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Course en voiturin/I/01

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Victor Magen (Tome 1p. 1-20).

I

gênes.


Avez-vous de l’ennui ou du chagrin, disait le célèbre Rossini, montez dans une chaise de poste, et regardez le postillon trotter, avec sa queue poudrée qui ballotte d’une épaule à l’autre sur son collet rouge. Il n’y a ni ennui ni chagrin qui résiste à cela.

Tout en badinant, Rossini avait raison : voyager est le vrai spécifique de tous les maux de l’esprit et du cœur. Le moment du départ vous offre aussi une occasion de mesurer le juste poids des petites amitiés et sympathies du monde. C’est une épreuve qui vous donnera des déchets inattendus. Peut-être ne verrez-vous pas de regrets où vous pensiez en trouver ; mais on vous en témoignera peut-être là où vous n’en espériez pas. Quelque belle dame qui vous honore du titre d’ami vous demandera un soir, d’un air parfaitement distrait et indifférent :

— Monsieur, ne deviez-vous pas voyager ? Il me semblait que vous aviez le projet d’aller fort loin et d’y demeurer très-longtemps.

— Madame, répondrez-vous avec dépit, je venais vous faire ma dernière visite. Je vais être absent six mois, un an, le plus que je pourrai.

— Ah ! partez-vous bientôt ?

— Dans huit jours, demain peut-être.

Vous voudriez prendre votre chapeau et partir à l’instant même.

— Eh bien, monsieur, adieu, amusez-vous.

Et on ne détournera pas seulement ses yeux du métier à tapisserie ou de la bourse en filet. En revanche, telle autre personne qui ne vous a jamais parlé de son amitié pour vous, recevra la nouvelle tout différemment.

— Quoi ! vous dira-t-on, vous allez nous quitter pour si longtemps ! Plus de soirées au coin du feu, plus de causeries ; vous nous abandonnez ?

Comme il faut exécuter ce qu’on a résolu, vous partirez en brusquant ou en évitant les adieux.

N’ayant point de voiture à moi, je montai un soir du mois de décembre dans la malle poste ; j’étais fort palpitant, car l’instant du départ est toujours plein d’agitation. Les malles nouvelles sont douces, roulantes et comfortables ; mais elles vont à grandes guides. Point de porteur, point de queue poudrée ballottant d’une épaule à l’autre. On ne voit du postillon que ses sabots qui pendent au bas du siège. Enfin, ce n’est plus un postillon, mais un cocher. On y gagne la force d’un demi-cheval, et vous n’avez rien à répondre à cela. Saluons les améliorations de M. Conte, tout en accordant un regret aux coutumes anciennes. Les sabots du cocher représentent le progrès, la queue poudrée est l’emblème du pittoresque, et quand le progrès entre d’un côté, le pittoresque s’en va de l’autre.

Afin de voir si, comme on le dit, tout chemin mène à Rome, je passai par Nancy, les Vosges, Plombières et Besançon. De cette dernière ville je partis pour Châlons-sur-Saône au milieu d’une troupe d’acteurs, et j’eus l’honneur de croiser mes jambes avec M. David, premier sujet du Théâtre Français, comme disait l’affiche de Besançon. Ô monsieur David ! vous ne saviez pas quels doux souvenirs cette rencontre réveillait dans mon esprit. Vous ne songiez plus au beau temps où vous étiez Britannicus et le Cid à l’Odéon. Ce fut pour vous voir que je portai ma première pièce de trente sous au bureau d’un théâtre, en sortant du collège. Il est bien tard, hélas ! pour vous payer mon tribut d’éloges ; mais la perruque de Rodrigue, votre habit d’Almaviva, votre manteau à l’espagnole et votre petite épée sont encore présents à ma mémoire. Je vous entends encore reprocher d’une voix douce au vieux Joanny, votre père, de vouloir vous arracher à mademoiselle Brocard, votre Chimène. N’en doutez pas, monsieur David, malgré le goût du jour, l’ancien Cid de l’Odéon, avec sa toque bleu de ciel et son récitatif, était plus dans l’esprit de Corneille que les Cid nouveaux avec leurs costumes historiques, leurs énormes rapières, leurs casques lourds, et ce naturel shakspearien qui jure et se débat au milieu d’une poésie nombrée, harmonieuse et emphatique. N’en doutez pas : le père de la tragédie vous aurait donné la préférence. Le déshabillé du voyage n’a point terni le héros tragique dans mon imagination, et quand Rodrigue reprocha justement à l’aubergiste de Dôle la détestable qualité de son vin, il me sembla encore voir le Cid dîner à table d’hôte.

