Déclaration de Rimbaud au commissaire de police

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Déclaration de Rimbaud au commissaire de police
Librairie de France (p. 31-32).

« Nous entendons le sieur Rimbaud Arthur, lequel déclare : Depuis un an, j’habite Londres avec le sieur Verlaine ; nous faisions des correspondances pour les journaux et donnions des leçons de français ; sa société était devenue impossible, et j’avais manifesté le désir de retourner à Paris ; il y a quatre jours, il m’a quitté pour venir à Bruxelles et m’a envoyé un télégramme pour venir le rejoindre ; je suis arrivé depuis deux jours, et suis allé me loger avec lui et sa mère rue des Brasseurs, no 1. Je manifestais toujours le désir de retourner à Paris. Il me répondait : Oui, pars, et tu verras ; ce matin, il est allé acheter un révolver au passage des Galeries Saint-Hubert, qu’il m’a montré à son retour vers midi. Nous sommes allés ensuite à la Maison des Brasseurs, Grand Place, où nous avons continué à causer de mon départ. Rentrés au logement vers deux heures, il a fermé la porte à clef, s’est assis devant ; puis, armant son révolver, il en a tiré deux coups en disant : « Tiens ! Je t’apprendrai à vouloir partir ! » ; ces coups de feu ont été tirés à trois mètres de distance, le premier m’a blessé au poignet gauche, le second ne m’a pas atteint. Sa mère était présente et m’a porté les premiers soins. Je me suis rendu ensuite à l’Hôpital Saint-Jean, où l’on m’a pansé ; j’étais accompagné par Verlaine et sa mère ; le pansement fini, nous sommes revenus tous trois à la maison, Verlaine me disait toujours de ne pas le quitter et de rester avec lui, mais je n’ai pas voulu consentir et suis parti vers sept heures du soir, accompagné de Verlaine et de sa mère ; arrivé aux environs de la Place Rouppe, Verlaine m’a devancé de quelques pas, puis il est revenu vers moi, je l’ai vu mettre sa main en poche pour saisir son révolver, j’ai fait demi-tour et suis revenu sur mes pas, j’ai rencontré l’agent de police à qui j’ai fait part de ce qui m’était arrivé et qui a invité Verlaine à le suivre au bureau de police, et si ce dernier m’avait laissé partir librement, je n’aurais pas porté plainte à sa charge pour la blessure qu’il m’a faite.