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Cours d’analyse de l’école royale polytechnique/Chapitre III

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Paris, Gauthier-Villars (Œuvres complètes d'Augustin Cauchy, IIe Série, Tome IIIp. 71-82).

CHAPITRE III.

DES FONCTIONS SYMÉTRIQUES ET DES FONCTIONS ALTERNÉES. USAGE DE CES FONCTIONS POUR LA RÉSOLUTION DES ÉQUATIONS DU PREMIER DEGRÉ À UN NOMBRE QUELCONQUE D’INCONNUES. DES FONCTIONS HOMOGÈNES.

§ I. — Des fonctions symétriques.

Une fonction symétrique de plusieurs quantités est celle qui conserve la même valeur et le même signe après un échange quelconque opéré entre ces quantités. Ainsi, par exemple, chacune des fonctions

est symétrique par rapport aux variables qu’elle renferme, tandis que

sont des fonctions non symétriques des variables et De même encore

sont des fonctions symétriques des deux quantités

sont des fonctions symétriques des trois quantités

Parmi les fonctions symétriques de plusieurs quantités on doit distinguer celles qui servent de coefficients aux diverses puissances de dans le développement du produit

et dont les propriétés conduisent à une solution très élégante de plusieurs équations du premier degré entre variables lorsque ces équations sont de la forme

(1)

En effet, soient

les fonctions symétriques dont il s’agit, en sorte qu’on ait

Si, dans cette dernière formule, on remplace successivement par par par par on trouvera

Si l’on ajoute ensuite membre à membre les équations (1), après avoir multiplié la première par la seconde par l’avant-dernière par et la dernière par l’unité, on obtiendra la suivante

et l’on en conclura

(2)
On déterminerait par un procédé analogue les valeurs des autres inconnues

Lorsque, dans les équations (1), on substitue aux constantes

les puissances entières successives d’une même quantité savoir

la valeur trouvée pour se réduit à

(3)
§ II. — Des fonctions alternées.

Une fonction alternée de plusieurs quantités est celle qui change de signe, mais en conservant au signe près la même valeur, lorsqu’on échange deux de ces quantités entre elles ; en sorte que, par une suite de semblables échanges, la fonction devienne alternativement positive et négative. D’après cette définition,

sont des fonctions alternées des deux variables et

est une fonction alternée des trois variables et ainsi de suite.

Parmi les fonctions alternées de plusieurs variables

on doit distinguer celles qui sont rationnelles et entières par rapport à chacune de ces mêmes variables. Supposons une semblable fonction développée et mise sous la forme d’un polynôme. Un de ses termes, pris au hasard, sera de la forme

désignant des nombres entiers, et un coefficient quelconque. De plus, la fonction devant changer de signe, mais conserver au signe près la même valeur, après l’échange mutuel des deux variables et il faudra de toute nécessité qu’au terme dont il s’agit corresponde un autre terme de signe contraire

déduit du premier en vertu de cet échange. La fonction se composera donc de termes alternativement positifs et négatifs, qui, réunis deux à deux, produiront des binômes de la forme

Dans chaque binôme de cette espèce, seront nécessairement deux nombres entiers distincts l’un de l’autre, et, comme la différence

est évidemment divisible par ou, ce qui revient au même, par il en résulte que chaque binôme, et par suite la somme des binômes ou la fonction proposée, sera divisible par

Comme on peut d’ailleurs, dans les raisonnements qui précèdent, substituer aux variables deux autres variables quelconques et ou et on obtiendra définitivement les conclusions suivantes :

1o Une fonction alternée, mais entière, de plusieurs variables est composée de termes alternativement positifs et négatifs, dans chacun desquels les diverses variables ont toutes des exposants différents ;

2o Une semblable fonction est divisible par le produit des différences

(1)

prises chacune avec tel signe que l’on voudra.

Le produit dont il est ici question, ainsi qu’on peut aisément le reconnaitre, est lui-même une fonction alternée des variables que l’on considère. Pour le prouver, il suffit de faire voir que ce produit change de signe, en conservant au signe près la même valeur, après l’échange mutuel de deux variables, et par exemple. Or, en effet, suivant que l’on adopte pour chaque différence le signe ou le signe ce produit se trouve égal soit à soit à la valeur de étant déterminée par l’équation

(2)

et, comme il est évident que cette valeur de change seulement de signe en vertu de l’échange mutuel des variables et on peut conclure qu’il en sera de même d’une fonction équivalente soit à soit à

Concevons, pour fixer les idées, que l’on prenne chacune des différences (1) avec le signe Le produit de toutes ces différences sera la fonction déterminée par l’équation (2) ou, ce qui revient au même, par la suivante

(3)

Si, de plus, on appelle le nombre des variables sera évidemment le nombre des différences qui renferment une même variable : et par suite, dans chaque terme de la fonction développée et mise sous la forme d’un polynôme, l’exposant d’une variable quelconque ne pourra surpasser Enfin, comme dans un même terme les différentes variables devront être affectées d’exposants différents, il est clair que ces exposants seront respectivement égaux aux nombres

Chaque terme, abstraction faite du signe et du coefficient numérique, sera donc équivalent au produit des diverses variables rangées dans un ordre quelconque, et respectivement élevées aux puissances marquées par les nombres On doit ajouter que chaque produit de cette espèce se trouvera compris une seule fois, tantôt avec le signe tantôt avec le signe dans le développement de la fonction . Par exemple, le produit

ne pourra être formé que par la multiplication des premières lettres des facteurs binômes qui composent le second membre de l’équation (3).

