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Crime et Châtiment/IV/6

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Traduction par Victor Derély.
Plon (tome 2p. 85-95).
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Quatrième partie

VI

Voici le souvenir que cette scène laissa dans l’esprit de Raskolnikoff :

Le bruit qui se faisait dans la chambre voisine augmenta tout à coup, et la porte s’entr’ouvrit.

— Qu’est-ce qu’il y a ? cria avec colère Porphyre Pétrovitch. — J’ai prévenu…

Il n’y eut pas de réponse, mais la cause du tapage se laissait deviner en partie : quelqu’un voulait pénétrer dans le cabinet du juge d’instruction, et on s’efforçait de l’en empêcher.

— Qu’est-ce qu’il y a donc là ? répéta Porphyre inquiet.

— C’est l’inculpé Nicolas qu’on a amené, fit une voix.

— Je n’ai pas besoin de lui ! Je ne veux pas le voir ! Emmenez-le ! Attendez un peu !… Comment l’a-t-on conduit ici ? Quel désordre ! gronda Porphyre en s’élançant vers la porte.

— Mais c’est lui qui…, reprit la même voix, et elle s’arrêta soudain.

Durant deux secondes, on entendit le bruit d’une lutte entre deux hommes ; puis l’un d’eux repoussa l’autre avec force et, brusquement, fit invasion dans le cabinet.

Le nouveau venu avait un aspect fort étrange. Il regardait droit devant lui, mais ne semblait voir personne. La résolution se lisait dans ses yeux étincelants, et, en même temps, son visage était livide comme celui d’un condamné que l’on mène à l’échafaud. Ses lèvres, toutes blanches, tremblaient légèrement.

C’était un homme fort jeune encore, maigre, de taille moyenne et vêtu comme un ouvrier ; il portait les cheveux coupés en rond ; ses traits étaient fins et secs. Celui qu’il venait de repousser s’élança après lui dans la chambre et le saisit par l’épaule : c’était un gendarme ; mais Nicolas réussit encore une fois à se dégager.

Sur le seuil se groupèrent plusieurs curieux. Quelques-uns avaient grande envie d’entrer. Tout cela s’était passé en beaucoup moins de temps que nous n’en avons mis à le raconter.

— Va-t’en, il est encore trop tôt ! Attends qu’on t’appelle !… Pourquoi l’a-t-on amené si tôt ? grommela Porphyre Pétrovitch, aussi irrité que surpris. Mais tout à coup Nicolas se mit à genoux.

— Qu’est-ce que tu fais ? cria le juge d’instruction de plus en plus étonné.

— Pardon ! Je suis coupable ! Je suis l’assassin ! dit brusquement Nicolas d’une voix assez forte, malgré l’émotion qui l’étranglait.

Il y eut durant dix secondes un silence aussi profond que si tous les assistants étaient tombés en catalepsie ; le gendarme n’essaya plus de reprendre son prisonnier et se dirigea machinalement vers la porte où il resta immobile.

— Qu’est-ce que tu dis ? cria Porphyre Pétrovitch quand sa stupéfaction lui eut permis de parler.

— Je suis… l’assassin… répéta Nicolas après s’être tu un instant.

— Comment… tu… Comment… Qui as-tu assassiné ?

Le juge d’instruction était visiblement déconcerté.

Nicolas attendit encore un instant avant de répondre.

— J’ai… assassiné… à coups de hache Aléna Ivanovna et sa sœur Élisabeth Ivanovna. J’avais l’esprit égaré… ajouta-t-il brusquement, puis il se tut, mais il restait toujours agenouillé.

Après avoir entendu cette réponse, Porphyre Pétrovitch parut réfléchir profondément ; ensuite, d’un geste violent, il invita les témoins à se retirer. Ceux-ci obéirent aussitôt, et la porte se referma.