À Châlons, je quittai la troupe d’acteurs, et je descendis la Saône avec six de ces personnages importants qui gouvernent le monde aujourd’hui ; c’étaient des jurés qui avaient découvert des circonstances atténuantes en faveur d’un fratricide. On m’avait beaucoup vanté les nouveaux bateaux du Rhône. Trois compagnies en concurrence annonçaient une vitesse sans égale, d’où il fallait conclure que chacune d’elles marchait plus vite que les deux autres. Ce problème intéressant a été oublié dans tous les traités d’arithmétique. J’avais déjà fait deux fois le trajet de Lyon à Arles, et je m’attendais à un progrès remarquable. En 183/i, le bateau n’avait pu atteindre Avignon et s’était arrêté au village de Roquemaure. En 1836, nous n’avions pu dépasser le pont Saint-Esprit, qui est de quarante milles en deçà d’Avignon. L’année dernière, le bateau relâcha à Valence en Dauphiné ; tel fut le progrès obtenu. Je n’oserais y retourner une quatrième fois, de peur de rester sur le quai de Lyon. On arriva bien à Arles, mais après deux jours de voyage au lieu d’un, comme le promettait le programme. J’avais pour compagnons plusieurs personnes indifférentes aux beautés du pays : un Anglais d’une santé déplorable, et dont la vie était entièrement restricte par les douleurs rhumatiques ainsi qu’il le disait lui-même ; un homme évidemment malheureux dont le cœur portait quelque blessure profonde ; ensuite venaient deux joueurs d’échecs absorbés par une succession interminable de parties. On peut ajouter à ce quatuor le chauffeur, qui ressemblait assez, dans l’abîme de sa fournaise, à l’Anglais enveloppé du flegme britannique et à l’homme malheureux plongé dans l’enfer portatif de ses tristes pensées. Au milieu des sites de la Provence, quand les brouillards du nord se détachèrent au loin comme un rideau, et que le soleil éclaira le feuillage argenté des oliviers, l’Anglais s’endormit, l’homme malheureux tint ses regards fixés sur le plancher du bateau, le chauffeur essuya son front d’une main noircie par le charbon, et les joueurs d’échecs entamèrent leur trente-sixième gambit. Nous pouvions aller ainsi à Madagascar, eux sans s’apercevoir du changement de climat, et moi sans avoir envie de rompre le silence.

J’étais pressé d’atteindre Marseille. Une mauvaise diligence qui venait de Nîmes me prit à Arles le soir. Elle m’aurait conduit en dix heures, sans un tour pendable du conducteur, et qui vaut tout ce que les voiturins italiens peuvent imaginer. Au milieu de la nuit, par un temps froid, cet homme détela ses chevaux, laissa voiture et voyageurs sur la route, et s’en alla dormir jusqu’au point du jour. À Marseille, j’eus le plaisir d’entendre chanter Mme Pouilley, l’ancienne Agathe du Robin des Bois. Les souvenirs de l’Odéon me poursuivaient. Enfin le 7 janvier, je traversai dans une petite barque cet écheveau embrouillé de mâts et de cordages qui représente l’immense commerce maritime de Marseille, et je montai sur le Pharamond qui partait pour Gênes. Le Pharamond est un beau et excellent navire avec une machine de la force de cent cinquante chevaux. À Gênes, les affiches lui en donnaient cent soixante-dix. L’exagération du midi augmentant à chaque station, la machine augmentait de puissance. Sous le trenteneuvième degré, elle prenait cinquante chevaux de supplément, car je retrouvai le Pharamond à Naples avec une vitesse de deux cents chevaux. La compagnie était obligée de se mettre à la hauteur des gens du pays en fait d’exactitude et de véracité.

