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Croquis laurentiens/14

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Frères des écoles chrétiennes (p. 76-78).

La Pointe-des-Monts


Avec la Pointe-des-Monts, nous quittons le Golfe pour entrer tout de bon dans le Saint-Laurent, mais un Saint-Laurent encore sans barrière, vaste, royal. Durant la nuit, le Savoy a pris au Nord et ce matin nous longeons la côte à quelques milles.

Le soleil luit sur une mer gris perle qui baigne un rivage de granit. Il touche de sa baguette ce qui n’est en somme qu’une affreuse solitude, et aussitôt, à l’horizon, la mer verdit, la mort s’anime, et le silence lui-même prend une voix !…

Le phare de la Pointe-des-Monts ! Cette nuit il brillait de sa propre lumière et son œil puissant fouillait l’ombre hostile, mitraillait les ténèbres. Comme le jour montait, il a baissé sa paupière cyclopéenne pour dormir un peu pendant que le soleil éclate sur la blancheur de la tour.

Le même soleil créateur rappelle, des anses où ils ont passé la nuit, les groupes de goélands. Ils planent en tournoyant sur l’eau bleue et, ainsi suspendus dans l’air immobile, laissent voir leur bec camus et leur corps fuselé. Ils ne sont pas beaux ainsi, rappelant par trop les naïves colombes de bois qui jouent gravement le rôle du Saint-Esprit, au-dessus de nos chaires de campagne ! Mais regardez-les aborder à la crête d’une vague, les ailes tendues et le corps en avant. Ils ont, pour prendre leur équilibre et replier leurs ailes, un mouvement d’une élégance suprême qui défie la pauvreté des mots !

Les sept ou huit maisonnettes blotties autour du phare ne s’endorment pas comme lui au lever du soleil ; elles rient à la lumière renaissante, d’un rire plein de chaux. On ne voit personne, mais dans les entrailles de pierre, derrière les fenêtres closes, il y a sûrement des êtres vivants pour qui se déploie tout cet immense paysage : un allumeur, quelques pêcheurs, quelques femmes au cœur simple dont toute l’affaire est d’aimer ; quelques enfants, dont les âmes se modèlent à jamais, entre l’affection maternelle et la sévérité de l’habitat. Pour eux, la musique de l’eau sur le granit et la symphonie aiguë des chœurs de goélands ! Pour eux, et pour eux seuls, la ligne infinie des rochers, l’éternelle succession des vagues bleues et des arbres sombres qui montent en rideau vers le nord mystérieux et sans limites où, après trois siècles d’efforts, l’homme si fier n’est pas roi !…

Au beau milieu des cabanes de pêcheurs, une minuscule chapelle au front blanc regarde la mer. Pour ces quelques âmes étrangères aux complications de la vie et aux infamies sociales, elle représente l’idée d’une fin supérieure, une raison de souffrir et une façon de vivre ; et j’incline à croire que le Christ doit se plaire en ce lieu qui lui rappelle son lac de Galilée et où il retrouve l’eau pure, le granit éternel et le cristal des âmes !