Raskolnikoff, debout dans un coin, contemplait Nicolas d’un air étrange. Durant quelques instants les regards du juge d’instruction allèrent du visiteur au détenu et vice versa. À la fin, il s’adressa à Nicolas avec une sorte d’emportement :

— Attends qu’on t’interroge, avant de me dire que tu as eu l’esprit égaré ! fit-il d’une voix presque irritée. Je ne t’ai pas encore demandé cela… Parle maintenant : tu as tué ?

— Je suis l’assassin… j’avoue… répondit Nicolas.

— E-eh ! Avec quoi as-tu tué ?

— Avec une hache. Je l’avais apportée pour cela.

— Oh ! comme il se presse ! Seul ?

Nicolas ne comprit pas la question.

— Tu n’as pas eu de complices ?

— Non. Mitka est innocent, il n’a pris aucune part au crime.

— Ne te presse donc pas d’innocenter Mitka ; est-ce que je t’ai questionné à son sujet ?… Pourtant, comment se fait-il que les dvorniks vous aient vus tous deux descendre l’escalier en courant ?

— J’ai fait exprès de courir après Mitka… c’était une feinte pour détourner les soupçons, répondit Nicolas.

— Allons, c’est bien, en voilà assez ! cria Porphyre avec colère ; il ne dit pas la vérité ! grommela-t-il ensuite comme à part soi, et soudain ses yeux rencontrèrent Raskolnikoff, dont il avait évidemment oublié la présence durant ce dialogue avec Nicolas. En apercevant son visiteur, le juge d’instruction parut se troubler… Il s’avança aussitôt vers lui.

— Rodion Romanovitch, batuchka ! Excusez-moi… je vous prie… vous n’avez plus rien à faire ici… moi-même… vous voyez quelle surprise !… Je vous prie…

Il avait pris le jeune homme par le bras et lui montrait la porte.

— Il paraît que vous ne vous attendiez pas à cela ? observa Raskolnikoff.

Naturellement, ce qui venait de se passer était encore pour lui une énigme ; cependant il avait recouvré en grande partie son assurance.

— Mais vous ne vous y attendiez pas non plus, batuchka. Voyez donc comme votre main tremble ! Hé ! hé !

— Vous tremblez aussi, Porphyre Petrovitch.

— C’est vrai ; je ne m’attendais pas à cela !…

Ils se trouvaient déjà sur le seuil de la porte. Le juge d’instruction avait hâte d’être débarrassé de son visiteur.

— Alors vous ne me montrerez pas la petite surprise ? demanda brusquement celui-ci.

— C’est à peine s’il a retrouvé la force de parler, et il fait déjà de l’ironie ! Hé ! hé ! vous êtes un homme caustique ! Allons, au revoir !

— Je crois qu’il faudrait plutôt dire adieu !

— Ce sera comme Dieu voudra ! balbutia Porphyre avec un sourire forcé.

En traversant la chancellerie, Raskolnikoff remarqua que plusieurs des employés le regardaient fixement. Dans l’antichambre, il reconnut, au milieu de la foule, les deux dvorniks de cette maison-là, ceux à qui il avait proposé, l’autre soir, de le mener chez le commissaire de police. Ils paraissaient attendre quelque chose. Mais à peine était-il arrivé sur le carré qu’il entendit de nouveau derrière lui la voix de Porphyre Pétrovitch. Il se retourna et aperçut le juge d’instruction qui s’essoufflait à courir après lui.

— Un petit mot, Rodion Romanovitch ; il en sera de cette affaire comme Dieu voudra, mais pour la forme j’aurai à vous demander quelques renseignements… ainsi nous nous reverrons encore, certainement !

Et Porphyre s’arrêta en souriant devant le jeune homme.

— Certainement ! fit-il une seconde fois.

On pouvait supposer qu’il aurait encore voulu dire quelque chose, mais il n’ajouta rien.

— Pardonnez-moi ma manière d’être de tantôt, Porphyre Pétrovitch… j’ai été un peu vif, commença Raskolnikoff, qui avait recouvré tout son aplomb et qui même éprouvait une irrésistible envie de gouailler le magistrat.