La traversée de Marseille à Gênes, en vue des îles d’Hières et de la Corniche, m’eût paru délicieuse sans un monsieur beau parleur et plein de prétentions qui avait résolu de me persécuter de ses discours. Cet inconnu avait la jambe ornée d’un pantalon collant, les reins cambrés, les épaules garnies d’un petit collet semblable à une aile de papillon, la bague au doigt, le pied en dehors. Il marchait avec aplomb de manière à faire tremblotter le mollet. Il semblait que la Méditerranée fût son bien et qu’il eût inventé les Alpes. Il chantait des refrains de vaudeville en les embellissant par des fioritures italiennes, et parlait à perte de vue sur la musique et la peinture, en cherchant d’un regard avide l’approbation des assistants. Je n’ai pas les nerfs trèsirritables, et je suis volontiers complaisant en voyage ; mais cet être-là me mit au désespoir lorsqu’il me saisit par la manche pour me débiter une aune de platitudes. Tout à coup je le vis pâlir, balbutier, s’interrompre au milieu d’une phrase et courir vers le dortoir. Au bout d’une demi-heure, j’aperçus le malheureux au bas de l’escalier. Il était tombé avant d’arriver à son lit, et restait là, les pieds plus haut que la tête, gémissant comme un enfant, à cent lieues de toutes ses prétentions, de ses refrains de vaudeville et de ses discussions sur les arts. Il touchait au période de l’effroyable extase où l’on désire la mort qui ne veut pas venir. Le mal de mer avait fait de lui un homme parfaitement simple et naturel, et comme ce monsieur gagnait beaucoup à être connu sous cet aspect, je crus devoir bénir ce mal terrible dont je ne ressentais point les effets pendant cette première traversée.

Dans nos jardins publics, j’ai toujours aimé les allées détournées où l’on rencontre seulement quelque philosophe le livre à la main, quelque étudiant laborieux ou quelque acteur apprenant son rôle. C’est là qu’on goûte véritablement l’ombre et le frais, et que l’esprit se repose dans une demi-solitude comme font les yeux dans le demi-jour. J’ai toujours aimé ces vieux marronniers du Luxembourg où je passais en allant au collège Henri IV, et sous lesquels Diderot raconte qu’il venait souvent rêver pendant sa première jeunesse, lorsqu’il avait le cœur tendre, la tête chaude et des reprises de fil blanc à ses bas de laine noire. Gênes me paraît être, par sa situation au fond du golfe, comme ces allées solitaires de nos promenades publiques. Les voyageurs pressés d’arriver à Florence ou à Rome la laissent de côté. Ceux qui suivent la voie de terre ne la rencontrent pas sur leur route, et ceux qui prennent les bateaux à vapeur ont à peine douze heures de répit pour regarder à la hâte et disparaître. Gênes est pourtant une ville intéressante dont les beautés sont éparpillées et demanderaient un long séjour. L’aspect des rues offre une transition brusque et agréable aux yeux du voyageur qui vient du nord. Tout y est pour lui nouveau et original. Sauf un très-petit nombre de maisons bâties dans le goût moderne, on ne voit que des palais magnifiques, les uns transformés en auberges, en collèges, en établissements publics, les autres loués par fragments à plusieurs familles ou habités en entier par quelque grand seigneur. Des caisses d’orangers sont sur les terrasses. Les portes restent ouvertes. Les carrosses font des stations sous les vestibules de plain-pied avec la rue. À chaque pas le coup d’œil change. Ce sont des détours, des marches à monter, de petites places où l’on trouve un portail d’église, des rues étroites comme des corridors et qui tournent et s’embrouillent si bien qu’il est impossible de s’y orienter. Au milieu de ce labyrinthe règne un mouvement considérable. Le Génois est actif, mais non pas turbulent comme le Napolitain. Il s’agite pour quelque chose. Dans les alentours du port, la moitié de la population semble passer sa vie à traverser la ville en courant, avec une barrique sur la tête, et l’autre moitié se range pour faire place aux olives. Souvent, à l’endroit où le sentier est le plus escarpé, vous avez devant et derrière vous de ces hommes qui courent à perdre haleine avec leurs tonneaux ; vous croyez leur échapper en tournant par un autre sentier, lorsqu’un convoi de mulets débouche tout à coup ; vous n’avez plus alors qu’à vous jeter dans un soupirail.