À l’aide des principes que nous venons d’établir, il est facile de construire en entier le développement de la fonction, et de démontrer ses diverses propriétés (voir à ce sujet la Note IV). Nous allons maintenant faire voir comment on se trouve conduit, par la considération d’un semblable développement, à la résolution des équations générales du premier degré à plusieurs variables.

Soient

(4)

équations linéaires entre les variables ou inconnues

et les constantes

choisies arbitrairement. Représentons, en outre, par ce que devient la fonction lorsqu’on y remplace les variables

par les lettres

considérées comme autant de nouvelles quantités, en sorte qu’on ait

(5)

Le produit sera la fonction alternée la plus simple des quantités et, si l’on développe cette fonction par la multiplication algébrique de ses facteurs binômes, chaque terme du développement sera équivalent, au signe près, au produit de ces mêmes quantités rangées dans un certain ordre, et respectivement élevées à des puissances marquées par les exposants Cela posé, concevons que dans chaque terme on remplace les exposants des lettres par des indices, en écrivant, par exemple,

au lieu du terme

et désignons par ce que devient alors le développement du produit La quantité aura évidemment, tout comme le produit la propriété de changer de signe lorsqu’on échangera entre elles deux des lettres données, par exemple les deux lettres et Il est aisé d’en conclure que la valeur de sera réduite à zéro, si l’on écrit dans tous ses termes la lettre à la place de la lettre sans écrire en même temps à la place de Il en serait de même si l’on écrivait partout à la place de la lettre l’une des lettres Par suite, si, dans le polynôme on désigne la somme des termes qui ont pour facteur commun par la somme des termes qui renferment le facteur par enfin la somme des termes qui ont pour facteur par en sorte que la valeur de soit donnée par l’équation

(6)

on trouvera, en écrivant successivement dans le second membre de cette équation les lettres à la place de la lettre

(7)

Supposons maintenant qu’on ajoute membre à membre les équations (4), après avoir multiplié la première par la seconde par la troisième par la dernière par On verra, dans cette addition, les coefficients des inconnues disparaître d’eux-mêmes en vertu des formules (7), et l’on obtiendra définitivement l’équation

de laquelle on conclura

(8)

Comme d’ailleurs des deux quantités

la première est ce que devient le développement du produit

lorsque dans ce développement on remplace les exposants des lettres par des indices, et la seconde, ce que devient la quantité équivalente au second membre de la formule (G), lorsqu’on y substitue la lettre à la lettre il en résulte que la valeur de peut être censée déterminée par l’équation

(9)

pourvu que l’on convienne de développer les deux termes de la fraction qui forme le second membre, et de remplacer dans chaque développement les exposants des lettres par des indices. La valeur que l’équation (9) prise à la lettre semble fournir pour l’inconnue n’étant pas exacte et ne pouvant le devenir que par suite des modifications énoncées, est ce que nous nommerons une valeur symbolique de cette inconnue.

La méthode qui nous a conduits à la valeur symbolique de fournirait également celles des autres inconnues. Pour montrer une application de cette méthode, supposons qu’il s’agisse de résoudre les équations linéaires

(10)

On trouvera dans cette hypothèse, pour la valeur symbolique de l’inconnue

(11)
et par suite, la valeur véritable de la même inconnue sera
(12)

Nota. — Lorsque, dans les équations (4), on remplace les indices des lettres par des exposants, la valeur symbolique de donnée par l’équation (9) devient évidemment la valeur véritable, et coïncide, comme on devait s’y attendre, avec celle que fournit la formule (3) du § I.

§ III. — Des fonctions homogènes.

Une fonction de plusieurs variables est homogène lorsque, désignant une nouvelle variable indépendante des premières, le changement de en de en de en fait varier cette fonction dans le rapport de l’unité à une puissance déterminée de et l’exposant de cette puissance est ce qu’on nomme le degré de la fonction homogène. En d’autres termes,

sera une fonction homogène du degré par rapport aux variables si l’on a, quel que soit

(1)

Ainsi, par exemple,

sont trois fonctions homogènes des variables et la première du second degré, la deuxième du premier degré, et la troisième d’un degré nul. Une fonction entière des variables composée de termes tellement choisis, que la somme des exposants des diverses variables soit la même dans tous les termes, est évidemment homogène.

Si, dans la formule (1), on fait on en conclura

(2)

Cette dernière équation établit une propriété des fonctions homogènes qu’on peut énoncer de la manière suivante :

Lorsqu’une fonction de plusieurs variables est homogène, elle équivaut au produit de l’une quelconque des variables élevée à une certaine puissance par une fonction des rapports entre ces mêmes variables combinées deux à deux.

On peut ajouter que cette propriété appartient exclusivement aux fonctions homogènes. Et, en effet, supposons équivalente au produit de par une fonction des rapports entre les variables combinées deux à deux. Comme on pourra exprimer tous ces rapports au moyen de ceux qui ont pour dénominateur, en écrivant, par exemple, au lieu de

il en résulte que la valeur de sera donnée par une équation de la forme

Cette équation devra subsister, quelles que soient les valeurs de et, si l’on y remplace

par par par

elle deviendra

Par suite, on aura, quel que soit dans l’hypothèse admise,

ou, en d’autres termes,

sera une fonction homogène du degré par rapport aux variables