— Laissez donc, ce n’est rien, reprit Porphyre d’un ton presque joyeux. Je suis moi-même… j’ai un caractère fort désagréable, je le confesse. Mais nous nous reverrons. Si Dieu le permet, nous nous reverrons souvent !…

— Et nous ferons définitivement connaissance ensemble dit Raskolnikoff.

— Et nous ferons définitivement connaissance ensemble, répéta comme un écho Porphyre Pétrovitch, et, clignant de l’œil, il regarda très-sérieusement son interlocuteur. — Maintenant vous allez à un dîner de fête ?

— À un enterrement.

— Ah ! c’est juste ! Ayez soin de votre santé…

— De mon côté je ne sais quels vœux faire pour vous ! répondit Raskolnikoff ; il commençait déjà à descendre l’escalier, mais soudain il se retourna vers Porphyre : — Je vous souhaiterais volontiers plus de succès que vous n’en avez eu aujourd’hui : voyez pourtant comme vos fonctions sont comiques !

À ces mots, le juge d’instruction, qui s’apprêtait déjà à regagner son appartement, dressa l’oreille.

— Qu’est-ce qu’elles ont de comique ? demanda-t-il.

— Mais comment donc ! Voilà ce pauvre Mikolka ; combien vous avez dû le tourmenter, l’obséder, pour lui arracher des aveux ! Jour et nuit sans doute vous lui avez répété sur tous les tons : « Tu es l’assassin, tu es l’assassin… » Vous l’avez persécuté sans relâche selon votre méthode psychologique. Or, maintenant qu’il se reconnaît coupable, vous recommencez à le turlupiner en lui chantant une autre gamme : « Tu mens, tu n’es pas l’assassin, tu ne peux pas l’être, tu ne dis pas la vérité. » Eh bien, après cela, n’ai-je pas le droit de trouver comiques vos fonctions ?

— Hé ! hé ! hé ! Ainsi vous avez remarqué que tout à l’heure j’ai fait observer à Nicolas qu’il ne disait pas la vérité ?

— Comment ne l’aurais-je pas remarqué ?

— Hé ! hé ! Vous avez l’esprit subtil, rien ne vous échappe. Et, en outre, vous cultivez la facétie, vous avez la corde humoristique, hé ! hé ! C’était, dit-on, le trait distinctif de notre écrivain Gogol ?

— Oui, de Gogol.

— En effet, de Gogol… Au plaisir de vous revoir.

— Au plaisir de vous revoir…

Le jeune homme retourna directement chez lui. Arrivé à son domicile, il se jeta sur son divan, et, durant un quart d’heure, il tâcha de mettre un peu d’ordre dans ses idées, qui étaient fort confuses. Il n’essaya même pas de s’expliquer la conduite de Nicolas, sentant qu’il y avait là-dessous un mystère dont, pour le moment, il chercherait en vain la clef. Du reste, il ne se faisait pas d’illusions sur les suites probables de l’incident : les aveux de l’ouvrier ne tarderaient pas à être reconnus mensongers, et alors les soupçons se porteraient de nouveau sur lui, Raskolnikoff. Mais, en attendant, il était libre et il devait prendre ses mesures en prévision du danger qu’il jugeait imminent.

Jusqu’à quel point, toutefois, était-il menacé ? La situation commençait à s’éclaircir. Le jeune homme frissonnait encore en se rappelant son entretien de tout à l’heure avec le juge d’instruction. Sans doute il ne pouvait pénétrer toutes les intentions de Porphyre, mais ce qu’il en devinait était plus que suffisant pour lui faire comprendre à quel terrible péril il venait d’échapper. Un peu plus, et il se perdait sans retour. Connaissant l’irritabilité nerveuse de son visiteur, le magistrat s’était engagé à fond sur cette donnée et avait trop hardiment découvert son jeu, mais il jouait presque à coup sûr. Certes Raskolnikoff ne s’était déjà que trop compromis tantôt, cependant les imprudences qu’il se reprochait ne constituaient pas encore une preuve contre lui ; cela n’avait qu’un caractère relatif. Ne se trompait-il pas, toutefois, en pensant ainsi ? Quel était le but visé par Porphyre ? Celui-ci avait-il réellement machiné quelque chose aujourd’hui, et, s’il y avait un coup monté, en quoi consistait-il ? Sans l’apparition inattendue de Nicolas, comment cette entrevue aurait-elle fini ?