Dans le beau quartier vous êtes plus à l’aise, et les gens pressés vous laissent un peu de place. Des fragments de trottoirs vous offrent un refuge contre les carrosses accumulés dans la grand’rue où la circulation leur est possible. De là vous voyez les chaises à porteurs que l’on mène au trot gymnastique, et précédées le soir d’un falot de papier peint. Le jour vous rencontrez de jeunes abbés qui se promènent en compagnie des dames, des pâtissiers ambulants qui tiennent, appuyée sur la hanche, une planche ronde où est une énorme tarte, des marins de toutes les nations, des paysans ou des voiturins piémontais, lombards ou toscans, vêtus de différents costumes. Ce qui vous charme surtout, c’est le voile blanc dont les femmes se coiffent, et qui donne à tous les visages un air doux et décent. Celles qui portent le chapeau ne se doutent pas du tort qu’elles font au caractère de leur beauté. Il faut souhaiter aux bourgeoises de n’avoir jamais assez d’argent pour acheter ces échafaudages de carton qui changeraient à l’instant leur ressemblance avec les madones en silhouette du Journal des modes.

J’ai horreur du cicérone, de ce chapelet qu’il récite depuis dix ans, de sa tactique qui consiste à vous mener au galop pour vous fatiguer tout de suite, demander son argent et courir après un autre Anglais. Je déteste aussi les conseils de ces guides en Italie qui vous tracent un itinéraire, vous prescrivent d’être à Naples tel jour, à Rome tel autre jour, vous indiquent le moment où il convient d’ouvrir vos yeux, pour éprouver les mêmes sensations et faire de point en point le même voyage que tout le monde. Cela est bon pour les gens qui ont besoin, d’être avertis que telle chose doit leur plaire ; le guide leur est absolument nécessaire ; c’est le fond du voyage ; mais ils comprendront un jour qu’il reviendrait au même d’en faire la lecture dans leur fauteuil, au lieu de dépenser leur temps et leur argent pour venir braquer leurs yeux sur des objets qui ne leur disent rien, et prendre le thé si loin de chez eux. Pour moi, je ne puis souffrir les programmes réglés d’avance. Je préfère consacrer un mois à ce qu’on pourrait voir en huit jours, et jouir ensuite des rencontres fortuites, même au risque d’oublier quelque morceau capital. Celui qui voyage sans suivre les conseils de personne sentira en Italie un certain parfum d’aventures qui donnera du prix aux moindres incidents , et d’ailleurs il rencontrera réellement beaucoup de belles choses dont les guides et les ciceroni n’ont point connaissance. Une fois que les domestiques de place vous auront promené dans les palais Brignole, Serra, Palavicini et Durazzo, dont on a fait cent descriptions, ils ne sauront plus vous conduire qu’aux églises, où vous pourriez aller sans eux, ou bien à l’institut des sourds-muets, qui est une mystification complète, tandis qu’en cherchant au hasard et en frappant à des portes nouvelles, vous verrez des portraits historiques et des tableaux de grands maîtres que tout le monde ne connaît pas.

Outre les galeries de peinture, qui sont très-riches, quelques-uns des palais de Gênes ont encore leurs anciens meubles et ornements du temps des patriciens de la république. Madame de Staël a dit qu’ils semblaient prêts à loger un congrès de rois, et en effet, pour y recevoir toutes les têtes couronnées de la terre, il suffirait de huit jours consacrés à un nettoiement complet. Cette cérémonie serait de rigueur. Tous portent les noms célèbres de l’ancien sénat : ce sont les palais Spinola, Doria, Palavicini, Fiesque, Grimaldi, etc., dont les pages de l’histoire d’Italie sont toutes pleines. Il y a jusqu’à six palais Spinola voisins les uns des autres. Les héritiers de ces noms superbes vivent encore, retirés dans un coin de leur habitation, et laissant leurs vastes galeries aux fantômes de leurs aïeux. Ces rébarbatifs vieillards, peints par Titien ou Van Dyk, se regardent entre eux, étonnés de ne voir que des Anglais et des artistes, et s’imaginent sans doute que leurs petits-enfants ont conspiré contre la république.

