestins. Il assure que lorsque tous ces remèdes avoient échoué, l’éther donné à la dose d’une cuillerée à café dans deux cuillères à bouche d’eau simple, étoit le remède spécifique, de même que contre les vents qui accompagnent un accès de goutte ; enfin, le même auteur veut qu’on ait recours aux applications externes, qui produisent quelquefois le plus grand soulagement, lors surtout qu’on n’a pu administrer les remèdes chauds. Il veut qu’on mette alors sur le ventre un grand emplâtre qui en recouvre la plus grande partie, & qui soit formé d’un morceau de peau douce, sur lequel on aura étendu parties égales de l’emplâtre anti-hystérique, & de l’emplâtre stomachique ; on maintient cet emplâtre sur le ventre, tant que le malade peut le supporter ; mais s’il le fatigue trop, on l’ôtera, & on lui frottera, à l’heure de son coucher, la région de l’estomac avec une cuillerée ordinaire d’un liniment fait avec une once de baume anodin de batès, demi-once d’huile de macis, & deux gros d’huile de menthe.

Si la maladie dépend de la foiblesse de l’estomac & des intestins, on donnera le quina, l’infusion de petit chêne, celle d’écorce verte d’orange amère, & les martiaux. Mais l’exercice est encore préférable ; il peut mieux redonner aux parties foibles le ton qui leur est nécessaire, pour chasser les vents, & revenir dans leur état naturel.

Si c’est la raréfaction de l’air qui excite cette maladie, on aura recours à l’application de la glace. Ce moyen est propre à condenser l’air contenu dans les intestins, à le réduire à un plus petit volume, & à donner en même temps du ressort aux fibres. On ne doit point négliger de serrer avec des bandes le ventre, à mesure qu’il s’affaisse, afin qu’il puisse reprendre son ancien état. Rast, célèbre médecin de Lyon, a employé ce remède avec succès, & a vu deux tympanites guéris par ce moyen.

Enfin, si c’est le développement de l’air dégagé des matières putrides des premières voies, qui lui donne naissance, on emploiera la saignée, pour diminuer la violence des douleurs, la chaleur & la tension, ensuite on lâchera le ventre par des huileux, des émolliens, & les rafraîchissans, pour passer aux purgatifs doux & aux savonneux. Mais on emploie plus sûrement des purgatifs plus forts, les résolutifs & les topiques, lorsque la maladie est ancienne, & que la chaleur, le spasme & la douleur sont diminués.

M. Ami.