Raskolnikoff était assis sur le divan, les coudes sur ses genoux et la tête dans ses mains. Un tremblement nerveux continuait à agiter tout son corps. À la fin, il se leva, prit sa casquette et, après avoir réfléchi un moment, se dirigea vers la porte.

Il se disait que, pour aujourd’hui du moins, il n’avait rien à craindre. Tout à coup, il éprouva une sorte de joie : l’idée lui vint de se rendre au plus tôt chez Catherine Ivanovna. Bien entendu, il était trop tard pour aller à l’enterrement, mais il arriverait à temps pour le dîner, et là il verrait Sonia.

Il s’arrêta, réfléchit, et un sourire maladif se montra sur ses lèvres.

« Aujourd’hui ! Aujourd’hui ! répéta-t-il : oui, aujourd’hui même ! Il le faut… »

Au moment où il allait ouvrir la porte, elle s’ouvrit d’elle-même. Il recula épouvanté en voyant paraître l’énigmatique personnage de la veille, l’homme sorti de dessous terre.

Le visiteur s’arrêta sur le seuil et, après avoir regardé silencieusement Raskolnikoff, fit un pas dans la chambre. Il était vêtu exactement comme la veille, mais son visage n’était plus le même. Il semblait fort affligé et poussait de profonds soupirs.

— Que voulez-vous ? demanda Raskolnikoff, pâle comme la mort.

L’homme ne répondit pas et tout à coup s’inclina presque jusqu’à terre. Du moins, il toucha le parquet avec l’anneau qu’il portait à la main droite.

— Qui êtes-vous ? s’écria Raskolnikoff.

— Je vous demande pardon, dit l’homme à voix basse.

— De quoi ?

— De mes mauvaises pensées.

Ils se regardèrent l’un l’autre.

— J’étais fâché. Quand vous êtes venu l’autre jour, ayant peut-être l’esprit troublé par la boisson, vous avez questionné à propos du sang et demandé aux dvorniks de vous conduire au bureau de police. J’ai vu avec regret qu’ils ne tenaient pas compte de vos paroles, vous prenant pour un homme ivre. Cela m’a tellement contrarié que je n’ai pas pu dormir. Mais je me rappelais votre adresse, et hier je suis venu ici…

— C’est vous qui êtes venu ? interrompit Raskolnikoff.

La lumière commençait à se faire dans son esprit.

— Oui. Je vous ai insulté.

— Vous étiez donc dans cette maison-là ?

— Oui, je me trouvais sous la porte cochère lors de votre visite. Est-ce que vous l’avez oublié ? J’habite là depuis fort longtemps, je suis pelletier…

Raskolnikoff se remémora soudain toute la scène de l’avant-veille : en effet, indépendamment des dvorniks, il y avait encore sous la porte cochère plusieurs personnes, des hommes et des femmes. Quelqu’un avait proposé de le conduire immédiatement chez le commissaire de police. Il ne pouvait se rappeler le visage de celui qui avait émis cet avis, et maintenant même il ne le reconnaissait pas, mais il se souvenait de lui avoir répondu quelque chose, de s’être tourné vers lui.