L’étranger trouve partout une complaisance hospitalière. Quelque domestique endormi sur les banquettes de l’antichambre ouvrira pour vous les volets et les persiennes, et quand vous aurez parcouru tout le palais que vous croirez désert, vous entendrez par hasard, à travers une porte basse, les sons d’un piano.

— C’est, vous dira-t-on, mademoiselle qui étudie une sonate.

— Et le maître du logis, direz-vous, il est sans doute à la campagne ?

— Non, signor ; il habite cette petite chambre qui est là au fond ; il ne sort que par l’escalier dérobé. Le signor marquis prend son café dans ce moment.

On reproche beaucoup aux grands seigneurs génois de vivre ainsi enfermés et d’amasser de la mélancolie et de l’argent ; mais il faut considérer que dans le temps où ils vivent, leurs beaux noms sont une charge accablante. Qu’ont-ils besoin d’un immense palais, que soixante laquais animeraient à peine, lorsqu’il ne s’agit pour eux que de prendre le café le matin et d’aller écouter Donizetti le soir ? Le sentiment de leur déchéance blesse leur orgueil, et ils boudent contre ce siècle décoloré. Ils n’ont pas comme chez nous la ressource de briguer la députation et de faire d’aussi méchants discours que des avocats. Je suppose qu’on leur rende demain leurs vieilles institutions et qu’on les appelle au sénat ; vous les verriez alors sortir de leurs réduits, ouvrir les galeries et passer devant les figures de leurs aïeux, suivis d’un cortège d’amis et de créatures, et peut-être trouverait-on encore parmi eux des André Doria et des Ambroise Spinola.

Le malheur de la noblesse génoise et de l’Italie entière tient à l’esprit exclusif que les républiques et les petits duchés d’autrefois ont laissé après eux. Le sentiment patriotique est renfermé dans les murs de la ville. Hors de là, on n’a que des antipathies ou de vieilles rancunes. On se glorifie encore de la destruction de Pise , de la guerre contre les Vénitiens, comme si c’était une affaire d’hier. Le Génois déteste particulièrement le Piémontais , dont il est détesté. Sienne et Florence ne se sont pas encore pardonné leurs anciennes querelles. Bologne et Ferrare ne s’aiment point. Rimini est jalouse des grandes villes. Le Napolitain abhorre le Sicilien et en est méprisé. Dans Rome même, ceux qui habitent un côté du Tibre méprisent les habitants de l’autre rive. La division matérielle est une juste conséquence de la division morale. Si demain la ville de Marseille voulait saccager celle de Lyon, si elle armait cent trente galères contre Bordeaux, comme Gênes contre Venise ; si le Havre voulait incendier Dunkerque, avant dix ans la France serait invahie et partagée par les autres puissances de l’Europe. Il serait curieux d’évoquer les ombres des anciens sénateurs, et de montrer à toutes ces fortes têtes les résultats de leur politique : « Vous étiez d’habiles gens, leur dirait-on ; vous avez soufflé dans le cœur de vos compatriotes la haine de l’Italie, et vous auriez voulu élever vos fortunes sur les débris de tous les états voisins. Un moment de décadence est arrivé, et la république n’est plus qu’un port marchand où l’on vend de l’huile et des fruits, qu’une ville éteinte où l’artiste vient étudier, ou qu’une réunion de maisons de santé pour des Anglais poitrinaires. Vous avez laissé à vos enfants des palais superbes où ils meurent d’ennui, beaucoup d’argent qu’ils cachent dans leurs coffres ; mais point d’alliés, point d’amis ni de patrie. »