Ainsi s’expliquait, le plus simplement du monde, l’effrayant mystère de la veille. Et, sous l’impression de l’inquiétude que lui causait une circonstance aussi insignifiante, il avait failli se perdre ! Cet homme n’avait rien pu raconter, sinon que Raskolnikoff s’était présenté pour louer l’appartement de la vieille et avait questionné au sujet du sang. Donc, sauf cette démarche d’un malade en délire, sauf cette psychologie à deux fins, Porphyre ne savait rien ; il n’avait point de faits, rien de positif. « Par conséquent, pensait le jeune homme, s’il ne surgit point de nouvelles charges (et il n’en surgira pas, j’en suis sûr !), qu’est-ce que l’on peut me faire ? Lors même que l’on m’arrêterait, comment établir définitivement ma culpabilité ? »

Une autre conclusion ressortait pour Raskolnikoff des paroles de son visiteur : c’était tout à l’heure seulement que Porphyre avait eu connaissance de sa visite au logement de la victime.

— Vous avez dit aujourd’hui à Porphyre que j’étais allé là ? demanda-t-il frappé d’une idée subite.

— À quel Porphyre ?

— Au juge d’instruction.

— Je le lui ai dit. Comme les dvorniks n’étaient pas allés chez lui, je m’y suis rendu.

— Aujourd’hui ?

— Je suis arrivé une minute avant vous. Et j’ai tout entendu, je sais qu’il vous a fait passer un vilain quart d’heure.

— Où ? Quoi ? Quand ?

— Mais j’étais chez lui, dans la pièce contiguë à son cabinet ; je suis resté là tout le temps.

— Comment ? Ainsi, c’est vous qui étiez la surprise ? Mais comment donc cela a-t-il pu arriver ? Parlez, je vous prie !

— Voyant, commença le bourgeois, — que les dvorniks refusaient d’aller prévenir la police sous prétexte qu’il était trop tard et qu’ils trouveraient le bureau fermé, j’en éprouvai un vif mécontentement et je résolus de me renseigner sur votre compte ; le lendemain, c’est-à-dire hier, je pris mes renseignements, et aujourd’hui je me suis rendu chez le juge d’instruction. La première fois que je me suis présenté, il était absent. Une heure après je suis revenu et n’ai pas été reçu ; enfin, la troisième fois, on m’a introduit. J’ai raconté les choses de point en point comme elles s’étaient passées ; en m’écoutant, il bondissait dans la chambre et se frappait la poitrine : « Voilà comme vous faites votre service, brigands ! s’écriait-il ; si j’avais su cela plus tôt, je l’aurais fait chercher par la gendarmerie ! » Ensuite il est sorti précipitamment, a appelé quelqu’un et a causé avec lui dans un coin ; puis il est revenu vers moi et s’est mis à me questionner, tout en proférant force imprécations. Je ne lui ai rien laissé ignorer ; je lui ai dit que vous n’aviez pas osé répondre à mes paroles d’hier et que vous ne m’aviez pas reconnu. Il continuait à se frapper la poitrine, à vociférer et à bondir dans la chambre. Sur ces entrefaites, on vous a annoncé : « Retire-toi derrière la cloison, m’a-t-il dit alors en m’apportant une chaise, et reste là sans bouger, quoi que tu entendes ; il se peut que je t’interroge encore. » Puis il a fermé la porte sur moi. Quand on a amené Nicolas, il vous a congédié et m’a ensuite fait sortir : « J’aurai à te questionner encore », a-t-il dit.

— Est-ce qu’il a questionné Nicolas devant toi ?

— Je suis sorti aussitôt après vous, et c’est alors seulement qu’a commencé l’interrogatoire de Nicolas.

Son récit terminé, le bourgeois salua de nouveau jusqu’à terre.

— Pardonnez-moi ma dénonciation et le tort que je vous ai fait.

— Que Dieu te pardonne ! répondit Raskolnikoff.

À ces mots, le bourgeois s’inclina encore, mais seulement jusqu’à la ceinture, puis il se retira d’un pas lent.

« Pas d’inculpations précises, rien que des preuves à deux fins ! » pensa Raskolnikoff renaissant à l’espérance, et il sortit de la chambre.

« À présent nous pouvons encore lutter », se dit-il avec un sourire de colère, tandis qu’il descendait l’escalier. C’était à lui-même qu’il en voulait ; il songeait avec humiliation à sa « pusillanimité ».